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Critiques de Anatole France (265)
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Les dieux ont soif

Anatole France. Grand écrivain, figure intellectuelle dominante de la IIIe République, socialiste, dreyfusard, féministe et Prix Nobel de Littérature. Actualité : purgatoire.



Les Dieux ont soif, paru en 1912, est d’un classicisme évident. Le langage y est soutenu, le vocabulaire et les références historiques fouillées, sans pour autant alourdir le style fluide et les chapitres brefs, à lire en Vendémiaire comme en Thermidor.



***



« Mais ne me dit pas que la Révolution établira l’égalité, parce que les hommes ne seront jamais égaux »



Nous sommes au cœur de la période révolutionnaire de la « Terreur » et nous ne pleurons pas les têtes couronnées, nous ne suivons pas la fuite à Varennes ou la Prison du Temple, nous ne sommes pas non plus dans la tête de Robespierre ou de Marat.

Mieux encore, nous suivons, comme si nous y étions, des parisiennes et des parisiens « moyens », des gens du peuple qui dans leur humble condition regardaient « la lâcheté comme un devoir ». Au cœur de la ville et ses commerces, ses disettes, ses rumeurs, ses voluptés et ses parenthèses bucoliques, ce Paris des « artisans et ménagères, qui eussent de bon cœur brûlé le château de Versailles, mais se fussent crus déshonorés s’ils y avaient dérobé une épingle. »



« Que la guillotine sauve la patrie ! » Evariste Gamelin, jeune peintre jacobin, est à l’image de l’Incorruptible : ni la pitié ni la compassion ne peuvent le corrompre.



« Il est vertueux : il sera terrible. » Ces mots reflètent l’esprit même du Comité de Salut Public ; lorsque le personnage se dit qu’après tout le despote, le tyran a guillotiné à tour de bras, pourquoi la Révolution ne pourrait -elle pas, pour une si noble cause, couper quelques têtes à son tour : appliquer les mêmes remèdes que la monarchie en espérant un résultat différent dans la population, naïveté ou folie ?

« La vieille idée monarchique de la raison d’État inspirait le Tribunal révolutionnaire ». C’est l’impasse des jacobins, et leur tribunal arbitraire : « un juré patriote est au-dessus des passions. » Drapés dans leur vertu sanguinaire, une vertu éducative, par le sang la paix viendra, par la guillotine la fraternité règnera c’est finalement eux qui ont perdu la tête, si j’ose dire.



« Je n’ai rien vu d’aussi impassible dans le marbre glacé des statues. » Barras. Dictateur proto-stalinien, hyper centralisateur et laïcard pour les uns, modéré acculé par les vendéens et les armées monarchistes de l’Europe entière fomentant des complots d’aristocrates, d’agioteurs, de généraux et de curés pour faire tomber la jeune République pour les autres ou encore partisan d’une révolution bourgeoise et conservatrice niant les revendications d’égalité des femmes et de partage de la propriété privée du bas peuple, le débat autour de Robespierre et ses partisans de la Convention est sans fin.

On sait que beaucoup de dictateurs, austères en public, se comportaient, dans leur duplicité, en hédonistes voraces, criminels et sadiques en privé, mais il semble que Robespierre se distingue par une austérité privée comme publique (avoir tant de pouvoir et ne même pas en profiter).



Que n’a-t-on pas fait au nom du « bien » ou du « bonheur » … Disons qu’il y a ceux qui savent que la rhétorique de la vertu, du souverain bien n’est qu’un alibi pour leur pouvoir et ceux qui naïfs, perdus « dans la région des certitudes absolues », sont convaincus…lesquels sont les plus dangereux ? Ou est-ce un mal nécessaire ? « la patrie maudissait ses sauveurs. Qu’elle nous maudisse et qu’elle soit sauvée » déclare Evariste.



« L’unique fin des êtres semble de devenir la pâture d’autres êtres destinés à la même fin. » N’espérez pas d’Anatole France qu’il tranche la question, néanmoins, on peut supposer que sa sympathie va à Brotteaux.

« Je pense que ces gens-ci donnent à un philosophe et à un amateur de spectacles ample matière à réflexion et à divertissement ». Le citoyen Brotteaux en effet est un libre penseur, décrit comme libertin, athée et épicurien, pas naïf quant aux structures et rapports de force qui influencent et radicalisent les passions individuelles, il a le regard le plus dépassionné sur les évènements du livre et démasque les métamorphoses du tyran, de la fleur de lys au bonnet phrygien.



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Les dieux ont soif

Anatole France, compagnon de lutte de Jean Jaurès, porte-parole de la gauche anticléricale, critique lucide du régime soviétique, s'apprêtant à écrire "Les dieux ont soif", avait initialement choisi un personnage d’inquisiteur médiéval avant de situer son action dans la période précédant la Terreur.

La nouvelle religion de l'Humanité est incarnée par les prophètes montagnards, et dès le début du livre, qui décrit un couvent de Barnabites occupé par une Section, le parallèle entre foi religieuse et foi révolutionnaire est évident.

Les niches des saints sont occupées par les martyrs de la Révolution, et sur l’autel trône la Déclaration des Droits de l'Homme.

Une main noire flèche le chemin sous-titrée : « Comité de surveillance, Comité de bienfaisance. ». Tout un programme.

Anatole France, écrit ici l'Histoire par le biais de la fiction, et les grandes figures que sont Robespierre, Marat, Saint-Just ne figurent qu’en arrière-plan.

Nous suivons en effet Evariste Gamelin, peintre besogneux émule de Louis David, promu au rang de juré du Tribunal révolutionnaire.

Sa conversion à la religion révolutionnaire, qui fait couler le sang et traque les infidèles rebaptisés « suspects » est superbement mise en scène.

En face de ce personnage, M. Brotteaux, marquis des Ilettes et fermier général, reconverti dans la fabrication de pantins (attention à la ressemblance avec des figures iconiques de la révolution) vivant au fond d'un misérable galetas, apporte le contrepoint presque parfait au triste Gamelin.

La force du livre vient du décalage entre cette vision mystique de l’homme nouveau purifié par l’usage de la guillotine de l’un et la leçon de pragmatisme résigné (de sagesse donc ?) de l’autre.

Là où le premier s’exalte, le second réfléchit. L’un condamne, l’autre accueille.

C’est donc un livre qui nous fait réfléchir au prix que font payer les idéologies, civiles ou religieuses, à ceux qui les servent, à ceux qui les combattent.

Classique indispensable.

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Les dieux ont soif

Paris 1793. Peintre médiocre et désargenté, Evariste Gamelin a pris fait et cause pour la Révolution dont il admire les héros, Marat et Robespierre. Citoyen exemplaire -il fait partie de la section révolutionnaire de son quartier-, c'est aussi un bon fils qui s'occupe de sa mère veuve et l'amoureux transi de la belle Elodie, la fille du marchand d'estampes à qui il vend ses oeuvres. Charmant et généreux, il n'hésite pas à partager le peu qu'il a avec les miséreux mais devient intransigeant dès qu'on ose critiquer la Révolution devant lui. Cette intransigeance va se s'exacerber lorsqu'il est nommé juré au Tribunal révolutionnaire. Attaqué à l'extérieur et à l'intérieur, le régime se défend par la Terreur et les condamnations à mort sont légion. Evariste se plonge corps et âme dans sa mission, ajoutant au sang, le sang de ses ennemis personnels, l'amant de sa soeur qu'il exècre pour s'être un temps exilé, son voisin, le sage Brotteaux et surtout l'aristocrate qu'il soupçonne, à tort, d'avoir séduit et abandonné sa tendre Elodie. Impitoyable, aveugle et sourd aux prières comme aux injonctions de ses proches, Evariste condamne à la guillotine à tour de bras et ne s'arrêtera qu'avec la fin de la Terreur. Il périra alors de la même façon qu'il aura fait périr.



