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EAN : 9782246815891
256 pages
Grasset (14/03/2018)
4.18/5   344 notes
Résumé :
"J'ai neuf ans. Un dimanche de mai, je rentre seule de la fête de l'école, un monsieur me suit. Un jour blanc. Après, la confusion. Année après année, avancer dans la nuit. Quand on n'a pas les mots, on se tait, on s'enferme, on s'éteint, alors les mots, je les ai cherchés. Longtemps. Et de mots en mots, je me suis mise à écrire. Je suis partie du dimanche de mai et j'ai traversé mon passé, j'ai confronté les faits, et phrase après phrase, j'ai épuisé la violence à ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (96) Voir plus Ajouter une critique
4,18

sur 344 notes
Avant tout, remercier Netgalley et les Éditions Grasset pour l'envoi de ce témoignage.
Merci beaucoup.
Ensuite, préciser que je n'écris ce petit billet que pour respecter mon engagement auprès des deux associations citées plus haut…Parce que ce texte n'est pas critiquable…C'est comme pour le témoignage de Nadia Murad. On ne chronique pas la souffrance, on ne critique pas la douleur. D'autant moins qu'il s'agit du viol d'une petite fille de 9 ans…
Donc, je ne vais pas critiquer, apprécier ou tergiverser sur ce texte. Très bien écrit, soit dit en passant. Qui transmet « parfaitement » (comme si le viol d'un petit ange osait être parfait) le traumatisme, l'horreur, l'incompréhension, l'injustice d'Adélaïde. Au risque de vous choquer, au risque de perdre des amis Babeliens, je vais vous dire, rapidement, ce que je pense d'une situation pareille.
Pour moi, le viol est, de loin, le crime le plus affreux, le plus odieux qui puisse exister. Même tuer me semble « plus doux », « moins grave » que le viol. Quand un criminel tue, il efface une vie, il éteint une lumière définitivement. Irréversiblement. La vie achevée ne souffre plus. La victime s'éteint et disparait dans un néant inconnu pour les uns ou dans un éventuel paradis ignoré pour les autres. Bref, c'est fini. Switch-off. Par contre, je pense que, quand un monstre viole, il tue « à long terme ». La victime meurt tous les jours, la lumière ne brille plus même si la lampe est toujours là. La Vie n'est plus libre d'être vécue. Elle étouffe, elle s'étiole, la Vie. Dans son témoignage, le corps aussi martyrisé que l'âme, le coeur aussi tourmenté que l'esprit, Adélaïde se sent déshumanisée. Elle parle de salissure, de meurtrissure. Méduses gluantes. Médusée d'horreur. Elle souffre et se fait souffrir. Elle hurle et vomit. Elle se sent coupable (mon Dieu, mais pourquoi ?). Elle hait, se hait et n'arrive ni à aimer, ni à se laisser aimer…Restons-en là. Le chemin de croix est tellement pénible qu'on en pleure. Son courage inouï lui permettra, cependant, de renaitre plus ou moins, après l'arrestation, le procès et la condamnation de son tortionnaire.
C'est de la condamnation dont je souhaite vous parler. Toute l'horreur du crime, DES crimes d'ailleurs (il a violé en série, ce salop) mène à une peine de 18 ans de prison. MOI, JE trouve la condamnation bien légère. JE voudrais presque la peine de mort…Mais là….soudain JE BLOQUE. Désolée, PAOLA93130. On ne peut exiger d'aucun juge, qu'il prenne la responsabilité de protéger la société d'un tel salopard en l'éliminant, tout simplement. Aucun avocat ne doit demander la peine capitale pour venger la mort lente d'une petite fille de 9 ans qui ne sait même pas ce qui lui est arrivé, au fond. Aucun juré ne peut décider qu'un tel individu est indigne de vivre. Aucun bourreau officiel ne peut rayer de la surface de la terre un monstre pareil.
Non. Non à la peine de mort dans les cas de viol ! Je serais moi-même incapable d'exiger un tel châtiment à quelque magistrat que ce soit, même si ça m'arrivait à moi ou à mon enfant….Je n'exigerais jamais une chose pareille…..
………..Ce serait MOI, et MOI SEULE, qui le descendrait. En lui faisant exploser la tête d'une balle gros calibre, comme il m'aurait explosé le coeur lors de son acte odieux.
Je souhaite bon courage et beaucoup de bonheur à toutes les Adélaïdes du monde. Qu'elles puissent renaitre et être heureuses.
24/05/2018

