Finalement , c'est de la connerie qu'est né notre monde, notre société ! une multitude de petites "conneries " ! intéressant comme point de vue ! même s'il faut le dire , ce fut dur à aller jusqu'au bout !
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On a plus l'effet de surprise et le thème s'épuise un peu, mais on trouve toujours de belles pépites...
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L’Homme a des ennuis de santé
La première fois qu’un homme eut mal aux dents, il regarda autour de lui. Il vit son beau-frère, le poète, qui contemplait la splendeur du coucher de soleil en se grattant l’anus. Il fendit le beau-frère poète en deux d’un seul coup de sa bonne hache de silex.
Il faut nous mettre à sa place. Personne jusque-là n’avait jamais eu mal aux dents. Ni mal autre part d’ailleurs. Je veux dire comme ça, spontanément, sans que quelqu’un d’autre ait fait venir le mal sur vous au bout de sa hache, ou d’une massue, ou d’un gros caillou, ou simplement avec ses poings ou avec ses dents. Quand on avait mal, c’est que quelqu’un vous avez fait mal. Axiome. Et donc quand cet homme dont nous nous occupons présentement sentit le mal mordre ses dents, il pensa immédiatement que quelqu’un – un sale fumier – avait fait quelque chose à ses dents, et son réflexe salvateur joua, rapide comme l’éclair, tchiak! Tuer ou être tué. Faire mal ou avoir mal. C’est la sportive loi de la jungle, eh oui.
La deuxième fois qu’un homme eut mal aux dents, il se produisit une petite variante. C’était le même homme, les mêmes dents, le même mal, mais lorsque l’Homme regarda autour de lui, la hache levée, il n’y avait pas de beau-frère, ni poète ni prose. Il n’y avait absolument personne. Ah !
Il pensa d’abord que l’enfant de salaud qui lui avait fait ça s’était caché quelque part, et il chercha. Oui, mais, voilà : cet homme se trouvait justement dans le désert, en plein milieu, il était venu là chercher du sable pour inventer le sablier, le sablier de silex, naturellement, s’il avait fallu attendre que le verre existât pour pouvoir mesurer le temps qui passe, autant attendre le chronomètre-calendrier et le coucou chanteur, donc de silex, le sablier, avec des trous sur le coté pour voir où en était le sable, enfin, vous voyez, ça demandait encore pas mal de mise au point et souhaitons-lui bien du plaisir, pour l’instant il a mal comme un chien, mal à gueuler, et il gueule, ouh ! là ! là ! et il court partout, la hache brandie, mais c’est un fait qu’il n’y a personne, et pas l’ombre d’un buisson à la ronde pour s’y cacher, et ses coups de hache il les donne au vent, qui ne fait qu’en rire, et qu’est-ce que vous dites de tout ça ?
La troisième fois qu’un Homme eut mal, ce n’était pas aux dents, c’était au ventre, mais c’était toujours le même Homme. A cause de son mal aux dents, il avalait tout ronds les hérissons, dont il était fort friand, et cela lui faisait comme un picotement dans les boyaux du ventre, et son caca était tout rouge, comme du caca peint en rouge. Il eu beau regarder autour de lui, il n’y avait personne. Pourtant, cette fois, il n’était pas au milieu du désert, il était dans sa caverne familiale à lui, mais depuis qu’il avait toujours mal ici ou là et qu’il gueulait tellement fort tout le temps en flanquant des coups de hache partout, ses femmes s’étaient sauvées, ses belles-mères aussi, ses enfants aussi, son chien aussi, et même les chauves-souris du fond de la caverne là où c’est tout noir tout plein de toiles d’araignée s’étaient sauvées, et il était tout à fait seul dans la caverne, et pourtant quelqu’un lui picotait le ventre, et pas moyen de lui foutre un bon coup de hache à travers de la gueule, à ce bâtard de pithécanthrope et d’archéoptéryx, et ça, c’était pire que tout.
Et cet Homme eut de plus en plus mal, et il gueula de plus en plus fort, et il creva, et quand les autres, bien longtemps après pour être sûrs qu’il n’y avait plus de danger question hache et tout ça, pénétrèrent dans la caverne, ils le trouvèrent crevé dans la plénitude de la crevaison, et ils virent bien, rien qu’en regardant les grimaces sur sa figure, qu’il n’était pas crevé de bon cœur, pas du tout, même, et que sa stupéfaction de ne pas avoir trouvé le coupable n’avait eu d’égale que sa déception de n’avoir pu le fendre en deux avant de crever. Et bon, ils le mangèrent, il était juste à point, bien mûr bien foisonnant, en faisant très attention de ne pas se piquer aux aiguilles des hérissons, et les petits enfants léchèrent le bon jus vert qui coulait de lui et croquèrent les grosses mouches mordorées qui s’étaient pris les pattes dans le collant du jus, et on lui pardonna d’avoir tant emmerdé le monde les jours d’avant.
Tous ces gros cons ne se doutaient pas qu’ils assistaient à quelque chose d’historique : la première apparition de la maladie sur la terre.
Être con, ça veut dire se laisser crever sans rien faire contre, sans même soupçonner qu'on pourrait faire quelque chose. Être encore plus con, ça veut dire donner un coup de main pour crever plus vite. Les hommes sont encore plus cons que les dinosaures.
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L'Homme est la seule espèce en voie d'auto-extinction.
Et la gastronomie ? Que resterait-il , je vous le demande de la cuisine française si l'on en ôtait le gavage des oies , la castration des cochons et l'arrachage preste de l'œil des lapins ? On ose à peine l'imaginer .J'ai, moi-même qui vous parle, connu une jeune fille, d'ailleurs exquise, qui , apprenant que les huîtres qu'elle dégustait étaient vivantes, chose d'elle jusqu'alors ignorée, se mit à les mordiller de ses petites dents pointues pour faire durer le plaisir. Elle les trouvait plus savoureuses ainsi et elle avait tout à fait raison.
1/5 François Cavanna : À voix nue (1994 / France Culture). La semaine du 23 juin 2014, France Culture rediffusait une série de cinq entretiens enregistrés avec François Cavanna en 1994 pour l'émission “À voix nue”. Par Ludovic Sellier. Réalisation : Christine Robert. Rediffusion de l'émission du 17/01/1994. Avec la collaboration de Claire Poinsignon. 1) La mémoire de la ville : de la "folie patrimoniale" au "tout progrès"
François Cavanna est né en février 1923 (et décédé le 29 janvier 2014) d'un père italien et maçon et d'une mère morvandiode, et si l'usage de son prénom s'est un peu perdu, il a conservé son accent des faubourgs. Ecrivain, après avoir débuté dans la presse comme dessinateur, Cavanna est devenu rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" et le fondateur de "Hara Kiri", il a conservé le goût de la formule et les saveurs d'une langue truffée d'onomatopées.
Invité :
François Cavanna
Thèmes : Littérature| Littérature Contemporaine| Mémoires| Presse Ecrite| François Cavanna| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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