Roman de la Terreur, du fanatisme, de la foi aveugle, Les Dieux ont soif est un caillou dans la mare de la Révolution vue comme source de progrès, d'égalité, de liberté. Ici la politique est érigée en religion. Les fidèles croient sans réfléchir et sont prêts à tuer pour leurs dieux, les incroyants sont considérés comme des traîtres, des infidèles qui méritent la mort. Evariste Gamelin est le prototype du croyant convaincu qui ne s'embarrasse pas des scrupules qui parfois l'effleurent. Pour la cause, il faut faire des sacrifices, purger la société de ceux qui la gangrènent et qu'importe si l'on devient plus sanguinaire encore que ceux que l'on combat. A l'opposé, son voisin Brotteaux apparaît comme un homme sage et ouvert qui n'hésite pas à se mettre en danger pour sauver un homme dont il ne partage pas les convictions. L'intransigeant et le sage mourront, victime tous deux d'une époque violente et d'un idéal qui s'est fourvoyé.

Si Anatole France ne juge pas, il aime à montrer que la démocratie est née dans le sang et qu'on peut faire le pire au nom du meilleur.

Ecrivain oublié, il est pourtant tellement moderne. S'il décrit les mécanismes qui ont conduits les révolutionnaires au pire, chantres de l'égalité, de la liberté et de libération du peuple soumis à la monarchie, on peut transposer son récit à la révolution russe de 1917 qui a conduit au stalinisme et à tout autre régime totalitaire passé ou à venir. Car à vouloir faire le bonheur du peuple contre son gré, on le mène inévitablement vers son malheur…

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Le Livre de mon ami

♫Ce soir je sens sous ma plume

Un fourmillement familier

Quand le soleil du coeur s'allume

L'éteindre serait un péché

C'est mon ami et c'est mon maître

C'est mon maître et c'est mon ami

Dès que je l'ai vu apparaître

J'ai tout d'suite su que c'était lui

Lui qui allait m'apprendre à être

Ce que modestement je suis



Y'a peut-être plus malin que moi ailleurs

plus fort, plus puissant aussi

Mais je suis sûr que personne t'aimeras comme je le fais

Toi et moi et plus les années passent,

plus on est solidaires

C'est peut-être ça notre destinée

En tout cas, crois-moi

Je suis toujours là

Car je suis ton ami♫

Serge Lama -hommage à Marcel Gobineau - 1974

Charlelie Couture - Toy Story -1995 + 2019



J'aurais dû cette lettre

Ne pas l'ouvrir peut-être

Si j'ose dire, une mantille du langage

dont seul un Renan¹ L'eusse eu l'usage

mais qu'il l'eût eu, plairait davantage

Le don de faire apparaître le passé

est bien meilleur que celui de voir l'avenir...

bref, Il est doux de se souvenir,



Livre que mon père avait gardé pour sa progéniture

j'ai fermé ce livre où vert , cuir était sa splendide parure

Anatole France nous énonce les lois de la Nature

https://www.lespasseurs.com/Les_12_lois_de_la_Vie.htm

Au milieu du chemin de la vie...

j'obéis,

mon coeur et mon corps sont chauds, sûrs

J'aime qu'à tout age on soit un peu mutin

celui qui vous parle est un paisible citoyen

Concevez que qui a été puisse n'être plus

Illusions, apparences, âmes de nos chers disparus

Je souhaite à tous ceux que j'aime un petit grain de folie

Rayon de lune, bruissement de feuilles , battement d'ailes, murmures de l'oubli.

Selon méthode Mythologie comparée

Petit Chaperon Rouge meurt et renaît

Comme chaque aurore avant que le soleil n'apparaît.



Avoir point d'utilité,

(c'est bien futile)

est le propre des honneurs

Savoir donner

(son bien fut-il plutôt que celui d'autrui)

est le secret du bonheur.



"Fée, en italien fata, en espagnol hada, en portugais et en provençal fada et fade; fadette dans ce patois berrichon qu'illustra George Sand, est sorti du latin fatum, qui signifie destin. [...] Les fées sont nos destinées. Une figure de femme sied bien à la destinée qui est capricieuse, séduisante, décevante, pleine de charme, de trouble et de péril.[...]

La liberté est une illusion et la fée une vérité...."

p242



Anatole France (1844-1924), Nobel de Littérature, 1921



¹ pour Joseph Ernest Renan, voir ma citation du 26/07
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La rôtisserie de la reine Pédauque

Elme-Laurent-Jacques Ménétrier, finalement devenu libraire rue St Jacques, a ici pour dessein de rapporter les rencontres singulières de sa vie.

Il en fit de belles et d'étranges ...

Ce récit d'Anatole France résonne comme une parabole.

Il semble léger et fait pour sourire, embarrassé comme un vieux grimoire d'alchimiste de vieilles références mystérieuses.

Jacques Tourne-broche était promis à succéder à son père rotisseur à l'enseigne de "la reine Pédauque".

A-t-elle d'ailleurs jamais existé cette reine wisigoth aux pieds d'oison ?

Cette controverse, un temps, fit rage dans le coeur du peuple.

Et de controverse, il sera ici question, puisque c'est le coeur du livre d'Anatole France.

Jacques Tournebroche aimait les livres.

Il eût pour maître Jérôme Coignard avec lequel il travailla à des traductions pour Mr d'Astarac, un étrange philosophe à la recherche d'une science perdue ...

Les personnages d'Anatole France sont truculents et originaux, teintés aux pigments anciens.

"La rotisserie de la reine Pédauque" est, vu d'ensemble, un magnifique tableau du XVIIIème siècle.

Mais regardé de plus près, au détail scruté, le décor contourné se révèle comme un passage secret vers la pensée profonde d'Anatole France.

Car, ce récit est entremêlé de philosophie et de théologie.

Il est tissé d'une littérature d'ironie sereine, mais lucide et déterminée.

Il est parfois sagement leste, mais jamais grivois.

Ce livre est celui d'un homme de qualité qui aimait la vie et les gens.

Les idées, pourtant exprimées dans un style classique faussement désuet, y sont modernes.

Elles sont exprimées sans détours, ni circonvolutions.

L'Eglise, les gens de bien, les détenteurs de toute vérité y sont écornés sans faiblesse.

En quelques mots, le compte est réglé.

Mais jamais définitivement.

Il faut savoir ignorer, et ne pas porter rancune aux gens de bien car à leur table se tiennent deux serviteurs vêtus de noir : la contrainte et l'ennui ...

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Les Opinions de M. Jérôme Coignard

"O tempora, o mores !"

(Cicéron, "Catilinaires")



Il ne m'est pas facile de commenter un livre où il ne se passe, en apparence, rien. Mais j'ai une fâcheuse tendance à corner les pages avec des "citations" intéressantes, et le fait que ces "Opinions" ont doublé de volume en haut à droite parle peut-être mieux que toute autre chose...

