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Paul-Henri Michel (Traducteur)Mario Fusco (Traducteur)
EAN : 9782070364398
544 pages
Gallimard (06/09/1973)
4.01/5   427 notes
Résumé :
Composé en 1923, La Conscience de Zeno est sans doute le premier grand roman inspiré par la psychanalyse. Mais il est bien plus que cela. Avec la confession de son héros - narrateur qui entreprend d’évoquer pour le médecin qui le soigne les faits marquants de son existence, il demeure l’un des livres fondateurs de la littérature européenne du xxe siècle. C’est Eugenio Montale, Benjamin Crémieux et Valery Larbaud qui révélèrent et imposèrent simultanément, en France ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 427 notes
« Je n'étais pas tranquille. Peut-être est-ce mon destin de ne l'être jamais. »

Roman psychologique, précurseur de Proust, James Joyce à l'italienne, la messe est dite sur l'ouvrage le plus célèbre du triestin Italo Svevo.
L'auteur italien eut une carrière littéraire dilettante, commençant très jeune avant de vivre une vie professionnelle plus chiant.. pardon “classique” et de revenir à ses premiers amours littéraires.

« La conscience de Zeno » paru en 1923, et pour partie autobiographique, prend la forme d'un long journal rédigé par un patient à l'attention de son psychanalyste.
Nous devons à Mario Fusco le texte intégral, la première édition en français paru tronquée car jugée (à grand tort) trop verbeuse, au grand dam du vieux Svevo, toutefois ému par une renommée tardive. Aujourd'hui encore celui qui a sa statue à Trieste divise la critique italienne sur la qualité de son style dont le lecteur français ne peut apprécier certaines nuances, notamment l'emploi d'un patois régional à certains passages, complexité linguistique d'autant plus compréhensible que Trieste fut une ville aux multiples influences, entre les Balkans, l'Italie et l'Empire Autrichien.

« Je suis au moins sûr d'une chose ; écrire est le meilleur moyen de rendre de l'importance à un passé qui ne fait plus souffrir et de se débarrasser plus vite d'un présent qui fait horreur. » Pour résumer : Zeno est l'archétype et la quintessence de la littérature « blanche ». Cette littérature inclassable, classique s'il en est (mais toujours novatrice pour son époque), une littérature psychologique, du sentiment, de l'introspection où le monde intérieur se dévoile, avec ses sommets et ses grottes souterraines, ses ombres et ses mondanités, ses drôleries et ses drames.

« C'est un malaise auquel je suis sujet : les poumons fonctionnent bien, mais je m'applique à respirer, je compte mes respirations, l'une après l'autre, et il me semble que si mon attention se relâchait, ce serait aussitôt pour moi la mort par étouffement. » Dans cet ouvrage, Zeno tour à tour s'amuse et se désespère de son hypochondrie, de son tabagisme abusif (des pages sur la cigarette absolument géniales), se prête à toutes sortes de commentaires sur l'expérience humaine jusqu'aux couleurs que reflètent nos paupières closes après que nos yeux se soient éblouis au soleil.

« Bien que je ne fusse pas orateur, j'avais la maladie de la parole. » le lecteur, et c'est un luxe d'humour, de complicité et de nuance, peut découvrir à la fois les évènements eux-mêmes mais aussi le regard luxuriant et a posteriori de Zeno sur son père, les quiproquos nombreux qui conduisirent à son mariage avec l'une des filles Malfenti, sa relation avec les femmes et son aventure commerciale avec son beau-frère.

C'est cette distance de l'âge, entremêlée de souvenirs, qui apporte son épaisseur de champ au récit. C'est aussi ce qui rattache incontestablement Italo Svevo au courant des auteurs du « flux de conscience » au nombre desquels le français Marcel Proust, l'irlandais James Joyce, grand ami et promoteur de Svevo ou encore la britannique Virginia Woolf.
Puis il y a une autre distance, celle du lecteur d'aujourd'hui, qui découvre la Belle époque bourgeoise cristallisée dans cet ouvrage, avec ces facéties, sa culture, ses moeurs, ses croyances et ses préjugés de genre heureusement dépassés de nos jours.

