AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782493213556
1367 pages
Le nouvel Attila (13/10/2023)
4.56/5   9 notes
Résumé :
Naples, 1943. Tout juste démobilisé, le marin ’Ndrja Cambría longe la côte pour rentrer embrasser son père dans son village natal de Sicile. Dans un pays méconnaissable, il rencontre des personnages aux mœurs étranges, se remémore le passé mythique de Charybde et Scylla, et revit les légendes transmises par les pêcheurs de son enfance. Une fois débarqué, il affronte une créature marine monstrueuse, l’Orque porteuse de mort, qui incarne le bouleversement de la civili... >Voir plus
Que lire après Horcynus OrcaVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
« Horcynus Orca », de l'écrivain sicilien Fortunato Stefano D'Arrigo, traduit de l'italien par Monique Baccelli et Antonio Werli (2023, Le Nouvel Attila, 1372 p.). Après trois ou quatre moutures qui ont duré près de dix-neuf années.
« L'Azione di Horcynus Orca » se déroule durant les premiers jours d'octobre 1943, à l'armée entre le gouvernement italien et la force « Alleate ». le protagoniste, « ‘Ndrja Cambrìa, marina de la Regia Marina », tente de retourner à la maison, à Cariddi, traversant le Stretto di Sicilia: « ritroverà un paese irriconoscibile », transformé par la guerre et « sconvolto de l'apparizione in mare di a creatura mostruosa ». Trois grandes parties qui se suivent.
Dans la première, des rencontres plantent le contexte historique et mythologique. On est près du village de Charybde dans le détroit de Sicile. A terre, un peuple de femmes, plus ou moins magiciennes, soldats démobilisés errants et pêcheurs locaux. La deuxième partie, ce sont les retrouvailles avec le père et la mémoire de la guerre. Avec en toile de fond, la lutte titanesque avec un orque. le tout formant un intarissable monologue de 'Ndjra, proche de celui de Joyce dans « Ulysse » ou de « Finnegans Wake ». Enfin, la troisième partie évoque encore la guerre et les destructions.
Résumé ainsi, le texte tient en une dizaine de lignes, sauf qu'il courre sur près de 1400 pages. Entre, la langue a été morcelée, désossée, recomposée, rapetassée avec des expressions du dialecte sicilien.
L'écriture débute avec une première version dans « Il Menabo » (l'ébauche) en 1956, et un recueil de poèmes « Codice siciliano » (Code sicilien) en 1957, réédité et augmenté à vingt poèmes (1978, Mondadori, 89 p.). Dans le premier cas, le texte « I giorni della fera » (Les jours de la fera) parait dans le numéro 4 de la revue, en 1960. Sachant que « fera » est le nom sicilien du dauphin. A ne pas confondre avec la fera du Léman qui est un salmonidé, de la famille des corégones (Coregonus fera). La revue sera éphémère, puisqu'elle s'arrête au numéro 10 en 1967, avec la disparition de Elio Vittorini. L'idée était de concevoir le renouveau littéraire en termes expérimentaux et linguistiques.
Dans son recueil de poèmes, il déchiffre le code de sa patrie en vingt poèmes, plaçant le lecteur face à un enchevêtrement de faits familiers et énigmatiques. On retrouve les thèmes et épisodes liés aux voyages en mer, à la vie marine et à la guerre, ainsi que les relations fils-mère. Mais il fait aussi appel au christianisme, à la mythologie grecque et aux épopées d'Homère. Il ne faut pas oublier que le détroit de Messine apparait dans le chant XII de l'« Odyssée » d'Homère, avec la grotte de Scylla du côté italien, et le gouffre de Charybde du côté sicilien. L'un des poèmes, le poème « Sui prati, ora in cenere, d'Omero » (Sur les prés d'Homère, maintenant transformés en cendres) est un précurseur lyrique d'« Horcynus Orca ». Dans ces sept strophes, D'Arrigo rend hommage à Homère et à l'aura mythologique qui entoure la Sicile. le poème commence et se termine par l'évocation des amis marins de l'orateur. Ils sont confondus avec les héros homériques, naviguant en haute mer. Mais ceux qui ne quittent pas l'île sont aussi des voyageurs. Les prés d'Homère transformés en cendres pourraient être une métaphore pour les dégâts causées par la Seconde Guerre mondiale. L'île ( isola ) est comparée à la consonne Elysium ( Eliso ), un lieu fabuleux où un coq apporte la lumière dans son bec, le soleil est l'armure de ses habitants. Leur dialecte est le miel pour leurs blessures. Une femme qui pourrait être une sirène ne cesse de tisser et détisser son étoffe pendant que le vieux chien attend sur le seuil le retour de son maître pour mourir à ses pieds. Ce pourrait déjà être ‘Ndrja Cambria.