En tout cas, c'est ma première rencontre avec le style d'Anatole France, et c'était tout sauf une déception. Son vocabulaire délicieux (qu'on ne risque plus de voir de nos jours), ses phrases longues et bien tournées, ces idées qui frôlent l'anarchie, mais qui sont exprimées avec lucidité et une sorte de bienveillance; tout ça en dit long sur l'auteur.



Je me demande si, finalement, cette introduction cicéronesque convient tout à fait. Car l'abbé Jérôme Coignard ne s'indigne jamais ouvertement des moeurs de son époque : il en reste un observateur pragmatique. Mais ces observations détachées d'un humaniste érudit ont une portée tout à fait universelle, même si elles concernent l'époque d'avant la Révolution de 1789. Bien sûr, nous ne sommes pas surpris d'y trouver beaucoup de similitudes avec la nôtre. Ce bon abbé n'a t-il pas raison, quand il dit que les époques se suivent, les régimes changent, et les gens restent toujours les mêmes ?



En tout cas, quel personnage ! A. France en fait un héros de deux de ses livres : "La Rôtisserie de la Reine Pédanque" qui (si j'ai bien compris) est plutôt un livre d'aventures, et ces "Opinions", qui consistent en discussions sur des sujets variés.

Certes, il ne se "passe" presque rien, et pourtant c'est loin d'être ennuyeux : en cette année 1720, Jérôme Coignard navigue entre la librairie de M. Blaizot et des lieux populaires comme ladite rôtisserie, accompagné de son disciple Jacques Tournebroche, qui recueille ses propos dans ce livre.

Tous les sujets y passent : la religion et l'athéisme, les ministères et les ministres, la science, l'armée, les académiciens, la justice, et même les oeufs de Pâque rouges ! Tel un philosophe péripatéticien, Coignard instruit son fidèle Tournebroche en route, en montrant pas mal de scepticisme envers les institutions, mais aussi beaucoup de bon sens et d'indulgence envers la race humaine. C'est un bon-vivant qui parle avec une certaine amertume et parfois avec un brin de cynisme; mais qu'est-ce le cynisme si ce n'est pas l'objectivité vêtue d'un peu d'ironie ?

Et selon l'interlocuteur du moment, ces causeries se passent dans l'entente la plus cordiale autour d'un pichet de bon rouge dans cette chère rôtisserie au sol couvert de paille, ou bien elles sont tendues et se finissent par un gros claquement de porte. Peu importe au bon abbé, il finit toujours son pichet, même seul.

Mais les plus intéressants sont les sujets abordés avec les gens qui finissent par dire : "Vous êtes fou, l'abbé ! Mais je vous aime bien !" Le rusé abbé est un maître de la spéculation pure, et sa force de persuasion est surprenante. Parfois on voudrait le contredire, mais il finit toujours par avoir le dernier mot, même s'il assène ses vérités avec une audace qui choque souvent ses contemporains.



Les temps passe, ces échevins de l'époque sont devenus conseilleurs, les ministres n'ont guère changé et la justice reste toujours aveugle. Et que pense maître Coignard de ces "responsables" vers qui on se tourne parce que la vieille école du quartier est toute en bois, et qui proposent d'installer une pompe à eau que les enfants pourraient actionner eux mêmes en cas d'incendie ?



"Pitié, monsieur l'abbé, parlez plus bas !"
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Le puits de Sainte Claire

A force de lire des critiques d'Anatole France, je me suis jetée à l'eau (c'est le cas de dire) avec le puits de Sainte-Claire.

C'est joliment écrit et rafraîchissant, Anatole France a été écrivain, critique, Prix Nobel de littérature pour son oeuvre en 1921, toute une vie dédiée aux livres car il a été libraire, bibliothécaire, collectionneur. C'était aussi un auteur engagé pour son époque.

Là, ce sont des nouvelles, qui se passent en Toscane, au Moyen-Âge et à la Renaissance, un petit voyage dans le temps parmi les artistes, la noblesse, les moines...

La première nouvelle saint Satyre est fantastique et surprenante. J'ai bien aimé : le joyeux Bufalmacco et ses plaisanteries, Fra Giovanni et sa recherche de la vérité ainsi que Bonaparte à San Miniato.

Après cette première lecture, je vais essayer ses romans mais je suis surprise par le peu de lecteurs, le style s'accorde à tout le monde par sa simplicité et sa clarté. Une lecture détente pour les vacances.
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Le Crime de Sylvestre Bonnard

Le décor principal de ce récit est une profonde bibliothèque, "la cité des livres" érigée au prix de modiques pécules et d'un zèle infatigable, une collection qu'Hamilcar, le chat, défend contre tous vils rongeurs .

Le personnage principal de l'ouvrage est un philologue bibliophile, un vieux savant à la recherche de l'ancestral manuscrit de Jean ToutMouillé.

Sylvestre Bonnard, vénérable membre de l'Institut, a un peu peur de Thérèse, sa gouvernante.

Mais il sait mieux qu'il ne veut bien l'avouer déchiffrer le livre de la vie .

Il n'aime pas trop les gens raisonnables !

"Le crime de Sylvestre Bonnard membre de l'Institut" est un livre d'Anatole France, son premier roman, paru aux éditions Calmann Lévy en 1881.

C'est un livre à l'antithèse de la littérature d'aujourd'hui.

C'est un livre lent, sans véritable but mais tellement profond et agréable à lire.

Le mot y est éclairé par la lucidité souriante d'Anatole France.

Les réflexions à part, les conversations en font tout l'intérêt, plus que les situations et le fond d'un récit dont même son auteur semble peu se préoccuper.

"Nos passions, c'est nous.

Mes bouquins, c'est moi

Je suis vieux et racorni comme eux".

Anatole France a trente-sept ans mais son livre, déjà, est plein d'une sagesse désuète.

Il est entré de pleine plume dans le personnage de Sylvestre Bonnard.

L'ouvrage est composé de deux chapitres, qui pourraient être deux nouvelles distinctes mais qui, finalement, se tiennent et forment un roman par le ton, le style et le propos : "la bûche" et "Jeanne Alexandre".

La première partie présente avec gourmandise ce vieillard malicieux qui aime les livres et les gens, en même temps qu'elle démontre que le miracle de Noël n'est pas un mirage, et qu'un bienfait n'est jamais perdu.

La seconde est une longue réflexion, qui flâne le long de la vieillesse d'un homme qui reprend goût à la vie en arrachant de la misère une jeune orpheline.

"En vérité l'homme est fait plutôt pour manger des glaces que pour compulser de vieux textes".

Pourtant ce vieux texte d'Anatole France sait se faire profond, philosophique, sage et fou à la fois.

Il contient déjà en substance toute la pensée de celui qui deviendra une des plus belles plumes de son temps.

D'ailleurs "le crime de Sylvestre Bonnard", en 1882, a été récompensé par l'Académie française par son prix Montyon, le prix littéraire alors décerné à l'ouvrage "le plus utile aux moeurs".

Et pourtant, cet ouvrage d'Anatole France est déjà plein de la tranquille subversion que son oeuvre entière a portée sans jamais faiblir ...





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Oeuvres complètes - La vie littéraire troisième e..

Le siècle de l'entre-deux siècles (1850-1950) a donné plus à la Littérature que ce qu'une vie de "bouquinage*" et de reflexion ne pourrait saisir.

Plus que jamais, la vie littéraire y fut intense, riche et prolifique.

Poésie, romans et nouvelles, théâtre, critiques littéraires et sociales ...