« Il faut être bon. Tout est là. Qu'importe le reste. » Au sortir de cette saga familiale, Zeno ne peut que faire partie de la famille du lecteur, constituée des grands personnages qui ont marqué ses lectures. Car en dépit de toutes les tares dont il s'affuble, son honnête exercice d'introspection nous amène à le voir comme un véritable pilier sur qui son entourage peut compter.

Je n'ai pas été avare de superlatifs mais nul doute qu'un latin comme Zeno ne l'était pas non plus… et vous, qu'en pensez-vous ?
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L'auteur Italo Svevo s'intéressa très tôt à la psychanalyse, il fut d'ailleurs un des traducteurs de Freud en italien. Et cet intérêt aboutit à l'écriture de son roman La conscience de Zeno au début des années 1920. On y rencontre cet homme, Zeno, vieillissant et malade. On comprend que son médecin ne trouve pas une cause physique à son mal et lui propose d'écrire, espérant que l'évocation de ses souvenirs puisse constituer une cure. le mot psychanalyse est très rarement employé mais c'est bien de cela qu'il s'agit : fouiller dans ses souvenirs, dans des événements parfois très lointain, pour trouver la source à ses problèmes présents. Ainsi donc, Zeno couche sur papier sa vie, remonte jusqu'à son enfance pour en faire ressortir les moments les plus importants : quand il a commencé à fumer, quand son père est mort, l'histoire de son mariage, quand il a pris une maitresse et quand il s'est lancé en affaires avec son beau-frère. Certaines de ces parties sont, à mon avis, plus longues que nécessaire mais elles démontrent clairement la manière dont les événements relatés ont affecté la vie du pauvre homme. (Pauvre homme, c'est une façon de parler, c'est un bourgeois du début du siècle dernier. C'est plutôt un névrosé, on aimerait tous avoir ses problèmes…) En ce sens, c'est réussi. Zeno, avec ses manies, ses craintes, sa malchance, l'auteur est parvenu à me faire comprendre pourquoi il est comme il est, pourquoi il agit comme ceci ou comme cela. Pire, il est parvenu à me le rendre sympathique, même si parfois j'avais l'envie de le secouer un peu. Mais ce n'est pas nécessaire, même s'il refuserait de l'admettre, la thérapie semble être bénéfique car il trouve la paix à la fin du roman.
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Après Quand Ulysse revient à Trieste, et avant un billet à rédiger encore sur le fantôme de Trieste, un nouveau livre se déroulant dans cette ville .

Ce fut un véritable plaisir de lecture...

Dans la préface, un psychanaliste, le Docteur S., annonce avoir prescrit à son patient, Zeno Cosino, de coucher sur papier son autobiographie. Celui-ci ayant abandonné son traitement, le Docteur S., par vengeance, décide de publier celle-ci.

Commence alors le récit de Zeno, à la première personne. Il est subdivisé en un préambule suivi de six chapitres : Fumer, La mort de mon père, Histoire de mon mariage, L'épouse et la maîtresse, Histoire d'une association commerciale ; ces chapitres se clôturent par un chapitre sur la psychanalyse.

