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EAN : 9782020320023
316 pages
Seuil (30/11/-1)
4.29/5   19 notes
Résumé :

Dans ce livre, P. Bourdieu prend du recul à la fois sur sa propre recherche et sur les sciences sociales en général. Il tente de définir la conception de l’homme qui est sous-jacente aux sciences sociales, et de la différencier de celle que suppose la philosophie. Cette méditation se fait sous le signe de Pascal, qui est, selon Bourdieu, le seul penseur à avoir refusé ce qu’il y avait d’abstrait et d&... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« C'est à l'étrange adhésion, à la fois totale et distante, éclairée et aveugle, de la "docte ignorance" qui est inhérente au sens du jeu que l'on a coutume de reconnaître les " véritables vocations " ».
On envie ceux qui se trouvent dans cette situation, qui trouvent presque leur raison d'être, le bonheur en somme, éprouvé dans une parfaite coïncidence entre leurs dispositions et leur position sociale. Mais dans un autre contexte, cette étrange coïncidence peut également être ce que la Boétie appelait " la servitude volontaire ", la situation des dominés, l'amour de la nécessité. On parlera alors de conditionnement, mais quelles sont ces conditions refoulées jusque dans le monde des philosophes ?
Pierre Bourdieu s'engage donc en sociologue dans le champ philosophique : sacrilège !
Ce monde des philosophes, ou plus généralement des savants dont l'auteur fait évidemment partie, est caractérisé par une immersion prolongée dans l'institution scolaire, à distance du reste du monde, situation en forte corrélation avec la condition sociale des candidats.
« L'adhésion enchantée au point de vue scolastique s'enracine dans le sentiment, propre aux élites scolaires, de l'élection naturelle par le don : un des effets les moins aperçus des procédures scolaires de formation et de sélection fonctionnant comme rites d'institution est d'instaurer une frontière magique entre les élus et les exclus tout en aménageant le refoulement des différences de condition, qui sont la condition de la différence qu'elles produisent et consacrent. »
Inspiré peut-être par Kant, l'auteur ne peut procéder autrement que par la critique : une réflexion épistémologique sur les sciences sociales (sorte d'auto-critique en attendant que les philosophes s'intéressent sérieusement à la question), la critique de la raison scolastique, la critique de la critique.
"La Critique de la faculté de juger" (Kant) livre un autre aveu, plus direct : l'architectonique rigoureuse de la théorie du jugement esthétique, seule aperçue par le commentaire spontanément complice des "lectores", cache un discours souterrain, celui de l'inconscient scolastique, où se déclare l'horreur du "goût barbare", "goût de la langue, du palais et du gosier", qui est l'antithèse purement sensible du goût "pur", doté de tous les attributs de l'universalité. »
Je suis gré à Pierre Bourdieu d'exprimer aussi clairement le malaise diffus que je ressens encore aujourd'hui en me rappelant ma lecture de Kant. Alors en poursuivant avec Heidegger (le commun, le trivial, le collectif), Levy-Bruhl (la mentalité primitive), la coupe est presque pleine, il ne manquerait plus que « le darwinisme social » de Herbert Spencer. Ce livre ne dépeint pas des tempéraments singuliers de savants mais la manifestation de l'illusion scolastique dans une généalogie du racisme. On ne pourra plus ensuite qualifier les discours racistes d'épiphénomènes sans rapport avec le coeur de la pensée de leurs auteurs. Et si on note que ces discours étaient fréquents à une certaine époque, c'est peut-être qu'ils sont plus enterrés aujourd'hui. Il faut donc s'intéresser aux conditions qui les rendent toujours possibles. (Qu'elles soient comme l'auteur le pense ou qu'elles soient autres).
L'auteur ne cède pas au désenchantement à la manière de Kant, avec l'enfermement dans le canon des lois morales, ou avec L Ecclésiaste, dans sa chanson « vanité, vanité, tout n'est que vanité », qui n'a pour objectif que de maintenir l'existence entre la crainte et l'espoir. Il ne cache pas son attirance pour les philosophes « hérétiques » comme Spinoza (« son programme magnifiquement sacrilège ») ou Wittgenstein (« sa philosophie du langage ordinaire »), mais il choisit Pascal (« Les Pensées ») pour l'accompagner dans ses méditations, malgré la tentative vaine et déconcertante de ce dernier pour prouver l'existence de Dieu.
Nous ne sommes pas à un paradoxe près dans ce livre passionnant qui revient toujours aux questions pratiques, une éthique comme synthèse de son oeuvre, une philosophie mature et ouverte, illustrée dans le vif d'oeuvres littéraires (avec Rabelais, Baudelaire, Kafka), un coup de coeur, malgré une lecture assez difficile à cause de longues phrases dont les articulations ne sont pas repérables au premier coup d'oeil.