L'oeuvre d'Anatole France est tout cela à la fois.

Cet épais volume regroupe les troisième et quatrième séries de l'ensemble de ses critiques ou études littéraires.

Il faut, pour saisir la beauté de cette luxuriante forêt de plumes connues et inconnues, avoir l'amour du style et des belles tournures, le goût des idées puissantes et profondes, le sens du beau et de l'audacieux.

Car l'ouvrage est un de ces livres où l'on s'enfonce entre les idées fortes, tout en désirant pourtant flâner entre les belles phrases.

En peu de mots, Anatole France livre l'essentiel d'une analyse aigue, offre toute l'étendue de son incomparable érudition.

Mais quels mots !

A-t-on déjà mieux évoqué la Littérature, l'épais catalogue de ses auteurs ?

Chaque page, chaque ligne semble contenir quelque sens étonnant, évident ou perturbant.

Qui a mieux raconté Rabelais ?

Qui a mieux compris Verlaine ?

Qui a mieux saisi Zola qu'Anatole France ?

Anatole France avait à coeur, ici, de dire ces choses, parce que, croit-il sans se flatter, qu'un autre ne les dirait pas, et que sa folie est unique, du moins le soupçonne-t-il.

Pourtant que le sourire en coin et la plume bonhomme ne trompent pas le lecteur :

Anatole France est un subversif.

Un subversif tranquille et patelin mais un subversif.

Sa pensée est moderne.

Elle pose des regards audacieux sur la morale, les moeurs, la religion et la philosophie.

Entend-on le, aujourd'hui, dire que "le patriotisme est le sentiment qui, sans nul doute, a inspiré le plus de bêtises et le plus de laideurs".

Entend-on le déclarer que "le charme du passé n'est que dans nos rêves, et qu'en réalité le temps jadis, dont nous respirons délicieusement la poésie, avait dans sa nouveauté ce goût banal et triste de toutes les choses parmi lesquelles s'écoule la vie humaine".

Anatole France retrace le destin de l'écrivain, la difficulté pour ce dernier d'accoucher d'un chef d'oeuvre.

Il n'est que de lire le portrait sensible et délicat qu'il brosse de Jules Tellier.

Anatole France a la fantaisie d'aimer lire un livre sans le couper, de faire l'apologie du plagiat.

Il remonte, ici, jusqu'à l'origine des couvertures d'abord toutes jaunes parce qu'elles se voyaient ainsi de loin dans la vitrine du libraire, jusqu'à l'origine de la pile, signe chez ce même libraire de la gloire d'un écrivain.

Les soixante deux études ou critiques contenues dans ce volumes ont paru préalablement dans le journal "Le Temps" aux dates respectivement indiquées dans un post-face.

Elles ont donné à la Littérature plus que ce qu'une première lecture ne pourrait saisir.

La forêt semble impénétrable mais recèle tant de fugitifs et beaux paysages ...



* l'expression appartient à Anatole France
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La révolte des anges

L'ENFER AU PARADIS !



Anatole France ne s'entourait guère que de son humour confinant à la plus mordante des ironies pour mettre le lecteur dans le ton de son oeuvre tout autant que de ses intentions. Ainsi, il n'est nul besoin d'aller plus loin que les deux premières pages de la révolte des anges pour savoir à quels genres de personnages on a affaire avec les héros plus ou moins malheureux de ce roman, ceux qui constituent la bourgeoise et fort honorable famille d'Esparvieu, et qu'il en sera fort probablement pour les frais de deux notables institutions, fondements de la société de l'époque - nous sommes à la veille de la Grande Boucherie, le livre étant publié en 1914 - à savoir le sabre (l'armée) mais surtout et en premier lieu, le goupillon (l'église catholique mais aussi la religion de manière plus globale). Ainsi l'auteur nous assure-t-il presque dès l'entame, d'une part que «Depuis le Concordat de 1801 jusqu'aux dernières années du Second Empire, tous les d'Esparvieu étaient allés à la messe, pour l'exemple. Sceptiques au-dedans d'eux-mêmes, ils considéraient la religion comme un moyen de gouvernement.» Qu'ensuite, « Sous l'Ancien Régime, le peuple était croyant ; la noblesse ne l'était pas, ni la bourgeoisie lettrée. Sous le Premier Empire, l'armée, du haut en bas, était fort impie. Aujourd'hui, le peuple ne croit à rien. La bourgeoisie veut croire, et y réussit quelquefois, ainsi qu'y réussirent MM. Marc et René d'Esparvieu ».



C'est donc au sein de cette famille de croyants zélés que demeure le jeune Maurice d'Esparvieu en compagnie de cette parentèle qui réside toute entière dans une large demeure dont la fierté est constituée d'une extraordinaire bibliothèque, fondée par le premier géniteur patronymique, un esprit très savant et académique issu du premier Empire, laquelle se compose de tout ce qui compte d'ouvrage philosophiques, scientifiques, métaphysiques, religieux et théologiques que l'esprit humain a pu rédigé depuis l'aube des temps, en passant par les juifs, les grecs, les romains et autres pères de l'Eglise jusqu'à nos jours.



C'est au sein de ce temple de l'esprit qu'Arcade, l'ange gardien du jeune d'Espervieu, va pénétrer par effraction, y perdre la foi après avoir soigneusement étudié les fondements de la religion, de l'origine de (des) dieu(x), connaître l'histoire de la première révolte des Anges. Dès lors, pour Arcade qui vient de découvrir que la vérité se trouve dans les livres, Dieu ne sera plus ni omniscient ni omnipotent. Après avoir pris la décision de se rebeller, il recrutera d'autres de ses congénères révoltés, en exil parmi les hommes : le Prince Istar, un ange libertaire et poseur de bombes, Zita, bel(le) androgyne athée, Nectaire, un très vieil ange jardinier qui participa à la première révolte angélique, menée par Lucifer lors de sa chute... le but des conjurés, aiguillonnés par un Arcade très remonté contre son ancien maître - lequel s'avère n'être qu'un démiurge parmi bien d'autres, d'ailleurs pas le plus important, et non LE dieu de tout l'univers - sera de renverser ce petit dieu et d'établir une forme de gouvernement éclairé, ouvert, sans chef autoritaire ni caste (une démocratie réelle ? Une anarchie ? L'auteur n'est pas absolument clair là-dessus ou, plus exactement, il laisse la porte ouverte à bien des options, selon les velléités des anges déchus rencontrés au Royaume des Cieux.



