Ce livre est bien un roman et non une autofiction. J’ai besoin du détour de l’imaginaire pour écrire.
Bien sûr, je prête à la narratrice des éléments qui viennent de moi et certains de mes défauts (pas tous quand même), je puise dans tout cela et mon imagination fait le reste… c’est une fiction.
Mon premier roman (Double foyer) était écrit par un homme à la première personne, il y a avait beaucoup de moi aussi dans ce roman, peut-être plus, mais personne n’a eu l’idée de me poser la même question. Ici la narratrice est une femme, et j’ai aussi beaucoup voyagé, je comprends que la question paraisse plus naturelle.
C’était un choix très clair dès le début. Je ne voulais pas écrire un récit de voyages. Pour reprendre une phrase assez connue de Nicolas Bouvier « on ne voyage pas pour se garnir d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que le voyage nous rince, nous essore… ».
Ce qui m’intéressait, c’était de mener l’enquête avec ma narratrice sur son envie de partir, et de la voir évoluer dans le temps. Les anecdotes à l’étranger (quand elle part en Patagonie, en Birmanie, les scènes ubuesques d’aéroport ou d’hôtel) sont là comme des pièces de puzzle, pour nous permettre de comprendre peu à peu son parcours.
Chacun part pour des raisons personnelles, rarement les mêmes. Malgré tout, des points communs se créent, une complicité : je voulais raconter cela aussi, par petites touches. Le snobisme de certains qui comparent les restaus et hôtels du monde entier, par exemple, et prétendent que le meilleur restau thaï qu’ils connaissent est à Abidjan, ou la meilleure trattoria milanaise à Bangkok. Et qui passent des heures à en débattre, bien sûr…
Quand on se déplace pour son travail par exemple, d’hôtel standard en hall d’aéroport, on a vite l’impression que les lieux sont tous les mêmes : cet effet de l’uniformisation du confort, j’avais envie de le montrer dans une scène plutôt extrême (tous les hommes croisés dans tous ces hôtels et ces aéroports – ses amants potentiels - deviennent semblables, sans identité…), un peu comme dans Lost in Translation.
Je ne crois pas qu’elle plaide pour le voyage en solitaire, d’ailleurs elle embarque son fils en voyage. Je dirais plutôt qu’elle a grandi, la transhumance familiale l’été c’est fini ; elle ne veut plus s’embarrasser des projets et des envies de voyage des autres, tout simplement.
C’était le point de départ de mon livre. J’ai dévoré, un été, des tonnes de recueils de nouvellistes contemporains, surtout américains, dont les héros étaient plongés dans des pays en guerre ou des contextes très difficiles.
Je trouvais très peu de femmes dans ces histoires : j’ai pensé aux amies, aux collègues (femmes) croisées un peu partout dans le monde, qui voyagent, dans des conditions parfois très compliquées. J’ai pensé que peu de livres en parlaient, que c’était assez injuste, et le sujet me tenait à cœur.
Bien sûr il y a de grandes voyageuses, des Ella Maillart ou des Florence Arthaud, mais on sait moins à quel point le départ, c’est aussi le quotidien de femmes « ordinaires », qui composent avec une vie nomade et des départs incessants.
La place des femmes, pour beaucoup, a longtemps été (est encore pour certains) celle de Pénélope. C’est notre culture, nous venons de là. Et les femmes qui voyagent, y compris par nécessité professionnelle, même lorsque ce choix est accepté (en apparence souvent, car en pratique, ce n’est pas du tout évident), en gardent une sacrée dose de culpabilité si elles on des enfants. Ne pas en avoir génère aussi de la culpabilité, en tous cas des questions…
J’espère bien que non, tout le plaisir est dans l’interrogation, non ? Un bon teasing serait de dire qu’il y a la réponse à la fin du roman, mais pour être honnête….pas gagné.
Des dizaines sûrement, c’est dur d’en isoler un. Quand je peine à écrire, je lis, la lecture est vraiment à l’origine de l’envie d’écrire, pour moi en tous cas. Bon, un quand même, lu quand j’étais ado : Fictions, de Jorge Luis Borges. Cela changeait de ce que je connaissais alors (les classiques et un peu de science-fiction). J’ai tenté d’écrire du très mauvais sous-sous-Borgès à cette époque.