On en arrive à « Horcynus Orca ». C'est l'orque ou épaulard (« Orcinus Orca » de son nom officiel donné d'après Linné). Les anglophones les surnomment « killer whales » (baleines tueuses), quoique ce soient des espèces fortement sociables, et matrilinéaires.
Le contexte, c'est le retour d'un marin dans son village sicilien en octobre 1943. L'Italie entre en guerre en octobre 1940 en attaquant la Grèce. La bataille d'El Alamein en novembre 1942 stoppe l'avancée de Rommel et de l'Afrika Korps. L'opération « Torch » suit, avec le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. En mai 1943, la campagne de Tunisie est terminée. Cela précède le débarquement en Sicile en juillet 1943. Les Américains de Patton débarquent au sud-ouest de la Sicile, les Britanniques près de Syracuse, et les Canadiens dans la presqu'île de Pachino. Messine tombe en aout 1943, ce qui achève la libération de l'ile, avant le débarquement en Italie. le 8 septembre 1943, la BBC annonce la signature de l'armistice entre l'Italie et les Anglo-Américains, armistice tenu secret depuis sa signature à Cassibile, en Sicile 5 jours plus tôt. C'est donc une déroute de la marine et une grande démobilisation des troupes après 4 ans de guerre. Des milliers de soldats sont laissés errants, avant de retrouver leurs villages, tout comme ‘Ndrja Cambria. Sauf que les bombardements ont laissé des traces dans les villages de Sicile.
Tout d'abord, il faut reconnaître que le texte original est un mélange d'italien et de dialecte sicilien, avec en prime des mots inventé et forgés par Stefano D'Arrigo. Ainsi l'incipit commence dans l'original par « Il sole tramontò quattro volte sul suo viaggio e alla fine del quarto giorno, che era il quattro di ottobre del millenovecentoquarantatré, il marinaio nocchiero semplice della fu regia Marina 'Ndrja Cambrìa arrivò al paese delle Femmine, sui mari dello scill'e cariddi ». Ce qui se traduit par « le soleil quatre fois se coucha sur son voyage et à la fin du quatrième jour, qui était le quatre octobre mille neuf cent quarante-trois, le marin, simple nautonier de feue la Marine Royale, 'Ndrja Cambría, arriva au pays des Femmes, sur les mers de Charybde et Scylla ».
Il y arrive en compagnie de trois autres anciens soldats, soit Portempedocle, Montalbanodelicona, Petralia Sottana, nommés ainsi selon leur ville d'origine, qui « reste étrangement gravé sur bois ». le tout est sous la conduite d'un dénommé Boccadopa, amputé d'une jambe « Boccadopa devait descendre de sa béquille et cigogner sur son unique jambe ». Ils retournent dans leurs villages natals en Sicile, occupé par les Alliés, et doivent pour cela traverser le détroit de Messine, à l'importance autant géographique que mythologique. Sauf que les alliés ont coulé tous les ferries, les « ferribô, ou feriboites » sujet qui revient dans toutes les conversations. « le loro discorso cadde sui ferribò, sui bei ferribò spariti, persi: e doveva fatalmente cadere sui ferribò, si trovavano ridotte à quel point, straviate terraterra, col cul sur la cofana ». (Leur conversation devait inévitablement tomber sur les beaux ferribòs disparus, perdus : et les ferribòs, parce qu'ils étaient là pour tout le monde, pour la perte de tout ici, ils se retrouvaient réduits à ce point, éloignés de la terre à terre, avec le cul sur le capot).