C'est au cours d'une scène absolument truculente et moqueusement coquine, en tout digne d'une pièce d'un Georges Feydeau ou d'un Eugène Labiche, que le jeune Maurice va tout en même temps rencontrer enfin son Ange Gardien, apprendre brièvement à le connaître et le perdre définitivement, ce dernier ayant donc une révolution à préparer. Dès cet instant, les rôles vont s'inverser et Maurice, l'irrévérencieux, le presque agnostique, le jean-foutre et le chéri de ces dames, comprenant le drame que c'est de perdre un tel atout spirituel, va tout faire pour lui remettre le grappin dessus, tenter désespérément de le remettre à sa juste place, comprendre que c'est désormais impossible et finir par admettre que la situation s'est inversée totalement, à savoir qu'il est désormais l'ange gardien de son ancien ange gardien ! S'ensuit une succession de scène absolument dantesques et rocambolesques au cours desquelles on voit tour à tour les anges expliquer leurs révoltes - elles ne sont pas toutes de même forme ni de même expression -, leur amour des hommes (et bien souvent, des femmes terriennes !), leur dégoût pour ce faux dieu qui a pourtant tant réussi à imposer une doctrine aussi stupide que néfaste sur notre planète depuis près de deux mille ans, leur volonté d'en découdre, par tous les moyens et d'installer enfin sur le trône de Dieu le grand porteur de lumière, l'ange déchu, celui par qui le doute, la connaissance de la vie, les sciences et les arts ont été possibles, celui que les mauvais disciples du faux dieu ont nommé "le diable" ou "Satan" mais dont le nom exact est Lucifer. Lequel, à l'ultime fin d'un long rêve (magnifique de poésie, de puissance intellectuelle et de conviction), va refuser le trône promis et presque conquis, pour le motif qu'il ne veut ni ne peut devenir Dieu à la place de l'Autre au risque d'en reprendre toutes les tares, tous les défauts, toutes les ignominies. parce que le pouvoir salit, qu'il flétrit, qu'il abêtit et oblige à la violence.



Inutile de préciser que ce roman - l'un des ultimes grands textes romanesques d'Anatole France - est une violente charge contre la religion du Livre (principalement le catholicisme mais toutes les religions consacrées peuvent se sentir visées). mais il serait aussi vain qu'intolérable de contraindre Anatole France à un genre de pensée unique et rigide. D'abord, si c'est une charge contre le christianisme tel que vécu par ses coreligionnaires - bien plus vécu comme la crainte d'un vide sans elle que comme une foi profonde -, l'ensemble est bien trop subtil, bien trop aimablement moqueur et empli d'une immense connaissance intellectuelle de son sujet pour s'avérer n'être qu'un énième pamphlet anticlérical. Par ailleurs, l'athée - ou pour le moins l'agnostique - France ne peut s'abstenir d'établir un quasi panégyrique du panthéisme des grecs ou des romains ce qui, reconnaissons-le, pour un athée, demeure une gageure ! Au-delà de la satyre, on peut aussi découvrir un texte immensément désabusé. France avait-il prémonition de la monstrueuse déflagration à venir ? Entendait-il déjà rugir les six trompettes de l'Apocalypse future ? Avait-il prémonition que des hommes au-dessus de la mêlée comme son ami Jean Jaurès seraient éradiqués sur l'hôtel du nationalisme et de la bêtise guerrière ? C'est difficile à dire, bien entendu. Il n'empêche que ce texte incroyable, entremêlant fantastique, philosophie, ironie mordante presque autant que sombre, rêve éveillé, libertinage de circonstance sans plaisir (la postérité a facilement oublié qu'Anatole France fut loin, dans sa vie privée, d'être un "enfant de choeur" !) , critique sociale profonde et comédie de moeurs, etc, décrypte avec une finesse rare notre civilisation, les rêves effondrés de la République (tout n'est pas à comparer avec notre époque, mais tant d'éléments, pourtant) tout autant que les espoirs si souvent trahis de l'humanité.



S'opposant bien évidemment aux dogmes religieux, La révolte des anges refuse aussi bien toute forme de dogmatisme politique, de purisme idéologique, d'absolutisme de l'Absolu, quels qu'ils soient. On comprend mieux dès lors comment Anatole France ne pouvait que s'attirer le saint dégoût des surréalistes - sans même prendre en compte ce style rare, réfléchi et impeccable où le verbe chaloir se conjugue et "chaille", où l'on découvre les "décrétalistes", où les bibles se disséminent en "bibliettes" -, s'attirer les foudres de la papauté (qui mit à l'index son oeuvre toute entière), déplaire invariablement au bon bourgeois, à l'armée, aux anti-dreyfusards, aux républicains bon teint, aux royalistes et aux maurassiens, et se voir aussi surement rejeté par le purisme communisme pourtant naissant.

Demeurer, jusqu'au bout, un libre-penseur, un anarchiste vrai, un homme refusant profondément toute forme d'assujettissement, n'est jamais une attitude aisée ni particulièrement comprise. Mais qu'elle est riche, lorsqu'elle s'exprime avec une telle profondeur, avec une telle d'acuité ainsi qu'un humour aussi dévastateur, quoi que toujours intensément élégant. Pour preuve, la titraille vraiment loufoque de ces chapitres, un peu à la manière classique, mais avec un tel décalage que l'on ne peut s'empêcher d'en rire. Pour exemple :

«Où il est parlé d'amour ; ce qui plaira, car un conte sans amour est comme du boudin sans moutarde : c'est chose insipide.» au chapitre huitième.

Ou bien encore celui-ci dans lequel il s'adresse à la fois à l'intelligence du lecteur tout autant qu'à son sens de la dérision (sans même souligner ce que ces mots peuvent avoir de prémonitoire à quelques semaines du commencement de la Grande Boucherie) : «Où l'on trouvera la révélation d'une cause secrète et profonde, qui bien souvent précipite les empires contre les empires et prépare la ruine des vainqueurs et des vaincus, et où le sage lecteur (s'il en est, ce dont je doute) méditera cette forte parole : «la guerre est une affaire»



Si le formalisme romanesque d'Anatole France peut souvent sembler dépassé au lecteur contemporain - à moins qu'il soit tellement insolite et atypique que le lecteur d'aujourd'hui y perd aisément pied -, cette histoire d'anges révoltés est tellement impossible à la réduction de genre littéraire, d'idée et de propos (certains n'étant plus lisibles que par des historiens, soyons honnêtes) qu'il est possible de ne plus y entrer autant qu'il faudrait. Mais qu'on se laisse porter par ces descriptions de cataclysmes démiurgiques, de grands rêves d'êtres nietzschéens malgré eux, d'avenirs utopiques mais beaux, servi par un style d'une finesse telle qu'on peine à lire quoi que ce soit d'autre dans son immédiate compagnie bibliophilique ! Il serait profondément injuste et incroyablement imbécile que cet auteur-là disparaisse de nos mémoires et, surtout, de nos lectures : n'est pas un tel génie - malgré le temps qui passe et les invariables désuétudes - qui veut. Qu'on se le dise !
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La révolte des anges

En peu de lignes, à l'ouverture de cet ouvrage, Anatole France fait le récit rapide de l'histoire d'une lignée, et de l'ascension fulgurante d'une famille de 1789 à l'aube du vingtième siècle.

Romain Bussart, laboureur à Esparvieu, fit fortune à la révolution en achetant des biens du clergé.

Le baron Alexandre d'Esparvieu, un de ses proches descendants, profita de cette fortune encore toute fraîche pour constituer l'Esparvienne, une bibliothèque de 360.000 volumes, tant imprimés que manuscrits.

Et voilà bien l'univers d'Anatole France reconstitué : une immense bibliothèque, confiée aux bons soins de Julien Sariette, modeste archiviste et paléographe doué d'une méthode et d'une patience obstinées.

Seulement quelques uns de ses volumes semblent avoir été pris d'une sorte de danse de Saint-Guy.

Il y aurait-il derrière tout cela quelque sombre diablerie ?

"La récolte des anges" est une parabole, un épître selon le grand écrivain bibliophile Anatole France.

Il y réinvente l'histoire des cieux, y redéfinit la nature de chacun de ses protagonistes pourtant devenus fameux en 2000 ans de messes, de vêpres et autres liturgiques petites réjouissances.

Anatole France y fait preuve ici d'une subversive ironie.

