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Stéphanie Nicot (Autre)Catherine Dufour (Autre)Jean Bailhache (Traducteur)Sébastien Guillot (Traducteur)
EAN : 9782221255698
312 pages
Robert Laffont (07/10/2021)
3.95/5   768 notes
Résumé :
Sur Gethen, la planète glacée que les premiers Envoyés ont baptisé HIVER, il n'y a ni hommes ni femmes, seulement des êtres humains. Des êtres humains androgynes qui, dans certaines circonstances, adoptent les caractères de l'un ou l'autre sexe. Les sociétés nombreuses qui se partagent Gethen portent toutes la marque de cette indifférenciation sexuelle.

L'Envoyé venu de la Terre qui passe pour un monstre aux yeux des Géthéniens, parviendra-t-il à leur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (124) Voir plus Ajouter une critique
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sur 768 notes
ADIEU, MADAME.

Ces quelques mots ne sont en rien une énième critique de ce texte absolument merveilleux qu'est La Main gauche de la nuit - peut-être l'un des plus beaux, esthétiquement, philosophiquement et humainement, que la Science-Fiction a jamais présenté au monde.

Non.

Ces quelques mots sont un petit, tout petit hommage à cette grande, cette immense Dame des Lettres que fut Madame Ursula K. Le Guin, dont on apprend, ce jour, l'envol définitif vers ces mondes si lointains, si proches qui furent les siens quatre-vingt huit années durant.

Aujourd'hui, l'Ekumen est en deuil.
Aujourd'hui, les jeunes apprentis sorciers de l'île de Roke sont orphelins.
Aujourd'hui, Lavinia pleure.
Aujourd'hui, Les Dépossédés le sont encore un peu plus.
Aujourd'hui, c'est bien sûr le monde de la SF et de la Fantasy - dans ce qu'ils ont de plus élevé - qui sont frappés de chagrin, mais c'est le monde tout entier qui est un peu moins beau, depuis lundi dernier (les nouvelles ne vont pas toujours si vite qu'une communication par "ansible"...).

Je vous ai découvert très tardivement, Madame le Guin. Il y a seulement deux petites années, pour être honnête. Et avec ce roman, précisément. Qui ne m'a jamais réellement lâché depuis, même si j'écume le reste de votre oeuvre avec frénésie, admiration et passion. Vos livres d'une poésie tellement douce, immédiate, profonde, délicate. Qui, depuis, m'émerveille un peu plus à chaque nouvelle lecture, à chaque creusement : vos sillons sont profonds.

Dans ce roman, il est question d'un monde où les rapports entre les sexes ne posent enfin plus les éternels problèmes que notre petite planète connait depuis sa création puisque les êtres qui vivent dans votre planète imaginaire sont asexués, la plupart du temps. de cette androgynie quasi parfaite - il faut bien que, de temps à autres, ces terriens-là, sur cette planète "Hiver", se reproduisent un peu, alors vous avez trouvé une astuce aussi ingénieuse qu'éthiquement riche -, vous nous offrez rien moins qu'un sublime hommage à la vie, un hymne universel à l'amitié, à la tendresse et à l'amour. Sans l'encombrement douloureux des hormones...
Par cette androgynie universelle, vous montrez, et avec quel talent, comme l'humanité - NOTRE humanité - est riche de bien autre chose que de leur seule dialectique sexuelle et autre "genrisation" des temps. Vous rappelez aussi que ce qui est beau en soi, ce n'est pas l'hétérosexualité balourde, l'homosexualité joyeuse, la "trans-genralité" difficile ou que sais-je encore ? Non ! Vous nous rappeliez que ce qui est beau, fondamentalement beau, c'est l'amour, fondateur et agissant, que deux êtres, quels qu'ils soient, de quelque univers culturel, social, sexuel puissent-ils venir, peuvent se porter, s'apporter, l'un à l'autre.

Vous ne le saviez que trop bien vous même que tolérance, dignité, amour, reconnaissance de l'altérité sont les vertus cardinales sur lesquelles une société tolérante, fraternelle et aimante devrait s'appuyer, vous qui étiez la digne fille de deux grands ethnologues ayant été parmi les premiers à vivre parmi ce peuple déraciné, "génocidé", quasi effacé des mémoires (à commencer par la leur propre) que sont les amérindiens, et à tâcher de leur rendre leur vraie place dans ce monde triomphant des colonisateurs américains blancs. Vous qui fûtes aussi une grande féministe, mais de ces femmes qui considèrent que ce qui est une lutte, superbe et juste, n'a cependant rien à voir avec une guerre. Vous aimiez trop l'AUTRE pour vous abaisser à la guerre.