C'est ‘Ndrja, qui, en tant qu'ancien marin, est chargé de trouver un bateau pour passer le détroit. Les pécheurs, ou « pélisadres », contactés, ne sont pas très enthousiastes. En passant, on apprend que les feminotes se servent d'un buste ébréché de Mussolini pour satisfaire leurs besoins. « Elles portent également des jupes rouges au milieu des noires, que ces femmes portaient juste par beauté, comme un étendard, comme un signal, lui fit reconnaître les femmes comme des féminotes. Il les reconnaissait comme femmes à leur posture de Sorcières dans leur antre ». le marin entre en contact avec Ciccina Circé, une « feminota » dont la belle-mère Jacoma ou « facciatagliata » sert d'entremetteuse avec ‘Ndrja avant de la laisser traverser le détroit, mais sous condition de transporter également du sel de contrebande. La Circé sicilienne a été abandonnée par son mari, emmené à la guerre, et qui l'a laissé vierge. « La fessicella, pour passer le doigt en dessous, sent encore la crème et le glaçage de la façon dont elle a quitté le ventre de sa mère ». Elle accepte de mettre un bateau en mer juste pour lui, mais avec aussi de la contrebande, et qu'en échange elle veut être possédée par lui sur la plage. le marin est d'accord, donc elle met le navire à la mer. Pour la traversée, elle se fait aider par les dauphins enchantés par le son d'une cloche qu'elle garde à bord. Ils escortent le bateau et éloignent les esprits des marins morts dans ces eaux.
‘Ndrja se rend compte qu'il est arrivé juste à Scylla, son pays. Pour prolonger le plaisir de son retour, il se promène entre les maisons, en regardant les villageois. Il voit son père Caitanello Cambria retirer les vêtements de femme de sa garde-robe. Sa mère vient juste de mourir. Peu de temps avant son retour, Caitanello a eu un accident avec une orque, appelée Manuncularais, qui a abimé une barque lors d'une sortie solitaire en mer. le pellisquadre et les villageois craignent que cet incident ne rende les bêtes méchantes, et donc provoque des représailles. Caitanello décide alors de rester à terre et refuse de serrer les mains des villageois qui voudraient s'excuser auprès de lui. Ainsi, le retour de l'enfant au pays se réalise.
Le livre est sous l'influence du chiffre quatre, dès son début. Ce sont les quatre jours du voyage, le 4 octobre des quatre soldats, après les quatre ans de guerre, et les quatre réveils de « Orcaferone ». le nombre 4 renvoie aux quatre branches de la roue de la vie, qui tourne sur elle-même sans jamais s'arrêter.
Le thème de l'orque et l'Ulysse de Homère. Certes il n'y a ni orque, ni baleine chez Homère. Il y a bien le détroit de Messine, entre Charybde et Scylla. C'est après le séjour d'Ulysse sur l'ile d'Eéa, et leur arrêt par manque de vent. D'emblée, les marins avec Euryloque à leur tête, sont attirés au palais, charmés par une voix harmonieuse. On pense alors à Ciccina Circé qui agitait une cloche pour amadouer les dauphins. Les marins boivent un « cycéon », breuvage composé de gruau d'orge, de miel vert, de fromage et de vin de Pramnos. Pour donner plus de goût, Circé y ajoute un poison, qui les transforme en pourceaux. Ulysse est absent. Averti par Hermès, il menace Circé, qui lui offre de partager son lit. Chose faite, les pourceaux redeviennent des marins. Demande analogue à celle de Ciccina Circé. le bateau pourra repartir, avec les vents d'Eole, mais ce sera pour aller vers l'ile des morts, malgré le chant des sirènes. Prévenus par Circé, Ulysse et ses marins se coulent de la cire dans les oreilles pour échapper aux chants. Chez D'Arrigo, ce n'est pas le manque de vents, mais le manque de bateaux, les « ferriboites », tous coulés par les Alliés. Ne reste que les barques des féminautes, contrebandières en sel. La menace des courants dans le détroit, les « rèmes », s'ajoute à la présence des orques. Dont Manuncularias, l'orque femelle blessée par Caitanello Cambria peu avant le retour de la guerre de son fils ‘Ndja. Puis apparaît Orcaferone, le plus grand des cétacés du détroit de mémoire de pellisquadre, qui ne se réveille que quatre fois pour semer le désastre en mer. La bête porte sur le côté gauche une blessure profonde qui suppure en dégageant une terrible odeur de mort et de pourriture. C'est l'orque qui donne la mort et incarne la décadence de l'Italie après la guerre.
