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*** rentrée littéraire 2020 # 31 *** Le contenu de ce surprenant roman est tout aussi intrigant que son titre. La femme-écrevisse est une gravure représentant une créature à corps de femme dénudée avec une tête et des pinces d'écrevisse. Elle se transmet depuis des générations dans la famille von Hauser et possède un pouvoir révélateur qui pousse à se métamorphoser trois personnages hyper sensibles, vivant à trois époques différentes au sein d'une société qui ne leur convient pas. Dès les premières pages, j'ai été happée par l'écriture précise et crue de l'auteure, sur les pas de Margot, qui entre en 1642 au service du Peintre ( rapidement identifiable ), dans l'atelier duquel elle découvre les gravures de la femme-écrevisse. le chapitre qui lui est consacré est le plus intéressant, le plus saisissant. La force d'attraction de la créature qui appelle Margot est remarquablement rendue, tout comme l'obsession qui la saisit au point de la transformer en une femme libre, forte, émancipée, assumant ses choix au point d'être violemment rejetée par la société de l'époque. Les deux chapitres suivants sont consacrés respectivement à deux descendants de Margot : Grégoire, jeune homme torturé de la fin du XXème siècle ; et Ferdinand, son grand-père, acteur de cinéma dans les années 1920 à Berlin. Comme Margot, eux aussi sont animés par une même passion pour la femme-écrevisse qui va les conduire à se révolter contre leur famille, contre la société, à se métamorphoser. Tous ont le courage d'affronter leur part de radicalité et de liberté, quitte à basculer aux confins de la folie. J'ai énormément apprécié cette thématique de l'oeuvre d'art qui nous connaît mieux que nous-mêmes, qui annonce à des « élus » ce qu'ils vont devenir, à la manière du portrait de Dorian Gray ; ce qui distille une ambiance à la fois mystérieuse et inquiétante que l'auteur parvient à maintenir de bout en bout. J'ai regretté de voir la femme-écrevisse moins présente dans les chapitres sur Grégoire et Ferdinand, mais son omniprésence dans le récit centré sur Margot laisse une empreinte tellement forte dans l'esprit du lecteur que son absence, puis son attente, créent une tension durable. Cette dernière retombe dans les descriptions des scènes de cinéma auxquelles participent Ferdinand, mais cet assoupissement a pour effet d'amplifier l'uppercut des pages hallucinées sur les collusions entre la famille von Hauser et le nazisme. Elles sont absolument remarquables, et en soi, le roman aurait pu s'arrêter là, sans un épilogue très étiré et trop explicatif. C'est quand le roman déploie son mystère étrange que sa puissance prend une tournure extrêmement troublante et singulière et qu'il convainc le mieux. Lu dans le cadre des Explorateurs de la rentrée Lecteurs.com + Lire la suite |
Les arbres tombent-ils vraiment dans le grand parc de la propriété du Val de Loire auquel Paul a prodigué tous ses soins ? le vieil homme qui vit là, seul, depuis qu'il a quitté Paris et la vie active, alerte sa fille et lui demande de l'aider. Zélie le rejoint, comprenant que ce père, jadis si puissant, lui lance un ultime appel au secours.
L'amour d'un père et d'une fille est un sentiment pudique et délicat : les voici qui tentent de se parler sous les frondaisons, soignant ensemble les bois dans lesquels, quinze ans plus tôt, ils n'ont pas su empêcher leur fils et frère de se donner la mort.
Survient Luc, qui trouble leurs retrouvailles en les obligeant à se confronter à leurs secrets.
Un roman d'une beauté simple et tragique, qui révèle toute la maturité littéraire de l'auteur.
Oriane Jeancourt Galignani a publie plusieurs romans, dont Hadamar (Grasset, 2017, prix de la Closerie des Lilas) et La Femme-écrevisse (Grasset, 2020). Elle est critique litteraire et theatrale et redactrice en chef de la revue culturelle Transfuge.
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