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EAN : 9782330081966
528 pages
Actes Sud (06/09/2017)
3.96/5   105 notes
Résumé :
Brandebourg, thriller rural situé dans la région homonyme, au sein d’un village de l’ex-rda, a 70 kilometres de Berlin, dynamite et renouvelle le roman de terroir. Entouré de grands champs de blé, le village d’Unterleuten a connu le regroupement des terres en coopératives d’État et, apres l’effondrement de la rda, les démarches compliquées de la restitution des biens collectivisés. A l’été 2010, un projet de parc éolien menace la paix de la petite commune ou des Ber... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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« Brandebourg » est un roman intéressant dont il serait dommage de se priver. L'histoire se déroule dans une campagne riante autrefois située en RDA qui a gardé de son passé récent l'idée que seul l'immobilisme pouvait éviter de réveiller les tragédies. Mais Berlin est proche et des néo-ruraux s'installent pour profiter des joies champêtres tout en ignorant -en bons citadins qu'ils sont restés- des voisins qui les indiffèrent.
Lorsqu'un parc éolien choisit ce patelin de 200 âmes pour s'y installer, les nouveaux arrivants, inconscients des forces en présence, vont ébranler le modus vivendi du village pour défendre leurs intérêts particuliers.
Les voix des habitants, qui se succèdent et se répondent, vont exprimer cet ébranlement, chacun en charge de sa vérité propre, ce qui permet au roman de se déployer sans manichéisme. Si la mise en place des différentes instances narratives est assez laborieuse, l'autrice garde la main grâce à un humour d'autant plus présent qu'elle se représente dans un certain nombre de personnages pas franchement sympathiques, dont un auteur raté et une éleveuse de chevaux (ce qu'est effectivement Juli Zeh) parfaitement amorale.
Quant à l'équilibre mis à mal, il se reformera et l'épilogue fait irrésistiblement penser au « Guépard » de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
Mais cette fresque rurale et sociale n'est pas exempte de défauts et on pourrait même dire, pour se mettre au diapason d'un style souvent clichetonneux, qu'elle chausse de gros sabots.
Déjà, si les 150 premières pages sont aussi pesantes, ce n'est pas seulement parce qu'il s'agit pour le lecteur de faire connaissance avec de multiples personnages dont les liens entre eux ne se dévoilent que progressivement. C'est surtout à cause des tartines historico-sociologico-psychologisantes qui les accompagnent. Chaque personnage arrive lesté de son background dont rien ne sera épargné au lecteur. Et comme si cela ne suffisait pas, Juli Zeh marie la symbolique avec une force d'évidence dont on se passerait bien: le communiste est maigre, le capitaliste gras; quant à la vengeance finale, on n'ose imaginer plus allégorique.
Et surtout, tous les personnages sont de grands sentencieux, qui passent leur temps à nous balancer leur conception de la vie, à laquelle s'ajoute, pour faire bonne mesure, la conception qu'a l'autrice de la littérature. « Plus j'en apprenais, plus l'histoire me faisait penser au jouet préféré de mon enfance, un kaléidoscope rouge dans lequel on voyait un motif fait de minuscules perles multicolores. On tournait un peu, et tout avait l'air différent. » ou bien « chacun habite son propre univers dans lequel il a raison du matin au soir. » Mon dieu que c'est original tout cela. Sans doute le concepteur de jeux vidéos est-il le personnage qui exprime le mieux la philosophie de ce roman : soit des personnages archétypaux mis les uns en présence des autres dont la rencontre ne peut générer qu'un nombre limité de réactions, dans une forme exacerbée de causalité loin de l'ambiguïté fondamentale du vivant.
Dans « Brandebourg », l'amoureuse des livres est légiste: or, lire a moins à voir avec la dissection qu'avec le vampirisme. Un roman doit pouvoir se nourrir des rêves et des interrogations de ses lecteurs -et c'est cette liberté-là que Zeh ne semble pas décidée à nous donner.
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A une heure de route de là, Berlin semble déjà être dans un autre monde. Dans un autre siècle aussi. le vingt-et-unième est aux prises avec les problématiques de l'impact néfaste de l'homme sur son environnement et des énergies qu'on voudrait renouvelables. On s'y inquiète de la disparition des espèces animales dans le monde réel et on bâtit, à renfort d'algorithmes, des univers virtuels pour que les joueurs expérimentent, sans fatigue ni douleur, les joies du travail des champs. A une heure de route de ce monde, donc, est un village comme tant d'autres dans l'ex-Allemagne de l'est, Unterleuten, littéralement "parmi les gens", dont le nom sonne comme un double programme : pour le lecteur, il signifie une immersion totale dans l'été de gens ordinaires ; pour les personnages, il annonce une lutte entre égaux, entre l'individu et la collectivité. Entre planification écologique et protection de la nature, entre hausse du prix du foncier et vieilles histoires à solder comme des relents immondes de l'histoire politique récente, Brandebourg sonne comme un roman social de première importance qui impressionne par sa simplicité apparente et par les thèmes multiples qu'il propose. Histoire d'un territoire - l'ex-RDA - marqué par quarante ans de communisme, Brandebourg aborde aussi des thématiques pleinement contemporaines comme l'aménagement du territoire à l'heure de la transition écologique ou de l'identité des territoires. Mettant en oeuvre un panorama social de la société allemande, Juli Zeh interroge aussi les notions de vérité et de récit commun, usant de la force du roman choral pour proposer au lecteur une diversité des points de vue.