PS. : Après un échange avec Mme Adélaïde BON, j'ai légèrement modifié mon billet. Mon opinion sur le destin des violeurs n'engage que moi.
Paola93130 - 29/05/2018
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J'écris ces lignes en pensant à un petit ange, elle en portait le nom. Angélique avait treize ans, sur les photos elle souriait à la vie jusqu'à ce que son chemin croise celui d'un pervers et meure sous les coups qu'il lui asséna après l'avoir violée.

Le drame vécu par Adélaïde Bon fait échos à celui d'Angélique et de toutes ces enfants, jeunes filles ou jeunes femmes qui se sentent salies et coupables à jamais pour avoir croisé la route d'un être immonde .

Adélaïde Bon avait 9 ans lorsqu'elle a été violée par un voisin. Elle a dû essayer de vivre avec « ses méduses », ses colères, ses rebellions d'adolescente.
Elle a mis 20 ans à se reconstruire, jusqu'à ce qu'on retrouve son agresseur qui va finalement être jugé. Une étape déterminante pour mettre un terme à ces années de souffrance.

Aujourd'hui mariée et mère de famille, la jeune femme se bat pour qu'aucune enfant ne se retrouve seule sur la banquise au milieu des méduses qui la dévorent peu à peu.

Je peine à imaginer le courage qu'il a fallu à l'auteure pour mettre des mots sur cette souffrance indicible.
« La petite fille sur la banquise » est un document magnifique et émouvant, d'une grande force d'évocation.
Ce livre permet d'ouvrir les yeux sur les souffrances subies comme une honte par des milliers d'enfants abusés.
Merci aux Editions Grasset et à NetGalley pour ce partenariat.


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Il est rare de lire un livre autobiographique de cette qualité. La qualité de l'écriture et du récit éclaire la vie d' Adélaïde Bon, en un lumineux récit, comme pour un spectacle, un éclairage qui permet de mettre en valeur l'intention de l'auteur.

Bien des écrivains, ont la certitude d'être lu, avec attention jusqu'au bout, mais cette voix si jeune et si sombre, cette douleur qui tétanise, l' écouter pour lui offrir ce joyau, votre lecture, lire ses mots tous ses mots, de "la petite Fille sur la Banquise".


Ici pour un premier roman se rendre visible, ne rien cacher d'essentiel, est une démarche qui me bouleverse. Faites comme tous ceux qui ont croisé Adélaîde, son journal, cette confession livrée à ses cahiers bleus, griffonnés pour qu'elle n'oublie pas, pour qu'elle retrouve les traces de ce jour maudit où son regard a croisé un prédateur aux yeux glacés.


"Elle n'est plus là. Elle est morte."P 12
C'est le corps qui parle, ce sont les sens qui relient la petite fille à la vie. Là haut, dans sa tête, quelqu'un a tout effacé, il ne reste qu'une douleur sans nom, une nausée, des gestes automatiques, c'est moi qui suis sale, honteuse, comment vivre ça.
C'est semblable à un deuil, la perte à 8 ans de la maman les sensations sont les mêmes, elle n'est plus là, je suis morte, incapable de dire de pleurer, dans ce no man's land, “ça flotte dit elle". page 12

Beaucoup plus tard elle dira enfin:
“Quelqu'un lui a fait du mal, quelqu'un lui a fait ce mot là. Et si la clef c'était ce mot là .P 105”

Elle découvre qu'elle n'est pas seule qu'il faut se battre, que le corps a quelque chose de si précieux.
Toutes les peurs, toutes les angoisses s'incrustent dans la peau.


