Le premier amour

Au bord d’un large ruisseau
C’est une nuit des premiers âges. Sous la lune, un large ruisseau coule en silence dans une petite gorge. Au loin, un incendie énorme ravage la forêt préhistorique. Le ronflement du Feu emplit tout l’horizon. Soudain, à travers la fumée, des ombres surgissent, dans une course éperdue. Ce sont des hommes, les plus grands et les plus forts de la tribu. Ils ont fui les premiers, parce qu’ils emportent le trésor de la race ; ils sont chargés d’enfants, qui se cramponnent à leurs bras, à leur cou, à leur épaisse chevelure. Ils traversent le ruisseau à gué.
Lorsque ces hommes sont passés, voici la troupe des femmes : plusieurs portent des nourrissons. Elles ont de longs cheveux noirs, elles sont vêtues de peaux de bêtes grossièrement attachées par des lanières de cuir brut. Il passe plus de trente femmes, et voici les hommes. Ils portent à la main le javelot à pointe de silex, à la ceinture la hache de pierre. Eux aussi sont vêtus de peaux d’ours, de loups, de hyènes. Ils fuient en regardant derrière eux, et l’angoisse creuse leur visage. On entend, dans la nuit, un appel modulé. De tous côtés, des cris lui répondent. Les mâles chargés d’enfants sont arrivés au sommet d’une colline aride, au sol désertique. Les femmes les ont rejoints. Elles étendent sur le sol des peaux de bêtes. Les mâles y déposent des enfants endormis ; les plus grands – de cinq à sept ans – sautent à terre et vont se blottir tous ensemble sur la litière de fourrure. Bientôt, ils forment comme un tas de petites bêtes étroitement serrées les unes contre les autres. Ces enfants sont graves et silencieux. Les femmes se groupent en cercle autour d’eux. Personne ne parle, les gestes semblent avoir été réglés d’avance. Tous sont noirs de fumée. Plusieurs sont blessés.

La fille : Tout le monde m'a vue nue dans la tribu. Mais toi, je ne voulais pas.
L'homme : Pourquoi ?
La fille : Je ne sais pas.
L'homme : Je n'étais pas ton frère et ton ami autant que les autres ?
La fille ; Tu n'es pas mon frère, tu n'es pas mon ami. Tu es toi.