Il y a sans doute chez Juli Zeh un peu d'Aurélien Bellanger et de Nicolas Mathieu dans cette capacité à faire voir à la fois le lien social complexe et puissant à l'oeuvre dans ce coin reculé de l'Allemagne, ainsi que dans cette aptitude à montrer les dynamiques, souvent opposées, qui agitent les corps sociaux. Juli Zeh choisit de placer l'action de son roman dans un village imaginaire de l'ex-Allemagne de l'est, dénommé Unterleuten. C'est un petit bourg rural qui vit au gré des saisons agricoles et aussi des migrations d'oiseaux. Car le territoire du village accueille, année après année, les populations raréfiées de combattants variés, une espèce d'oiseau menacée, pour lesquels on se presse depuis toute l'Europe. Certains de ses habitants ont toujours vécu là : Gombroski, patron de l'Ökologica SARL, la plus grande entreprise agricole des environs, son épouse Elena et ses employés dont Betty, sa secrétaire ; Kron, ennemi juré de Gombroski dont les avis et les colères sont redoutés dans le village ; Arne, le maire, qui voit dans l'Ökologica SARL un moyen de développement pour le village ; Bodo Schaller, mécanicien patibulaire et qui, a la suite d'un accident a perdu la mémoire ; Hilde, la veuve aux chats, pour laquelle Gombroski semble avoir des sentiments ; Kathrin, la fille de Kron, médecin légiste à Berlin qui vit là avec son mari Wolfi et son espiègle de fille Krönchen. Y vivent aussi de nouveaux venus, Berlinois pour la plupart : Gerhard Fließ, membre de la Ligue de protection des oiseaux, sa femme Jule, de vingt ans sa cadette et leur fille Sophie ; Linda Franzen, éleveuse de chevaux, déterminée à bâtir sa future entreprise, et son compagnon Frederik Wachs, nerd et développeur de jeux vidéos aboulique. Vient même Konrad Meiler, un businessman bavarois qui a racheté il y a peu plusieurs centaines d'hectares sur le territoire de la commune. L'événement qui va déclencher la dynamique du roman tient en l'annonce de l'installation d'un parc éolien, dans le cadre de la transformation énergétique et écologique de la région et du pays. Rivalités anciennes et nouvelles se font jour, et vont sérieusement faire tanguer l'équilibre du village. Des logiques contraires entrent en collision et provoquent de profonds bouleversements dans Unterleuten. Protecteurs des oiseaux contre partisans du développement économique du village, pro et anti éolien, préservation du cadre bucolique contre volonté d'entrer de plain-pied dans le siècle nouveau, sans compter les ambitions personnelles des un(e)s et des autres, Juli Zeh explore à fond les mécanismes à l'oeuvre, usant d'Unterleuten comme d'un laboratoire et de ses personnages comme d'une galerie sociale représentative de notre société contemporaine balancée entre l'égoïsme de la recherche du confort personnel et la conscience collective, sociale et écologique d'un monde à protéger.

