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Alain Keruzoré (Traducteur)Anne-Marie Geninet (Traducteur)
EAN : 9782743600563
384 pages
Payot et Rivages (09/03/2004)
3.85/5   165 notes
Résumé :
Corazón tan blanco, 1992.

Les secrets de famille peuvent-ils disparaître sans laisser de traces ? Peut-on souffrir d'un passé que l'on ignore ? Peut-on l'ignorer tout à fait ?

Juan n'a aucune raison de se poser ces questions : interprète de talent, jeune marié heureux, il est le jeune homme sans histoire.

Et pourtant, son voyage de noce avec Luisa lui laisse un goût amer, le sentiment que quelque chose est en train de b... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (27) Voir plus Ajouter une critique
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Début choc : Teresa Aguilera, une jeune mariée de retour de son voyage de noces à Cuba, s'enlève la vie lors d'un repas de famille. Ranz s'en remettra (après tout, il a perdu déjà sa première épouse dans des circonstances nébuleuses quelques années auparavant) et trouvera le réconfort dans les bras de Juana, sa belle-soeur, déjà mère du jeune Juan. Cinq pages. C'est tout et, en même temps, suffisant pour accrocher, laisser le lecteur en plan avec une intrigue ahurissante et des questions en suspens… Toutefois, Javier Marias ne nous donne pas de réponses. du moins, pas tout de suite. Il laisse planer le mystère, nous en propose plus. En effet, plusieurs décennies plus tard, Juan épouse Luisa. Lors de son propre voyage de noces à Cuba (l'histoire se répète ?), il est témoin d'un drôle d'événement : en pleine nuit, alors qu'il est appuyé sur son balcon de sa chambre d'hôtel, une dame dans la rue le prend à partie, l'invective. Après un certain temps, il se rend compte qu'elle s'adresse à un type dans la chambre d'à côté. Toute cette scène est assez surréelle, elle donne le ton. Étrangeté. Malaise. Lyrisme. Tous les ingrédient que l'auteur utilise à souhait.

Malaise, oui. À commencer par les propos de son beau-père Ranz lors du mariage de Juan. « Eh bien, te voilà marié. Et maintenant ? » Cette question indiscrète et inapropriée fait tout de même écho à une incertitude (pour ne pas dire crainte) chez le jeune homme. Mais il y a pire : lors du voyage de noces des jeunes mariés, je me suis demandé si Juan aimait réellement Luisa. Puis on entre dans la vie de couple de Juan et Luisa. Tous les deux traducteurs, pris par leur métier, voyageant régulièrement. La génèse de ce couple. Les débuts de leur relation. C'est un peu ça, Un coeur si blanc. Et puis il y a ce passé de Ranz qui le travaille, qui le hante. Il a perdu ses deux premières épouses. Y a-t-il un lien ? Marias est une brute, il ne laisse pas de répit au lecteur qui doit ramer fort pour trouver un sens à tout cela. Certains ne feront que se laisser emporter et attendre le dénouement. C'est aussi une tactique. À vous de choisir.

Un coeur si blanc, c'est beaucoup de considérations psychologiques-philosophiques sur le mariage. Peut-être un peu trop, qu'en sais-je ? Certains détesteront pour cette raison (et je peux les comprendre) mais, moi, j'ai adoré précisément pour cela. Et aussi pour la longueur des phrase. On n'est pas chez Proust mais c'est tout comme. Et, au-delà de la longueur des phrases elles-mêmes, il y a les idées. Parfois, on se demande où l'auteur veut nous amener avec ses digressions et circonlocutions, et c'est à la toute fin d'un paragraphe qu'on saisit cette idée secondaire (ou tertiaires !) qui se déroule à l'infini. En d'autres mots, Javier Marias a un style qui ne laisse personne indifférent. Un seul bémol : toute cette histoire avec la collègue et ex-fiancée de Juan, Berta (lors d'un contrat pour lequel il doit s'installer à New York un certain temps et pendant lequel on perd Luisa). Non pas qu'il se passe quelque chose entre eux deux, non, mais elle s'inscrit sur des réseaux de rencontres et s'intéresse à un type qui a répondu à son annonce. Cette histoire est très bizarre. Digression, oui. Complètement à côté, non : il y a un lien avec l'amour, le mariage, les relations de couple, mais ça ajoutait du mystère inutle à une histoire qui en contenait déjà beaucoup.

