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EAN : 9782378803742
304 pages
L' Iconoclaste (24/08/2023)
3.63/5   480 notes
Résumé :
Ses héroïnes s'appellent Caroline, Theodora, Helen, Liv Maria, Ottavia. En cinq romans et deux récits autobiographiques, Julia Kerninon a campé une galerie de femmes fortes, déconcertantes parfois, libres toujours, et sauvages, telle celle à qui elle donne vie dans son nouveau livre, l'Italienne Ottavia Selvaggio. Julia Kerninon a toujours eu la fièvre de l'ailleurs, le monde anglo-saxon - elle est aussi traductrice de l'anglais - puis Berlin, Budapest, l'Amérique l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (109) Voir plus Ajouter une critique
3,63

sur 480 notes
L'auteure nous livre un roman féministe, se déroulant en Italie, Nous faisons la connaissance d'Octavia Selvago, jeune fille de 15 ans , qui a décidé du jour au lendemain, de quitter l'école pour devenir une grande cheffe cuisinière, suivre les traces de son père, et prouver qu'en tant que femme, elle pourra réaliser son rêve. Une situation cocasse, aux yeux de sa famille, surtout en Italie, où la femme est reléguée aux taches domestiques, en plus d'élever leurs enfants et étant des épouses loyales,
Aujourd'hui Octavia à trente huit ans, mariée trois enfants, elle fait le point , se remet en question,, Son mari assume tout, pars on égoïsme . Elle se donne corps et âmes à son travail, elle ne vit que pour cela, et jusqu'à l'épuisement. Une femme qui revendique son indépendance, mais à quel prix . Arrivera t'elle à trouver les réponses à ses questions , reprendre contact avec la réalité,
L'auteure m'a transportée, avec une facilité déconcertante dans son histoire, Un roman court puissant, subtile , sensible, je me suis laissée envahir par les effluves de ces repas gastronomiques.
La plume de l'auteure est fluide , entraînant une lecture passionnante , et addictive. le personnage d'Octavia , dégage une empathie extrême .
Une belle découverte, une lecture que je vous conseille vivement.
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Voilà un beau portrait de femme passionnée, très vivante et passionnante.

Ottavia Selvaggio vit à Rome. Son père est restaurateur, au grand dam de sa femme qui refuse ostensiblement de faire la cuisine à ses enfants pour manifester sa colère contre ce choix d'un métier aussi absorbant.
C'est pourtant la même voie que va choisir Ottavia, contre l'avis de sa mère, parce que la passion d'une cuisine différente et inventive l'anime plus que tout.

Et pourtant Ottavia va avoir trois hommes dans sa vie.

Le premier, Cassio, qu'elle a entraperçu dans la cuisine de son père, et pour qui elle éprouve un coup de foudre immédiat, est comme elle passionné de cuisine. Il détient un secret jusque-là jalousement gardé : la recette de la fameuse Sacher Torte que seul le grand restaurant autrichien détenait. En échange de la transmission de cette recette au père d'Ottavia, il va rentrer dans sa brigade et apprendre le métier. Avec Ottavia ils vont pratiquer ensemble pendant des heures entières, concentrés sur les tâches à exécuter, et les gestes remplaceront les paroles inutiles.
Cassio demeurera sa grande passion, même si elle le quittera sans un regard en arrière quand elle comprendra qu'il s'abîme dans l'alcool et la drogue, alors qu'il tient son propre restaurant.

Ottavia elle aussi va avoir son propre restaurant. Mais avant cela elle rencontrera un autre homme, Clem, étudiant français aux Beaux-Arts, dont elle tombe amoureuse au premier regard. Lui aussi souhaite la revoir et lui donne son adresse parisienne. Alors, quand Ottavia prend le train direction Paris, elle fonce tête baissée telle qu'elle l'a toujours fait : sans un remords, elle est prête à tout pour retrouver le bel étudiant dont elle ne sait rien.
Arrivée à Paris, elle va retrouver ce Clem qui semble l'attendre passionnément, lui aussi, mais après une soirée et nuit d'ivresse, il la laisse repartir, et ensuite ne lui donne plus aucune nouvelle : Ottavia en ressortira profondément blessée , et plongera dans le travail comme elle a toujours su le faire en apprenant la cuisine française et en rencontrant une compatriote, Marina, avec qui elle scellera une amitié durable.