Le retour du fils, ‘Ndja, dans son pays, doit être corrélé avec l'impossibilité de revenir à un ancien système de traditions et de valeurs irrémédiablement perdu avec la Seconde Guerre mondiale. Cela rappelle « La Peau » de Curzio Malaparte traduit par René Novella (2008, Denoèl, 408 p.) qui décrit Naples, cité peuplée de femmes et d'enfants décharnés, aux visages couleur de cendre, et la prostitution qui y règne comme une « Europe réduite à un tas de chair pourrie », En Sicile, il ne reste aussi que les femmes, et quelques vieux pécheurs souvent handicapés. le seul moyen de survie, c'est la contrebande du sel et la prostitution « C'est la destinée des jeunes, en Europe, d'être vendus dans la rue par la faim ou par peur. Il faut bien que la jeunesse se prépare, et s'habitue, à jouer son rôle dans la vie et dans l'Etat. Un jour ou l'autre, si tout va bien, la jeunesse d'Europe sera vendue dans la rue pour quelque chose de bien pire que la faim ou la peur ».
Ces femmes dénotent dans les villages. « Il la regardait, elle, une fémignonne, une mignonnette, une miniature, un petit bijou de corps s'élevant de la taille galbée jusqu'aux seins qui gonflaient son casaquin entre les lacets, pas comme cette mamellerie débordante que l'on voyait au jardin, mais comme un gros soupir. Cette féminelle était une vraie figure de mode, au point que l'on songeait à croiser les mains en bercelonnette et à la bercer dans ses bras comme un poupon. Mignonnette, une peau satinée, le visage comme du sucre fondu, une blancheur si naturellement vierge ». Ces femmes que l'on trouvait sur les « ferriboites », lorsqu'il y en avait encore. Femmes en manque de maris, qui fantasment au bruit et vibrations du bateau. « Un jour, sur le Scylla, j'étais à l'entrée d'une coursive de la salledémachines. Là, absorbée dans mes pensées, à un certain moment je me suis sentie manoeuvrée par-derrière par une main si pleine de tact et d'amanterie que, je n'ai pas honte à vous le dire, je m'y prêtais plutôt volontiée. Lui muet, moi muette. Juste le temps de réajuster mes plumes, puis je me suis retournée sur la coursive, je n'ai vu personne. Mais je suis restée là à écouter le bruit des pistons et, bizarre à dire, j'ai fixé mon esprit comme je ne l'avais jamais fait avant sur ce touf-touf, touf-touf ». Un peu plus loin, on retrouve le bruit lancinant. « Touf-touf, touf-touf, faisaient les pistons comme pour m'assourdir. Et qui pouvait nous envoûter, sinon un pistachier, un vrai expert en touf-touf, touf-touf. Alors, toujours dans mon esprit, dès que je me mettais dans le recoin habituel de la grotte, celui-ci décalottait au-dehors une forme humaine et m'attrapait ».