On retrouve un peu de ces thèmes-là, et bien d'autres encore, dans La Main gauche de la nuit, mais aussi dans le Dit d'Aka, dans cet autre aussi, au titre si pur et émouvant qu'est "Le nom du monde est forêt".
Il y aurait aussi tant à dire de ce cycle étonnant de Terremer dans lequel, assez éloignée d'un Tolkien, vous avez concentré votre pensée sur ce thème qui traverse toute votre oeuvre, au fond : Qu'est-ce que l'humanité, qu'est-ce qui fait de nous tous, avec nos différences, nos qualités et nos défauts, des Êtres Humains ?

À cause de tout cela, et mille autres pensées, propositions, recherches, comme d'avoir tant œuvré, et avec quel sagacité, quelle verve, quel enthousiasme, pour que ces genres supposés mineurs de la "SF-F-F" (Science Fiction - Fantastique - Fantasy, en bon français...) trouvent enfin la place qu'ils méritent dans ce monde foisonnant mais souvent jaloux de ses prérogatives et de son antériorité qu'est l'univers de la Littérature (avec un grand "L"), à cause de tout cela, disais-je, nous sommes nombreux sur cette petite boule bleue à vous pleurer, à vous estimer toujours, à vous regretter déjà un peu...

Fort heureusement, vous nous avez offert vos livres en partage et c'est rétrospectivement plein d'une sincère émotion que je me permets de recopier ces quelques mots tirés de ce pur petit chef d'oeuvre de grâce et d'intelligence, cette fameuse "Main gauche" dont j'ai eu l'envie de lire un extrait, maladroitement parce qu'à haute voix, devant un parterre d'amoureux des mots et des livres, à l'occasion de cette belle rencontre d'un soir que fut cette nuit de la lecture, samedi soir dernier.
Voici :

«Le jour est la main gauche de la nuit,
et la nuit la main gauche du jour.
Deux font un, la vie et la mort
enlacés comme des amants en kemma,
comme deux mains jointes,
comme la fin et le moyen.»

Au revoir, Madame Le Guin,
Vous nous manquez déjà...
Mais à tout bientôt de vous lire.
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J'ai adoré...

... terminer ce livre et le refermer définitivement. Alors, oui, je sais, je sais, ce livre jouit d'un capital d'estime important, très important. Plusieurs personnes que j'apprécie beaucoup m'en ont fait grand cas et me l'ont vendu au prix fort, prétextant de la qualité, de l'originalité et de tout un tas d'autres choses, d'où le fait que je m'y plonge.

Mais voilà, les faits sont têtus et les sensations aussi. On a beau me dire qu'un parfum sent très bon, si je ne l'aime pas, je ne l'aime pas, un point c'est tout. D'autres l'aiment, très certainement, mais moi pas. Eh bien c'est un peu ça avec La Main gauche de la nuit.

Bien sûr j'aurais pu vous jouer le coup de la main gauche de l'ennui, mais j'ai déjà usé la formule avec le bouquin de Delphine de Vigan. J'avais aussi en tête le titre d'un vieux film avec Paul Newman , incarnant le personnage de Luke, un gars qui foire à peu près tout ce qu'il touche. Mais non, je vais essayer de me borner à vous restituer très exactement le POURQUOI ? je ne l'aime pas.

Première carence pour que j'apprécie ce roman, le manque d'empathie vis-à-vis des deux personnages principaux (les autres je n'en parle même pas, tant ils sont insignifiants). Rien, zéro, nada, empathogramme plat de bout en bout, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, qu'ils souffrent, qu'ils geignent, qu'ils crèvent, je m'en fous éperdument car je ne ressens rien pour eux, ou disons, pour être précise, à peu près autant que pour chacun des insectes qui périssent éclatés sur mon pare-brise ou mon pare-choc lorsque je fais de la route.

C'est un problème, vous admettrez. L'art du roman, c'est l'art de nous faire nous glisser dans la peau des personnages, de vivre, de ressentir, de vibrer, de palpiter avec eux, et là, bah... guère plus qu'une mue de serpent abandonnée sur le bas côté. Il y a donc un certain Genly Aï (oui, aïe, en effet), émissaire d'un certain groupement de planètes ou de système, l'Ekumen, genre de gros amas fourre-tout vis-à-vis duquel l'usine à gaz de l'union européenne fait figure de haute limpidité.

