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EAN : 9782378911041
128 pages
Editions Nil (01/09/2022)
4.25/5   10 notes
Résumé :
"Il est temps de vous écrire. De vous dire tout ce que je vous dois. Cette formule si belle est de vous, je vous le signale, et je l’adore.
Il est plus que temps de faire appel à vous pour comprendre le chaos où nous sommes plongées."

Vers qui se tourner quand le monde semble partir à la dérive ? Pour Geneviève Brisac, ce sera Virginia Woolf, cette amie des sombres temps à qui elle doit tant. Sous sa plume aiguisée, Virginia Woolf apparaît sous... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Certains écrivains sont conviés à passer une nuit dans un musée de leur choix, d'autres sont invités à écrire la lettre qu'ils n'ont jamais écrite !
C'est le cas pour la collection « Les Affranchis », chez NIL.

Adresser des lettres à une écrivaine disparue, Virginia Woolf, c'est être certaine de ne pas recevoir de réponse. C'est donc le défi que s'est lancée Geneviève Brisac en 18 missives. Que souhaite-t-elle lui confier ?
Double but.
Tout d'abord, elle veut lui témoigner sa gratitude pour l'avoir « si souvent » sauvée, contrairement à Hervé Guibert( qu'elle parodie), qui n'a pas eu la chance d'être sauvé par son ami Bill. Assertion étonnante quand on sait que V. Woolf, « personne trop souvent dite folle », s'est suicidée.
Secondo, elle la considère comme « une visionnaire » et espère grâce à elle, comprendre le chaos du monde actuel. Elle évoque son passé, sa volumineuse correspondance, ses livres .

Dans la première lettre, l'écrivaine plante le décor de son écritoire, sorte de rituel d'écriture : une photo de Virginia Woolf, quelques jonquilles, un pot à crayons et un carnet bleu.
Dans la Lettre deux, l'auteure relate une anecdote et montre comment un film peut être prescripteur si un zoom a été effectué sur un livre.
The Hours met en exergue Mrs Dalloway, que l'admiratrice considère comme un «  feel good book » et dont elle analyse les qualités.

Ensuite, elle s'interroge sur la formule d'entête à utiliser pour commencer sa lettre, renonçant à utiliser « jinny » comme sa famille. Elle lui fait part de ses rencontres à venir et lui donne ensuite un compte rendu détaillé des journées en son honneur. Celle de Guéret, intitulée « Sur les grands chemins avec Virginia Woolf », est même accompagnée d'une photo, assez étrange. Présence d'un aréopage de chercheurs, d'écrivains, de professeurs…, bravant la pandémie dont Agnès Desarthe, coautrice de V.W. « Le monceau d'insanités, de propos à vomir » entendu n'a pas entamé son amour et son admiration à son encontre.

L'aficionado fait références à plusieurs ouvrages de la Britannique dont «  On being ill » (1), dans lequel cette dernière considère qu' « être malade, c'est comme être amoureux ». Geneviève Brisac lui confie qu'avoir fait l'expérience de la maladie l'a rapproché d'elle.
Les heures sombres auxquelles elle fait allusion, ce sont celles de la pandémie mondiale qui a décimé des millions d'êtres humains. Et de se remémorer «  le frisson glacé » qui l'a parcourue à cette annonce qui se traduira par des mois de huis clos, de claustration, de confinement. Avec cinémas, théâtres, cafés fermés, faillites.
La démarche de l'écrivaine à relater à la disparue ce qui s'est passé depuis Mars rappelle celle de Vassilis Alexakis, qui écrivait à sa mère pour lui commenter ce qui avait changé.
Rares sont les lettres datées, mais elle informe sa destinataire de la guerre est revenue en Europe, en Ukraine, qui justifie son emploi des «  heures sombres », de « dark times », expression formulée par Hannah Arendt. Elle cite également Svetlana Aleksievitch, lauréate du Prix Nobel de la littérature 2015 : « la guerre qui jamais n'eut un visage de femme ».

Pour remercier son interlocutrice, ce sont des fleurs qu'elle désire offrir : «  envoyer des fleurs est une marque de gratitude ». Chaque fois qu'elle passe le seuil de la boutique du fleuriste, le flot des couleurs l'assaillit, les odeurs l'étourdissent et elle se répète une phrase de Mrs Dalloway. Elle sait gré à Virginia de ne plus avoir honte de « parler des escapades du côté des fleurs ». Christian Bobin, lui aussi, fait remarquer que « l'on a toujours l'air idiot quand on parle de fleurs ». Pourtant « c'est oublier leur armée libératrice ». (2)

L'admiratrice ne manque pas de lui écrire le 25 janvier, jour de son anniversaire.
Elle la couvre d'éloges, elle, devenue l'étendard du combat héroïque des féministes. En fustigeant Nabokov , ce « masculiniste », elle dénonce la violence sexiste.
N'est-ce pas à elle que l'on doit la formule : « une chambre à soi » ?
Tout en lui témoignant de son affection, de son amitié, l'écrivaine se permet de lui adresser quelques reproches.