Au passage, on se souvient du bruit des machines du bateau, chez Malcolm Lowry avec le lancinant « Frère Jacques » (« bruit des machines de navire et de l'éternité » que l‘on retrouve dans la plupart de ses ouvrages. Dans « La traversée du Panama », il est repris plus de 25 fois sous une forme ou sous une autre, et ce sont les diverses modifications qui en font l'importance. Ces transformations incluent aussi « Frère Jacques. Frère Jacques Laruelle ». La ritournelle apparait tout d'abord dans « Lunar Caustic » et sa suite « le Caustique Lunaire », tous deux traduits par Clarisse Francillon (1987, Maurice Nadeau, 222 p.). C'est sous la forme du noir Battle, qui danse des claquettes. Alors que Plantagenet, c'est « l'homme qui se prenait pour un bateau ». A son se réveil « sur le pont au-dessus, le régulier Frère Jacques : le Frère Jacques des moteurs. Il était sur un bateau, le ramenant en Angleterre, qu'il n'aurait jamais dû quitter en premier lieu ». Si ce n'est le bateau lui-même, ce sont les bruits qui en découlent.
Un autre thème développé, mais dont la conclusion n'est pas ce que l'on attendait concerne le retour de ‘Ndrja dans son village. Il revoit bien les ruelles qu'il a parcourues plus jeune, de même qu'il retrouve son père, mais doit faire appel à ses souvenirs de quand il appelait sa mère. Celle-ci, Acitana, est morte pendant son absence. Son frère de lait, Massimo, et ses amis sont encore là, de même que Maresa Orioles, fille de don Luigi Orioles. Elle était amoureuse de ‘Ndrja Cambria jusqu'à ce qu'elle ait un enfant. Et comme Pénélope, en attendant son retour, elle brode un poisson sur le trousseau du mariage. Mais la suite diffère fortement. Que reste t'il alors entre le souvenir, la mémoire et la réalité. Se souvenir alors que la thèse initiale de Stefano D'Arrigo durant ses études à Messine portait sur Friedrich Hölderlin. Dans le poème « Souvenir » de ce dernier, on trouve ces vers sur la mer et la mémoire. « La mer enlève et rend la mémoire, l'amour / de ses yeux jamais las fixe et contemple, / Mais les poètes seuls / Donnent à ce qui dure une assise éternelle » extraits de Friedrich Hölderlin, « Poëmes » traduit par Gustave Roud (2023, Éditions Allia, 224 p.).

Commenter  J’apprécie          90
Ce roman italien n'est pas traduit: pour certains spécialistes il est carrément intraduisible. Même le lire dans le texte est un labeur pour maints italophones, à cause de sa langue inventée, ainsi que de ses 1082 pages... Si ce fut un ouvrage d'une vie, le traduire aussi serait le travail d'une vie. le lire, c'est avoir lu un absolu.
Voici quelques notes plus détaillées:
"Il s'agit de l'une des oeuvres cruciales de la littérature italienne du XXe siècle, d'une originalité tout à fait extraordinaire qui en fait un de ces monuments isolés, de ces chefs-d'oeuvre que je mettrais sur le même plan que L'Homme sans qualités de Musil, l'Ulysse de Joyce ou la Recherche proustienne. La critique ne s'y trompa pas dès sa parution en 1975 qui s'était faite attendre presque vingt ans, depuis qu'Elio Vittorini et même Italo Calvino avaient persuadé l'éditeur Mondadori à « commanditer » ce roman en 1958. La conscience que son auteur eut, sans cesse, de l'ampleur de la tâche lui incombant, explique le tracas de cette création, dont il existe aussi une version première intitulée I fatti della fera.
L'enjeu est témoigné aussi par l'attention incessante des critiques, y compris des psychanalystes (cf. Girolamo Lo Verso), et par une bibliographie critique imposante.
