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Claude Ambroise (Traducteur)Sabina Zanon Dal Bo (Traducteur)
EAN : 9782864325505
132 pages
Verdier (25/09/2008)
4.09/5   143 notes
Résumé :

Dans ce récit écrit sans artifices, Tönle, berger du plateau d'Asiago, à la frontière du royaume d'Italie et de l'Empire austro-hongrois, doit, pour survivre et nourrir sa famille, se faire contrebandier, soldat, mineur en Styrie, colporteur d'estampes jusqu'aux Carpates, jardinier à Prague, gardien de chevaux en Hongrie... Mais pour ce solitaire anarchisant, le monde finit avec la Première Guerre mondiale, quand le plat... >Voir plus
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L'histoire d'un homme pris en tenaille entre deux nations guerrières.

Un beau récit de terroir, sans artifice et tout en sensorialité, une histoire de montagnes et de gens simples, et une analyse historique de ce que fait la guerre sur un territoire reculé comme celui-là, voilà l'ambitieux projet de ce livre, « Histoire de Tönle » que nous propose l'auteur italien Mario Rigoni Stern.

Tönle, berger contrebandier du plateau d'Asiago, dans les Dolomites, à la frontière de l'Italie et de l'Empire austro-hongrois, se retrouve en exil forcé après avoir blessé un douanier qui voulait contrôler ce qu'il transportait lors d'une nuit de contrebande. Pour survivre et nourrir sa famille, alors qu'il est recherché, il va se faire tour à tour soldat en Autriche, mineur en Styrie, colporteur d'estampes jusqu'aux Carpates, jardinier à Prague, gardien de chevaux en Hongrie. Il ne cessera au fil de ces années de revenir discrètement sur sa terre natale passer l'hiver auprès des siens, dépassant allègrement ces frontières qu'il ne comprend pas, dont il n'admet pas l'arbitraire et qui, pendant la guerre, ne cessent d'être mouvantes. Homme solitaire, libre et anarchisant, libertaire de nature à l'image de l'auteur, il oppose à l'absurdité de ces règles administratives un bon sens du terroir, une conscience terrienne délicate et sensible de son peuple, de sa région, de sa place dans un monde traversé par une violence inouïe, sur son plateau où l'artillerie lourde a remplacé les moutons.

« Si pour eux il y avait des frontières, à quoi servaient-elles donc, si on pouvait les franchir en avion ? Et s'il n'y avait pas de frontières dans le ciel, alors pourquoi y en avait-il sur la terre ? Et par ce « pour eux », il entendait tous ceux qui considéraient les frontières comme quelque chose de concret ou de sacré ».

Il est vrai que les frontières sont très présentes dans le récit. Il faut dire qu'il y a de quoi être troublé. Tönle est né autrichien de Vénétie et est devenu italien du jour au lendemain. En 1866, en effet, alors que Tönle avait quitté son hameau autrichien pour mener en Europe son activité de contrebande, notre homme se trouvait à son retour sur le sol italien. Nouvelles lois, nouveau souverain, mais même dialecte germanique qui perdura longtemps dans cette province de la toute jeune nation italienne née du Risorgimento. Son hameau ne cessera ainsi de changer de nationalité particulièrement lors du conflit, ce village étant devenu un champ de bataille acharné entre l'armée royale de l'Autriche-Hongrie et l'armée royale italienne. Face à ces aléas, fruits multiples de l'histoire, le peuple oppose son dialecte, ses traditions, ses us et coutumes, superbement décrites sous la plume de l'auteur.

Tönle, qui ne cessera de se cacher avec ses moutons en pleine montagne, les faisant paître à l'écart de toute cette agitation, devenu vieil homme solitaire et errant, est le symbole de l'absurdité des frontières des hommes. Il n'est pas vraiment italien, mais plus tout à fait autrichien, il parle plusieurs langues et plusieurs dialectes d'Europe centrale. Il déconcertera lorsqu'il se fera capturer ne rentrant dans aucune case. Intéressant de voir comment la solitude qui a été la sienne lui aura permis toute sa vie à situer les événements en cours dans un vaste panorama historique qui a du échapper à la majorité des gens plongés dedans…j'ai aimé cet aspect là du récit.

