Guy Goffette
Petits riens pour jours absolus poèmes
nrf Gallimard ( 113 pages – 14€)
Il était vivement attendu ce recueil que
Guy Goffette, Goncourt de la poeésie 2010,nous livre. Quand on prend connaissance de la richesse et de l'éclectisme de la table des matières , on comprend facilement les sept années de labeur nécessaire.
Le magnifique poème d'ouverture évoque la genèse d'un texte, comment on puise son inspiration. Comme le déclare
Guy Goffette dans une interview : « Il n'y a pas de recette. Il faut se mettre dans des dispositions d'écoute, de réception, d'attente, de silence ». Il faut aussi l'avoir vu et vécu avant de secouer le « grand sac de voyelles » et enfin semer « sur la page un peu de poussière d'oubli ». Ainsi les riens somptueux se cristallisent. Les poèmes servent à nous donner les yeux qui nous manquent.
Le poète propose dans la première partie du recueil, un divertissement à son lecteur, qu'il peut pratiquer à son tour entre amis. Il s'agit de finir la comparaison du premier vers : « On dit la vie passe comme une... » ?
Guy Goffette rend hommage à une série de figures tutélaires :
Rimbaud,
Max Jacob.
Il revisite le bestiaire d'
Apollinaire, célèbre Robert Frost.
Dans chaque recueil, le poète confie remercier « ceux qui lui ont apporté un second souffle, qui l'ont accompagné qui le soutiennent dans le difficile chemin des poètes qui restent des cowboys ».
Le chapitre La couleur des larmes, empreint de mélancolie et de pudeur irrigue un linceul d'émotion. La figure paternelle évoquée par
Guy Goffette entre en résonance avec son roman si poignant :
Géronimo a mal au dos.
Il se remémore ses jeux d'enfant, « juché sur ses épaules », d'où il pensait pouvoir tutoyer le ciel et « attraper un nuage par la queue », le temps des roulées pascales.
Il ressuscite aussi sa mère aux mains toujours actives dans Mater Dolorosa, évoque la visite dominicale au cimetière parmi des « bouquets fanés, des herbes folles.. ».
Tout aussi émouvant le poème adressé à
Jean-Claude Pirotte, ce « marcheur lyrique », qui fuyait les honneurs.
Guy Goffette retrace en vingt vers, le parcours de cette « âme insoumise », qui savait « sauter du poème au roman ». Vaincu par la camarde, comme le noyer à l'automne.
La finitude des choses, de la nature ( des roses) est déclinée avec les saisons, parfois déréglées : « L'été dans le
brouillard /a perdu ses oiseaux ». Celles des « corps lisses et fermes », de ces belles peaux bronzées qui se prélassent sur les plages, le poète l'anticipe : « tous mourront », car « La mort seule avance /qui ne se retourne pas ».
Et s'interroge : « où seras-tu ? Sinon, « seule en piste/serrant contre ton coeur mon feutre mou ».
Guy Goffette nous fait voyager.
Dans ces pages flottent une fragrance de lilas dans une cour, un parfum d'été , de bonheur. Souvenirs de l'Andalousie et ses villages blancs à flanc de collines,de
Frigiliana , d'une « terrasse cisaillée de cigales » où l'auteur se ressource et puise son inspiration.
L'été, le poète aime suivre « les lacets furieux des collines » ou longer des champs de colza et y capter la beauté des coquelicots. Ceux-ci pressés sous un livre exhalent une « âcre odeur ». Il s'abîme dans la contemplation de la mer, préfère s'émerveiller devant « un colchique rose ou un brin de bruyère » plutôt que de « jeter un oeil sous les jupons métallifères » de la tour Eiffel.
L'incursion polonaise montre deux visages de la ville. le premier sinistre, Gdansk et son passé . le second Dantzig , une terre qui a pansé ses plaies, des façades colorées
« qui rient jaune ou rose ».
Guy Goffette, l'épistolier, nous dévoile une part plus intime,une page de ses nombreuses correspondances en vers, avec
Jacques Reda. Sur cette carte postale, datée du 9 août 2014, il joue avec les mots : Artaud / Réro/ tauréo.
Guy Goffette habille sa plume de sensualité quand il évoque la femme aimée : « Mon amour/assigne-moi à résidence/dans la fraîcheur du linge ».
La fuite du temps, thème récurrent, dans ce recueil conduit
Guy Goffette à nous inviter à prendre le temps, comme les adeptes du « slow life ». Il déplore ces tablettes, le numérique, une catastrophe pour la
poésie. On y perd son âme, confie le poète. Il faut garder son âme d'enfant dans l'âge adulte afin d'être capable d'aimer.
Savoir s'émerveiller, et vivre le présent, le viatique véhiculé par l 'auteur, rappelant,
comme
Jérôme Attal dans
Les jonquilles de Green Park que « la vie n'est qu'un court séjour et qu'il faut se réjouir de chaque instant ». Et
Guy Goffette d' affirmer : « Chaque jour je renais ». N'est-ce-pas la magie de la
poésie ?
Ce recueil , ancré dans l'histoire, offre un mélange d'intime, d'hommages, de géopolitique, une ouverture sur les influences, les inspirations.Lumière et obscurité.
Il se clôt par une prière de fraternité à l'encontre des citadins : « donnez à tous ceux qui vont vivre d'un coin de trottoir..un peu de chaleur... ».
Guy Goffette, par son recueil, rejoint
Dany Laferrière pour qui la « confiance dans la
poésie est sans limite. Elle seule console de l'horreur du monde ».
Saluons la passion de
Guy Goffette, chevillée au corps et son infatigable résistance.