Le défi tient à la langue, une langue inventée de toutes pièces (d'où la rédaction si interminable) pour ce poème épique mythologique de la métamorphose. « le véritable protagoniste de ce roman, c'est sa langue. Il y a des mots nouveaux mais venus de loin, aussi savoureux que de l'espadon, qui frappent violemment en frétillant dans l'air comme des fauvichons qui mordent comme des requins » dit Pedullà. C'est une langue qui, conçue expressément pour le dessein de l'oeuvre, consiste dans un mélange entre l'archaïsme du grec ancien d'Homère (les critiques sont unanimes à trouver en ce roman un descendent direct et un parallèle complet – le dernier ? – du nostoï, la saga du retour des héros de la guerre de Troie) et le langage dialectal et entièrement déstructuré (y compris dans la syntaxe et la ponctuation) représentation du flux de la pensée et de l'imaginaire mythique du héros, le pêcheur illettré qu'est ‘Ndrïa Cambrìa, de surcroît perturbé de façon obsessionnelle par l'expérience de la guerre. D'où « ce merveilleux amalgame linguistique, croisement entre le dialecte, la langue cultivée et populaire, les néologismes. D'ailleurs D'Arrigo n'en finit jamais de se mesurer avec ce roman ardu et complexe, dans lequel il avait reconstruit un univers à la fois mythologique et symbolique fait d'un entrelacement mirobolant d'histoires (et d'Histoire), toutes construites grâce à un travail frôlant la manie fait de notes, de reconstructions et de plans. Ce fut une lutte corps à corps qui dura même après la publication et jusqu'à la mort de l'écrivain survenue en 1992 » (Maria Pia Ammirati)."
Commenter  J’apprécie          121
Une lecture exigeante qui demande un bel investissement de son temps. Pour autant le jeu en vaut la chandelle. Nous sommes ici dans un récit monstre et monstrueux par sa démesure. Au fil des pages, on se remémore l'Odyssée, Moby Dick et même Ulysse de Joyce face a certaines tournures assez complexes et au vocabulaire inventé pour l'occasion. Bref, un roman comme on en croise rarement. A titre personnel, la dernière fois ce fut avec Jérusalem d'Alan Moore, soit en 2017... Ça date ! Si vous n'avez pas peur des livres monstres et que vous êtes prêts à consacrer un certain temps a un livre, FONCEZ !
Commenter  J’apprécie          180
Il vrai que l'Horcynus Orca est un chef-d'oeuvre comparable à l'Ulysse de James Joyce. Je suis sicilien de la même province que Stefano d'Arrigo, je parle et j'écris le même dialecte de Messine que lui. Auteur de livres et traducteur moi-même, j'avais proposé, il y a une vingtaine d'années, à mon ami Christian Bourgois de le traduire. Il m'avait répondu qu'il allait y réfléchir... Puis il a renoncé eu égard au coût financier qu'une telle traduction représenterait. Il est très dommage que cette oeuvre ne puisse pas être mise à la disposition des lecteurs français car elle n'est pas du tout intraduisible. Les chefs-d'oeuvre sont patrimoine de tous.
Commenter  J’apprécie          151
Un monstre , ce pavé de 1300 pages ! Dans ce travail d'une vie , D'Arrigo mêle en un époustouflant mille-feuilles ,la vie , les coutumes , les fantasmes des pêcheurs du détroit de Messine , la guerre , la littérature (Odyssée, le Roland furieux,Moby Dick …) porté par un langage torrentiel ,inventif , tour à tour poétique, rabelaisien ,épique .Nous sommes en 1943 , lesAlliés après le débarquement en Sicile ont franchi le détroit et s'affrontent aux Allemands à Monte-Cassino . ‘Ndrja Cambria , déserteur de la marine tente de regagner son village en Sicile où l'attendent son père Caitanello Marosa sa Pénélope qui brode en l'attendant , et la communauté des pêcheurs . C'est d'abord un voyage picaresque le long de la côte calabraise ,émaillé de rencontres pittoresques puis, une fois franchi le détroit (Charybde et Scylla) avec l'aide d'une contrebandière (Ciccina Circé) , le retour au pays . Là va se dérouler une Naumachie où s'affrontent hommes, dauphins (qu'ils nomment « fères » ) et une orque monstrueuse figure de la mort et de la guerre . Ce n'est qu'un faible aperçu des thèmes du roman qui alterne scènes dramatiques ( l'humiliation de l'Italie vaincue, les désastres humains de la guerre) , émouvantes (les dialogues du père avec son épouse morte) , gaillardes (les amours des jeunes pêcheurs avec les Sirènes) , psychologiques ( les rivalités dans le village). Un extraordinaire découverte et un plaisir de lecture ( à déguster pour en sentir les subtiles nuances et en savourer les trouvailles de langage) . Décidément , j'aime les monstres !