Le texte entremêle avec subtilité la grande Histoire et la petite histoire personnelle, à savoir l'histoire de la région avant, pendant et juste après la Première Guerre Mondiale et l'histoire personnelle de cet homme sur plusieurs décennies depuis sa jeunesse jusqu'à sa vieillesse en mettant au premier plan les perceptions sensorielles de Tönle. le récit alterne ainsi entre faits historiques à la narration assez froide et descriptions d'un monde riche en sensations à la manière lumineuse et simple d'un Jean Giono ou d'un Erri de Luca.

Le récit est empli de petits bonheurs simples qui font la lumière de l'existence, une soupe au lard ou aux tripes, des tranches de polenta dorés sur le feu partagées entre les membres de la famille, une gorgée de grappa à même la bouteille, du bon tabac dans une pipe, les rires des enfants, les paroles essentielles limpides, simples, naturelles serties de silences sereins, telles des méditations sur les saisons, la forêt, les animaux . Place belle est faite aux hommes, à la famille, au temps qui passe, à la route qui tourne, au défilé des générations, ordre naturel et implacable.

« Tönle regardait ce visage et ces mains posées sur la couverture, et il se rendait compte du temps, et de la vie qui avait filé : celle de sa femme, la sienne propre, celle de ses parents, de ses enfants, et celle de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants filerait elle aussi ».

La plume de l'auteur est très belle mais le côté exclusivement narratif instaure une certaine distance avec le lecteur rendant le livre un peu froid notamment lors de l'explication des faits historiques, froideur heureusement contrebalancée par la poésie sensorielle et rude qui émane du regard de Tönle. J'ai aimé parcourir ces montagnes à ses côtés, avec son chien et ses moutons et la fin du livre m'a particulièrement ému.

A noter que c'est en ces lieux que nait et vit l'auteur, Mario Rigoni Stern. Il grandit dans les ruines de l'après-guerre et va se passionner pour les Alpins. Il sera fait prisonnier par les Allemands lors de la Seconde Guerre Mondiale et après s'être évadé, il rentre à pied à Asiago. Vingt ans après il se lance dans l'écriture. Mario Rigoni Sterne est considéré aujourd'hui comme un auteur classique de la littérature contemporaine italienne. L'histoire de Tönle est le premier volet d'une trilogie à la pâte singulière pétrie de souvenirs, de nostalgie, de sensations…

Un grand merci à @Dandine à qui je dois cette découverte !

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Le plateau d'Asiago, situé sur les Préalpes de Vénétie, entre Vicence et Trente, est un lieu de mémoire un peu particulier. Au Moyen Age vient s'y installer une minorité ethnique d'origine bavaroise, les Cimbres. D'abord reconnue culturellement autonome par la République de Venise, cette communauté est englobée en 1815 dans le royaume lombard-vénitien, vassal de l'Empire d'Autriche, et, considérée à tort comme pro-allemande pendant la première guerre mondiale – cette petite partie des Alpes est en l'occurrence totalement dévastée en 1916 par la plus grande bataille de montagne de l'Histoire –, fait ensuite les frais de la politique d'italianisation menée par les fascistes. Ainsi s'éteint alors quasiment la langue cimbre, un isolat comme l'est le basque dans les Pyrénées.