Son programme : « lutter à la fois contre l'hypocrisie mystificatrice de l'universalisme abstrait et pour l'accès universel aux conditions d'accès universel ». Une hypocrisie ou une ambiguïté de la raison, qui n'est pas sans conséquences : « L'avènement de la raison est inséparable de l'autonomisation progressive de microcosmes sociaux fondés sur le privilège, où se sont peu à peu inventés des modes de pensée et d'action théoriquement universels mais pratiquement monopolisés par quelques-uns.....On comprend mieux, en tout cas, la mystique réactionnaire de la nation, dans ce qu'elle a de plus antipathique pour la conviction universaliste, et le pathos irrationaliste qui va souvent de pair, si l'on sait y voir une riposte distordue à l'agression ambiguë que représente l'impérialisme de l'universel (riposte dont l'homologue pourrait être aujourd'hui certain intégrisme islamiste) »
A l'opposé de la coïncidence entre les dispositions et les positions sociales, l'auteur souligne le désajustement entre les espérances subjectives et les chances objectives, conséquence d'un chômage structurel, mais aussi marge de liberté et donc espace d'expression politique, jusqu'à une certaine limite.
Pierre Bourdieu a longuement observé cette situation hors-jeu, « La Misère du Monde », celle des « sous-prolétaires » et autres catégories exclues, et les faits sont têtus : « on peut vérifier statistiquement que l'investissement dans l'à-venir du jeu suppose un minimum de chances au jeu, donc de pouvoir sur le jeu, sur le présent du jeu ». En clair : « En-deçà d'un certain niveau de sécurité économique, assuré par la stabilité de l'emploi et la possession d'un minimum de revenus réguliers, propres à assurer un minimum de prise sur le présent, les agents économiques ne peuvent concevoir ni accomplir la plupart des conduites qui supposent un effort pour prendre prise sur l'avenir, comme la gestion raisonnée des ressources dans le temps, l'épargne, le recours mesuré au crédit ou le contrôle de la fécondité ».
« Les Pensées » de Pascal ont accompagné toutes ses méditations notamment pour exposer son concept d' « habitus » : les dispositions incorporées (on pourrait dire aussi un mécanisme de la mémoire). Tout avait démarré par cette citation : « L'homme est automate autant qu'esprit…. ». Mais au bout du compte c'est peut-être la philosophie de sagesse de Pascal qui impressionne Pierre Bourdieu : « la seule véritable croyance, celle qui s'engendre dans l'ordre de la charité », comme il fut peut-être impressionné par l'action sociale et politique de Coluche, une action concrète qui n'était pas un sketch ni une « pastorale humaniste ».
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
(Pierre Bourdieu proche de Ludwig Wittgenstein (et de Pascal))
Je me contenterai de citer un passage de la correspondance de Ludwig Wittgenstein que Jacques Bouveresse, merveilleux interprète, m'a fait découvrir, et qui dit assez bien une bonne part de mes sentiments à propos de la philosophie : "Quel intérêt y a-t-il à étudier la philosophie, si tout ce qu'elle fait pour vous est de vous rendre capable de vous exprimer de façon relativement plausible sur certaines questions de logique abstruses, etc...et si cela n'améliore pas votre façon de penser sur les questions importantes de la vie de tous les jours, si cela ne vous rend pas plus conscient qu'un quelconque journaliste dans l'utilisation des expressions dangereuses que les gens de cette espèce utilisent pour leurs propres fins ? ".
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(critique visant un système universitaire et l'enfermement scolastique)
Cas idéaltypique, l'université de Californie à Santa Cruz, haut lieu du mouvement "postmoderniste", archipel de collèges dispersés dans une forêt qui ne communiquent que par internet, a été construite dans les années soixante, au sommet d'une colline, à proximité, d'une station balnéaire pour retraités aisés, sans industries : comment ne pas croire que le capitalisme s'est dissous dans un "flux de signifiants détachés de leurs signifiés", que le monde est peuplé de "cyborgs", "cybernetics organisms", et que l'on est rentré dans l'ère de l' "informatics of domination", lorsque qu'on vit dans un petit paradis social et communicationnel, d'où toute trace de travail et d'exploitation a été effacée ?
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de la prétention à l' " opinion personnelle ".... je voudrais simplement indiquer que l'universalisme intellectualiste par lequel le penseur universel crédite tous les humains de l'accès à l'universel, s'enracine très profondément, en ce cas, dans la foi, suprêmement élitiste, dans l'opinion personnelle, qui ne peut coexister avec la croyance dans l'universalité de l'accès au "jugement éclairé " qu'au prix d'un immense refoulement des conditions d'accès à cette opinion distinctive et distinguée.