Commenter  J’apprécie          70


critiques presse (3)
Bibliobs
10 janvier 2024
Ce monument de la fiction italienne que Stefano D’Arrigo a mis vingt ans à écrire a été publié en Italie en 1975 et est enfin traduit. Il emprunte à la fois à la tradition antique et au modernisme italien.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeMonde
21 décembre 2023
Le grand œuvre de l’écrivain sicilien est un voyage halluciné dans la guerre et les mythes depuis les rives du détroit de Messine. Grand succès à sa parution en 1975, le voici enfin traduit.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Marianne_
19 décembre 2023
Insultes siciliennes, tourbillon d'aventures et un style unique.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Elle, donna Cristina, s’y était toujours connue en onguents et médicaments à base de fère : elle s’y était toujours connue, et sans que personne ne le lui ait jamais appris, mais seulement parce qu’elle y était portée par nature, de même qu’elle était portée par nature à faire la matrone, disons l’accoucheuse, ou à préparer les morts. Pour elle, la fère, de la première à la dernière arête, de la pointe du bec à la queue, était toute une pharmacie : chaque fois qu’elle pouvait disposer de quelque morceau pour faire des expériences avec, comme un pharmacien, elle inventait, avec telle ou telle partie de la fère, tout et n’importe quel médicament, du stomatique au fortifiant, du purgatif au désinfectant, de la décoction dépurative à l’infusion pour les compresses et les pansements contre la suppuration ; elle inventait de l’huile de ricin au liniment Sloan, de l’huile de foie de morue à la teinture d’iode, pour ne parler que des plus courants et à portée de main. La fère, elle la tranchait, la coupaillait, la brûlait, la mélangeait, la triturait, la distillait, bref pour elle la fère était un corps miraculeux, une trouvaille : aussi guérisseuse morte que, vivante, elle était mortifère : c’était ça l’idée de donna Cristina. D’après elle, dans la fère, si on savait où mettre les mains, on pouvait trouver remède à tous les maux, exactement comme dans les bouteilles, flacons et ampoules d’une pharmacie : à l’exception de la quinine d’État, non qu’elle doutât, à force de faire des expériences, de trouver aussi dans la fère l’équivalent de la quinine, mais beaucoup plus sûrement parce que la quinine était un monopole gouvernemental et qu’on ne la vendait pas dans les pharmacies, mais dans les tabacs, dans les régies de l’État, et qu’elle n’aurait jamais osé la contrefaire.
Commenter  J’apprécie          10
Tout un ensemble de choses, que d'un côté elles avaient peut-être dites, la mère et la fille, et d'un autre n'avaient peut-être pas l'intention de lui dire, du moins la mère, parce que la fille, elle en avait à moitié l'intention : "Cet ensemble de choses, il y a de quoi dire...
Commenter  J’apprécie          10
Boccadopa devait descendre de sa béquille et cigogner sur son unique jambe...
Commenter  J’apprécie          50
Oui, il était là, il est là : un homme dévasté, si vous le voyiez, et il faudrait que vous l'ayez connu avant pour vous en faire une idée…
Commenter  J’apprécie          20
ce giganton d'Aspromonte, puits sans fond, antre où le malagauche peinait à retrouver la sortie
Commenter  J’apprécie          10

autres livres classés : littérature italienneVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Autres livres de Stefano d'Arrigo (1) Voir plus

Lecteurs (115) Voir plus



Quiz Voir plus

Grandes oeuvres littéraires italiennes

Ce roman de Dino Buzzati traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec, sur fond d'un vieux fort militaire isolé à la frontière du « Royaume » et de « l'État du Nord ».

Si c'est un homme
Le mépris
Le désert des Tartares
Six personnages en quête d'auteur
La peau
Le prince
Gomorra
La divine comédie
Décaméron
Le Nom de la rose

10 questions
827 lecteurs ont répondu
Thèmes : italie , littérature italienneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..