Elle la rassure quant à sa notoriété posthume, elle est toujours lue, elle est au centre des rencontres de Chaminadour. Elle énumère les grandes figures littéraires qui se réfèrent à elle, à ses livres cultes ( Orlando), dont Nathalie Sarraute, Annie Ernaux, Alice Monro...
Et cerise sur le gâteau, elle est le rayon de soleil des participant(e)s aux conférences, aux rencontres en librairie (comme celle de Dax).
C'est une standing ovation à retardement qu'elle est désireuse de lui offrir. Son élan va jusqu'à « serrer dans les bras », les yeux embués de larmes, celle qui a su « exalter la beauté de la vie, la force de la vie ».
Geneviève Brisac , indéniablement habitée par Virginia Woolf, partage sa passion et sa fascination pour cette communauté lumineuse de Bloomsbury, remplie de génies.
Dans La marche du cavalier, elle fait déjà référence à la romancière anglo-saxonne.
L'autrice confesse consigner des passages, les apprendre par coeur. Elle lui avoue avoir pleuré en lisant son journal et regrette sa décision d'avoir renoncé aux enfants.

En annexe de cet opus, elle insère l'entretien imaginaire publié dans le Monde en 1982, dont elle a retrouvé des lambeaux, et se souvient d'une réponse particulièrement marquante sur la définition de la vie, «  ce grain de raisin irisé »: « c'est une bordure de trottoir au-dessus du gouffre » et sur les humains : «  des vaisseaux scellés, remplis de trésors, mais impénétrables ».

Par cet opus épistolaire, Geneviève Brisac décline une ode au pouvoir de la lecture et s'acquitte avec talent et conviction de sa dette envers celle qu'elle admire, dont les ouvrages ont eu un effet thérapeutique sur elle, « mieux qu'un médecin, qu'une drogue ». La force salvatrice de la littérature.
Ce qui rappelle l'ouvrage de Régine Detambel : « Les livres prennent soin de nous ». En même temps le lecteur curieux trouvera une invitation à se plonger dans les écrits cités.


(1) : On being ill , traduit par Elise Argaud
(2) le muguet rouge de Christian Bobin
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L'éditeur Nil a créé la collection « Les affranchis » avec la consigne brève lancée à une auteure, un auteur : Écrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite !
La ou le destinataire est une consoeur ou un confrère d'écriture à qui est exprimé ce que le rédacteur de la lettre doit à l'estimé(e).
Geneviève Brisac doit énormément à Virginia Woolf, qu'elle finit par appeler Virginia tout court après une neuvaine de lettres sur les onze adressées à la défunte.
« Il est certain que votre manière de creuser la vérité a fait de vous une contemporaine qui nous aide tellement à penser et à vivre. »
L'auteure connaît parfaitement l'univers de la féministe et anti conformiste, décrit minutieusement avec sa comparse Agnès Desarthe dans La double vie de Viriginia Woolf. Les lettres sont brillantes, érudites, très écrites, d'une intelligence dialoguant avec une autre intelligence, hélas muette.
Le style éblouit, instruit, mais manque l'affection amicale exprimée en phrases sobres. Cette simplicité tant espérée, apparaît dans une dernière lettre où Geneviève Brisac se raconte un peu, laissant affleurer découragement et remobilisation.
La lutte des femmes, la souffrance, les incursions dans les romans et Le Journal passent alors au second plan, éclipsées par ce moment de vérité, où la forme épistolaire cède à la narration d'une soirée déprimante.
M'a plu également, le parallèle établi entre deux époques en proie au chaos, à la guerre, à la désespérance. En ces temps troublés, il est bon de se raccrocher à l'audace et au courage de grandes figures.
La vague déferle, submerge et toujours, finit par refluer; l'essentiel est de garder/tenir le cap.
En définitive, Virginia Woolf commence à me devenir familière. Je vais maintenant m'atteler à l'oeuvre seule. J'en sais suffisamment d'avoir lu ses admiratrices et son entourage.
Je dois néanmoins à ce livre, que Régis, vrai libraire devant l'éternel, m'a offert, d'avoir éclairci l'attraction éprouvée envers une auteure au sens plein, prodigue de ses écrits, de sa vie, de ses passions.
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Toujours intéressée par tout ce qui se dit, s'écrit concernant Virginia Woolf je ne pouvais passer à côté de ce témoignage de Geneviève Brisac sous forme de correspondances à sens unique avec cette grande dame de la littérature anglaise. A travers ces lettres j'ai retrouvé certains des éléments qui me fascinent chez la femme, chez l'écrivaine, certains point cruciaux de sa vie mais n'ai rien découvert de nouveau mais peut-être parce que j'ai déjà beaucoup lu sur Virginia Woolf.
Il n'en reste pas moins un témoignage argumenté de l'admiration d'une écrivaine pour cette femme de lettres qui demeurera un mystère, une source d'inspiration, une plume sensible, aiguisée, avant-gardiste qui effraie ou attire mais qui laisse rarement insensible.
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Avec « A l'amie des sombres temps », Geneviève Brisac poursuit son dialogue avec Virginia Woolf, débuté en 1982 avec une interview inventée pour le Monde, au travers de onze lettres. Ce choix n'est pas un hasard puisque Virginia Woolf en écrivit énormément pendant sa vie. « Nous aimons lire et écrire des lettres, nous adorons les correspondances, parce que c'est l'essence même de la littérature : une évasion, un art, un compagnonnage, des fils qui jamais ne se rompent entre soi et soi, entre soi et les autres, une continuité qui apaise l'angoisse, ce vertige dont nous parlions. »