Le diable est dans le détail, mais aussi dans la bibliothèque éparpillée !

Le malfaiteur est dans la maison.

La trace d'un pied inconnu est remarquée ...

Un chuchotement est entendu ...

L'ange gardien de Maurice d'Esparvieu, dernier du nom, vient à apparaître et c'est ... "la révolte des anges" !

Malgré quelques longueurs, les personnages sont savoureux et les situations sont cocasses.

Cette nouvelle légende est un roman très parisien, puisqu'il paraîtrait que, même déchus, les anges aiment à flâner dans Paris, à y respirer son air tout particulier de liberté, de curiosité et de doute.

Le récit se suffirait presque à lui-même.

Mais il n'est que la tenture qui, écartée, laisse apparaître toute la pensée du grand philosophe.

Car ce livre, "la révolte des anges", est tout de philosophie, et de théologie profane.

Il s'attarde, bien sûr, sur la collusion entre le sabre et le goupillon.

Mais il ne s'en contente pas, le propos s'y enfonce encore bien plus dans un grand chamboulement de l'ordre établi.

Il en vient même à saper les fondements même de la mythologie chrétienne et du pouvoir politique.

Ce livre est une bombe, un concentré d'anarchie tranquille !

La science, l'art, le savoir, l'amour des hommes et des livres, voilà bien l'univers d'Anatole France reconstitué.

Alors, bien sûr, dans ce livre "la révolte des anges", le mot suit son petit pépère de chemin.

Il n'est pas question de se presser, on est bien là, entre amis bibliophiles moqueurs et mécréants.

Il en est de la vie comme de la musique, doit-y régner de l'harmonie.

Et le plus grand péché dont peut s'enorgueillir la plume d'Anatole France est d'avoir fait du diable le diapason de cette harmonie, d'en avoir fait un héros magnifique, le symbole de la vacuité du pouvoir ...

Un péché impardonnable pour un livre mémorable !

Les plus turbulents de nos écrivains contemporains n'ont qu'à bien se tenir ...







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L’Affaire Crainquebille



L’année prochaine la France pourra célébrer un de ses plus illustres fils à l’occasion du centenaire de son décès : le Prix Nobel 1921, membre de l’Académie française (1896-1924) et président du PEN Club français (1921-1924) François Anatole Thibault ou Anatole France, né à Paris le 16 avril 1844 et mort à Saint-Cyr-sur-Loire le 12 octobre 1924, à l’âge de 80 ans.



Comme vous le connaissez tous de vos cours de lettres françaises au lycée, je peux m’abstenir d’entreprendre ici un bref relevé de sa vie et de son œuvre impressionnante, tout en soulignant cependant sa place éminente comme conscience de son époque et défenseur des justes causes.



C’est exactement dans cet esprit que je viens de lire "L’Affaire Crainquebille", parue initialement en 1901 sous la forme d’une longue nouvelle de 110 pages, dans une version abrégée de 34 pages, sortie en septembre 2017.



Jérôme Crainquebille, la soixantaine, est un marchand des quatre-saisons, qui vend choux, carottes, navets et poireaux dans les rues de Montmartre. Un jour, attendant qu’une cliente lui ramène les 14 sous d’une commande, l’agent 64 de la police lui intime l’ordre de circuler. Il s’ensuit une discussion pendant laquelle l’agent 64 croît avoir entendu le marchand le traiter de "Mort aux vaches", or que Crainquebille avait poussé un "Misère de misère ! Bon sang de bong sang !" de pur désespoir.



Traduit en police correctionnelle, le juge Bourriche condamne notre bonhomme pour outrage à un agent de la force publique à 15 jours de prison et 50 francs d’amende.



Pire que la sentence de la cour sont les conséquences de sa condamnation : ses anciennes clientes le boudent et il se met tellement à boire qu’il perd tout et veut se reconstituer prisonnier, car en taule on ne souffre ni de la faim, ni du froid.



Pour Anatole France une occasion de s’en prendre à une justice de classes sociales, aveugle et inhumaine dans une langue superbe.



Ainsi, le simple Crainquebille, fasciné par le faste de la cour, "sa condamnation lui avait paru une chose solennelle, rituelle et supérieure, une chose éblouissante, qui ne se comprend pas, qui ne se discute pas, et dont on n’a ni à se louer, ni à se plaindre."

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Le Crime de Sylvestre Bonnard

Philologue et linguiste, l'érudit Sylvestre Bonnard vit avec son chat Hamilcar et sa vieille bonne Thérèse. Dans son appartement parisien, baptisé par lui, la "cité des livres, ce bibliophile passionné passe son temps le nez dans les inventaires et les catalogues à la recherche d'un livre rare, d'une pépite à acquérir. Malgré ses soixante ans bien sonnés, il n'hésite pas par exemple à se rendre en Sicile dans le but de mettre la main sur un exemplaire de La Légende Dorée de Jacques de Voragine qui de surcroît contient un texte inédit de Jean Toutmouillé ! Après bien des péripéties, le livre tant désiré finira par rejoindre sa collection grâce à une princesse russe. Si Sylvestre Bonnard est un vieux célibataire, il a connu lui aussi dans son jeune âge les affres de l'amour. La jeune fille aimée s'appelait Clémentine mais les aléas de la vie ne leur ont pas permis de concrétiser leurs sentiments naissants. C'est donc avec beaucoup d'émotions qu'il rencontre, tout à fait par hasard, la petite-fille de Clémentine lors de l'inventaire d'une bibliothèque près de Melun. Orpheline et pauvre, la jeune Jeanne Alexandre le charme immédiatement par sa fraîcheur et sa simplicité. En souvenir de son amour de jeunesse, Sylvestre prend l'engagement de lui assurer un avenir radieux. Mais Jeanne est sous la tutelle de maître Mouche, notaire austère qui la place dans la pension pour demoiselles de mademoiselle Préfère.





Anatole France n'est plus un auteur au goût du jour. Et pourtant, quelle belle plume! Amoureux de la langue française et des beaux livres, il décrit si bien les reliures, les velins, les enluminures, les gravures, et cela en maniant les subjonctifs présents et passés avec brio et sans lourdeur. Le journal de son Sylvestre Bonnard nous emmène dans de Paris de la fin du XIXè siècle dans le monde des belles lettres. Passionné et passionnant, son héros à l'humour pince-sans-rire est un homme bon et généreux. Ne vivant que pour ses livres, il n'en est pas pour autant aveugle et sourd au monde qui l'entoure. Il peut ainsi offrir une bûche à des indigents vivant dans le grenier de son immeuble tout en restant assez lucide pour ne pas s'imaginer avoir fait là un geste héroïque. Il sait très bien qu'il s'est arrangé avec sa conscience chrétienne à moindre frais. Mais comment cet érudit, cet être pondéré à la vie bien rangée sera-t-il amené à commettre un crime?! Et bien sous le calme apparent de Sylvestre Bonnard se cache le feu des folles passions. Il n'est pas homme à se tenir tranquille quand le bonheur d'une jeune fille est en jeu! Il fera fi des convenances et même des lois pour arracher sa Jeanne des griffes d'un notaire véreux et d'une vieille fille acariâtre. Il y aura crime, mais qu'on se rassure, ce ne sera pas un crime de sang.