Et enfin Ottavia va rencontrer Bench, un critique gastronomique, mais sur tout un homme telle qu'elle en a besoin, qui prend soin d'elle et lui donne trois enfants, et fait en tant que mari tout ce qui est nécessaire pour que la famille fonctionne, puisque bien sûr Ottavia, malgré ses maternités, se consacre toujours avec autant de passion à la quête d'une cuisine qui soit la sienne uniquement.


C'est un très beau portrait de femme parce qu'Ottavia vit intensément tout ce qui lui arrive, qu'elle ne dévie pas d'un pouce de la ligne qu'elle s'est fixée, et qu'elle avance dans la vie avec sa passion dévorante nichée au coeur de ses pensées, ses actes et la majorité de son temps de travail.

On peut la décrire égoïste, tyrannique, individualiste et même sans coeur (ses enfants craignent qu'elle les abandonne) mais elle a le mérite de la cohérence et de se dévouer à une quête qui n'aura pas de fin.

Alors quand Clem surgit du passé pour lui expliquer ce qui s'est produit suite à la nuit parisienne et veut effacer le passé pour donner un avenir à leur relation, Ottavia va hésiter. Fera-t-elle le chemin inverse et sera-t-elle prête à tout quitter à nouveau pour suivre celui dont elle est tombée amoureuse il y a quelques temps déjà ? le récit nous le dira, mais ce n'est pas le plus important.

Le plus important c'est cette flamme logée dans son coeur qui n'est pas près de s'éteindre. Quiconque a vécu auprès d'un artiste peut comprendre cette forme d'égoïsme qu'incarne celui qui vit pour sa passion. Ici c'est la cuisine (et Julia Kerninon en parle très bien) mais ce pourrait être la peinture (comme dans « La nourrice de Francis Bacon »), la musique (comme dans « le grand feu » de Leonor de Recondo) ou bien sûr la littérature.

Intense, ce pourrait être le qualificatif qui traduirait la vie d'Ottavia, une femme attachante parce que profondément libre de suivre le cours de sa destinée.
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Ottavia est passionnée. La fougue qui la maintient année après année, depuis sa plus tendre enfance se traduit par une créativité et un acharnement sans trêve autour de ses fourneaux. Après avoir vécu dans l'ombre de la célébrité de son père, lui aussi chef, la jeune femme s'est construit une réputation et les clients le savent.

Le revers de la médaille affiche une autre histoire. Celle d'un premier amour, répudié lorsque la pression de démons artificiels l'a rendu invivable. C'est ensuite une furtive rencontre avec Clem, qui lui a donné une adresse à Paris avant de s'envoler brutalement vers la France, où elle le retrouvera au cours d'une rencontre éclair C'est finalement Bensch, un critique culinaire réputé qui est tombé sous le charme et est devenu le père de ses trois enfants. Mais le souvenir de Clem la hante.

Le feu qui anime la narratrice est de ceux qui ne s'éteignent pas et qui incendient tout sur leur passage. Elle vit sans concession, et épuise son entourage. C'est aussi ce qui est à l'origine des passions qu'elle déchaine.

L‘ambiance est ardente dans ce roman qui mêle la cuisine italienne dans ce qu'elle a de plus séduisant, et les amours complexes de la jeune cheffe. La chaleur des âmes et des fourneaux s'incarne sous les traits de l'héroïne tout feu tout flamme.

Une écriture travaillée mise au service d'une histoire plaisante.

300 pages Iconoclaste 17 Août 2023
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ce roman était appétissant avec sa couverture colorée, la promesse de retrouver la plume de Julia Kerninon que j'avais beaucoup aimée dans Liv Maria et le décor romain qui s'esquisse dès l'incipit. Ce titre intrigant aussi : sauvage, c'est un mot qui a un goût de liberté brute, de naturel comme une plante qui pousse à sa guise, mais quelque chose de rude aussi.

Et effectivement, je n'ai fait qu'une bouchée de la première moitié du livre, séduite par l'intrigue nouée autour d'Ottavia Selvaggio qui, à quinze ans, décide de quitter l'école pour cuisiner. de sa plume sensuelle, l'autrice nous fait ressentir l'adrénaline des coups de feu en cuisine, respirer des arômes méditerranéens, goûter des saveurs tellement italiennes – salades de puntarelle aux anchois, carciofi alla romana… Dans les sauces et les spaghettis se lovent des relations dont la tectonique est restituée à merveille. Les femmes de la famille sont échaudées par le mariage, Ottavia est déterminée à s'accrocher coûte que coûte à sa liberté. Forcément, un tel personnage nourrit l'intrigue, la rend imprévisible, et je n'ai pas boudé mon plaisir.