Ce Genly Aï, donc, que les naturels de Gethen n'arrivent pas à prononcer autrement que Genry Aï, se pose un beau matin sur le territoire de la Karhaïde, royaume voisin de la commensalité d'Orgoreyn, deux des principales entités politiques de Gethen.

Vous voyez, je vous ai juste dit que Trucmuche se pose sur la planète Bidule et je vous ai déjà saoulé avec des tas de noms à la con, qui n'évoquent rien. Eh bien voici très exactement le deuxième gros problème en ce qui me concerne pour espérer ne serait-ce qu'une once d'adhésion à la recette romanesque.

L'auteure multiplie les noms barbares complètement creux, qui ne font, toujours selon moi, qu'éloigner le lecteur de l'histoire et du propos. C'est-à-peu près aussi intéressant à lire, pour moi, qu'un rapport médical de radiologue, qui vous explique que le valgus dysphasique de la plèvre du condyle externe se contracte au contact de l'épiphyse nodulaire tétra-ionique interne.

Vous trouvez que j'exagère ? Okay, des exemples. J'ouvre mon livre au hasard, je tombe page 161 de mon édition (on est au chapitre 11, à peu près au milieu du livre) : " Odgetheny Susmy " (ça c'est juste pour vous donner la date dans le journal d'Estraven, le second protagoniste important), " j'allais entrer en kemma le jour de Pothe ou de Tormenbod ". Vous voyez le genre ? Qu'est-ce que ça m'ennuie ce procédé, quelle inappétence cela développe, pour ne pas parler de rejet total.

Troisième point d'affliction, le rythme. C'est lent, lent, très, très lent. Un duel de limaces à la course, ça doit avoir quelque chose de plus intense et de plus captivant, je trouve. On se fait ch... euh, JE m'y fais ch... euh, non, c'est grossier, excusez-moi, je m'y endors, voulais-je écrire. Je me suis sentie constamment engluée dans de la mélasse, et ça n'avance pas, et ça n'avance pas, et de moins en moins au fil du roman. Quand arrive la dernière page, ouf ! la délivrance.

Quatrième point, la construction, l'équilibre des parties. Dans un premier temps, on suit l'émissaire dans ses tractations politiques difficiles avec les différents gouvernements, puis, à un moment, on ne sait pas trop pourquoi, il décide d'aller faire une sorte de voyage ethnographique auprès d'un groupe de devins professionnels, sortes de derviches voyeurs. Puis il repart, ça ne se goupille pas trop bien, puis... changement total, le roman bascule en expédition polaire.

On se dit que ce périple extrême ne va durer qu'un temps, qu'on va retrouver le cours de la narration et des tractations politiques, mais non, non, non vous allez en bouffer de l'expédition polaire, jusqu'à l'écoeurement, jusqu'à ce que vous soyez aussi épuisés en tant que lecteurs que les autres en tant qu'aventuriers des glaces. Enfin, un micro finale avorté qui ne tient aucune de ses pseudo-promesses du début. Bon bah...

Cinquième gravier sous la porte, le problème de l'imagination. Pourquoi diable Ursula le Guin est-elle allée nous assommer avec des planètes extraterrestres, des personnages bizarres et des mondes soit-disant imaginaires à deux balles, si c'est uniquement pour nous rejouer la planète Terre ? Sur Gethen, il y a une lune, qu'on voit la nuit, il y a la mer, qui est salée, il y a des créatures extraterrestres mais qui sont tellement humaines que c'en est affligeant, il y a des glaciers et des précipitations d'eau, qui ressemblent trait pour trait aux homologues humains. Il y a des arbres aussi, et hormis le fait qu'ils possèdent des noms bizarres, ce sont des arbres, rien que des arbres, c'est-à-dire une forme typiquement terrestre du vivant.

Tu sais quoi Ursula ? Dans un millilitre d'eau croupie observée à la loupe binoculaire ou au microscope il y a plus d'imagination et d'exotisme surprenant que dans tout ton machin pseudo imaginatif et extraterrestre mais qui est tellement terrestre que je peux t'affirmer que tu as perdu ton temps. Quant au calendrier (dont je n'ai vu qu'à la fin qu'il y avait un mémento), les révolutionnaires français avaient déjà fait le boulot, pas la peine de réinventer un calendrier qui ne sert à rien.