Première leçon de ce roman : L Histoire compte, au sens de la science historique, ou plutôt de la micro-histoire, qui s'intéresse aux hommes et à leurs relations, à leur manière de vive et d'aborder leur environnement social et politique. Unterleuten était situé dans l'ex-Allemagne de l'est, sous idéologie communiste durant quarante ans. La chute du Mur en 1989 n'a pas effacé les rancoeurs qui ont pu naître durant ces années. La première d'entre elle concerne la collectivisation des moyens de production, qui a rebattu les cartes dans un village brandebourgeois historiquement sous domination des junkers, ces vastes propriétaires terriens. Gombroski est issu de l'une de ces familles. Les terres de ses aïeux ont été redistribuées aux habitants de la région, faisant table rase de l'Histoire. Une inimitié certaine est née à cette époque entre Gombroski et Kron, l'un voyant en l'autre l'exploiteur de tous ses congénères, l'autre voyant en l'un le profiteur d'une situation historique inédite et profondément injuste. Après la chute du Mur, Gombroski a oeuvré pour recouvrer ses terres et, à la suite d'une manoeuvre que personne ne saurait situer honnêtement sur l'échelle de la bonne foi, est redevenu le personnage économique dominant de la région. D'autres éléments marquants de cette époque révolue demeurent. Ainsi l'on apprend que nombreux sont ceux qui ont quitté le village à la réunification ; d'aucuns y ont vu la marque de l'infamie, celle de la collaboration avec le pouvoir politique. Mais ceux et celles qui, comme Kron ou l'épouse décédée d'Arne Seidel, ont été au service du pouvoir sont demeurés à Unterleuten. le village est certes allemand, mais son identité est profondément restée à l'est. Ce vécu commun est aussi au coeur d'une fracture dans le village entre les anciens et les nouveaux habitants, et les inimitiés bien réelles, et fondées sur de véritables conflits - l'opposition d'un demi-siècle entre Kron et Gombroski, la mort accidentelle d'Erik, époux de Hilde et collègue de Kron qu'on impute facilement à Gombroski - participent d'un imaginaire collectif à Unterleuten, dont les nouveaux habitants s'emparent.

Pourtant, la RDA n'est qu'une toile de fond pour Brandebourg. le vrai sujet est contemporain. Il est question d'aménagement du territoire à travers la question énergétique et écologique, avec l'installation prévue d'éoliennes. La question, Juli Zeh le démontre avec ce roman, dépasse les catégories classiques et bouleverse les équilibres du village. Car chacun, en réalité, défend ses intérêts propres et doit trouver des alliances pour défendre sa position. Un exemple est particulièrement intéressant, celui de Gerhard Fließ. Cet universitaire berlinois dirige la section locale de la Ligue de protection des oiseaux. A ce titre, il s'oppose à la délivrance d'un permis de construire pour les clôtures que Linda Franzen veut mette en place pour accueillir ses chevaux. Cependant, les éoliennes lui posent un problème cornélien. Symbole des énergies renouvelables, essentielle d'un point de vue écologique, elles menacent pourtant de bouleverser l'écosystème des fameux combattants variés, qui ont trouvé un refuge à Unterleuten. Pourtant, Fließ finit par donner son accord. Rien de bien idéologique là-dedans : c'est pour garantir la paix sociale à son épouse Jule qu'il accepte, alors même que, sur le plan personnel, son confort de vie - notamment en termes de vue sur la campagne environnante - l'aurait conforté dans son refus. Il y a, dans la position de Gerhard Fließ, quelque chose qui tient tant de la mise en oeuvre pratique de convictions idéologiques que d'un besoin quasi enfantin d'être reconnu comme leader, et c'est pourtant une troisième voie - l'amour qu'il porte a sa femme - qui va s'imposer à lui. Pour lui comme pour les autres habitants de la commune, la position face à l'implantation des éoliennes résulte d'éléments multiples qui dépendent de l'histoire de l'individu, de sa position sociale supposée et de facteurs très intimes. Ainsi de Kron, dont la position finale va, elle aussi, dépendre d'éléments extrêmement personnels, à savoir son dévouement absolu à sa fille et à sa petite-fille. Ainsi de Gombroski, qui se range du côté des pro-éoliennes, parce que, espérant les avoir sur un terrain lui appartenant, il songe aux retombées économiques pour le village et surtout pour son entreprise et sa future dirigeante, Betty. Ainsi de Linda Franzen, dont la possession de deux petits hectares va lui permettre de jouer un rôle particulièrement important, et surtout de lui laisser fomenter un plan tout à fait rationnel pour mener à bien ses projets personnels : l'accueil de chevaux et notamment du sien, dénommé Bergamotte. Même le bavarois Konrad Meiler a une excellente raison - en lien avec son fils Philip, toxicomane en détox -, bien que parfaitement étrangère à Unterleuten, pour être d'accord avec l'implantation des éoliennes. Une chose est sûre, nous dit Juli Zeh : personne ne gagne complètement. Des dégâts sont à craindre, et la fin du roman nous le prouve assez : familles brisées, corps éprouvés et blessés, chute de certains dans l'échelle sociale d'Unterleuten.