Et pourtant, mon appétit s'est tari par la suite. J'ai eu l'impression que la quête éperdue de liberté d'Ottavia ne lui permettait pas de savourer l'ensemble des possibles, mais l'empêchait de les investir. Elle qui était supposée représenter une femme libre, émancipée, m'a semblée au contraire paralysée, dévorée par les doutes. Comme le dit la quatrième de couverture, même la maternité ne la fait pas dévier de sa route, mais quelle route ? Cette femme qui pourrait tout se permettre ne me semble pas réaliser grand-chose. Sa quête a fini par me sembler dépourvue de sens et j'ai eu de plus en plus de mal à m'y intéresser. L'excipit, qui pousse à son paroxysme la hantise de liberté de la protagoniste, m'a laissé un entêtant sentiment d'inaccompli.

Peut-être est-ce précisément le propos du roman de nous interroger sur la quadrature du cercle que représente la conciliation d'une passion professionnelle, de la maternité et de la vie de femme. Mais cela m'a laissé un sentiment frustrant.
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Comme Liv Maria, Ottavia est une femme forte. Déterminée. Intense. Passionnée par son métier de cheffe. Qui, à 38 ans, mariée, 3 enfants, se retrouve à la croisée des chemins. Quelle route aurait été la sienne si elle avait suivi ses premiers amours ? Difficile de savoir, difficile surtout de renoncer à ce qu'offre le monde dans son entièreté. Même au profit de ceux qui l'aiment. Ottavia ne se laisse jamais enfermer.
De sa plume sensuelle et rythmée, Julia Kerninon narre une histoire d'amour, de couple et de passion dans laquelle on plonge avec gourmandise. Et où les mots sonnent vrais.

« Dans nos vies, certains hommes étaient partis en avaient été remplacés, mais les femmes et les enfants demeuraient, comme l'exprimait Antonia avec défiance. Est-ce que ça veut dire que les femmes ne peuvent pas partir ? je lui avais demandé un jour. - Je ne crois pas. Je crois que c'est plus que ça n'a pas d'importance pour nous, on n'a pas besoin de fuir, on est là mais on est aussi toujours ailleurs, dans nos têtes. »

J'aurais seulement fait l'impasse sur l'excipit 😉
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critiques presse (5)
SudOuestPresse
16 octobre 2023
Dans son septième roman, l’autrice de « Toucher la terre ferme » et « Liv Maria » explore le thème de la femme libre à travers le personnage d’une Italienne qui se libère du patriarcat.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Culturebox
05 octobre 2023
Julia Kerninon décrit avec poésie le quotidien, qu’elle voit comme des moments où on doit être "équilibré, ou écartelé".
Lire la critique sur le site : Culturebox
LaLibreBelgique
03 octobre 2023
Ce que Ottavia veut, Ottavia l’obtiendra. Julia Kerninon dresse le portrait, dans le milieu de la restauration, d'une femme déterminée. "Sauvage", un 5e roman détonant.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Bibliobs
02 octobre 2023
Dans son roman « Sauvage », à travers le portrait d’une cheffe italienne hyperactive, et mère de famille, l’écrivaine trentenaire parle aussi d’elle-même.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeMonde
15 septembre 2023
"Sauvage" se déguste, nous offre l’hospitalité tel un roman cabane : celle où Ottavia se réfugie, le temps de mettre au point sa gastronomie intime.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (117) Voir plus Ajouter une citation
- Je travaille. 