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L'adhésion enchantée au point de vue scolastique s'enracine dans le sentiment, propre aux élites scolaires, de l'élection naturelle par le don : un des effets les moins aperçus des procédures scolaires de formation et de sélection fonctionnant comme rites d'institution est d'instaurer une frontière magique entre les élus et les exclus tout en aménageant le refoulement des différences de condition, qui sont la condition de la différence qu'elles produisent et consacrent.
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L'impérialisme de l'universel qui est impliqué dans l'annexion assimilatrice de l'universalisme verbal peut s'exercer dans les rapports de domination au sein d'une même nation, à travers une uniformisation des exigences scolastiques qui ne s'accompagne pas d'une semblable uniformisation des moyens. L'institution scolaire, dans la mesure où elle est capable d'imposer la reconnaissance à peu près universelle de la loi culturelle tout en étant loin d'être capable de distribuer de manière aussi large la connaissance des acquis universels qui est nécessaire pour lui obéir, donne un fondement fallacieux, mais socialement très puissant, à la sociodicée épistemocratique.
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Videos de Pierre Bourdieu (56) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Bourdieu
Enseignement 2016-2017 : de la littérature comme sport de combat Titre : Introduction
Chaire du professeur Antoine Compagnon : Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie (2005-2020)
Cours du 3 janvier 2017.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements : https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon
Le cours de cette année répond à celui de 2014 qui portait sur la « guerre littéraire » de 1914-1918, c'est-à-dire sur l'inscription de la réalité de la guerre dans les oeuvres, et sur les différentes postures, souvent paradoxalement pacifiques, que l'expérience de la guerre a prescrites aux écrivains. Il s'agira cette année au contraire d'envisager la production littéraire comme lieu d'une conflictualité sui generis, tantôt sur le mode d'une détermination au combat d'idées, tantôt sur le mode d'une compétition pour la survie au sein de ce que Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l'art, a décrit comme le « champ » littéraire. Il s'agit aussi de faire un sort à une figure rencontrée dans le cours de 2016 : celle du crochet de l'écrivain chiffonnier, mise en place par Baudelaire, et qui pouvait toujours se retourner en arme. À partir de Baudelaire et en remontant dans la modernité littéraire, on découvre une généalogie d'images : la plume-épée des Dialogues et entretiens philosophiques De Voltaire, ou la plume de fer par laquelle, bien avant l'apparition de l'objet industriel lui-même, Ronsard décrit son ambition de défense d'une France royale et catholique, dans la Continuation du Discours des misères de ce temps (1563).
La création littéraire se définit régulièrement par comparaison avec les sports de combat, et même plus généralement avec le sport, en tant que le sport a rapport au combat, c'est-à-dire à la compétition. Il y a, chez elle aussi, des championnats, des prix, la possibilité d'un dopage. Tout jeune écrivain, avertit Fontenelle, doit se préparer à entrer en lice ; Maurice Barrès lui-même, qui s'est beaucoup tenu à distance des accidents de la camaraderie littéraire, a l'impression de rejoindre un « match professionnel » au moment de rendre compte de son exploration de l'Égypte. Tous les grands écrivains du XIXe siècle, à peu d'exceptions près, se sont battus en duel, comme si ce moment de duel révélait la valeur agonistique latente de la littérature. La littérature, plutôt ou autant qu'au loisir (otium), n'aurait-elle pas rapport au negotium, au remue-ménage ? La pacification, la consolation comptent parmi ses opérations possibles, mais leur inverse paraît une tendance constitutive de la création et de l'existence littéraire.
L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires (1761), s'intéressait à la figure d'Archiloque, tout à la fois premier poète lyrique et premier poète satirique, qui fait de la poésie avec sa colère et son désir de vengeance. le génie et la querelle sont liés : il n'y a pas eu de siècle de grand talent, observe-t-il, qui ne fût un siècle de grande agitation et de grande jalousie entre les écrivains. Comme dans la théorie économique de Bernard Mandeville, il semble que, dans les arts, les vices privés servent le bien général et que le florissement d'une culture repose sur la querelle permanente de ses représentants.
Notre rapport à la littérature reconnaît implicitement une telle dimension pugilistique, proprement romantique ; c'est la règle du winner takes all. Pierre Bourdieu et Harold Bloom ont été les théoriciens de cette difficulté de survivre en littérature, et de cette dynamique réelle de la littérature, bien différente d'un glissement naturel d'âges, qui fait se heurter d'une part les gloires littéraires acquises, pour qui l'urgence est de durer, d'autre part les aspirants à la gloire, qui savent qu'ils n'acquerront le droit de durer qu'en rejetant leurs prédécesseurs dans le passé.
Sportifs, escrimeurs, prisonniers : ce sont plusieurs figures, au sens de Roland Barthes, de cette agonistique motrice de la vie littéraire entre la Restauration et le Second Empire, qui seront envisagées tout au long du cours.
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