Le journal de Sylvestre Bonnard est un bonheur de lecture, un texte riche mais accessible qui se lit le sourire au lèvres grâce à ses traits d'esprit et son amour des livres. Chaque lecteur pourra se reconnaître en lui : vouloir un livre à tout prix comme on désirait un jouet lorsqu'on était enfant, se promener chez les bouquinistes ou dans les librairies et ne pas pouvoir partir sans un livre sous le bras : "...ils sont tous mes amis, et je ne passe guère devant leurs boîtes sans en tirer quelque bouquin qui me manquait jusque là, sans que j'eusse le moindre soupçon qu'il me manquât". On ne saurait mieux dire!

Alors même si les histoires sont assez attendues et que l'on en devine la fin assez rapidement, ce livre vaut le détour pour son personnage atypique et son style magnifique. Une très belle découverte.
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Crainquebille - Putois - Riquet et plusieur..

Le lecteur sait, puisque sa mésaventure est fameuse, ce qui mena Crainquebille au tribunal.

Et, jamais la Littérature ne pourra oublier la triste silhouette du marchand des quatre-saisons, qui est à jamais devenue la figure de l'injustice.

Aux dires d'Anatole France, "un livre est une oeuvre de sorcellerie d'où s'échappent toutes sortes d'images qui troublent les esprits et changent les coeurs".

En mars 1903, Crainquebille fit irruption sur la scène du théâtre de la Renaissance sous les traits de Lucien Guitry.

Il faut, pour saisir de la pièce toute l'ironie et la tristesse, l'avoir lue dans le 14ème numéro de "L'Illustration Théâtrale" du 19 août 1905.

Les illustrations, et les critiques d'époque, y sont éclairantes.

Pour autant, "Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables" est un réel plaisir de lecture.

On y retrouve toute l'humanité narquoise et la révolte bienveillante, toute la finesse de la plume d'Anatole France.

Le livre reprend seize de ses nouvelles et extraits d'autres livres.

Il est à lire attentivement.

La délicatesse du mot y cache un profond et subvsersif humanisme.

Anatole France n'est pas un homme de principes.

Selon lui, "dès qu'on remue un principe, on trouve quelque chose dessous, et l'on s'aperçoit que ce n'était pas un principe".

Mais, sa plume, maniée d'une main légère et subtile, s'est emparée du mensonge et de l'hypocrisie.

Gaston Sorbets n'a-t-il pas écrit de lui qu'il avait "arrêté la sève et doucement condamné à mort l'arbre d'injustice qu'il avait seulement l'air de regarder".

Car, le fond du propos, même s'il semble plaisant, est sans appel.

Il tient la "pitié du riche pour le pauvre comme injurieuse".

Pourquoi la pitié et non pas la justice ?

L'aumône est faite pour ne pas restituer.

Et, le puissant est en compte avec le plus humble.

L'oeuvre d'Anatole France exhorte à régler ce compte.

En cela, elle est puissante, attentive, morale, édifiante, et finalement intemporelle ...

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L'île des pingouins

Mon enthousiasme initial a un peu faibli en cours de lecture.

Les pingouins ayant été baptisés par erreur, les forces supérieures de la chrétienté décident de les transformer en hommes. La fable qui s'en suit nous propose une vision de la France, de la préhistoire à une prémonition des guerres mondiales, et même au-delà.

Les premiers chapitres tirent à boulets rouges sur les religions et les superstitions, avec un humour parfois facile, parfois instruit : il vaut mieux avoir une petite culture judéo-chrétienne pour en profiter, mais certaines ficelles sont plus accessibles. Je m'en suis régalé : Dieu essayant d'oublier qu'il est omniscient et autres paradoxes sont très bien amenés et décrits avec ironie. (Certains croyants doctrinaires ont dû s'étrangler, à l'époque).

Dans les périodes suivantes, j'ai commencé par beaucoup apprécier certaines analyses, me disant que décidément tous les gouvernements, jusqu'à aujourd'hui inclus, ont des points communs, bien peu sympathiques. Ensuite j'en ai beaucoup appris sur la IIIe république, probablement plus que pendant mes cours au lycée, par exemple sur l'affaire Dreyfus, et en réfléchissant aux intérêts des protagonistes.

Mais finalement les morales de la fable ne sont pas si puissantes : rien de nouveau sous le soleil, les hommes (même pingouins) sont des cochons*, l'argent est la cause de tous nos maux, petites causes grands effets... Anatole France (prix Nobel, tout de même) m'a fait penser, m'a amusé, mais ne propose pas de solution pour lutter contre l'hypocrisie et la ploutocratie : plus drôle que Rousseau, auquel il doit beaucoup, mais pas plus efficace.

Ce fut donc une lecture souvent prenante par l'ironie et la mise en évidence des constantes de la vie politique, un peu ennuyeuse pendant quelques courts chapitres. Si on a le temps, on peut préférer relire Le Contrat Social ou La Comédie Humaine, mais ce livre est plus amusant, et plus étrange.
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L'île des pingouins

Anatole France, prix Nobel de littérature, est un auteur qu'on lit peu aujourd'hui, à ma connaissance. Son "Ile des Pingouins" est, pour 1908, un récit avant-gardiste et futuriste bien qu'il se propose de retracer l'histoire complète de la civilisation des Pingouins (comprendre celle de l'homme, et plus particulièrement l'histoire des Français).



Par ce procédé d'analogie animalière - qui inspirera peut-être George Orwell, Anatole France s'autorise à partager avec ses lecteurs son analyse sociologique, économique, politique, religieuse et idéologique de la société. Son récit est chronologique, il part des origines et de la christianisation aux révolutions industrielles en passant par le Moyen-Âge, les Temps modernes et... l'affaire Dreyfus qui occupe une longue partie du roman sans dire son nom.



Non dénuée d'humour, cette narration renseigne et instruit le lecteur (surtout celui de 1908) plus qu'elle ne le divertit. Aujourd'hui, elle le fait même plutôt grincer des dents et sourire tour à tour. Grincer des dents devant le constat qu'en plus de cent ans, les lignes n'ont pas tellement bouger ; sourire à la dénonciation de comportements ridicules que seul le temps a le pouvoir de révéler avec la prise de recul.





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Les dieux ont soif

Je vous livre aujourd'hui mon avis sur un énorme coup de cœur !



J'avais déjà eu le plaisir de lire plusieurs œuvres d'Anatole France - auteur nobélisé en 1921 et pourtant désormais injustement oublié du public sauf quand il s'agit de nommer une voie ou une médiathèque - mais jamais jusqu'à présent il ne m'avait immergée dans une narration aussi addictive.



Le contexte n'est pourtant pas jojo, nous sommes en pleine Révolution française, plus exactement sous la Terreur. Évariste Gamelin est peintre de son état et surtout ci-devant citoyen patriote. Passionné par la cause du peuple et la politique de Robespierre, c'est un jusqu'au-boutiste de la première heure. Remarqué pour la ferveur et la fermeté de ses convictions, il intègre le redoutable et redouté tribunal révolutionnaire en qualité de juré. Un grand pouvoir en mains, il est pris dans la houle des événements et devient un bourreau sans pouvoir reconnaître avec justice et lucidité que plusieurs de ses jugements expéditifs et fatals lui sont davantage inspirés par ses ressentiments que par les faits.