Geneviève Brisac s'interroge dans ses lettres : comment écrire à un écrivain que l'on admire ? Quoi lui dire ? Elle choisit de prendre des nouvelles de Virginia Woolf et de lui donner des siennes. Les onze lettres sont l'occasion d'une merveilleuse évocation de l'écrivaine anglaise. Geneviève Brisac revient sur les préjugés, les critiques qui ont souvent été rattachés au nom de Virginia Woolf, pour les balayer d'un revers de la main.

Au travers de ses oeuvres, Geneviève Brisac nous montre une femme brillante, drôle, moqueuse, aimante pour ses proches, audacieuse dans son écriture mais craignant par dessus tout l'échec et l'indifférence. Elle nous permet également de découvrir ou redécouvrir des textes moins connus comme « de la maladie » (les lettres sont écrites en pleine pandémie) ou « Instants de vie ».

La romancière française explique surtout qu'en ces temps sombres, où les tensions politiques et sociales s'exacerbent, les livres de Virginia Woolf sont un refuge, un réconfort. « J'ai repensé à vos lettres. Ce sont elles, le réel, ce sont des actes. Les mots sont des actes, les phrases sont le réel, ai-je murmuré. Il faut que je lui écrive ce soir quand je serai rentrée chez nous. Que je lui raconte comment les livres m'ont sauvé la vie. Mieux qu'un médecin, qu'une drogue. En donnant un sens à nos jours, des heures plus denses, plus ensoleillées. »

« A l'amie des temps sombres » est un formidable et vibrant hommage à Virginia Woolf, à son génie et au pouvoir consolateur de la littérature, de la beauté.
Lien : https://plaisirsacultiver.com/
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Les lettres , ce n'est pas tout à fait du travail et pas tout à fait du loisir.
D'ailleurs il y en a de toutes sortes.Et elles ressemblent toujours un peu à la personne à qui elles sont destinées, comme dans la vie: chacune de nous a une personnalité unique pour chacun de ses interlocuteurs ou de ses correspondants. Une petite intonation. Il y a des gens qui vous rendent plus intelligents, et d'autres plus cruelle, et d'autres encore plus bavarde. Ou plus vantarde. Ou même menteuse. Tu exagères , vous disait votre soeur Vanessa.
Je sais . Moi aussi, j'exagère toujours.
C'est paradoxalement pour être écoutée, pour être entendue.
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J'ai sorti de leur rayon vos lettres rassemblées désormais en volume. Il en manque sans doute , mais quel bonheur!
Et je comprends mieux ce que c'est que la correspondance: une tentative de diminuer la douleur des ruptures, même les plus infimes, une façon d'installer comme une basse continue de nos vies, une manière d'inventer un monde commun, où les mots ont le pouvoir. Et les pensées.Et la chaleur que tisse la parole.
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Car c'est cela une lettre : mettre en scène un manque, une absence, une séparation, un fossé. Un silence. Les lettres creusent et adoucissent pourtant l'absence, c'est le mystère du langage.
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La description de la souffrance, quand elle est précise, quand elle est sobre et qu'elle respecte une vraie distance de soi à soi, mais aussi quand elle est belle, et soucieuse de rigueur, est d'une aide immense pour les autres.
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Comme vous avez dû guerroyer pour imposer vos vues, votre style, quel courage a été le vôtre, pour défier les ricanements.
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