- Moi aussi, je travaille, Ottavia. Tu penses peut-être que ce que je fais est moins intéressant moins palpitant que ce que tu fais toi, mais c'est un métier aussi, c'est le mien. Est-ce que tu sais comment se passent mes journées? Je me réveille dans le lit et souvent tu es déjà partie, je m'occupe des enfants, je chauffe le biberon de Silvio, je les habille, je les dépose à l'école et chez la nourrice. et puis je rentre à la maison préparer mes cours, je corrige des copies, je fais des recherches, et puis je pars en courant à l'université donner un cours, j'avale un café et un panini au bar pendant que súrement au même moment toi tu voltiges dans ta cuisine, souveraine, et puis je range la maison, je passe l'éponge sur le plan de travail, je frotte lévier, j'étends le linge, je le plie, je passe commande pour de nouveaux robinets, je téléphone au garage, je téléphone à ma mère, j'envoie des photos des enfants à la tienne, je fais les lits, je bois une tasse de thé en lisant quelques pages et c'est déja l'heure d'aller chercher les enfants, je leur donne la main. je les porte sur mes épaules, je réponds à leurs questions, en rentrant je m'arrête faire des courses pour le diner,  je le prépare, je donne le bain, je les couche, ils me rappellent, ils se relèvent, et finalement vers neuf heures et demie si i'ai de la chance ils dorment, et alors je finis de ranger, je fais la vaisselle. je l'essuie avec un torchon que j'ai repassé quelques jours plus tôt, et puis je m'assois dans le salon avec un livre, et i'attends ton retour. Tu ne me dis presque jamais merci pour tout ce que je fais pour que cette maison tienne debout, tu ne vois pas I'infinité de choses qu'il faut accomplir pour que ça marche, pour que les enfants aient des chaussures et le ventre plein, pour que la maison soit propre, pour que nos lits soient faits. Tu dis simplement que tu travailles, que tu travailles, comme si c'était supérieurà tout, comme si tu étais plus importante parce que tu es occupée, comme s'il y avait de la grandeurà être débordée, comme si ça te dégageait de toute autre responsabilité. Mais tu ne t'occupes que de cuisine, Ottavia, mon amour. Même si tu le fais bien, ça reste un travail. Tu juges sévèrement les hommes de ta famille, mais tu ne fais pas beaucoup mieux, tu sais. Tu es meilleure cuisinière, peut-être, mais qu'est-ce que ça change, si tu ne parviens pas à être plus généreuse qu'eux, alors que c'est ce que tu prétends leur reprocher depuis que tu es petite ? Tu passes à côté d'une partie de la vie, qui est ta vie avec nous. Je n'ai jamais pensé que ça se passerait comme ça. Parfois, ça me paraíit terriblement injuste, parce qu'il me semble que ta vie merveilleuse ne tient que parce que je m'occupe de tout le reste en coulisses, et toi tu reçois les honneurs et moi je suis simplement ton mari universitaire. Je suis plus diplômé que toi, mais tout le monde s'en moque, et parfois ça me rend fou. À d'autres moments, je m'adoucis, je me dis que je devrais être plus solidaire, je me dis que je t'ai épousée de mon plein gré. Mais sérieusement : sans mon aide, tu n'y arriverais pas. Ta cuisine ne dit rien de nos bébés appelant leur mère débordée, elle n'a pas le goût de leurs larmes. À personne tu ne racontes les journées que j'ai passées à arpenter la maison en les portant dans mes bras parce que que rien ne pouvait les calmer, tu n'étais pas là et j'étais de ton côté, je leur disais shh shh, votre mère travaille, votre mère est une une grande cuisinière. À d'autres moments, je me suis demandé pourquoi tu avais accepté d'avoir nos enfants si tu désirais si peu passer du temnps avec eux, si seule la cuisine avait du sens à tes yeux. II y a très longtemps, j'ai pensé que la cuisine était une chose que tu faisais pour moi, maintenant j'ai compris que non, c'est plus profond encore, c'est entre toi et toi, et même ça, je l'ai accepté, Ottavia. Qu'est-ce que tu ne vois pas? Je t'adore, mais objectivement, ce que je fais, vivre avec toi tous les jours, honnêtement -je pense que pas grand monde en serait capable.
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Nous refaisions du café. À la radio, Andrea de Simone chantait Immensità, nous écossions des petits pois et j'égrenais pour ma mère mes dernières trouvailles culino-littéraires, littéraro-culinaires. Le cœur de Thomas Hardy stocké dans une boite à biscuits le temps que sa seconde épouse s’accorde avec le notaire. Le cadavre de Tchekhov rapatrié en Sainte Russie dans un wagon à huîtres à cause de la chaleur. Les biscuits au lard et au sirop chez Faulkner, les huîtres, le poisson grillé, les haricots en boîte chez Hemingway. La tarte aux cerises que prépare une adolescente quelques heures avant d’être assassinée avec toute sa famille, chez Truman Capote. Les escargots dans Le Baron perché de Calvino. Avec audace, j'avais dit à ma mère que même Gertrude Stein faisait la cuisine, après tout. C'était Alice B. Toklas qui faisait la cuisine, avait répondu ma mère gravement, et tu le sais aussi bien que moi. - Marguerite Duras a écrit un livre de recettes, j'avais rétorqué. Et Virginia Woolf faisait des tartes. — Peut-être, avait admis ma mère en me regardant dans les yeux, mais à ma connaissance, ce n'est pas pour ça qu'on se souvient d'elles. p. 185-186