Une fois ouvert le chemin de sa rédemption, le procès, la naissance de son premier enfant, Adélaïde Bon nous immerge dans le dédale de la réalité de la condition féminine, non pas celle des comptes dorés, mais celle des violences que subissent les femmes. Fossé d'incompréhension ou manque d'information, le chemin qui mènera les hommes à respecter enfin le corps des femmes semble si abyssal.


Témoigner, devient sa litanie elle écrit page 246, "sans nos témoignages tremblants, nos voix qui se rompent, nos visages tirés de larmes contenues, sans nous, l'horreur du crime s'estompe et le criminel triomphe".

Le sentier est encore long, qu'importe!
"15 000 € pour le viol, on peut détruire la vie d'une femme pour le prix d'une voiture d'occasion."p 247

Dans la sinuosité de ce parcours chaotique, se cache un mari aimant, il ne comprend pas tout mais qu'importe! Il est là aussi, il est là, il la soutient même quand elle revit le drame et qu'il s'épuise de sa tendresse.

La force de ce roman est porté par cet amour, discret, efficace, démesuré.

Adélaïde n'abandonne pas, jamais les mêmes dans les ténèbres, la vie, elle luit.

Cette joie elle est capable dans les dernières pages de nous la faire partager, charnellement avec le feu d'artifice de tout son corps, à pleines dents, page 252 ," l'odeur des aiguilles de pin roulées au bout des doigts, dans mes paumes, la chaleur vibrante et moire d'une poignée de terre grasse."

Un quelque chose d'inoubliable.
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C'est avec beaucoup de tendresse et d'effroi en même temps que j'ai lu le livre d'Adélaïde Bon, ce bouleversant témoignage qui retrace le long et éprouvant combat mené pour une reconstruction après un viol.

C'est à 9 ans que le destin d'Adélaïde a basculé, c'est à 9 ans qu'elle a échoué sur la banquise, seule avec son secret. Elle a mis 20 ans à se reconstruire en livrant un combat acharné contre ce mal pour lequel elle ne trouvait pas de mot et qui la dévorait de l'intérieur, elle le comparera à des méduses qui s'immiscent lentement en elle et qui la dévorent sans que personne ne s'en aperçoivent.

Aujourd'hui, Adélaïde Bon tend la main à toutes les victimes de viol et lance un appel pour que la loi et la prise en charge des victimes changent et évoluent, afin qu'elles ne vivent plus dans une solitude morbide et une honte injustifiée, afin qu'elles soient écoutées et surtout comprises.

Les victimes de violences sexuelles créent souvent une sorte de mémoire traumatique enfouie de l'événement. Elles développent des comportements intimes qui les isolent et souffrent de symptômes dont elles ignorent l'origine. “Plus on a été agressé jeune, plus a de mal à voir le rapport entre la crise de panique au présent et l'agression du passé”.

Désormais,  elle va se couper un peu plus des autres, “sourire, dissimuler, s'épuiser. Passer chaque journée en dehors de soi. Se vivre déportée, sans que nul ne sache”. “Elle rit toujours, peut-être un peu plus qu'avant, c'est qu'elle a le coeur si lourd que quand la joie lui vient, elle s'y jette”.

Elle va meurtrir ce corps qu'elle hait et qui ne lui appartient plus, ignorant  qu'elle est dans le déni total de la violence subie, construisant un bouclier de résistance aux autres et au mal.

“Elle n'a pas idée de ce que ce mot femme, sexualité féminine pourrait signifier, elle une femme dans une civilisation façonnée par les hommes, elle ne connaît sa sexualité qu'à l'aune de la leur”.