Pour en revenir à l'intrigue, à la toute fin, Juan et Luisa apprennent certaines informations sur son beau-père, sur ce qui est arrivé à ses deux premières épouses. Mais veulent-ils seulement le savoir. Un coeur si blanc… blanc, innocent. Vraiment ? C'est une allusion à Shakespeare et sa pièce Macbeth. D'abord, le titre lui-même, Un coeur si blanc, y fait référence. Ce coeur, il s'agit bien sûr de celui de lady Macbeth. Mais est-ce une erreur de traduction, l'auteur demande. le blanc fait habituellement référence à l'innocence mais il ne saurait être question de cela… Lost in translation ? Une autre référence de la pièce, cette citation « so brainsickly of things » Tout ces jeux de mots, ces questionnement,s ces considérations… Bref, Javier Marias nous propose une oeuvre aux intrigues bien imbriquées, complexes et saisissantes qu'il faut se donner le temps et la patience de lire. Si ça ne fonctionne pas à une première lecture, mettez le bouquin de côté un (long) moment puis retournez-y plus tard.
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« My hands are of your colour ;
I shame to wear a heart so white. »
William Shakespeare

Mais comment vous parler à présent d'Un coeur si blanc, je veux vous parler ici bien sûr de ce roman insaisissable de Javier Marías dont j'ai achevé la lecture il y a deux ou trois jours et qui continue de me hanter avec la même immanence de l'instant que le vol d'un papillon un soir de printemps agacé d'un bonheur insoupçonné, tout aussi insaisissable ?
Comment vous en parler ? Comment aurais-je pu vous en parler ?
J'aurais pu vous parler de cette scène sidérante et magistralement racontée qui ouvre le récit comme une déflagration. C'en est d'ailleurs une puisqu'elle met en scène le suicide d'une jeune femme, s'échappant furtivement du repas familial avec l'arme à feu de son père, dégrafant son corsage devant le miroir de la salle de bain, cherchant précisément le coeur pour ne pas le rater, Teresa Aguilera, jeune mariée à peine de retour de son voyage de noces à Cuba.
J'aurais très bien pu vous parler de la relation d'un fils avec son père qu'il croit connaître, ce père expert en toiles de maître, qu'il croyait même si bien connaître jusqu'alors.
J'aurais très bien pu vous parler de cette manière qu'évoque Javier Marías de s'endormir près de l'être aimée, tous deux tournés dans le même sens, comme un abri, comme un cocon, comme un coeur qui bat et que l'on sent murmurer tout contre sa peau, c'est un passage du roman que l'on pourrait trouver presque banal et qui pour moi devient une sorte de respiration dans le monde bruyant qui nous entoure et dans les méandres parfois complexes d'un récit que l'écriture sensuelle rend brusquement magique.
J'aurais très bien pu vous parler de cette rencontre entre le narrateur Juan et sa future épouse Luisa, tous deux interprètes et s'apprêtant à mieux faire connaissance. Ils sont en face à face, assurant la traduction d'un tête-à-tête entre deux personnalités politiques qu'ils accompagnent chacun, l'une anglaise, l'autre espagnole. Ce moment presque ordinaire dans l'exercice de leur métier devient brusquement jubilatoire lorsque Juan, séduit à cet instant par la présence de Luisa, tente un pas de côté en détournant par la traduction le propos de l'interlocuteur qu'il représente par une question très personnelle. Luisa, qui aurait eu la possibilité de s'indigner du procédé, n'est pas dupe de la supercherie et entre alors dans une facétieuse connivence, créant un dialogue parallèle avec Juan, effaçant brutalement la présence insipide des deux personnages centraux. C'est un rendez-vous magnifique, inattendu, où ils ne sont plus qu'eux deux seuls, subtilement construit par l'auteur, convoquant le désir dans un chemin souterrain. Ils s'aiment déjà, s'entrelaçant par leur exquise complicité.
Le pouvoir du langage et des mots est déjà là, présent dans cette scène presque fondatrice qui m'a emporté.
J'aurais très bien pu vous parler d'autres scènes du roman, une nuit de noces à Cuba, les retrouvailles de Juan avec une ancienne amante, les propos ambigus du père de Juan lors de son mariage avec Luisa, laissant déjà entrevoir un mystère profond...
J'aurais très bien pu vous parler des interstices du roman qui ressemblent aux interstices de nos existences, qui parfois d'ailleurs échappent à nous-mêmes.
J'aurais très bien pu vous parler aussi des secrets de famille, des mensonges, des soupçons, des digressions pour le dire, pour dire aussi le soleil qui jette des papillons dans le matin naissant d'un jour de printemps comme un autre...
J'aurais très bien pu vous parler des mots qui disent ou se taisent.
J'aurais très bien pu vous parler de tout ce qui brusquement vient couturer ces chemins qui paraissaient étonnamment éloignés les uns des autres. J'ai alors découvert l'art narratif éblouissant de Javier Marías dans sa capacité de construire un édifice romanesque.
Mais je ne dirai pas tout cela, je dirai simplement qu'Un coeur si blanc est un très beau roman d'amour.
Un coeur si blanc, c'est un très bel entrelacement entre le silence et le dévoilement, que capture l'émoi de nos battements d'ailes, hésitant à dire ou ne pas dire...
Un coeur si blanc, si près, si loin de tout...
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Vertige de la composition ! Maestria de la narration ! Un coeur si blanc est un bijou.
Juan, tout juste marié, éprouve une forme de pressentiment irrationnel et se sent inquiet sans qu'aucune raison objective vienne étayer son malaise. Voilà une trame vue et revue et s'il est si blanc, c'est peut-être qu'il est fade, ce coeur, diront ceux qui n'on pas lu les premières lignes de ce roman incroyable : « Je n'ai pas voulu savoir, mais j'ai su que l'une des enfants, qui désormais ne l'était plus et revenait à peine de son voyage de noces, entra dans la salle de bain, se mit devant la glace, ouvrit son corsage, ôta son soutien-gorge et chercha le coeur du bout du pistolet de son père, attablé dans la salle à manger avec un partie de la famille et trois invités. »