Terrible roman aux personnages très vivants, la narration est si bien documentée qu'elle est quasi documentaire sans jamais perdre pour autant son souffle romanesque. La plume est savoureuse, le récit complètement immersif. A l'instar du Parisien d'alors, le lecteur traverse la Terreur de l'assassinat de Marat à la chute de Robespierre en tremblant, en s'exaltant, en se cachant et en s'exposant. Véritable tour de force, à l'exemple de la superbe "Révolution" de Robert Margerit, "Les dieux ont soif" est un très grand roman historique qui aide à mieux comprendre et apprécier l'une des périodes clé les plus sanguinaires et fondamentales de notre héritage politique.



Et pour ceux qui seraient effrayés par l'idée de se plonger dans un roman trop complexe et trop érudit, je rassure les foules : les personnages, même s'ils côtoient les ténors de l'époque, n'en restent pas moins des personnages de roman auxquels on s'attache ou qu'on méprise à l'envi.



Ce roman étant de plus libre de droits, ne boudez plus ni Anatole ni votre plaisir.





Challenge XIXème siècle 2020

Challenge XXème siècle 2020

Challenge ABC 2021 - 2021

Challenge Nobel

Challende des 50 objets 2020
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Les dieux ont soif

C'est une grande leçon d'histoire et d'humanité que je viens de recevoir, écrasée sous la plume d'un classicisme magistral d'Anatole France et plongée jusqu'au cou dans l'épouvantable bain de sang de la Terreur.

Heureusement que le personnage sage et fort de son amour de la vie du ci-devant Brotteaux, armé des dérisoires pantins qu'il fabrique pour survivre, vient contrebalancer la figure glaçante d'Evariste Gamelin, converti à la pureté révolutionnaire absolutiste et faisant trancher les têtes par centaines depuis le tribunal révolutionnaire où il siège. Ainsi à hauteur d'hommes perçoit-on mieux que jamais que les hommes toujours restent ballotés par les événements, que ces événements au fond ne changent rien à leur condition misérable, et qu'enfin la Révolution française est loin d'être ce bloc monolithique de progrès retenu par l'inconscient populaire.

Une oeuvre difficile à lire de par son thème, sa richesse historique et son style d'un classicisme inusité de nos jours, mais néanmoins indispensable.
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Le Crime de Sylvestre Bonnard

Ah ce Sylvestre Bonnard ! Tout érudit racorni qu’il soit, il m’a fait passer de bons moments.

Il faut dire que son appartement sur le quai Malaquais regorge de livres – anciens, et surtout des manuscrits trèèès vieux, mais qu’importe. La passion des mots et de l’Histoire me relie à lui. Et puis, quelle vue quand on regarde par ses fenêtres ! La Seine, le Pont Neuf…

Il faut dire aussi qu’il a l’esprit vif, ironique et plein d’autodérision, ce que j’adore.

Et quand sa bonté naturelle passe outre des récriminations de sa vieille servante, alors là, j’adhère complètement.



Son journal s’étend sur quelques années (nous sommes dans la deuxième moitié du 19e siècle) et nous donne à voir la mentalité de l’époque comme entre autres le fait de placer les jeunes filles en institution scolaire très comme il faut, mais les rétrograder au statut de servantes quand l’argent ne suit plus.

Ses pensées les plus intimes y sont consignées, et nous apprenons qu’il a connu un grand amour dans sa jeunesse, mais qu’il est resté célibataire. Et quand la petite-fille du grand amour apparait, cela nous donne des pages savoureuses et bienveillantes, honni soit qui mal y pense ! N’oublions pas que Sylvestre a le nom prédestiné de « Bonnard ».

Alors, ce crime dont parle le titre ? Lisez et vous verrez !



Je serai donc l’avocate de Sylvestre Bonnard, même si le style quelque peu ampoulé d’Anatole France m’a semblé si vieux – on dit d’ailleurs qu’il est le dernier des auteurs classiques-.



Heureuse d’avoir fait sa connaissance, moi qui n’avais jamais lu cet auteur !

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Les dieux ont soif

Une relecture passionnante de ce roman d’Anatole France, plus de 50 ans après la première lecture.

L’auteur nous fait revivre « de l’intérieur », à travers la vie non pas des personnages historiques, Robespierre, Marat, Saint-Just, etc…mais de celle de gens du peuple, l’épisode horrible de la Révolution française qu’est la Terreur.

L’écriture du récit emploie le vocable et les tournures de ce temps de la Révolution, ce qui met le lecteur au plus près de l’atmosphère de l’époque.



Le personnage central de l’histoire, Evariste Gamelin, est un artiste peintre obscur, qui peine à vendre ses toiles, et qui est amoureux d’ Elodie Blaise, la fille d’un marchand de gravures et de tableaux.

Nommé juré du tribunal révolutionnaire, grâce à une intrigante, Louise de Rochemaure, on le voit peu à peu basculer dans le fanatisme et l’inhumanité.

Alors qu’à ses débuts au tribunal, il va s’efforcer de fonder son jugement sur la présence de preuves incontestables, il devient progressivement un accusateur fanatique qui condamne à mort et sans distinction tous les accusés qu’il considère en bloc comme des ennemis de la République.

Cette période terrible va s’achever par la chute de Robespierre que le récit nous fait vivre par les yeux d’Evariste Gamelin et par l’exécution de ce dernier et de tous les acteurs de la Terreur.

Le roman se termine par le retour de Paris à la vie plus insouciante du Directoire, et par l’idylle naissante entre Élodie Blaise et un autre artiste peintre.



L’intérêt majeur du roman, je trouve, c’est qu’il nous livre les ressorts de cette folie « purificatrice » à l’œuvre durant la Terreur: la guerre contre les ennemis extérieurs, ces armées étrangères contre lesquelles la République française lutte, l’obsession d’un ennemi intérieur que l’on imagine partout et qu’il faut détruire à tout prix, aussi l’obsession de ne garder dans le pays qu’un noyau d’êtres purs, désintéressés.



En cela, je n’ai pu que penser à la monstrueuse folie des autres fanatiques et paranoïaques que nous avons connus depuis: folie de l’élimination des ennemis intérieurs présumés par les nazis, par Staline, les dictateurs du Bloc de l’Est et d’ailleurs, par les Khmers rouges, folie de l’élimination des mécréants par les fous de Daech, en définitive folie inhumaine de tous les intolérants, y compris celles et ceux qui pullulent sur les réseaux dits sociaux.



Un autre thème passionnant, et que je n’avais pas perçu de cette période, et le roman le montre avec acuité, c’est le Déisme à l’œuvre. Après avoir combattu l’Église catholique, ses prêtres et évêques, la Révolution construit une nouvelle religion qu’elle considère comme plus pure, celle de l’Etre Suprême.

Et elle rejette ceux qui prônent tout à la fois l’athéisme et la libre pensée, tel le citoyen Brotteaux des Ilettes, l’antithèse d’Evariste Gamelin, un ancien noble hébergé par la mère de Gamelin, un être plein d’humanité, de joie de vivre, et qui finira comme tant d’autres sur l’échafaud.



En conclusion, voilà un roman qui est, entre les lignes, une profonde critique des extrémités où conduit l’idéal révolutionnaire. Tous ces idéalistes deviennent inéluctablement des fanatiques destructeurs de la vie humaine et persuadés d’être des élus, de détenir la Vérité, alors qu’il ferait si bon de vivre ensemble, avec de la tolérance pour les opinions des autres.

Et tout cela dans un beau roman qui oppose subtilement l’insouciance et l’amour, bref la vie simple des gens, aux horreurs sanglantes des fanatiques.



Anatole France, un écrivain injustement oublié et à redécouvrir.
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