QUE RESTE T-IL DE L'HONNEUR ?
On ressort de ce livre fort d'impressions très mélangées....Une question d'apparence périmée (
Jean-René van der Plaetse soulève la même interrogation dans le livre dédié à son grand-père "La nostalgie de l'honneur"), des considérations très "image d'Epinal" sur la vie de famille, un conservatisme qui fleure bon le hobereau de province, un goût avéré pour le privilège aristocratique....
Bref un passé décomposé qui se regarde de loin comme on jetterait un oeil distrait sur un tableau d'ingres, du baron Gros ou d'Isabey.
L'affaire ne s'arrête cependant pas là.
Tout d'abord
Alfred de Vigny écrit merveilleusement :
"Ce jour-là, il y avait en mer une seule frégate anglaise. Elle courait des bordées avec une majestueuse lenteur ; elle allait, elle venait, elle virait, elle se penchait,elle se relevait, elle se mirait, elle glissait, elle s'arrêtait, elle jouait au soleil comme un cygne qui se baigne".
Les nouvelles tirent vers le gothique ou l'effroyable ("Laurette", "La veillée de Vincennes"), détaille la dure lenteur désoeuvrée de la vie militaire en tant de Paix, montre une Communauté d'Esprits disciplinés prêts à tout endurer pour étancher la soif permanente du Danger (Sysiphe, Tantale, les Danaïdes).
"La canne de jonc", vie d'un capitaine de vieilles troupes, rassis d'abnégation, traite de la férocité
de la Guerre, des horreurs absolues, des sacrifices et des combats toujours mortels , fait le portrait de Napoléon qu'il n'aime pas et qui le fascine (on pense aux officiers anglais durant la guerre du Désert de 1942 quasi-hypnotisés par
Rommel) et témoigne de la vaillance silencieuse qui supporte la captivité, l'éloignement et l'oubli.
Au centre de ces récits,
Bonaparte, le Dieu
de la Guerre selon
Clausewitz, l'Aigle foudroyant, le Capitaine égal d'Alexandre et de César, dominateur, fanatisant, vampirisant...
Le voilà insultant le Pape :
"Comédien ! Ah ! messieurs, vous prenez vite pied chez nous ! Vous êtes de mauvaise humeur parce que je n'ai pas été assez sot pour signer, comme
Louis XIV, la désapprobation des libertés gallicanes ! Mais on ne me pipe pas ainsi. -C'est moi qui vous tiens dans mes doigts ; c'est moi qui vous porte du Midi au Nord comme des marionnettes ; c'est moi qui fais semblant de vous compter pour quelque chose parce que vous représentez une vieille idée que je veux ressusciter ; et vous n'avez pas l'esprit de voir cela et de faire comme si vous ne vous en aperceviez pas.
Mais non ! il faut tout vous dire ! il faut vous mettre le nez sur les choses pour que vous les compreniez. Et vous croyez bonnement que l'on a besoin de vous, et vous relevez la tête, et vous vous drapez dans vos robes de femme ! - Mais sachez bien qu'elles ne m'en imposentnullement, et que, si vous continuez, vous ! je traiterai la vôtre comme Charles XII celle du grand vizir : je la déchirerai d'un coup d'éperon. »...
Et en fond de décor, cette litanie sourde, insistante, distillant un leitmotive évocateur de la tapisserie de Pénélope : "Ce qui nous tient debout, c'est l'Honneur"...L'Honneur, l'amour de la Patrie, le don de soi, l'individu fondu, consciemment dans le collectif...L'Honneur, cette scie du Roman National, cette "valeur" à déconstruire, l'Honneur auquel on croit quand quand on a été instruit, comme moi, dans l'Ecole finissante des Hussards Noirs qui tenaient autant de Péguy que du petit père Combes...
Je ne sais pas ce qui nous tient debout en ce début de XXIème siècle.
Alfred de Vgny, en parlant de l'Armée et du pays, avec une acuité très actuelle, en faisant oeuvre d'écrivain-romancier rémémorant ce que ce mot peut sous tendre, en affirmant la primauté de cette vision "médiévale" (on pense ici à la mort très récente d'un colonel de Gendarmerie) nous rappelle à cette Notion aussi vieille que l'Histoire de France.
"Madame, pour vous avertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve. » (
François Ier, après la défaite de Pavie-1525)..."Tout est perd fors l'honneur"...
Quand on perd l'Honneur...que reste t-il ?