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Dans les messages qu’il m’envoyait et auxquels je ne répondais jamais, il m’écrivait qu’il s’était trompé, et que toute sa vie en avait été bouleversée. Qu’il avait pensé que le désir passerait, que ce n’était pas arrivé. Que poème disait « Cette fois – cette fois, ne me rate pas ? « Un homme du passé, c’était bien ça. C’était un homme surgi du passé venu me chercher, riche de ses erreurs, pour m’apprendre quelque chose que j’ignorais. Il n’était pas venu apporter le chaos, plutôt son frère jumeau, le doute.
Depuis tout ce temps, j’avais avancé droit, pagayant avec mes paumes en coupe, comme tout le monde. Je n’avais pas regardé exagérément derrière mon épaule. Mais voilà que le passé était revenu comme lui était revenu, surgissant par surprise, partie remise.
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Avec Marina, un soir au restaurant, on avait eu un client solitaire. Il était arrivé tôt, on l'avait installé près de la fenêtre, et il avait demandé s'il pouvait plutôt avoir la table près des cuisines. Il avait fait des choix étonnants dans sa commande, mais je ne m'étais pas méfiée. A la fin du repas, il était venu payer au bar où je buvais un verre d'eau avant le deuxième service, et il s'était présenté à moi en disant Bensch. C'était le premier mot que j'avais entendu sortir de sa bouche, si bien que dix ans plus tard je l'appelais encore par son nom de famille, même après que ce nom était aussi devenu celui de nos enfants.
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(Les premières pages du livre)
INCIPIT
C’est le matin à Rome. Quelques heures plus tôt, je me suis réveillée à côté de Bensch, il m’a embrassée, et puis les voix cristallines des enfants se sont élevées dans les chambres, le jour s’est ouvert. J’ai filé dans la salle de bains, je me suis lavé les cheveux, je les ai séchés, attachés en chignon. J’ai passé une robe noire et des collants, j’ai mis de la crème, du mascara, du rouge à lèvres, des boucles d’oreilles.
Quand je suis descendue, ils étaient tous les trois autour de la table, mon enfant faon, mon enfant rubis et mon enfant symphonie, j’ai bu la petite tasse de café brûlant que Bensch m’a tendue, j’ai donné des baisers, j’ai enfilé des bottes, mon manteau et je suis sortie. À grands pas j’ai traversé San Lorenzo qui s’éveillait, j’ai pris le tunnel les yeux fermés pour mieux entendre le rugissement des moteurs, main sur la rambarde comme j’ai toujours fait, toute ma vie.
J’ai atteint l’Esquilino quand Santa Maria Maggiore sonnait sept heures. Arrivée au restaurant, j’ai enlevé mon manteau, noué mon tablier, je me suis lavé les mains et je me suis mise au travail. À l’instant, je tranche du fenouil pendant qu’une voix à la radio parle de la patience qu’il a fallu aux êtres humains pour inventer les objets les uns après les autres, trouver un moyen de les tailler dans le bois, dans la pierre, sculptant d’abord des cailloux pour en faire des outils, puis utilisant ces outils sur d’autres cailloux pour en faire des armes et des bijoux. Les objets ont été parmi les premières choses représentées par les humains, sans doute parce qu’ils en étaient fiers, peut-être parce qu’ils en étaient jaloux. Ce qui est certain, c’est l’importance qu’ils y accordaient, tombes débordantes de biens comme bagages entassés autour du macchabée, pièces de monnaie couvrant les yeux, bouches pleines de nourriture, perles de jade, objets du quotidien dessinés sur d’autres objets du quotidien, dans une volonté de conjuration, peut-être, de ce qui déjà semblait aller trop vite. La religion a banni toute représentation des objets pendant mille ans, puis ils sont revenus, parce que les riches Hollandais du dix-septième siècle ont eu envie de montrer ce qu’ils possédaient. La nature morte me rassure autant qu’elle m’effraie – et c’est vrai aussi du désir. Mes objets, je les vois tous, devant moi sur le mur, les planches à découper, l’aimant rectangulaire des couteaux, un, deux, trois, quatre, cinq lames, et puis l’étagère en bois, vingt bols blancs, vingt bols cerclés d’or, vingt bols bleus, verres en cristal pendus par les pieds, casiers pleins de couverts, piles d’assiettes, coupelles à bonbons, casseroles en cuivre, poêlons en marbre, mortier, pilon en poirier, passoires, désosseur, attendrisseur, presse-purée, emporte-pièce, cithare à spaghettis. Je caresse du regard tous ces outils qui appartenaient à mon père et qui sont les miens aujourd’hui.
Je n’entends pas la suite de l’émission parce que mon téléphone vibre. C’est un message de ma meilleure amie, Antonia, qui m’envoie tous les jours un petit texto sibyllin, une invention, une intuition. Ce matin, elle a écrit Le danger du danger, c’est qu’on ne peut pas savoir d’où il viendra. En rattachant mes cheveux, je tourne la tête, et j’aperçois Cassio, jean et blouson en cuir, qui marche le visage fermé sur le trottoir opposé. Ses deux bras enserrent un cageot de légumes et d’herbes, je devine qu’il est passé au marché. Je pourrais le héler, mais je le retrouverai sans doute plus tard dans la journée, ou ce soir. Juste avant de sortir de mon champ de vision, il fait volte-face, et l’espace d’une seconde avant qu’il ne me sourie je le vois exactement comme je l’ai vu la première fois, dans la réserve de mon père, quand j’avais quinze ans et lui vingt, lui et moi fixés ensemble dans l’ambre du moment.

