Kapuscinsky, jeune journaliste, veut partir, franchir des frontières, s'évader, peu importe où, puisque nous sommes en 1954, quand dans son pays tout est sujet à caution, tout est suspect, toute phrase peut être équivoque.
Les «
histoires » d'
Hérodote furent publiées en Pologne en 1955. Quand le journaliste est envoyé en Inde, son supérieur lui offre le livre du grec. Il débarque avec un costume style « pacte de Varsovie cuvée 56 », dit-il avec humour…
Le propos de ces « Voyages » n'est évidemment pas d'aller sur les traces d'
Hérodote, qui ne connaissait que le monde connu autour de la Grèce en l'an 450 : l'Égypte, la Syrie, l'empire perse avec Babylone (dans l'actuel Irak) l'Ukraine actuelle et la Macédoine.
Car Kapuscinsky ne peut choisir où il va aller et il lit le livre là où il est envoyé par son journal, avec des comparaisons et des références, des retours sur l'enfance et les difficultés rencontrées par
Hérodote.
« Les voyages avec
Hérodote » est donc plutôt l'histoire de la vie et des coutumes en général à Athènes, où seuls les citoyens dont les deux parents sont nés en Attique peuvent bénéficier des droits politiques. Or
Hérodote est né en terre d'Asie, l'actuelle Turquie, il n'a donc aucun droit.
Ce n'est pas une recherche « sur les pas de », un voyage reprenant les découvertes de ce premier géographe, le « père de l'histoire » selon
Cicéron, que nous présente l'auteur. Ce sont ses réflexions personnelles, le choc qu'il a eu en Inde, où il découvre la pauvreté et le mysticisme : « Individuellement, en groupes, par clans entiers. Des colonnes de pèlerins. Des estropiés avec leurs béquilles. Des squelettes de vieillards portés sur les épaules de jeunes gens. Des êtres tordus et mutilés rampant avec peine sur l'asphalte éventré et défoncé. Des vaches, des chèvres ainsi que des hordes de chiens faméliques escortant »
L'auteur passe d'un relatif paradis polonais à un enfer absolu. Et en profite pour remonter dans l'histoire, non pas d'
Hérodote, mais par exemple la pensée de
Confucius lorsqu'il est envoyé en Chine : « Le confucianisme est une philosophie de pouvoir, de fonctionnaires, de structure, d'ordre, de garde-à-vous ; le taoïsme est la sagesse de ceux qui refusent de jouer le jeu et veulent rester ».
Il se sent en même temps attiré par ces civilisations si lointaines de la sienne, et pourtant pas intégré :
« Me sentais-je en sécurité ? Oui. Étranger ? Non. Bizarre ? Oui, mais j'aurais été incapable de définir cette sensation qui pourtant ne tarda pas à se préciser lorsqu'un homme aux pieds nus est entré dans ma chambre avec une théière et quelques biscuits. C'était la première fois de ma vie qu'il m'arrivait une chose pareille ».
Très érudit, reprenant les guerres médiques par le menu, la guerre de Troie, R K médite bien entendu sur les guerres, le pourquoi des guerres et le désir de vengeance. Il imagine aussi la manière de voyager d'
Hérodote en Égypte, et nous livre ses propres aventures vécues dans le même pays. Enfin, au Congo, il lit
Mary Kingsley et Balandier, sans oublier le livre d'
Hérodote.
Finalement, que ce soit en Éthiopie, ou dans tous les autres pays d'Afrique qu'il doit chroniquer en tant que journaliste, R K est tellement obsédé par
Hérodote qu'il en oublie, nous confie-t-il, le temps et les lieux.
Étrange manière de voyager, étrange livre, et pourtant bon voyage nous est offert dans l'histoire en général.