Au centre du récit - comme un avant et un après - elle écrit (enfin) le mot VIOL (un mot jusque-là écarté, nié du récit). Elle n'hésite pas à décrire sans ambages ni figures de style les situations insoutenables que subissent les femmes dans les espaces publics par exemple où “les hommes mesurent leur trique à l'effroi qu'ils causent”

C'est un combat qui s'engage, un combat pour la survie, une route longue et périlleuse dont elle ne connaît pas l'issue. Elle rêve seulement d'un mieux, elle cherche du secours parmi les différentes thérapies qui lui sont offertes. Sa plus grande épreuve sera libératrice, quand, assise sur le banc des victimes parmi d'autres victimes, elle croisera avec effroi les yeux de son agresseur. Cette ultime épreuve lui permettra alors d'analyser, de comprendre ce qui lui est arrivé, de se déculpabiliser aux yeux des autres, de partager avec d'autres, d'écrire. “Je suis ce qu'il reste d'une femme après qu'on l'a violée. Et de l'écrire me renoue, me relie, me répare”.

“C'est un livre, quand bien même les sujets dont il parle sont extrêmement douloureux, que j'ai écrit avec beaucoup de douceur et de tendresse, pour toutes les autres petites filles qui sont coincées sur la banquise.” dit-elle. Merci Adélaïde pour ce témoignage bouleversant, merci pour le courage d'avoir mis en mot la douleur lancinante qui a accompagné votre vie durant toutes ces années, merci au nom de toutes les femmes bafouées, agressées et violées qui vivent seules leur souffrance.
Lien : http://dominique84.overblog...
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La petite fille sur la banquise est apparue dans cette cage d'escalier, un après-midi du mois de mai.
Elle rentrait chez elle, tout simplement, un paquet de Carambars dissimulé dans sa robe tablier rouge. le monsieur est monté avec elle, il avait besoin d'un service. Et puis, là, entre deux étages, il l'a arrêtée, elle deux marches au-dessus de lui.
Et le monde de la petite-fille s'est arrêté.
Et les méduses sont arrivées.

Lors de sa sortie en 2018, j'ai bien sûr entendu parler du récit autobiographique de la comédienne Adélaïde Bon, « La petite fille sur la banquise ». J'en ai lu quelques extraits dans la presse et je n'ai pas eu le courage d'aller plus loin. Puis , alors que ce livre sortait en poche, j'ai vu dans le même temps sur Internet une interview de l'auteure. Bouleversante. Terriblement touchante. Et là, je me suis dit : elle a eu le courage d'écrire ce livre alors nous, lecteur, on peut bien faire le petit effort d'accueillir son témoignage et de lui porter, à travers notre lecture, un infime soutien.

Adélaïde Bon a été violée à l'âge de 9 ans par un inconnu dans son immeuble, dans un quartier cossu du 16ème, à Paris. Elle est issue d'une famille catholique aimante et bourgeoise, où l'on ne parle pas des choses du corps. Adélaïde ira au commissariat et Adélaïde ira voir un pédiatre. Et cela en restera là.
Viol : il lui faudra 20 ans pour définir ainsi l'acte. Adélaïde va souffrir d'une amnésie traumatique, elle ne se souvient de rien, ou si peu. Mais son adolescence, puis sa vie d'adulte, vont être une longue descente aux enfers : boulimie, drogue, envies suicidaires, dégoût de son corps qu'elle malmène, sexualité pervertie, des relations avec les hommes en montagnes russes. Des conduites à risque qui sont autant les symptômes et les conséquences de son stress post-traumatique. Ces comportements sont ses méduses, celles qui enflent sans prévenir à n'importe quel moment, n'importe où, qu'elle soit adolescente ou devenue mère.
Adélaïde, tout en cachant son mal-être à sa famille et à ses amis, va chercher l'origine de sa souffrance. Elle va multiplier les thérapies, voir différents psychologues, tout tenter pour s'en sortir. Et les années vont s'égrainer… jusqu'à l'appel de la police, un soir d'hiver, alors qu'Adélaïde a 31 ans et est enceinte de cinq mois.