C'est en ces lieux au passé si singulier que naît et vit Mario Rigoni Stern. Lui qui grandit dans les ruines de la Grande Guerre se passionne pour les Alpins, dans lesquels il s'engage en 1938. Fait prisonnier par les Allemands, il s'évade, rentre à pied à Asiago et, quelque vingt ans plus tard, se lance dans l'écriture de ce qu'il considérera toujours modestement comme une oeuvre mémorialiste, mais qui le classera parmi les auteurs classiques de la littérature contemporaine italienne. Premier volet d'une trilogie, Histoire de Tönle se nourrit de souvenirs rapportés ou vécus, faisant avec nostalgie la part belle à sa montagne d'origine, à la vie rude, pauvre, mais libre, des paysans et bergers habitués à n'y connaître ni maîtres ni frontières, jusqu'à ce que, ne laissant qu'une terre ravagée et pour longtemps inhabitable, la guerre ne vienne en sonner définitivement le glas.


Berger, Tönle mène, en cette seconde moitié du XIXe siècle et comme, avant lui, tant de générations, l'existence rythmée par les saisons, par les travaux agricoles et par les traditions de son village. Pour joindre les deux bouts, mais aussi peut-être un peu parce que cette montagne à la frontière du royaume d'Italie et de l'Empire austro-hongrois appelle à l'aventure, il se fait contrebandier, colporteur, et sillonnant à pied toute l'Europe Centrale, exerce les mille métiers – soldat, mineur, jardinier, gardien de chevaux... – que ses boucles itinérantes mettent sur sa route avant de toujours le ramener auprès des siens et de ses moutons, sur ces alpages ailleurs desquels il ne saurait vivre longtemps. Lorsqu'en 1914 la guerre éclate et commence par lui rogner les ailes en le confinant du côté italien, il ne se doute pas encore qu'en plein sur la ligne de front, il ne restera bientôt plus grand chose des villages bombardés du plateau d'Asiago. Refusant de se joindre à la population déplacée, il restera le plus longtemps possible auprès de son troupeau, avant de connaître un sort fortement calqué sur celui de l'auteur lors du conflit suivant, mais à la conclusion immensément plus tragique. La guerre ne se contente pas de tuer et de détruire : elle accélère aussi les mutations de la société, tournant définitivement certaines pages. Sur le plateau d'Asiago si longtemps préservé, c'est le chant du cygne d'un mode de vie et d'une identité culturelle ancestrale qui mène au désespoir le vieux Tönle…


La narration sans fioritures de Mario Rigoni Stern redonne vie à ces hommes et à ces femmes d'un autre siècle avec un réalisme et une authenticité sans défaut. L'on pense à Frison-Roche pour un certain nombre de points communs entre les deux hommes et leur oeuvre. Quand, entre deux récits de montagne et d'aventure saharienne, l'écrivain français nous conte la sédentarisation forcée des Lapons, au même moment de l'autre côté des Alpes, l'auteur italien s‘attache à la mémoire du tout petit peuple cimbre, partageant, au fil de son écriture habitée et au travers d'un personnage clairement son alter ego, la nostalgie d'un homme épris de nature et de liberté pour qui la modernité fait figure de prison. Une bien belle redécouverte que nous permettent les éditions Gallmeister avec cette toute nouvelle traduction.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Il y a des heros litteraires qui incarnent une attitude, une vertu, un travers, le tragique de la vie ou les bonheur qu'elle peut procurer. le heros de ce livre, Tonle Bintarn, incarne une region, la culture, la langue, l'esprit, les modalites de vie qui y regnaient en un temps passe. C'est la region ou est ne, a vecu et est mort l'auteur. le sud des Dolomites, les monts de la Venetie, une region frontaliere longtemps disputee. Et ce livre est son chant d'amour pour sa region et ses gens, un chant ou il se place lui-meme volontiers, utilisant beaucoup de fois le “nous". Il chante sa langue, le “cimbre", un dialecte germanique peut-etre deja eteint. Il chante les vieilles coutumes. Les feux de fin fevrier pour appeler le printemps. “Dans les derniers jours de février les gamins appelèrent le printemps comme on avait toujours fait les les autres années, agitant les cloches des vaches et courant pieds nus dans les prés encore enneigés.” La soupe aux tripes qu'on mange a la foire de la Saint-Matthieu. Les tranches de polenta qu'on chauffe sur la braise. Et les gens. Les bergers aux quelques chevres, les contrebandiers, les mineurs et les “eisenponnars”, cheminots qui travaillent dans tout l'empire austro-hongrois.