L'originalité de ce livre tient d'abord et avant tout à la personnalité de Zeno, c'est un inadapté, incapable de se décider, habité par des sentiments contradictoires, toujours en équilibre instable devant les choix à faire et qui se justifie sans cesse. Il manque de force et de volonté et est continuellement tiraillé devant les décisions à prendre.
Elle tient également à la structure de l'autobiographie, qui n'a rien de chronologique ni de conventionnel : Zeno ne développe que certains épisodes de sa vie, il mêle le passé au présent, entremêle un épisode à l'autre, il nous fait part de ses réflexions, de ses doutes, de ses auto-justifications.
Il y aurait beaucoup à ajouter mais alors en devant me baser sur les épisodes que Zeno nous livre, mais je ne veux pas le faire à sa place : le livre se suffit à lui-même

J''apprécie particulièrement l'ironie ! Les situations sont souvent cocasses (dans les efforts de Zeno pour arrêter de fumer, dans ses déclarations successives la même soirée à trois soeurs,...) et nous nous prenons à sourire même dans les moments dramatiques.

le roman nous plonge dans l'analyse de la conscience de Zeno mais il n'a rien d'un plaidoyer pour la psychanalyse : celle-ci est intéressante pour s'analyser mais Italo Stevo lui dénie le pouvoir de guérir, l'ultime chapitre nous le démontre. Italo Svevo s'y était intéressé l'un des premiers, influencé notamment par le psychiatre Edoardo Weiss qui l'introduisit à Trieste, et en avait constaté l'inefficacité sur un membre de sa famille.

La maladie de Zeno n'est-elle pas celle de notre monde ?

Notons que la fin du roman est prophétique : »Quand les gaz asphyxiants ne suffiront plus, un homme fait comme les autres inventera, dans le secret de sa chambre, un explosif en comparaison duquel tous ceux que nous connaissons paraîtront des jeux d'enfants ». le roman a été publié en 1923...