Adélaïde Bon a trouvé dans l'écriture le moyen d'avancer. Dans un style à la fois poétique, distancié et incisif, elle cherche et fouille les méandres de son mal être destructeur. Adélaïde, « je», parle d'« elle », la petite fille sur la banquise. Mais ce récit, c'est aussi l'élan d'espoir d'une jeune femme qui s'ouvre aux idées féministes et découvre une sororité réparatrice et solidaire. C'est enfin le récit d'une enquête policière et d'un procès comme il en existe tant, où selon la jurisprudence, « on peut détruire la vie d'une femme pour le prix d'une voiture d'occasion ». Adélaïde a tenu, jusqu'au bout.

La petite fille sur la banquise s'en est allée il y a déjà bien longtemps mais « la vie n'abandonne jamais, au tréfonds des océans, dans les ténèbres, elle luit ».

Un livre essentiel, intense, douloureux et universel.
Merci Adélaïde Bon.
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
23 avril 2018
On n’est pas fier d’être un "mâle" quand on lit le récit d’Adélaïde Bon, "La petite fille sur la banquise".
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (74) Voir plus Ajouter une citation
Est-ce qu’elle s’est essuyé la bouche du revers de la main, passé la langue sur les dents, recoiffée un peu ? Est-ce elle ou lui qui a remonté la culotte, remis un semblant d’ordre dans la robe-tablier rouge, tiré sur le chemisier blanc ? Elle le regarde en opinant du menton, comme les petits chiens qui hochent la tête sur les plages arrière des voitures. Je suis gentille, je suis jolie, j’aime ça, tu es mon ami, tu aimes mes grosses fesses, tu me fais du bien, je suis gourmande, je ne dirai rien, c’est notre secret, je te promets, je ne dirai rien. Des mots qu’il lui a dits et dont elle ne se souvient pas, pas plus qu’elle ne se souvient de ce qu’il lui a fait. Elle reprend le sachet en papier blanc des carambars et le pot de flocons pour poissons rouges qu’elle avait posé sur le coin nu d’une marche. Quelque chose s’est renversé, elle ne sait pas si c’est le sol ou si c’est elle, elle se concentre pour gravir l’escalier. Sur le palier, elle se retourne quand il l’appelle, promet encore en hochant la tête.
Elle est allongée sur son lit, elle essaye d’attraper une larme du bout de la langue. Les lattes du couloir grincent, elle saisit son livre. Sans famille, Hector Malot.
— C’est ton livre qui te fait pleurer ? demande son père, alarmé peut- être qu’elle se soit glissée comme une ombre de l’entrée de l’appartement à sa chambre, sans le rituel tonitruant du Bonjour ma chère famille que j’aime et que j’adore, sans claquer la porte d’entrée, sans venir rien leur raconter. Sa tête se déplace. Gauche. Droite. Droite. Gauche.
— Il s’est passé quelque chose ? Sa tête se déplace. Haut. Bas. Bas. Haut.
Elle est assise entre ses parents sur le canapé bordeaux du salon, son frère et ses sœurs ont disparu. Elle regarde les murs tendus de tissu, elle ne les reconnaît pas, comme elle ne reconnaît pas ses propres parents. Tout est soudain changé sans qu’elle puisse saisir quoi. Ils lui parlent, elle a du mal
à les entendre, à les comprendre. Elle flotte.
Elle est assise à l’arrière de la voiture de police, à côté de son père. Les policiers mettent les gyrophares pour la faire sourire. Elle sourit. Elle est gentille. Elle n’est plus là. Elle est morte. Personne ne semble s’en rendre compte.
Au commissariat, une policière lui pose des questions, elle doit répondre par oui ou par non, elle hoche ou elle secoue la tête, selon. Elle ne ressent rien. La policière note, Il m’a touché mon zizi : devant et derrière. Il a saisi ma main gauche qu’il a posée sur son sexe. On lui dit qu’elle porte plainte pour attouchement sexuel et que le monsieur de la cage d’escalier, c’est un pédophile. Elle hoche la tête.