Au passage je signale que sur cette planète incroyablement imaginative il y a bien entendu quatre saisons, or on sait que c'est typique de la Terre en particulier, eu égard à son inclinaison sur son axe, mais passons, c'est de la littérature de l'imaginaire, il paraît. Si vous lisez La Vie est belle de Stephen Jay Gould, qui ne parle que d'êtres vivants ayant réellement existé sur Terre aux époques géologiques, vous vivrez un dépaysement dix mille fois plus total qu'avec cette espèce de fiction soit-disant " imaginaire ".

Sixième point faible : le propos. J'en lis des tonnes, sur le soit-disant " propos " qui serait hyper osé, hyper novateur, hyper puissant, hyper tout. Moi je dirais hyper creux. Alors voilà, les habitants de la Karhaïde sont hermaphrodites. C'est hyper nouveau, n'est-ce pas, car je vous rappelle que le terme même d'hermaphrodite est une concaténation des dieux Hermès et Aphrodite, et qu'il date donc de... la Grèce antique ! Ah oui, c'est nouveau, effectivement.

Et cet hermaphrodisme, là encore, je crois qu'il est plus intéressant chez les limaces déjà citées que dans ce livre. En effet, l'auteure nous explique que ces hermaphrodites ne sont pas réceptifs sexuellement une bonne partie du temps, mais qu'ils entrent en " kemma " périodiquement de manière prévisible et cyclique. Là, ils sont prêts à sauter sur n'importe qui ou quoi. On comprend alors que la vision de l'auteure sur l'hermaphrodisme est plus ou moins celle d'un cycle menstruel, tout ça pour ça. Lisez, je vous dis, une documentation sur l'hermaphrodisme des limaces, c'est plus étrange et plus intéressant comme processus. Où mieux encore, allez voir comment se reproduisent les crépidules (Crepidula fornicata — ça ne s'invente pas !) de nos bords de mer, c'est plus amusant et contre intuitif ou encore l'acquisition du sexe chez les alligators, tellement plus surprenante.

On sait que le parents d'Ursula K. Le Guin étaient d'éminents anthropologues (le K. fait référence à son nom de jeune fille Kroeber, si vous souhaitez consulter les travaux de ses parents). Et elle a sans doute voulu faire une sorte " d'expérience anthropologique extraterrestre ". Là encore, lisez d'authentiques livres d'anthropologie, par exemple ceux de ses parents, et vous serez mille fois plus intrigués, intéressés, remis en question que par la lecture de cette farce creuse.

Il y aurait aussi un soit-disant propos pro-homosexuel, trans-genre ou je ne sais quoi. Moi, personnellement, je ne l'ai pas vu, pas senti, pas compris, donc, pas retenu. En somme, de tout ceci, pour moi et avec ma sensibilité, avec les espoirs et les attentes que j'avais en entamant la lecture de ce bouquin, demeure une immense grosse et large déception. Vite, vite au suivant. Ceci dit, gardez à l'esprit que ce que j'exprime ici n'est que la main gauche de l'avis, c'est-à-dire pas grand-chose. Allez voir à droite si le coeur vous en dit, moi je n'aime pas la droite...
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Un roman créé comme un entonnoir… qui nous laisse beaucoup de liberté en début de lecture pour finir par ne plus nous en laisser aucune ( et oui au bout d'un certains nombre de pages il devient addictif).
C'est d'ailleurs le même principe dans l'évolution des deux personnages principaux. Qui apprennent à se connaître et a s'apprécier au fils des pages

J'ai particulièrement apprécié ce roman , qui nous explique en détails la planète Nivôse, ses us et coutumes, les particularités de ses habitants, sa géographie, son histoire , sa politique. Ainsi que la visite d'un être humains sur cette étrange planète venant proposer des échanges commerciaux.

L'écriture d'Ursula le Guin est fluide agréable et détaillées, sans avoir cet aspect de lourdeur dans les descriptions. C'est avec aisance qu'elle montre la société et l'amitié entre deux êtres…. et en fait elle nous embarque tout simplement dans son monde imaginaire si bien imaginé.