J'ai savouré cette lecture, j'ai pris plaisir à en relire des passages, j'ai laissé le temps à ce billet de maturer avant de vous le livrer,
je vous incite à lire La conscience de Zeno et je vous souhaite le même enthousiasme devant ce livre !
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"Dernière trahison" note, angoissé, Zeno Cosini sur son journal intime, alors qu'il a pris la bonne résolution d'être enfin un mari fidèle et de s'arrêter de fumer pour être "sain".
La Conscience de Zeno, ou plutôt sa mauvaise conscience s'étale en long en large et en travers dans ce roman psychologique d'Italo Svevo (de son vrai nom Ettore Schmitz) long monologue d'un bourgeois rentier de la "Trieste austro-hongroise",faible, dépendant, contradictoire et vieillissant.
Alors qu'étudiant en chimie de la fin du XIX° siècle, son père mourant l'a tenu éloigné de l'entreprise familiale dont les rennes ont été reprises par un employé modèle; alors qu'amoureux d'Ada qui l'a rejeté, il a épousé Augusta (la soeur de cette dernière) qu'il n'aime pas;alors qu'il aide son beau-frère (mari d'Ada) endetté qu'il jalouse; alors que sa maîtresse préfère un vrai mari et qu'il ne le supporte pas; alors qu'il tente d'arrêter de fumer sans y parvenir; alors que la première guerre mondiale éclate et que l'Italie affronte le peuple Austro-hongrois;.....il entreprend une psychanalyse pour analyser ses incohérences.
A la manière de James Joyce dans Ulysse, ou de Virginia Woolf dans Mrs. Dalloway, Italo Svevo utilise ici la technique du "flux de conscience" sous forme d'exploration de l'inconscient pour analyser les actes,les émotions,les rêves,les souvenirs et les motivations.
Ce roman psychologique, édité en 1923, parle de l'absurdité de la vie, de son sens et de l'identité. En référence à Sigmund Freud ( L'interprétation des rêves) époque (1923) où la psychanalyse ("psycho-analyse" début XX°) a vraiment pris une place de choix dans les thérapies, La Conscience de Zeno se débat (avec l'aide d'un thérapeute) sur des champs freudiens parsemés de complexe d'Oedipe non résolu, d'ambivalence et de culpabilités multiples. S'estimant "emprisonné dans l'éprouvette" en attente "de réactif", Zeno traitera cette psychanalyse d' aventure psychique" et de "spiritisme".Malgré son contre transfert évident et son rejet du thérapeute et de ses méthodes, il y trouvera la paix de l'esprit.
Adapté au cinéma (avec Woody Allen: un rôle de névrosé de choix!) La conscience de Zeno manie humour (quiproquos) et ironie ce qui en fait un excellent roman.
Italo Svevo a par ailleurs écrit: Sénilita, le Bon Vieux et la belle enfant, Une Vie, Dernières Cigarettes....tous traduit (en autres) en français.
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Quand j'ai lu dans la préface que Svevo était un grand ami de James Joyce, j'ai eu très peur. Déjà que je ne me lançais pas a priori dans une lecture plaisir, mais dans un "livre culture gé qu'il faut avoir lu"... traitant de surcroît de psychanalyse...
Craintes infondées: je me suis régalée! C'est pourtant long, bavard, complètement égocentré et nombriliste cette confession d'un analysé qui revient sur les événements marquants de sa vie à la demande de son médecin, afin de l'aider à cerner sa malade (imaginaire). Mais c'est tellement drôle, fin, riche, bien écrit que l'on savoure page après page les tribulations du narrateur dans ses (non) tentatives d'arrêt du tabac, sa tentative de séduction d'une femme dont il finira par épouser la soeur, ses escapades adultérines prétexte à hypocondries et mensonges en tous genres, ou encore ses lamentables exploits au sein d'une société de commerce.
Et la psychanalyse dans tout ça? elle est au coeur, certes, mais sans verbiage ni surjeu, et elle est tenue à distance avec une réjouissante dérision.
Honnêtement, je n'ai pas compris ce qui faisait de ce roman un des summum de la littérature italienne, toujours est-il que j'ai adoré plonger dans ce livre et ai eu autant de plaisir à faire preuve de voyeurisme que le narrateur en démontre à exhiber les méandres de son cerveau.
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Citations et extraits (128) Voir plus Ajouter une citation
Le grand Bach en personne se dressa contre moi. Jamais, ni avant ni après ce jour-là je n’ai senti la beauté de cette musique, surgissant des quatre cordes comme une figure ailée de Michel-Ange d’un bloc de marbre. Elle était nouvelle pour moi, parce que mon état d’esprit était nouveau. Je l’écoutais les yeux au plafond, en extase ; et en même temps je me défendais contre elle, je m’efforçais de la tenir à distance. Je ne cessais de me dire : « Le violon est une sirène ; avec un pareil instrument on peut faire pleurer sans avoir le cœur d’un héros. «  Mais finalement la musique triompha de moi et me saisit tout entier.
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La vie actuelle est contaminée aux racines. L’homme a usurpé la place des arbres et des bêtes. Il a vicié l’air, il a limité le libre espace. Mais cela peut être pire encore. Cet animal actif et triste pourrait encore découvrir et asservir d’autres forces. Une menace de ce genre est dans l’air. Il en résultera une grande richesse… en nombre d’hommes. Chaque mètre carré sera occupé par un homme. Mais qui nous guérira de ce manque d’air et d’espace ? Rien qu’en y pensant, je suffoque !

Et ce n’est pas cela, ce n’est pas seulement cela.

Tout effort pour nous donner la santé est vain. Celle-ci ne peut appartenir qu’à la bête, qui ne connaît qu’un seul progrès : celui de son propre organisme. Quand l’hirondelle eut compris que la seule chance de vivre résidait dans la migration, le muscle moteur de ses ailes se renforça et devint la partie la plus considérable de son corps. La taupe s’enterra et tout son être s’adapta aux besoins d’une vie souterraine. Le cheval se fit plus grand, transforma son pied. De certains animaux nous ignorons les transformations, mais elles ont dû exister, et jamais cela ne fut nuisible à leur santé. Mais au contraire, l’homme à lunettes s’est créé des outils, étrangers à son corps ; et s’il y eut, chez qui les inventa, de la santé et de la noblesse, elles manquent, le plus souvent, à qui en fait usage. Les outils s’achètent, se vendent, se dérobent ; l’homme, chaque jour, devient plus rusé et plus faible, et sa ruse, on le conçoit, croît à la mesure de sa faiblesse. Ses premiers outils n’étaient que des prolongements de la force de ses bras, et ne pouvaient être efficaces que grâce à leur force, mais aujourd’hui, l’outil n’a plus aucune relation avec les membres. C’est l’outil qui crée la maladie, en abrogeant une loi qui, partout sur la terre, fut créatrice. La loi du plus fort disparaît, et, avec elle, nous avons perdu la sélection salutaire. Pour nous sauver, il faudrait bien autre chose que la psychanalyse ! Celui qui possédera le plus d’outils, de machines, sera le maître, et sous son règne foisonneront les maladies et les malades.