On pourrait oublier cet incipit frappant car le récit part ensuite dans d'autres directions qu'on trouvera peut-être éparses jusqu'à ce que l'on repère un, deux, trois fils rouges qui viennent broder, de façon toujours plus insistante, leur motif en sus de ce qui est raconté. Alors se mêlent et se superposent différentes temporalités. le soutien-gorge sera porté par d'autres aussi. Tout comme l'oreiller commun d'un couple sera celui d'un autre. Sans que jamais il n'y ait d'effets de manche spectaculaire. C'est toujours notre narrateur tout juste marié qui raconte. Si l'on se perd avec lui dans l'évocation d'une scène saisie lors de son voyage de noces, d'une autre ayant eu lieu alors qu'il était en déplacement professionnel à New-York, d'un souvenir d'enfance, c'est toujours en sachant d'où l'on parle. Il ne s'agit pas de nous emberlificoter dans un tissage sans repères pour qu'on se perde. Au contraire, il semblerait que ces fils que l'on voit apparaitre au fil des chapitres sont comme ces tâches de sang qui reviennent immanquablement signer sur ses mains la folie et le crime de Lady Macbeth, personnage fantôme et central de ce livre. Des fils qui signifient, qui relient, qui font émerger la vérité à moins que ce ne soit le cerveau qui soit malade (« I have done the deed » dit Macbeth à son épouse après avoir commis son forfait).