La modification attendue du paysage d'Unterleuten symbolise une transformation plus en profondeur du village. On l'a dit, L Histoire récente, sur fond de Guerre froide, a bâti l'identité de la commune. Mais cette identité change ; en témoignent les nouveaux habitants, dont les modes de vie conviennent au vingt-et-unième siècle. Linda Franzen, par exemple, parcourt la large campagne environnante pour prendre soin des chevaux qu'on lui confie. Frederik, son compagnon, s'en va régulièrement à Berlin pour travailler dans l'entreprise tech de son frère. Jule songe encore à l'anonymat de Kreuzberg quand Gerhard est enfin heureux de mettre en pratique ses positions radicales universitaires. Une question se pose : ces nouveaux habitants sont-ils autant d'Unterleuten que les anciens ? Quelle est leur légitimité à débattre de l'implantation d'éoliennes, ou bien à juger de l'importance qu'a le village à tout mettre en oeuvre pour conserver l'Ökologica SARL, ou encore, pourquoi pas, comme semble le penser Linda Franzen, à songer à diriger un jour la mairie ? En réalité, ces questions ne se posent pas vraiment. Plutôt, leurs réponses dépendent, là encore, de chaque individu. A Gerhard et Linda, très investis dans la bataille des éoliennes, répondent les détachés Jule et Frederik. Ce dernier, toutefois, finira par s'approprier Unterleuten, en imaginant retranscrire en code informatique ludique la situation de conflit social d'Unterleuten. D'une certaine manière, l'investissement culturel d'un lieu ne dépend pas tant de la volonté qu'ont les individus à s'emparer des sujets qui font sens dans ce lieu, mais plutôt de la simple présence de ces individus dans ce lieu. En d'autres termes, être présent, c'est agir. Refuser d'agir, de s'investir, c'est agir aussi, en prenant position, d'une certaine manière, pour la partie dominante. En plus court encore : qui ne dit mot consent.

On en vient alors à la conclusion que tout est politique : la réunion de quartier comme la lettre écrite au nom d'une association, la prise de position comme l'absence de prise de position, les silences comme les actes. Il aura fallu à Juli Zeh tout une galerie de personnages, décrits plus haut, pour parvenir à faire le tableau d'une société allemande - et au-delà, car nos sociétés contemporaines sont semblables - traversée par les aspirations d'une époque - l'écologie, la transition énergétique, la protection de l'environnement - et les logiques individualistes. Ces dernières, d'ailleurs, tirent leur épingle du jeu, par rapport à l'intérêt collectif. Kron en vient à cette conclusion, désabusé d'ailleurs, car cela revient à remettre en cause une grande partie de sa vie et de ses engagements politiques, que nager contre le courant ne sert à rien. Mieux vaut, dans sa barque, tâcher de diriger celle-ci sur les flots de la manière la plus rusée qui soit. Cela semble être aussi la position de Juli Zeh, elle qui a choisi le roman choral comme forme pour Brandebourg, comme pour indiquer la prééminence de l'individu, l'absolue nécessité de bénéficier des points de vue strictement individuels pour tenter de comprendre comment le commun se construit. II s'agit aussi de dégager un semblant de vérité, si tant est que ce mot ait un sens quelconque.