Peut-être une catastrophe inouïe, produite par les machines, nous ouvrira-t-elle de nouveau le chemin de la santé. Quand les gaz asphyxiants ne suffiront plus, un homme fait comme les autres inventera, dans le secret de sa chambre, un explosif en comparaison duquel tous ceux que nous connaissons paraîtront des jeux d’enfants. Puis un homme fait comme les autres, lui aussi, mais un peu plus malade que les autres, dérobera l’explosif et le disposera au centre de la Terre. Une détonation formidable que nul n’entendra – et la Terre, revenue à l’état de nébuleuse, continuera sa course dans les cieux délivrée des hommes – sans parasites, sans maladies. (pp. 542-543)
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Cette maladie me procura le deuxième de mes tourments : l'effort pour me libérer du premier. Mes journées finirent par être remplies de cigarettes et de décisions de ne plus fumer et, pour tout dire tout de suite, de temps à autre il en est encore ainsi. La ronde des dernières cigarettes, qui a commencé quand j'avais vingt ans, n'a pas encore achevé de tourner. Ma décision est moins énergique, ma faiblesse trouve dans mon vieux cœur plus d'indulgence. (...) Je puis même dire que depuis quelques temps je fume bien des cigarettes... qui ne sont pas les "dernières". Sur la page de garde d'un dictionnaire, je trouve cette inscription en belle calligraphie, encadrée de quelques fioritures : "Aujourd'hui, 2 février 1886, j'abandonne l'étude de droit pour celle de la chimie. Dernière cigarette !!" Cette dernière cigarette-là était de grande importance. Je me rappelle tous les espoirs qui l'accompagnèrent. (...) J’estime qu’une cigarette a une saveur plus intense quand c’est la dernière. Toutes les autres ont aussi leur saveur particulière, mais moins intense. La saveur que prend la dernière lui vient du sentiment qu’on a d’une victoire sur soi-même et de l’espoir d’un avenir prochain de force et de santé. Les autres ont leur importance, parce qu’en les allumant, on affirme sa liberté et l’avenir de force et de santé demeure, mais s’éloigne un peu.
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La santé, pour l’homme, est un bien chimérique. Elle ne peut appartenir qu’à la bête, qui ne connait qu’un seul progrès : celui de son propre organisme. Quand l’hirondelle eut compris que la seule chance de vivre résidait dans la migration, le muscle moteur de ses ailes se renforça et devint la partie la plus considérable de son corps. La taupe s’enterra et tout son être s’adapta aux besoins de la vie souterraine. Le cheval se fit plus grand, transforma son pied. De certains animaux nous ignorons les métamorphoses, mais elles existèrent, et jamais ne furent nuisibles à leur santé.
Tout au contraire, l’animal à lunettes s’est crée des organes étrangers à son corps; et s’il y eut, chez qui les inventa, santé et noblesse, elles manquent, le plus souvent à qui en fait usage. Les instruments s’achètent, s vendent, se dérobent : l’homme, chaque jour, devient plus rusé et plus faible, et sa ruse, on le conçoit, croit à la mesure de sa faiblesse. Ses premiers outils n’étaient que des prolongements de sa force musculaire; mais aujourd’hui tout juste équilibre est rompu entre la puissance de l’outil et celle du bras qui commande. C’est l’outil qui crée la maladie, en abrogeant une loi qui, partout sur la terre, fut créatrice. La loi du plus fort disparait, et, avec elle, la sélection salutaire. Pour nous sauver il faudrait autre chose que la psychanalyse! Celui qui possèdera le plus de machines sera le maitre, et son règne sera celui des maladies et des malades.
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J’avais parlé de l’Université à Alberta qui suivait les cours du lycée, en avant-dernière année. A son tour, elle me mit au courant de ses études. Le latin lui semblait très difficile. Je lui dis que cela ne m’étonnait point, que le latin n’était pas une langue faite pour les femmes et que, du temps des Romains, à mon avis, les femmes parlaient déjà en italien. Quant à moi, le latin était, au contraire, mon étude préférée. Là-dessus je fis imprudemment une citation latine qu’Alberta dut corriger : un vrai désastre ! Je n’y attachai aucune importance. Je prévins seulement Alberta d’avoir à se garder des citations latines quand elle aurait derrière elle une dizaine de semestres universitaires.