Juan, le narrateur, comme d'ailleurs Luisa, sa femme, est traducteur. Parlant quatre langues, il joue des interstices, des silences ou du pouvoir qu'il y a à ne pas traduire exactement les mots qu'il entend pour en faire un espace de création bien plus fécond. Ainsi, il rencontre Luisa tandis qu'elle supervise un tête à tête entre un homme politique espagnol et une « haute personnalité anglaise ». le narrateur est chargé de traduire les propos de la femme et de l'homme d'Etat tandis que Luisa assure par sa présence et sa grande connaissance des deux langues que rien n'aura été déformé. C'est ce que le jargon appelle un « filet ». Séduit par Luisa, Juan risque de la surprendre en substituant à un propos insipide d'un des interlocuteurs une question bien plus personnelle. Luisa se fait complice de la supercherie par son silence et les échanges vont devenir une réflexion désabusée sur le pouvoir, sur la solitude qu'il contraint, sur le fait d'être aimé aussi. Les mots donc. Ce qu'ils veulent dire, ce qu'ils saisissent de la vérité ou, plutôt, dès qu'on les prononce, ce qu'ils en dérobent. Comme s'ils n'avaient pour seule charge non de dire la vérité mais de leurrer afin de nous faire oublier que ce qui se passe nous échappe complètement : « Chaque pas, chaque mot, en n'importe quelle circonstance (dans l'hésitation ou la détermination, dans la sincérité ou le mensonge) a des répercussions inimaginables qui touchent ceux qui ne nous connaissent pas ni ne le cherchent, ceux qui ne sont pas nés ou ignorent qu'ils auront à souffrir de nous, et elles deviennent littéralement une question de vie ou de mort, tant de vies ou de morts ont leur mystérieuse origine dans ce que personne ne remarque et dont personne ne se souvient ».

Plus tard, dans un hôtel, tandis que Luisa est fiévreuse et alitée, Juan surprend, par les portes fenêtres entrebâillées des deux balcons mitoyens, une conversation dans la chambre d'à côté. Il est question d'assassiner une épouse encombrante. Qu'est-ce qui fait l'effectivité d'un acte par rapport à sa potentialité telle qu'elle apparait dans les mots entendus par l'indiscret voyeur ? La question du devenir de cette femme et de ce couple adultère va accompagner le narrateur des mois durant. La superposition du hasard qui lui a fait entendre cette conversation sans enjeu direct pour lui et la manière obsédante dont elle va l'occuper est de ces fils rouges évoqués plus haut.

Un père charmeur et expert en toiles de maître, un ami faussaire et peu fiable, une ancienne maîtresse qui l'héberge, des voyages professionnels, la vie de Juan suit des détours dont on ne comprend pas le sens, dupés que nous sommes par ses réflexions sur le silence, les concepts erronés, la manière dont on peut penser l'amour « Les gens aiment la plupart du temps parce qu'on les oblige à aimer » a dit la Haute personnalité anglaise. Quel sens donner à ces mots si on les rapporte à Juan et Luisa, à leur tout jeune couple et leur nouvelle maison qui ressemble de plus en plus aux goûts du père de Juan ?

Bien sûr, si je vous en ai raconté beaucoup, j'ai aussi caché l'essentiel, c'est le jeu. Un coeur si blanc n'a rien d'une bluette, c'est une réflexion habile sur le langage, sur le secret. C'est un roman magistralement construit qui invite à se perdre mais sans lâcher le fil, ni celle qui le tient.
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D'entrée de jeu, je dirai que j'ai été conquise par un coeur si blanc. Javier MARIAS avec beaucoup de talent et une écriture très proustienne nous plonge dans les abîmes des secrets.
"Mais ce que l'on tait devient un secret que l'on finit tout de même par raconter"
Javier MARIAS va nous conter ce secret de famille, en nous intriguant tout au long du livre qui prend parfois des allures de thriller et nous tient en éveil.
Il nous parle et évoque longuement tous les hasards ou pas d'une vie qui se construit d'une manière ou d'une autre. C'est d'autant plus passionnant qu'il y mêle l'histoire d'inconnus qui dédouble sa propre histoire.
Son écriture s'entrelace à travers un mot, une idée, une digression apparente qui en réalité poursuit le cheminement du secret qui va être dévoilé à la fin du roman. On en arrive à cette conclusion que je laisse dire à Javier Marías :
" Tout peut-être raconté, même ce que l'on ne veut pas savoir, ce que l'on ne demande pas, et pourtant quelqu'un le raconte et on l'écoute"
Un très beau moment de lecture qui me poussera à lire d'autres romans de cet auteur. C'est certain.
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Quel peut être le lien entre le titre de ce roman, la phrase de Shakespeare imprimée en épigraphe et proférée par Lady Macbeth « My hands are of your colour ; but I shame to wear a heart so white » et cette histoire narrée par un jeune espagnol marié depuis un an et qui se sent envahi d'un malaise diffus sur lequel il ne peut poser des mots ?