En effet, la question de l'identité se fonde notamment sur des récits communs, qui n'ont de valeur que s'ils ont un sens pour le plus grand nombre. Ici, à Unterleuten, c'est principalement autour de la rivalité entre Gombroski et Kron qu'a été bâti le récit commun, partagé par les anciens comme par les nouveaux habitants. Rivalité dont l'acmé fut la mort d'Erik, le mari de Hilde, sur fond de conflit à propos de la création de l'Ökologica SARL et, donc, de la possession non plus collective, mais individuelle, des terres d'Unterleuten. Personne, en réalité, sinon Gombroski et Kron, ne connaît la vérité, et chacun a trouvé son intérêt dans le fait de ne pas la révéler publiquement. Kron y conservait son intégrité et son intransigeance morale, y gagnait une réputation de martyre que sa jambe blessée rappelait à chacun. Gombroski obtenait le statut d'innocent et de tout-puissant, maître de fait d'Unterleuten, qui s'accommodait d'une solitude accentuée, peu à peu, par le départ de sa fille, de son épouse, de son chien, de son aimée enfin. le récit originel d'Unterleuten, alors, est une fiction, puisque basé sur les rumeurs, les on-dit, les racontars, et enfin les intérêts individuels, qu'on pourrait qualifier de politique en ce qu'ils servent à définir un rôle et un statut dans une communauté d'hommes et de femmes. L'intégration des nouveaux habitants passe notamment par l'adhésion à ce récit. Rien d'étonnant à ce que Jule, Frederik et Linda se sentent marginalisés dans ce village ; les vieilles histoires ne les intéressant pas. Gerhard en revanche, dans sa quête d'être un authentique villageois, intègre pleinement le récit de la lutte fratricide entre le junker et le paysan, entre le capitaliste et le communiste. Mieux, il invente de nouvelles ramifications, fait de Gombroski un assassin et de Kron un saint taiseux, sur fond d'enlèvement d'enfant. Pour lui, comme pour d'autres - les apôtres de Kron -, ce récit devient vérité, en ce qu'il légitime l'action. Unterleuten apparaît donc comme l'un de ces romans, à la manière de Warlock, d'Oakley Hall, dont la puissance provient de leur capacité à décrire un microcosme politique et social et à en tirer des pistes de décryptage du monde moderne. Parmi les gens, il y a toujours à apprendre.
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Unterleuten est un village fictif (vraiment ?) du land de Brandebourg. 200 habitants, à 1h de route de Berlin. Nous sommes en 2011 et le passé de la RDA a laissé des traces dans ce bourg rural où tout semble immuable et où viennent s'installer de jeunes citadins imprégnés de la culture de l'ouest. L'annonce de l'installation d'un champ d'éoliennes va exacerber les rancoeurs du passé, les conflits entre les générations, les luttes intestines, tant au sein de la communauté qu'au coeur des familles qui la composent.

Le roman de Juli Zeh est loin d'être inintéressant. On y découvre le microcosme d'un village qui pourrait tout aussi bien être en France ou dans n'importe quel pays. Ici c'est le passé d'un pays qui fut coupé en deux, et tout ce qu'il implique pour la vie sociale, économique et culturelle, qui servent de support à ce récit où les préoccupations du futur et le progrès viennent bousculer l'ordre établi.

Après la chute du mur il a fallu s'adapter à l'arrivée du capitalisme et des ces jeunes urbains qui ne connaissent pas les règles en vigueur dans cette communauté et vont vouloir les remplacer par de nouvelles. Là où règne la solidarité, le troc, le sens du service rendu, mais aussi les rancoeurs et jalousies du passé et la mémoire de la Stasi, les jeunes arrivent avec leur individualisme et la défense des intérêts personnels versus ceux du collectif. Face à l'attachement à la terre, à la commune, il y a la satisfaction d'un besoin individuel.