Par contre, la sérieuse Ada s’indignait de mes mensonges. Beau résultat de tant d’efforts ! Je ressemblais à un tireur qui, visant une cible, fait mouche, mais sur celle d’à côté.

Tant qu’une affaire n’est pas liquidée, il reste possible qu’elle évolue dans un sens favorable. D’autres aphorismes de Giovanni enseignaient tout le contraire, mais je les oubliais pour m’attacher à celui-là. Il fallait bien m’attacher à quelque chose. Je pris l’inflexible résolution de ne pas bouger avant qu’un fait nouveau se fût produit dans le sens de mon intérêt.

Je commençai par gagner avec une chance qui me fut douloureuse, parce qu’elle me parut être la contrepartie de mon infortune en amour. Puis je perdis, et la perte aussi me fut douloureuse, car elle me donna l’impression d’une double défaite. Je me dégoûtai vite du jeu.

J’éprouve une vraie tendresse pour mes médicaments, et quand j’en abandonne un, je suis sûr que, tôt ou tard, j’y reviendrai. Je ne crois pas, du reste, avoir perdu mon temps. Dieu sait depuis combien d’années je serais mort – et de quelle maladie, si ma douleur ne les avait toutes simulées assez tôt pour me permettre de les combattre avant qu’elle ne m’atteignissent.

Les choses que tout le monde ignorent et qui ne laissent pas de trace n’existent pas.

Je mangeais trop, par besoin de m’occuper à quelque chose. Quand je n’avais pas la bouche pleine, je murmurais à Augusta des mots affectueux. Ses parents durent avoir la triste impression que mon grand amour était combattu par une voracité bestiale. Ils furent surpris de constater, au retour de notre voyage de noces, que je mangeais beaucoup moins. Parce qu’on ne m’obligeait plus à donner les signes d’une passion que je ne ressentais pas, mon appétit avait disparu.

Ci-après, voici comment Zeno avoue à son épouse Augusta, de façon suggestive et suffisamment déculpabilisante, son péché d’adultère avec sa maîtresse Carla :
"Je lui dis quelque chose aussi des imaginations dont j’avais tant souffert, ce qui était une ébauche de confession. Enfin, à propos des maladies imaginaires, j’en vins à parler de notre sang, de l’incessante circulation qui entretient la vie en nous, qui nous tient debout, nous rend capables de pensée et d’action, et sujets, par là, au péché et au remords. Elle ne pouvait comprendre qu’il s’agissait de Carla, mais il me semblait l’avoir dit."
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Quel roman tire à boulets rouges sur la psychanalyse ? Mais avec un humour qui dériderait le plus sérieux des psy ?
« La conscience de Zeno » , d'Italo Svevo, c'est à lire et à relire au Livre de poche.
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