La première phrase de Javier Marias frappe tragiquement en plein coeur, comme celui de cette jeune mariée, revenue depuis si peu de son voyage de noces. Elle a quitté la table du repas, s'est réfugiée dans la salle de bains pour se tirer, avec le pistolet de son père, une balle en plein coeur. Par ce geste, Teresa Aguilera fait, pour la seconde fois, son mari veuf.

Des années après, notre narrateur, Juan, le fils de la soeur de Teresa, le fils aussi du double veuf, Ranz, qui a fini par épouser en troisième noces la soeur cadette, revient malgré lui sur cet évènement qu'il n'a jamais cherché ni voulu approfondir. Des sentiments désagréables, de vagues pressentiments s'infiltrent dans sa vie et ce depuis le matin même de son mariage. Peut-être sont-ils dus à sa nouvelle condition de marié ? Ses pensées s'égarent d'ailleurs dans des considérations maritales, d'un changement d'état, d'éléments imprévisibles qui composeront désormais les lendemains, d'une nouvelle maison commune pour abriter leurs nouvelles existences…
Refont surface différents malaises successifs ressentis suite à une singulière conversation avec son père sur les petits secrets entre mari et femme, à une autre conversation surprise dans la chambre d'à côté lors de son voyage de noces à La Havane.
Juan et sa femme sont traducteurs et interprètes. Y aurait-il une déformation professionnelle dans ce besoin d'écouter ce qui se dit, de saisir et comprendre les conversations ?