Elle ne sent pas les méduses s’immiscer en elle ce jour-là, elle ne sent pas les longs tentacules transparents la pénétrer, elle ne sait pas que leurs filaments vont l’entraîner peu à peu dans une histoire qui n’est pas la sienne, qui ne la concerne pas. Elle ne sait pas qu’ils vont la déporter de sa route, l’attirer vers des profondeurs désertes et inhospitalières, entraver jusqu’au moindre de ses pas, la faire douter de ses poings, rétrécir année après année le monde qui l’entoure à une petite poche d’air sans issue. Elle ne sait pas que désormais elle est en guerre et que l’armée ennemie habite en elle. Personne ne la prévient, personne ne lui explique, le monde s’est tu.
Les années passeront. Ils oublieront ce dimanche ensoleillé du mois de mai, ou plutôt, ils n’en parleront pas. Elle non plus, elle n’y pensera plus.
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Les agresseurs sont des lâches. Je ne comprends pas notre fascination pour les coupables. Plutôt que d'écrire des romans, des séries, des émissions à sensation sur le parcours des criminels, plutôt que d'en faire des monstres pour nous rassurer sur notre propre humanité, on devrait élever des statues à chaque pas de porte, écrire des biographies, des scénarios, faire des cortèges, des chansons, des fêtes, des jours fériés pour célébrer le courage de centaines de millions de victimes que personne n'a jamais écoutées et qui chaque soir parviennent encore vivantes au terme de leur journée, abandonnées, abattues et si terriblement seules.
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Le lendemain du jour où tu nous as piégées, nous nous sommes toutes réveillées dans notre jolie chambre d'enfant et nous avons continué, à aller à l'école, à sourire à la dame, à dire merci beaucoup. Nous avons fait avec, nous avions eu de la chance, nous étions vivantes, cela aurait pu être pire. Nous n'en avons plus parlé, ou si peu. Nous avons construit chacune nos existences. Nous avons taché tant bien que mal que cela tienne, nous avons empilé les expériences difficiles et les belles rencontres au-dessus de cette journée-là, elle, nous l'avons laissée dans la cave, nous l'avons oubliée, nous avons dressé des cloisons, des couloirs, ouvert des fenêtres, nous avons bâti de nos mains la charpente, et si nous sentions confusément que l'édifice avait une malfaçon, nous ne savions pas laquelle, alors nous avons appris a colmater les brèches, les paniques, à circonscrire l'angoisse dans les combles. Nous avons invité des convives, nous avions l'impression d'habiter enfin chez nous.
Après le coup de fil de la brigade des mineurs, de petits points noirs sont apparus sur nos murs, nous avons appuyé dessus du bout des doigts, le mur s'est effrité.
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Est-ce qu'elle s'est essuyé la bouche du revers de la main,passé la langue sur les dents ,recoiffėe un peu? Est-ce elle où lui qui a remonté la culotte,remis un semblantvd'ordre dans la robe-tablier rouge ,tiré sur le chemisier blanc?Elle le regarde en opinant du menton,comme les petits chiens qui hochent la tête sur les plages arrière des voitures.Je suis gentille,je suis jolie,j'aime ça, tu es mon ami,tu aimes mes grosses fesses,tu me fais du bien ,je suis gourmande ,je ne dirai rien,c'est notre secret,je te promets ,je ne dirai rien.Des mots qu'il lui a dits et dont elle ne se souvient pas,pas plus qu'elle ne se souvient de ce qu'il lui a fait.
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Elle ne collectionne plus les mots, en cours de grec ancien, elle apprend à les décortiquer, à suivre leurs racines qui s'enchevêtrent à l'histoire des hommes.
Un jour, elle comprend, stupéfaite, "pédophile". Quelqu'un qui a de l'amitié pour un enfant. Une phrase lui revient brutalement en mémoire, une phrase comme une gifle, une phrase à l'envers, une phrase du monsieur de l'escalier.
"Je suis ton ami". [...]
Si elle découvre alors que certains mots signifient l'inverse de ce qu'ils prétendent, elle ne se demande pas encore pourquoi on a choisit d'utiliser précisément ceux-là.
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