Le heros,Tonle, est un paysan qui ne connait pas de frontieres, ou plutot qui ne les accepte pas. Il cultive une toute petite parcelle, qui ne suffit pas pour vivre, alors il se fait, comme nombreux d'autres, contrebandier. Menace de prison, il fuit et passe des annees dans differentes regions de l'empire austro-hongrois, acceptant tout metier, mais revenant toujours pour la Noel et l'hiver dans son village, ou il est force de se cacher. L'amnistie viendra quand il sera deja vieux, alors il se fait berger et ses chevres non plus ne connaitront de frontieres. Mais c'est trop tard, pour lui comme pour son village, comme pour sa region. La guerre eclate, la grande, la premiere grande, et son village est evacue puis completement detruit. Lui ne fuira pas cette fois-ci. Il restera cache dans ses montagnes, d'ou il verra les ruines de sa maison, et ou il mourra, sa vieille pipe a la main, adosse a un olivier echappe au feu. Sa vie aura ete intense, dans les chemins d'une bonne partie de l'Europe et dans son village, ou il aimait humer ce singulier arome de forets, de neige, de vent et d'air pur, que l'auteur, Rigoni Stern, sait si bien transmettre dans sa narration. Comme il excelle a faire surgir le printemps: “La neige, avec les pluies de mars, avait vite fondu et il semblait vraiment que, plus encore que les autres années, l'appel du printemps, avec le son des cloches et les feux sur le Spilleche et sur le Moor, avait réveillé en avance la végétation : dès que la neige s'en fut allée en mille ruisseaux, tous les prés se parèrent de blancs crocus, auxquels les abeilles rendirent aussitôt visite, et à la mi-avril, avec le chant du coq de bruyère, les mélèzes avaient fleuri ; aux premiers jours de mai les hêtres aussi mirent leur parure : un beau vert satiné qui tranchait sur le noir des sapins”.

Mais le plus touchant dans ce livre est son exercice de memoire, son effort a faire revive pour le lecteur les vies de ses ancetres. Et surtout le rejet, qu'il fait sien, de toute frontiere et de ce qu'elle engendre souvent, la guerre, comme quand il rapporte les pensees de Tonle: “Et comme « pour eux » il y avait des frontières à quoi servaient-elles si avec les avions ils pouvaient passer par-dessus ? Et s'il n'y avait pas de frontières dans l'air, pourquoi est-ce qu'il devait y en avoir sur la terre ? Et par ce « pour eux » il entendait tous ceux qui estimaient que les frontières étaient quelque chose de concret ou de sacré ; mais pour lui et pour les gens comme lui – ils n'étaient pas si peu que ça, comme on pourrait le croire, mais bien la majorité des hommes – les frontières n'avaient jamais existé si ce n'est sous forme de douaniers à soudoyer ou de gendarmes à éviter. En somme, si l'air était libre, si l'eau était libre, la terre aussi devait l'être. […] Et si sur les chemins du monde quelqu'un mourait là où il travaillait ce n'était pas comme sur un champ de bataille : on travaillait par besoin, pour sa famille, tandis que sur le champ de bataille, maintenant, on mourait pour rien ; c'est pourquoi, quand arrivait la nouvelle d'une mort, apportée par les carabiniers ou par un employé de la mairie, la douleur se teintait d'amertume et de colère.”

Ce livre est le chant d'un homme qui a connu la guerre et la pleure. Comme il pleure la culture disparue de ses ancetres. Un chant saisissant que le vent des monts de Venetie porte jusqu'a nous, ou que nous soyons, qui que nous soyons. Un livre sublime.
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Italie, Plateau d'Asiago.

