Sous les rafales maritimes, dans la neige sibérienne, sur un îlot du Pacifique, dans la fange des élevages intensifs du Dorset ou au coeur d'un village de la montagne de Géorgie,
Sylvain Tesson nous plonge dans des tranches de vie plus ou moins dramatiques. Les certitudes y côtoient le doute.
Assez d'avaler la poussière ! Celle-ci est soulevée par la route non goudronnée qu'Édolfius emprunte chaque soir, à pied, pour rentrer des champs. Pourquoi son village de Tsalka, perché sur les hauteurs de Géorgie, n'a-t-il pas le droit à une belle route asphaltée, comme partout ailleurs ? Ironiquement ce n'est pas le tabac, ni l'alcool, qui altèrent le corps quinquagénaire d'Édolfius mais bien la poussière montant de cette piste d'un autre temps. Et pour sortir d'un monde arriéré, il faut asphalter !
Ensuite, dans la lettre d'un éleveur du Dorset, l'exergue d'
Isaac B. Singer oriente implacablement sur le thème à venir en écrivant que, pour les animaux, c'est un éternel Treblinka que l'humain a mis en place. À quelles extrémités faut-il consentir pour produire des protéines ? Faut-il occulter la vie elle-même ?
Suit le décompte des derniers jours d'ermitage de Piotr dans la taïga avant de pourvoir rejoindre la civilisation. L'hiver sibérien, la neige fraîchement tombée attestant le passage de la faune environnante. Ici, à une centaine de kilomètres de toute civilisation, qui est maître des lieux et de son destin ?
Plus loin, quand des naufragés ont réussi à organiser leur survie, ne manquant ni de nourriture ni d'abri, il leur reste à trouver une étincelle romanesque pour animer leurs soirées et occuper leurs pensées.
Pour clôturer ce petit fragment de recueil sur une note plus festive, l'auteur nous convie dans un lieu bâti pour résister à la furie de la houle, un soir de Noël, pour y subir, ou y savourer, un choc thermique. Ouest et Est, un Russe et un Breton, les fins de terre se rencontrent dans la mer bretonne. Et c'est le baromètre qui décidera d'une mémorable veillée de Noël.
Sylvain Tesson abat ses couperets sur la modernisation humaine. Dans les deux premiers textes, il rend compte de la marche du monde, avec l'aménagement du territoire et la course au rendement dans l'alimentation. Il abordera la bêtise humaine, le déni de la nature. Il laisse une porte de sortie en vantant les bienfaits de la spontanéité et de la vodka !
Regard cinglant et réaliste sur la course de l'Homme vers un prétendu mieux-être, sur sa vision unilatérale d'un avenir meilleur. L'homme est persuadé que progrès et confort riment avec bonheur. Les conséquences de ses actes le rattrapent pourtant.
Ces textes sont très agréables à lire, saupoudrés de poésie, piquetés d'aphorismes. Nul besoin de longues histoires pour dévoiler certaines facettes de l'homme, de la nature et du destin. J'en retiens l'éloge de la littérature qui nourrit l'esprit de l'homme, le pousse à se questionner, le maintient en haleine sur une île déserte. Et cette phrase de l'auteur : « Si le paradis est réservé à ceux qui ont contemplé la beauté du monde, il était sûr de sa place. »
Dans le même temps, si l'on a tendance, comme moi, à ne pas croire en l'intelligence et la bonté de l'Homme, lire ces nouvelles n'inversera pas ce penchant !