Un énorme roman de SF, qui vaut le détour et que je pourrais même considérer comme un incontournable
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Voilà, j'ai enfin lu un livre d'Ursula le Guin. Et quel livre ! "La main gauche de la nuit" est un superbe planet-opera, un roman riche, à la fois exigeant et agréable à lire.

Ce qui m'a le plus frappée, c'est la peinture de la planète Gethen. Finesse, subtilité, profondeur sont les maîtres mots de cette découverte. L'auteure créé un univers très cohérent et très riche. On découvre tous les aspects de cette planète ; sa géographie, sa politique, ses moeurs... Tout ça est très fluide et les longues descriptions ne sont jamais pesantes. La peinture est saisissante. de plus, l'originalité de certains aspects, tout particulièrement l'indifférenciation sexuelle des habitants de Gethen, apporte un intérêt supplémentaire au roman.

L'auteure prend son temps pour raconter son histoire. Et ce rythme tranquille, parfois contemplatif, participe à l'immersion du lecteur et rend la lecture encore plus agréable.

La qualité de l'aspect "sociologique" du roman n'est jamais développé au détriment des personnages. Le Guin met ses 2 personnages principaux et l'évolution de leurs relations au centre de son récit. Et l'émotion est au rendez-vous, et ceci en un beau crescendo. Si au début du récit, il y a une certaine distante entre les personnages et le lecteur, cette distance s'amenuise au fur et à mesure du récit pour culminer dans un dénouement d'une charge émotionnelle rare et belle.
L'aventure est aussi au rendez-vous. L'épopée des 2 héros à travers des glaciers hostiles est très prenante. L'auteure y insuffle un souffle épique à partir de petits riens, sans grands effets. Et c'est là, lors de ce terrible périple, que les dernières barrières qui pouvaient demeurer entre les personnages et le lecteur tombent.

J'ai été totalement séduite par la belle écriture de le Guin ainsi que par l'humanisme qui se dégage de son récit.

Challenge Multi-défis 2017 - 22 (item 40 : un livre dont le titre comporte un terme du champ lexical anatomique)
Challenge Atout-prix 2017 - 4 (Prix Hugo 1970 - Prix Nebula 1969)
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D'abord il y a ce titre. Avec un titre pareil, si un livre était bâti sur du creux, n'était pas stimulant, était anodin, on serait en droit de le jeter, non ?

C'est l'histoire d'une rencontre. Rencontre entre deux êtres, entre un être et un monde, entre un monde et son envoyé des étoiles. Mais les transformations apportées par l'envoyé ne sont possibles que parce qu'il est d'abord transformé par le monde où il se trouve. L'acceptation de l'un se fait seulement après l'acceptation de l'autre. L'apprentissage de l'Autre, un thème plus que récurrent dans les romans d'Ursula le Guin. La voie de l'Ekumen, c'est l'antithèse du colonialisme, du tourisme, de l'exploitation ou même du commerce, en n'essayant pas de convaincre afin de mieux convaincre, en se laissant convaincre, en accordant toute autonomie à l'autre, en faisant confiance au déroulement non forcé des événements et à la chance.

J'avais envie de parler de ce que j'ai cru voir d'influence du taoïsme philosophique dans ce livre, de la politique de l'Ekumen à la mentalité géthenienne, en passant par le Handdara, mais ... nusuth ! (et puis comme ça je suis sûr de ne pas écrire de bêtise)

La planète Géthen, Hiver, couverte de glaciers, est certainement le personnage principal du roman (qui est pourtant aussi une histoire d'amour impossible, mais atypique au possible), à travers ses paysages, ses villes, son peuple, et ce qu'elle dit de l'humanité. En présentant différents modes d'organisation politique, plusieurs écoles mystiques, plusieurs mentalités, l'auteure évite le piège de la carte postale. Je trouve qu'elle dégage un portrait convaincant et touchant des géthéniens, dans leur homogénéité et dans leur diversité. Elle explore également l'éthique du pouvoir et présente, avec le Karhide et l'Orgoreyn, deux modes d'organisation politique opposés qui semblent atteindre chacun l'objectif annoncé par l'autre ! (Vivement la lecture des Dépossédés : c'est le prochain sur ma liste).