Il n'y a aucun manichéisme dans le propos de l'auteur. le récit est choral. Chaque partie est découpée en chapitres où, chacun à son tour, 11 personnages participent à la construction de l'histoire. Nous sommes à chaque fois dans la tête de l'un d'eux, assistant à ses réflexions personnelles entrecoupées de quelques dialogues. le récit est long à s'installer : 150 pages pour présenter les personnages et où il ne se passe pas grand-chose. le récit progresse de façon chronologique avec quelques flashbacks. Chacun a ses raisons, toujours bonnes pour celui ou celle qui les expose, pour accepter ou refuser les éoliennes, pour justifier de ses actes, de ses positions.

Le roman se présente comme un mélange de portrait sociologique d'un écosystème et de polar rural. Toutes ces personnalités bien marquées (parfois un peu stéréotypées) ont une histoire (parfois trop longuement développée), un contexte, un profil psychologique différent. Cela permet à l'auteure de développer les enjeux politiques, économiques, écologiques et sociaux de tout ce qui se joue autour de ces éoliennes, et pour certains d'envisager de régler enfin les comptes d'un passé dont un secret mine la communauté. Juli Zeh met en avant les contradictions à tous les niveaux avec une bonne analyse psychologique. Les générations s'opposent tout comme les deux fortes têtes du village.

« Unterleuten » signifie « parmi les gens ». C'est exactement là que nous place ce roman : au milieu d'êtres humains des années 2010, avec leurs peurs et leurs envies, leur passé et leurs espoirs, pour eux et pour leurs enfants. Des gens comme on en trouve partout dans le monde.

Il ne manque pas grand-chose pour en faire un roman passionnant. Peut-être un style un peu moins lourd, un peu moins de leçon de philosophie, un peu plus de rythme.

