1er livre lu en 2024.
Passionnée par tout ce qui relève de la Seconde guerre mondiale et en particulier ce qui a trait à la Shoah, il était logique que je m'intéressasse à ce livre offert par un proche.
Si je n'ai jamais lu
Jean Anglade, je connaissais bien sûr sa réputation et la qualité de son immense production littéraire (fervent défenseur du roman populiste de terroir). Voyant le caractère par trop laudatif de sa quatrième de couverture "une oeuvre singulière resurgie du passé, un roman époustouflant", je n'ai pas douté un instant que j'y trouverais mon compte.
Eh bien, non. Quelle déception !
Le contrat de lecture de ce "roman" publié la première fois en 1963, était de donner à voir aux lecteurs quelles ont été les conditions de détention de quatre, puis trois criminels nazis, à la prison de Spandau, en Allemagne de l'Ouest, après leur jugement à Nuremberg. L'avertissement, en début d'ouvrage, précisant qu'"une ressemblance avec des personnages ayant réellement existé n'est pas purement fortuite." nous laissait croire que nous serions utilement renseignés sur la vérité historique. Pourtant, la suite de l'avertissement aurait dû me mettre la puce à l'oreille : "Toutefois, ce journal n'est qu'une variation sur un thème historique"...
C'est donc très (trop) confiante que je me suis lancée dans cette lecture qui, à vrai dire, n'est rien d'autre qu'une succession d'extraits de narrations, d'écrits de journaux intimes ou de lettres envoyées/ou reçues par les trois principaux protagonistes anonymisés et identifiés seulement par leur numéro : n°1, n°5 et n°7.
Les chapitres suivent une chronologie temporelle (les dates des jours sont bien écrites mais pas les années, d'où une réelle difficulté à suivre le passage du temps) et alternent les différents points de vues, selon qui est le narrateur qui s'exprime (n°1, n°5 ou n°7) . Parfois, le même incident est relaté par les 3 personnes, ce qui est redondant et particulièrement lourd.
Certes, on y apprend des choses méconnues (même pour une personne qui, comme moi, s'intéresse à cette période) : les conditions de l'administration pluripartite de cette prison et de ses seuls prisonniers par les Alliés (ici aussi ceux-ci sont également anonymisés par des lettres A, B, C, d'ce qui ne permet pas toujours de bien les identifier) ; les traits de caractère des prisonniers et leur positionnement au regard des événements passés, de la sentence subie et de leurs remords éventuels ; les conditions de détention desdits prisonniers, qui semblent bien dures ici (et ne semblent pas correspondre à ce qui est indiqué dans Wikipédia) ; l'état d'esprit des prisonniers confrontés à l'isolement, au manque de nourriture, à la désertion des proches, à l'absence d'accès à l'information et à la culture (hormis quelques livres choisis), à la quasi-absence de relations sociales. Ainsi que certains aspects de leur vie privée. Ainsi que les quelques activités manuelles ou spirituelles auxquelles ils ont pu avoir accès et leurs apports possibles dans la grisaille de leur vie quotidienne.
D'autres thèmes sont évoqués à travers leurs paroles : les notions de liberté d'être et de pensée ; la religion : ses apports ou ses manques ; les valeurs inculquées par l'éducation ; la prééminence d'une "race supérieure" sur les autres races ; les besoins intellectuels, spirituels ou encore sexuels des prisonniers ; les déboires conjugaux des uns et des autres (bof, bof), l'apport du contact avec la nature, etc.
Certes, pour ma part, j'ai pu assez rapidement identifier deux d'entre eux par de petits détails évoqués : la passion pour l'avion chez n°7 et les études d'architecture pour n°1. Mais, pourquoi ne pas les avoir nommés ou pour le moins, avoir indiqué en notes de bas de page qui était qui ? Pourquoi ne pas avoir précisé ce qui relevait de l'administration française, anglaise, américaine ou russe ? Peur d'être attaqué en diffamation ?
Bref, tout cela est fort flou (et assez confus) et je m'attendais, franchement, à plus de rigueur historique de la part d'un auteur comme
Jean Anglade. Et puis, on a le sentiment diffus de ne jamais entrer au fond du problème : on reste à la surface des choses, même si parfois, des propos intimes, je dirais plus philosophiques, semblent émerger. Rien n'est jamais dit sur ce qu'ils ont fait depuis l'avènement d'Hitler au pouvoir et pendant la guerre. Rien n'est dit sur leur niveau de responsabilité. Rien n'est dit sur les millions de Juifs exterminés de façon méthodique et efficace. Sur la façon dont ils ont pu vivre leur procès ; sur leurs remords éventuels (Si l'un a reconnu ses torts (n°1), les deux autres, eux, semblent rester "droits dans leurs bottes". Anglade les présente un peu comme des détenus lambdas, victimes d'un système inique qui les aurait broyés injustement et totalement sourd à leurs demandes d'être plus respectés. Et même, la demande d'une amnistie revient, lancinante, tout au long des pages.
Anglade polarise l'ensemble de son propos sur des aspects quotidiens matériels insignifiants, alors qu'il y aurait eu tant à dire...
Et c'est, je crois, ce qui m'a le plus gênée dans cette lecture. On ne sait pas vraiment ce qui relève de la vérité vraie et de la fiction. Quid de la part de la parole des trois concernés et celle de la parole de l'auteur ? Aucun avertissement ne nous indique le travail de documentation qu'a effectué l'auteur, ni les sources des documents retrouvés. En même temps, il est dit que les écrits ne devaient pas être conservés (on se demande donc sur la base de quoi il peut écrire ce qu'il écrit).
Du coup, il y a des phrases qui, franchement, m'ont fait bondir. A la limite, je peux tolérer qu'elles aient été dites ou écrites par l'un des trois protagonistes, mais comme on est dans le flou sur la véracité des propos tenus, on se demande s'il n'y a pas, de la part d'Anglade, une tentative de réhabilitation desdits criminels.
Et puis, il y a la fin du roman qui n'en est pas une. La dernière page se termine sur un propos du n°1 (évoquant l'amnistie) mais qui n'est en aucun cas une conclusion. On dirait une fin bâclée !
Néanmoins, ce livre a eu le mérite de me permettre de m'intéresser à ce pan de l'Histoire que j'ignorais. A peine fermé, je suis allée sur Wikipédia et j'en ai appris beaucoup plus (mais vraiment plus) sur les sept prisonniers qu'a accueilli la prison de Spandau et leur devenir. Et si je veux explorer plus avant, j'ai accès à une bibliographie détaillée.
Attention, spoiler :
Pour celles et ceux qui cherchent qui se cachent derrière ces numéros, j'ai fait les recherches pour vous :
n°1 =
Albert Speer
n°5 = Baldur von Schirach
n°6 = Walter Funk
n°7 =
Rudolf Hess