Mouvement promouvant la solidarité entre Africains, le panafricanisme ne se laisse pas facilement circonscrire. Se réduit-il à un espace géographique – au risque d'ignorer les Africains de la diaspora ? ou à un phénotype – quitte à exclure les Africains blancs au nord du continent ou au sud ? Selon la définition qu'on lui donne, cette idéologie n'a ni la même date ni le même lieu de naissance. Comme l'écrit
Amzat Boukari-Yabara dès l'introduction de son ouvrage, cette « énigme historique » est tout à la fois « un concept philosophique », « un mouvement sociopolitique » et « une doctrine de l'unité politique » (p. 5).
Cette définition ternaire annonce les trois parties de son livre organisées selon un plan chronologique. Dans un premier temps, les théoriciens du pan-négrisme, tels Edward Blyden ou
W.E.B. du Bois, encouragent une prise de conscience progressive de la « race nègre ». Ce mouvement n'est pas né en Afrique mais dans la diaspora américaine ou caribéenne. Il se prolongera au XXème siècle avec la Renaissance noire à Harlem (années 20) et le mouvement de la négritude (années 30). Il connaît sa première manifestation avec l'organisation de la Conférence panafricaine de Londres en 1900. Progressivement cette prise de conscience philosophique se mue en projet géopolitique : « Back to Africa ! » devient le cri de ralliement des émigrationnistes qui, dénonçant les faux espoirs d'une intégration des Noirs au sein de la nation américaine, ne voient d'autre salut que dans leur retour vers la terre maternelle.
Marcus Garvey, surnommé le « Moïse noir », est le défenseur le plus virulent de ce panafricanisme-là dans l'entre-deux-guerres. Mais l'échec de l'expérience libérienne – où des esclaves noirs affranchis avaient fondé un État indépendant dès 1847 avant d'exercer sur les populations locales une domination dont la cruauté n'avait rien à envier à celle des colons européens – et les progrès de l'intégration des Noirs en Amérique condamneront bientôt cette politique.
L'idée de retour en Afrique (« Back to Africa ») cède alors le pas à la revendication de la souveraineté (« Africa for the Africans »). Tandis qu'il semble atteindre son apogée – avec l'Exposition coloniale de 1930 en France par exemple – le colonialisme vacille déjà sur ses bases. Les Quatorze points de Wilson ou la Charte de l'Atlantique annoncent une décolonisation inéluctable. Évolution importante : le mouvement n'est plus exclusivement promu par des Africains de la diaspora, comme le montre la liste des participants au congrès panafricain de Manchester en 1945. Aux côtés de
W.E.B. du Bois et de George Padmore, émergent les figures de
Kwame Nkrumah et de Jomo Kenyatta. Les Africains se libèrent de leurs chaînes et accèdent en quelques années à l'indépendance. Ayant ouvert la voie dès 1957, le Ghana indépendant aspire à devenir, selon les mots de Nkrumah le « tremplin de l'indépendance et de l'unité africaines » (p. 142).
Mais – et c'est le troisième temps de l'histoire du panafricanisme – l'indépendance des États africains ne débouche pas sur l'unité de l'Afrique. Les projets de regroupements régionaux font long feu telles l'éphémère Fédération du
Mali ou l'union Ghana-Guinée. A Addis Abeba en 1963, Nkrumah et le groupe de Casablanca, qui appellent à l'unification immédiate de l'Afrique, sont mis en minorité. le groupe de Monrovia l'emporte avec la création d'une organisation, l'OUA, qui n'a de panafricaine que le nom. le panafricanisme peine à survivre au coup d'État qui renverse Nkrumah en 1966. Il bascule en Afrique de l'Est avec
Julius Nyerere. Il retraverse l'Atlantique pour se ressourcer dans la diaspora :
Martin Luther King,
Malcom X, le mouvement des Black Panthers (dont l'inspirateur, Stokely Carmichael, partage la vie de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba), la musique reggae de
Bob Marley, le quilombisme au Brésil …
Où en est le panafricanisme aujourd'hui ? L'ouvrage de
Amzat Boukari-Yabara se conclut sur une note pessimiste. Malgré la fin de l'apartheid, la réalisation d'une organisation politique intégrée de tous les peuples d'Afrique est encore loin. le remplacement de l'OUA par l'Union africaine, le lancement du NEPAD voire l'élection de
Barack Obama ne doivent pas faire illusion.