Au final une lecture intéressante mais ralentie par la lourdeur du style qui ralenti la lecture et empêche d'être en empathie avec n'importe lequel de ces onze personnages (ceci dit certains sont ignobles).
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J'avais beaucoup aimé l'écriture de Julie Zeh dans "Nouvel an" et c'est avec plaisir que j'ai lu "Brandebourg" paru chez Actes Sud en 2017.
Changement de décor, nous sommes dans l'Allemagne réunifiée et dans un village où tout est statique aussi bien dans les vieilles rancoeurs que dans l'organisation de la société, bancale peut-être mais ça marche.
Arrivent de Berlin des néo-ruraux, des couples jeunes qui veulent refaire le monde, avec rouerie ou naïveté, en tous cas sans trop de jugeote.
Quand arrive la question de l'implantation de futures éoliennes, se déclenche une guerre picrocholine qui laissera le village exsangue.
Dans ces 500p sont traités tous les sujets qu'exige cette trame : la ruralité, la rancune, l'écologie dans ses bons côtés et les autres plus funestes, le vivre-ensemble entre générations, et j'en oublie. C'est un roman absolument passionnant, bien traduit par Rose Labourie. J'en redemande.
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Un village allemand se déchire à propos d'un projet d'éoliennes, sur fond de rancunes héritées de l'ex-RDA.
Quiconque a déjà eu l'expérience du mode de vie dans un patelin de deux cents habitants, reconnaîtra tous les personnages : le type dont le terrain ressemble à une casse de bagnoles, le gars qui vit dans un tipi et marche pieds nus hiver comme été, les néo-ruraux qui se mettent en tête d'élever des chevaux, le gros bonnet qui possède la moitié des terres… ils sont tous là, à Unterleuten.
Seule différence avec la Bretagne (je dis ça au hasard) profonde, nous sommes dans l'ex-RDA.
Le démarrage de ce roman est laborieux : il faut à Juli Zeh 150 pages pour présenter tout le monde ; 150 pages de descriptions de tous ces archétypes, et du réseau de liens entre eux. Et pendant ces 150 pages il ne se passe rien. Enfin si, mais comme chaque chapitre se déroule dans la tête d'un personnage différent, on a l'impression de redémarrer de zéro à chaque fois.
L'intrigue ensuite est intéressante, mais lente. La personnalité de chaque habitant du village, son passé, sa position au sujet des éoliennes sont si détaillés que j'avoue avoir sauté quelques passages.
En bref une lecture pas désagréable, l'écriture est efficace et il y a du contenu, mais ces 516 pages ne parviennent pas, hélas, à être captivantes.
Bonne traduction de Rose Labourie, malgré quelques maladresses.
Challenge ABC 2022/2023
LC thématique de novembre 2022 : "Videz vos PAL !"
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critiques presse (2)
LaCroix
22 septembre 2017
À travers l’aventure microcosmique d’un village, la romancière allemande Juli Zeh embrasse les grandes questions qui agitent son pays aujourd’hui, et plus largement notre société occidentale.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
08 septembre 2017
Avec « Brandebourg », la romancière allemande propose une critique féroce de notre temps à travers l’histoire d’un Clochemerle en ex-RDA.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Le passage du temps nous transforme en nos propres pères et mères, songea-t-il [Kron] Tous les visages avaient conservé avec précision l'empreinte de l'enfant d'autrefois. Chez certains, le visage d'adulte semblait suspendu comme un mince voile devant la bouille enfantine. Quand on voulait savoir ce qu'un homme pensait et ressentait, il suffisait d'imaginer à quoi il ressemblait quand il était enfant, et tout une vie intérieure se faisait jour.
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Linda déclarait volontiers que quelque chose lui cassait les couilles, les burnes ou les roubignoles. Frédérik avait renoncé à lui expliquer qu’elle n’était biologiquement pas équipée pour ce type d’expressions.
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En un sens, c’était de l’art. Des arias de l’indignation, des symphonies d’accusations, des balades de revendications. Kron restait confortablement assis dans son fauteuil comme le système l’attendait de lui, à regarder les candidats à la chancellerie, les leaders de l’opposition et les porte-parole du gouvernement faire leurs effets de manche. Tout le monde regardait. Le citoyen-consommateur regardait les journalistes qui regardaient les politiques qui regardaient l’économie tourner et les catastrophes advenir
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p. 362 Arne se fit la réflexion que les sentiments n’avaient peut-être pas la même durée de vie que les gens. A partir d’un certain âge, les couples vivaient ensemble comme en colocation, quand ils n’étaient pas séparés depuis longtemps. Parents et enfants arrêtaient d’avoir de l’affection les uns pour les autres, mais continuaient quand même à se rendre visite et étaient soulagés de se séparer à nouveau. Les amis se perdaient de vue, les voisins se transformaient en ennemis. Les amours devenaient un poids, les vieux camarades de classe une plaie, et même les animaux de compagnie se mettaient à vous taper sur le système. Arès les passions de la jeunesse, il convenait d’aborder la vie avec froideur et pragmatisme. Arne finit par conclure que c’était dans l’ordre des choses, même si on en parlait rarement. Pas de quoi devenir fleur bleue.
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p ; 293 Elle aimait les livres, en particulier les romans, et parmi les romans surtout les gros. Dans tous les livre que Kathrin connaissait, le monde était merveilleusement ordonné. Même quand la vie des personnages tournait à la catastrophe, même quand on peinait et souffrait dans toutes les règles de l’art, la peine et la souffrance avaient toujours une bonne raison d’être, et quand elles n’en n’avaient pas, elles avaient au moins un contexte et par conséquent un sens. Dès sont enfance, Kathrin avait compris que seul l’homme était capable d’instaurer de l’ordre et qu’il fallait de l’ordre pour produire du sens. Dans la vie, les premiers à mettre de l’ordre et donner du sens étaient les parents. Mais quand les parents laissaient tomber leur enfant et fuyaient le communisme pour le capitalisme, ou quand ils s’épuisaient à protéger le communisme moribond du capitalisme, c’était aux livres de prendre le relais. Pour Kathrin, la lecteur était une forme d’autodéfense face à l’absurdité et au chaos.[…]Désormais, elle lisait par que Kron était retombé en phase d’opposition et que Krönchen n’en sortait pas, et parce que son métier lui montrait chaque jour que sur cette terre on vivait, souffrait et mourait dans l’arbitraire le plus total.
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Videos de Juli Zeh (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Juli Zeh
Juli Zeh parle de son nouveau roman *Brandebourg*
L E S I T E ?? http://www.actes-sud.fr/brandebourg/
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