Tönle, jeune, est un contrebandier maladroit qui vient d'assommer malencontreusement un carabinier qui le sommait de s'arrêter au passage de la ligne frontalière.
Tönle va donc vivre, plusieurs années durant, en se cachant quand il est de retour, tout le village sait qu'il est là, mais les carabiniers l'ignorent... Un semblant de vie normale s'écrit pour Tönle toujours sur le point de fuir pour se cacher...
Les années passent, les enfants naissent et Tönle reprend régulièrement son bâton pour pérégriner et aller proposer sa force et son courage au delà des frontières et travailler, ramener de quoi faire vivre la famille.
Sa "terre" ne s'arrête pas aux limites des hommes, curieux qu'il est des autres cultures. Possédant plusieurs langues à force de toujours avancer plus loin pour se louer, il peut échanger, rencontrer, apprendre de l'Autre.
Si cette vie s'écrit au rythme des saisons, des éloignements, du retour plein de joie, des retrouvailles et de ce qu'il a à raconter, c'est bien davantage la période de la Première guerre mondiale qui hantera l'esprit du lecteur lorsqu'il aura refermé le livre.

D'une vie difficile mais rythmée, partagée avec ses semblables, voici que la foudre bouleverse tout.

Tönle n'est désormais plus le jeune homme fougueux avide de découvertes mais un berger à l'automne de sa vie, qui de tout, préfère désormais cheminer juste à travers ses montagnes en compagnie de ses brebis et de son chien avec lequel il converse par silences et hochements de tête. Les saisons restent l'horloge de l'existence…
Mais la guerre qui fracasse les hommes, va détruire ses paysages, ses sentiers qu'il connaît par coeur, massacrer ses arbres qu'il vénère.
Toujours poussé par le bruit de la mitraille à réduire le périmètre du pâturage, il s'étiole, se questionne, s'attriste et s'indigne, se révolte pacifiquement. Bien sûr, les années ont passé, certains sont partis d'autres sont morts, encore ces derniers n'ont-ils pas connu l'apocalypse qui frappe ces plateaux italiens. Quand le village doit être abandonné, Tönle reste dans le bois avec ses bêtes, se jugeant transparent, y manifestant à sa manière une forme de résistance placide, un déni de ces heurts entre nations qu'il ne comprend, ni ne cautionne…
Ce n'est que quand il perdra son troupeau et son chien que la guerre aura étendu réellement son ombre sur sa silhouette, le laissant désemparé, silencieux, comme caché au plus profond de lui-même.


Très beau récit qui nous dit et redit l'absurdité des guerres et la douceur du trésor inestimable d'une vie en paix. Magnifique texte qui fait exister l'homme à travers les animaux et les arbres, à travers les saisons et les montagnes, à travers les chemins et les crêtes… Et qu'importe les frontières, tous sont semblables pour travailler ensemble ou s'inventer des existences pas si éloignées, pour juste goûter aux dons de la nature et rester éternellement ébahis de ses largesses.

Par l'entêtement de quelques uns, c'est toute une génération qu'on sacrifie quand le feu prime sur l'olivier, quand le tonnerre parle plus fort que le pipeau…
Tönle, c'est l'incarnation humaniste en harmonie avec la nature de la vérité et de l'innocence sacrifiée sur l'autel des intérêts et du nationalisme.
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Ce livre résonne comme le long gémissement d'un monde agonisant sous les feux de la 1ère guerre mondiale, celui des montagnes nord-italiennes érigées de frontières où vit un berger nommé Tönle, montagnes qui portent la trace des nombreux pas de son histoire.
L'écriture dépouillée renforce la beauté de la nature décrite et l'art de vivre simplement au plus près de cette nature. L'auteur est un magicien qui murmure à l'oreille de son lecteur lequel entend un chant mélancolique, un lamento. Je ressors de cette lecture avec une infinie tristesse, ce livre m'a donné le blues en dépit du charme des paysages, que j'ai contemplés seule, sans bruit, portée par les mots bruts de l'auteur.