Mais où l'auteur veut-il nous mener ? Il fait divaguer Juan, lui prêtant des phrases parfois interminables, avec de nombreuses parenthèses qui accentuent les errements de ses pensées.
Où tous ces propos, ces souvenirs, ces mots qui sont tus ou bien dits vont-ils trouver un fil nous ramenant vers ce suicide survenu si brutalement dans les premières lignes ? L'auteur nous égare avec un joueur d'orgue de barbarie, au côté d'une fille dans une papeterie, dans le musée du Prado, lors d'une séance professionnelle de traduction où notre couple s'est rencontré…
Tout semble s'articuler autour du dilemme : parler ou se taire ? Dans les deux cas, l'intervention dans l'avenir, le notre et celui de personnes côtoyées, est inévitable. Faut-il également chercher à savoir ou laisser filer les soupçons, s'en remettre au hasard ?
Les mots pèsent sur le devenir, font planer des interprétations, peuvent inverser le cours d'évènements. Des gestes faits ou non faits, des paroles dites ou non dites, des décisions prises ou non prises changent les itinéraires de personnes croisées dans sa vie.
« Ce sont là conjectures et hypothèses, alors que parfois la vie des autres, d'un autre ( sa forme, son cours, et non de simples pas), dépend de nos décisions et de nos hésitations, de notre lâcheté ou de notre audace, de nos paroles et de nos mains, parfois aussi du fait que nous ayons de l'argent et l'autre pas. »
Il faut laisser défiler toutes les pensées du narrateur et faire confiance à l'auteur pour trouver dans toutes ces longues digressions un rapport, plus ou moins important, avec ce qu'il désire nous raconter. Son écriture parfaitement maîtrisée, d'une ampleur hypnotique, vient peu à peu faire découvrir au lecteur un cheminement insoupçonnable qui va venir mettre en lumière le malaise grandissant ressenti par Juan. Un lieu, une attente, des paroles identiques, une main posée sur une épaule seront autant de sujet qui semblent nous mener nulle part et pourtant…
Un texte étrange, profond, d'une qualité littéraire indubitable et dont le fil court sur les mots sans que l'on puisse saisir à l'avance les indices disséminés par cet auteur espagnol.
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critiques presse (1)
Telerama
11 janvier 2017
Sexe, mensonges et postfranquisme. L'enquête envoûtante d'un faux ingénu dans le Madrid de la Movida.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
C'est ainsi que dorment ou croient dormir la plupart des couples, tous deux tournés dans le même sens quand ils se souhaitent une bonne nuit, de sorte que l'un tourne le dos à l'autre tout au long de la nuit et se sait protégé par lui, par cet autre, et au milieu de la nuit, lorsqu'un cauchemar le réveille en sursaut ou qu'il ne peut trouver le sommeil, parce qu'il est fiévreux ou se croit seul, abandonné et dans le noir, il n'a qu'à se retourner et voir, juste en face de lui, le visage de celui qui le protège et qui se laissera embrasser partout où l'on peut l'embrasser (le nez, les yeux et la bouche ; le menton, le front et les joues, c'est tout le visage) ou qui peut-être, dans un demi-sommeil, lui mettra la main sur l'épaule pour l'apaiser, pour le tenir, ou s'agripper peut-être.
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"Chaque fois que j'attends une réponse, je suis terrifiée à l'idée qu'il n'y en ait pas mais tout autant à l'idée qu'elle arrive. En général, tout finit en désastre, mais tant que les choses n'ont pas eu lieu, j'ai une impression de clarté absolue, de possibilités infinies. Je me sens comme à quinze ans, le scepticisme ne m'atteint pas, c'est drôle. Je ne peux m'empêcher d'espérer. La plupart des types que je rencontre après sont indignes, des types répugnants, parfois je finis quand même par sortir et aller dîner avec eux et même au-delà uniquement parce qu'ils ont été précédés de l'attente et des lettres, sinon, je ne traverserais même pas la rue en leur compagnie. Je suppose qu'ils en ont autant à mon service."
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Le problème majeur et le plus courant au début d'un mariage raisonnablement conventionnel c'est que, malgré sa fragilité de nos jours et les facilités qu'on les contractants pour défaire leurs liens, il soit généralement inévitable de ressentir un sentiment désagréable d'aboutissement, et donc de point final, ou, plus exactement (puisque les jours s'écoulent imperturbables, à l'infini), que le moment est venu de se consacrer à autre chose. Je sais bien que ce sentiment est pernicieux et erroné, et que y succomber ou en tenir compte est la principale cause d'échec de tant de mariages prometteurs, à peine commencent-ils à exister.
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Parfois, j'ai le sentiment que rien de ce qui arrive n'arrive vraiment, parce que rien n'arrive sans interruption, rien ne perdure, ne persiste, ne se rappelle constamment, et même la plus monotone et routinière des existence s'annule et se nie elle-même dans son apparente répétition, au point que rien ni personne n'a jamais été le même auparavant, et la faible roue du monde est mue par des sans-mémoire qui entendent, voient et savent ce qui n'est pas dit et n'a pas lieu, est inconnaissable et invérifiable.
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[...] ... Et ma hâte venait de ce que j'avais conscience que ce que je n'entendais pas maintenant, je ne l'entendrai jamais ; il n'y aurait pas de répétition, comme quand on écoute une bande magnétique ou que l'on voit une vidéo et que l'on peut revenir en arrière, chaque chuchotement non appréhendé, non compris, se perdrait à jamais. C'est l'inconvénient de tout événement non enregistré, ou pire, ni su ni vu ni entendu, car il n'y a plus aucun moyen de le restituer. Le jour où nous n'étions pas ensemble ne nous verra jamais réunis, ce qu'on allait nous dire au téléphone que nous n'avons pas décroché ne sera jamais dit, pas la même chose et pas dans le même esprit ; et tout sera légèrement différent ou radicalement, faute d'avoir osé répondre, par indécision. Mais même si nous étions ensemble ce jour-là, si nous étions à la maison quand on a appelé, ou si nous nous sommes décidés à répondre en faisant taire nos craintes, et en oubliant le risque, rien de tout cela ne se répétera, et viendra le moment où avoir été ensemble équivaudra à ne pas l'avoir été, avoir décroché le téléphone à ne l'avoir pas fait, et s'être décidé à répondre à s'être tu. Même les choses les plus ineffaçables ont leur temps, comme celles qui ne laissent pas de traces ou n'ont pas lieu, et si le sachant nous les notons, les enregistrons ou les filmons, si nous multiplions les aide-mémoire, en essayant même de remplacer ce qui est arrivé par les notes prises, l'enregistrement ou l'image de ce qui s'est passé, en sorte que ce qui arrive réellement depuis le début soit ce qui a été noté, enregistré ou filmé et rien d'autre, même dans ce perfectionnement infini de la répétition nous aurons perdu le temps pendant lequel les choses ont vraiment eu lieu (même si c'est le temps de l'enregistrement) ; ... [...]
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