Quand j’ai lu La splendeur du Portugal, d’Antonio Lobo Antunes, j’ai pensé que vraiment, il avait parfaitement atteint sa cible. J’ai lu ce livre dans des conditions assez incroyables, dans un village kenyan, la nuit, à la bougie, je l’ai dévoré. J’étais très admirative, cela correspondait exactement à mon envie d’écrire de l’époque, sur le fond et la forme.
Le livre je ne sais pas, mais des auteurs oui, Georges Perec, Henri Michaux, Fernando Pessoa, Virginia Woolf, Italo Calvino.
J’ai un problème personnel avec Ulysse de James Joyce. Certains de mes proches admirent énormément ce livre, alors vraiment j’ai essayé plusieurs fois, je n’y suis jamais arrivée. J’ai du mal à voir plus qu’un exercice de style malin et érudit – mais je crois sur parole tous ceux qui m’expliquent pourquoi ce livre a changé la face du monde et la littérature. Je réessaierai, peut-être. (En fait, je n’ai pas honte du tout.)
Insomnies, de John Cheever. Cheever est un formidable portraitiste, et il a un humour dingue. Il est meilleur à mon avis en nouvelles qu’en roman. Il a un vrai don pour croquer ses contemporains (les années 60, des familles américaines aisées avec l’abri antiatomique au fond du jardin…) et en même temps, on se reconnaît forcément (ou sa belle-mère, ou ses voisins). Quand je lis Cheever, je ris toute seule, je passe pour une dingue dans les cafés.
« On lit ce qu’on veut, on écrit ce qu’on peut. »
Je crois que c’est de Jorge Luis Borges, qui à mon avis a plutôt réussi à écrire ce qu’il voulait. Mais je trouve cette phrase très rassurante. Surtout quand on s’efforce d’écrire !
En ce moment j’avance dans l’écriture d’un roman, cela me rend monomaniaque : je lis, mais je pioche en librairie ou chez moi tout ce qui pour une raison ou une autre (parfois franchement ténue) me semble avoir un lien avec le livre en cours. Donc là, c’est, en vrac sur ma table de chevet : Au pays des mensonges d’Etgar Keret (un auteur israélien que j’adore), Sur la photo de Marie-Hélène Lafon, L`Acacia de Claude Simon, De petits incendies de David Means, Anchise de Maryline Desbiolles, Le temps vieillit vite de Antonio Tabucchi.
Si si, il faut bien chercher mais il y a un lien.
Chrisitine Avel présente son nouveau roman, "Ici seulement nous sommes uniques", édité à l'occasion de la rentrée littéraire ! Une île grecque pendant l?été. Il y a les adultes : des archéologues venus du monde entier, des scientifiques un peu farfelus, obsédés par ce chantier sur lequel ils travaillent depuis longtemps. À côté d?eux, il y a leurs enfants qui se retrouvent là, chaque année, pour deux ou trois mois. Leur monde est minuscule : un coin d?île aride, une maison cernée d?un jardin luxuriant, une crique où plonger. Un frère et une soeur mènent la bande. Pendant l?été, pour eux, le reste de la terre n?existe plus. Leur domaine se limite à quelques arpents d?eau profonde et de terre rouge contenus par deux sentiers et une frange rocheuse incisant la baie. Ici, seulement, ils se sentent vivre et vivent ardemment leur adolescence. À mesure que le chantier s?agrandit et connaît son heure de gloire, les enfants deviennent grands, puis s?éloignent. Un roman poétique sur l?adolescence et ses éblouissements. Auteur de romans au Seuil et au Dilettante, Christine Avel est spécialiste du développement dans les pays du Sud. Elle vit et travaille à Paris. La fiche du livre : http://www.buchetchastel.fr/ici-seulement-nous-sommes-uniques-christine-avel-9782283032916 © Libella, Éditions Buchet/Chastel 2019 Production exécutive : Resonance Films
Charles Baudelaire :