Marcel Pagnol a adapté quatre fois
Jean Giono (quatre chefs-d'oeuvre, je ne vous apprends rien), mais il a adapté aussi d'autres auteurs, dont
Guy de Maupassant (« le rosier de madame Husson », réalisé par
Jean-Boyer - 1950) ou
Alexandre Dumas fils (« La Dame aux camélias » réalisé par François Gyr pour la TV - 1962) et à deux reprises il a adapté
Alphonse Daudet : «
Tartarin de Tarascon » , réalisé par Raymond Bernard en 1934, avec Raimu, et surtout «
Quatre lettres de mon moulin » (quatre films de moyen métrage tournés en 1954, auxquels se rajoutent un téléfilm en 1967)
Dans toutes ces adaptations,
Pagnol se montre à la fois respectueux de l'oeuvre originale, et soucieux d'apporter sa marque personnelle, cette sorte d'appropriation optimiste et colorée qui le caractérise : ce n'est plus tout à fait du
Giono, ou du Daudet, c'est du
Giono ou du Daudet revu par
Pagnol, revu et non pas trahi, il est important de le souligner, une oeuvre hybride donc, mais qui garde le meilleur des deux auteurs.
En 1954,
Pagnol tourne donc trois moyens métrages d'après « Les Lettre de mon moulin » : «
Les Trois messes basses », « L'Elixir du Révérend Père Gaucher » et « le Secret de Maître Cornille », accompagnés d'un « Prologue ». En 1967, il complète sa collection avec un téléfilm « le Curé de Cucugnan ».
Le « Prologue » marque la filiation de
Pagnol avec Daudet, et met l'accent (sans jeu de mots) sur l'originalité du terroir provençal et de sa culture : Les personnages appartiennent au légendaire :
Alphonse Daudet lui-même, qui vient signer chez le notaire l'achat de son moulin ; le poète provençal
Joseph Roumanille (un des phares, avec
Frédéric Mistral, du Félibrige) ; Monsieur Seguin et Maître Cornille, ainsi que d'autres personnages illustrés par
Pagnol lui-même dans ses oeuvres, comme le rémouleur, le boulanger ou le Curé.
Alphonse Daudet est joué par Roger Crouzet.
«
Les Trois messes basses » suit exactement de conte de Daudet.
Pagnol se contente (et nous contente aussi, par la même occasion) de broder autour de l'histoire, pour que les personnages nous mènent sans effort au coeur de l'action, grâce à un langage familier, haut en couleur, riche en intonations diverses, qui se révèle autant drôle qu'émouvant. Henri Vilbert joue Dom Balaguère. Dans le rôle du chef cuisinier, on reconnaît René Sarvil, co-auteur (avec
Vincent Scotto) des plus grands succès de l'opérette marseillaise.
« le Secret de Maître Cornille » ajoute au conte de Daudet des scènes explicatives où le personnage de Vivette, un peu plus fouillé, ajoute une spontanéité rafraîchissante à cette histoire plutôt pathétique que burlesque. C'est Edouard Delmont, un des acteurs fétiches de
Pagnol, (le Gobert de « Regain », entre autres) qui joue magistralement Maître Cornille, et la délicieuse Pierrette
Bruno est une adorable Vivette.
« L'Elixir du Révérend Père Gaucher » est tout centré autour de l'interprétation exceptionnelle de Rellys (l'Ugolin de « Manon des sources »). Si l'histoire suit fidèlement le conte,
Pagnol l'a enjolivée pour la raccrocher scénaristiquement aux autres films, ce qui donne à l'ensemble une impression d'unicité, et partant, d'authenticité.
Treize ans plus tard, pour la télévision, « le Curé de Cucugnan » vient clore la série. C'est encore le sermon du Curé qui fait l'essentiel du téléfilm, porté par la verve et le grand talent de Fernand Sardou. Là encore quelques arrangements autour de l'histoire, la présence d'
Alphonse Daudet, et un rôle un peu plus étouffé pour le meunier (joué par Jean Panisse), rattachent ce téléfilm aux autres sketches.
Dans ses projets inaboutis,
Marcel Pagnol prévoyait également d'adapter « Les étoiles », avec sa femme
Jacqueline Pagnol (« Manon des sources ») et
Georges Brassens, ainsi que «
La chèvre de Monsieur Seguin » …
On ne cite pas souvent ces «
Quatre lettres de mon moulin » au titre des chefs-d'oeuvre de
Pagnol. On a certainement tort : c'est une magnifique introduction aux oeuvres des deux auteurs (Daudet et
Pagnol) une belle leçon de littérature et de cinéma. Les enseignants trouveront un intérêt certain à faire comparer par leurs élèves le conte avec le scénario correspondant.