La Main gauche de la Nuit présente une exploration de l'influence des rôles sexuels, très réussie autant que casse-cou au départ (et à une époque où les études sur le genre ne devaient pas être légions), en les supprimant purement et simplement, et en en intégrant les conséquences pleinement dans l'histoire (la science-fiction dans toute sa splendeur). Alors, en l'absence de rôle sexuel, nous n'aurions pas de guerre, vraiment ? Moins de relations dominant/dominé ? Nous n'aurons pas de réponse à cette question. Car, et j'en suis reconnaissant à Ursula le Guin, tant j'apprécie cette démarche, j'ai vraiment eu l'impression qu'elle respectait mon autonomie en tant que lecteur. Un peu comme l'envoyé de l'Ekumen sur Géthen... Je me rends compte que c'est une qualité rare chez un auteur.

Court, écrit à deux voix, le roman est dense, très dense en réflexions, en descriptions, en mythes, en émotions, en épreuves, en événements, une lecture qui incite à la lenteur, qui culmine avec l'extraordinaire traversée du Gobrin, à la fois intérieure et extérieure. Je pense qu'il mérite bien son statut de classique (mais l'a-t-il, en fait ?).
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Citations et extraits (97) Voir plus Ajouter une citation
Je donnerai à mon rapport la forme d'un récit romancé. C'est que l'on m'a appris lorsque j'étais petit, sur ma planète natale, que la Vérité est affaire d'imagination. Un fait irréfutable peut être accepté ou refusé suivant le style dans lequel il est présenté - tel cet étrange joyau organique de nos mers dont l'éclat s'avive ou se ternit selon la personnalité de la femme qui le porte : ne peut-il même tomber en poussière ? Les faits ne sont pas plus solides, cohérents, réels. Mais, comme les perles, ils ont une sensibilité.

[ Incipit ]
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Que faire face à ses incohérences ? Je pris le parti de lui parler un langage franc et direct : « Je ne puis que vous poser une question, sire : dois-je me considérer comme impliqué dans le crime d'Estraven ?
- Vous ? Non. » Il me dévisagea encore plus attentivement. « Le diable m'est témoin que je ne sais pas ce que vous êtes, monsieur Aï - une anomalie sexuelle, un monstre artificiel, un visiteur venu des Domaines du Vide ? - , mais vous n'êtes pas un traitre, juste l'instrument d'un traitre. Et je ne punis pas les instruments. Ils ne sont nuisibles qu'aux mains d'un mauvais artisan. Je vais vous donner quelques bons conseils. »
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J’étais incapable de voir les êtres de cette planète comme ils se voient eux-mêmes. Je m’y efforçais, mais sans réussir à autre chose qu’à voir en chaque habitant d’abord un homme, ensuite une femme, également gêné de les ranger artificiellement dans l’une ou l’autre de ces catégories, si étrangères à sa nature et si essentielles à la mienne.
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J'étais encore incapable de voir les êtres de cette planète comme ils se voient eux-mêmes. Je m'y efforçais, mais sans réussir à autre chose qu'à voir en chaque habitant d'abord un homme, ensuite une femme, également gêné de le ranger dans l'une ou l'autre de ces catégories, si étrangères à sa nature et si essentielles à la mienne.
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Les Géthéniens pourraient faire rouler leurs véhicules plus rapidement, mais ils n'en éprouvent pas le besoin. Si on leur demande la raison, ils répliquent : "Pourquoi aller plus vite ?". A l'inverse, si l'on demande à un Terrien quel besoin il a de rouler si vite, il répondra : "Pourquoi pas ?"...Les Terriens ont tendance à penser qu'il leur faut aller de l'avant, réaliser des progrès. Les gens de Nivôse, qui vivent toujours en l'an I, ont le sentiment qu'il importe moins d'aller plus loin que d'être là.
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Vidéo de Ursula K. Le Guin
De "La Main Gauche de la Nuit", au "Nom du monde est forêt" en passant par "Les Dépossédés", l'autrice américaine de science-fiction Ursula le Guin, disparue en 2018, a tissé une toile narrative complexe d'une grande beauté littéraire et d'une actualité thématique brûlante.
Réflexion sur le genre et féminisme, écologie, inégalités sociales, ce sont autant de préoccupations qui se dessinent subtilement dans l'oeuvre monde de cette touche-à-tout
En compagnie de ses invités, Catherine Dufour, écrivaine de science-fiction et Jérôme Vincent, directeur éditorial des éditions ActuSF, Antoine Beauchamp vous propose de découvrir cette immense autrice qui fut un temps pressentie pour le prix Nobel de littérature.
Photo de la vignette : Dan Tuffs/Getty Images
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