Un mot de la couverture que je trouve vraiment très belle et qui illustre à la perfection l'histoire de Tönle, elle est signée Riki Blanco.
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Mais sa vraie passion c'était encore d'être là, parmi ses brebis, au pâturage ; il les reconnaissait une par une à la couleur de la laine, à la façon de bêler même si elles semblaient toutes pareilles ; il savait aussi quel était le caractère de chacune : celle qu'il fallait tenir à l'oeil parce qu'elle avait l'habitude de s'éloigner du troupeau, celle qui était la plus avide d'herbe nouvelle et trempée de rosée et qui était donc sujette au gros ventre, l'agnelle qui voulait toujours téter sa mère alors qu'elle aurait du être sevrée depuis des mois, celle qui mettait le plus de temps à ruminer. Quant au vieux chien noir, il suffisait d'un signe, même pas besoin d'un mot, pour qu'il comprenne sa pensée.
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Ce soir-là il put enfin se coucher dans son lit, avec sa femme auprès de lui et leurs deux enfants les plus jeunes dans leurs berceaux côte à côte. Il ne s’aperçut pas du froid car leurs corps eurent tôt fait de se réchauffer. Le gel avait brodé de fantastiques rideaux sur les vitres, et la lumière de la lune réverbérée par la neige se répandait dans la pièce, pâle et tamisée, faisant scintiller la gelée blanche des murs comme mille étoiles, si bien que l’on se serait cru couché dans un ciel tiède. Plusieurs fois il aima sa femme, puis il s’endormit, une main posée en coupe sur son sein.
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Cet été-là, pour la première fois depuis 1866, on ne fit pas de contrebande entre nos montagnes et la Valsugana, et les émigrants n’empruntèrent pas le sentier des radeliers vu que les Tyroliens, qui autrefois leur offraient l’hospitalité pendant les étapes du voyage, étaient mobilisés dans les bataillons de Standschützen postés aux frontières. Il était donc impossible de passer d’un État à l’autre parce que les soldats et les patrouilles tiraient, et pour sûr ce n’était pas comme avec les douaniers et les gardes-frontières, qui parfois vous laissaient traverser pour une lire ; maintenant, on pouvait seulement mourir, et pour un rien.
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Il y avait un arbre sur le toit de sa maison : un cerisier sauvage. Le noyau dont il était né avait atterri là bien des années plus tôt, expulsé en vol par une grive mauvis, et une rosée printanière l’avait fait germer car, pour protéger la maison de la pluie et de la neige, un de ses aïeuls avait étalé une couche supplémentaire de chaume sur le toit, si bien que celle d’en dessous était devenue de l’humus, presque de la glèbe. Le cerisier avait poussé comme ça. (…)
En ce soir de décembre, ses branches étaient un hiéroglyphe sur la toile de fond du ciel et, sans la légère fumée qui s’échappait des évents de pierre sous les avant-toits, les maisons du hameau et la terre recouverte de neige n’auraient fait qu’un. (À l’époque, nos habitations n’avaient pas de cheminée : depuis la pièce à vivre, un conduit montait jusqu’aux combles, où une corbeille enduite d’argile éteignait les escarbilles : de la sorte, la fumée se répandait dans le vaste grenier tout en maintenant une précieuse tiédeur au-dessus de la maison, et puis elle enfumait et durcissait les poutres de mélèze de la charpente, les préservant du passage des siècles.)
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Depuis la lisière de la forêt, méfiant comme un animal sauvage qui attend la tombée de la nuit pour sortir à découvert, il regardait son hameau, et le village tout en bas, dans l’échancrure des prés. La fumée odorante du bois se dissipait dans le ciel rose et violet, où les corneilles volaient en groupe et s’appelaient.
(Incipit)
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