I
Je descendais l’escalier de la réserve, et Cassio était assis à la table de mon père. Il avait tourné la tête vers moi. Mon père avait dit, Voilà ma fille Ottavia, et Cassio ne m’avait pas saluée. Il m’avait regardée encore un peu, et puis il avait ostensiblement reporté son attention sur mon père.
À cette époque, mon père tenait la trattoria Selvaggio, dont tout le monde savait qu’elle était la meilleure de l’Esquilino.
Seul au piano avec un second pour les basses œuvres et un serveur en salle, il exécutait une cuisine du Latium rigoureuse, pleine de charisme parce que sans fioritures. Tout ce que la ville comptait de jeunes chefs ambitieux défilait chez nous, dans l’espoir qu’il leur permette de l’observer de plus près pour mieux le trahir ensuite. Quand j’ai vu Cassio Cesare pour la première fois, je savais qu’il était là pour ça, comme tous les autres, à laisser mon père le toiser sans même lui offrir quelque chose à boire, dans cette pièce où les étagères ployaient à craquer sous les bouteilles.
Il avait retiré la cigarette de sa bouche pour faire tomber la cendre, et il avait murmuré :
– La Sachertorte.
– Quoi, la Sachertorte ? avait répété mon père.
– J’ai la recette.
– Tu as travaillé à l’hôtel Sacher, à Vienne ?
– Non, avait répondu Cassio en secouant la tête. Jamais.
– Ton père a travaillé à l’hôtel Sacher ? Ta mère ?
– Je suis orphelin, avait dit Cassio, avec le ton que quelqu’un d’affamé aurait utilisé pour dire qu’il n’avait pas faim. Mon père avait sursauté, mais son autorité avait pris le dessus sur sa timidité. Il était comme ça.
– Dans ce cas, ragazzo, il est techniquement impossible que tu sois en possession de la recette de la Sachertorte du Sacher Hotel de Vienne. Parce que cette recette est...
– ... Tenue secrète depuis son invention il y a presque trois siècles, et que seuls la connaissent aujourd’hui la poignée de pâtissiers ayant travaillé dans les cuisines du Sacher, eux-mêmes ayant tous promis le silence, où qu’ils puissent se trouver dans le monde. Je sais ça comme vous.
Mon père était resté silencieux quelques secondes.
– C’est ce que je dis. Dans ce cas, ragazzo, si tu n’as jamais travaillé au Sacher et que tu prétends connaître cette recette, il n’y a que deux solutions : soit tu es un menteur, soit tu es un menteur.
Cassio avait allumé une nouvelle cigarette.
– Je vous raconte, d’accord ? C’était il y a un an et demi. J’étais à Bucarest. À la gare de Bucarest, pour être exact. Il faisait nuit noire et j’attendais entre deux trains. Est-ce que vous êtes déjà allé à Bucarest, Signore Selvaggio ?
– Je n’ai jamais quitté Rome de ma vie, avait répondu mon père sur la défensive.
– Comme je vous comprends. Pourtant, il se passe parfois des choses intéressantes ailleurs. Si vous étiez allé à la gare de Bucarest, vous sauriez qu’il s’y trouve dans un angle un bar-buffet qui ne ferme jamais. Il reste ouvert toute la nuit et tout le jour pour les passagers malchanceux qui, comme moi, doivent patienter plusieurs heures entre deux trains. C’est là que j’étais, il y a un an et demi. Je passais le temps en buvant une bière, assis sur un tabouret au comptoir. Le bar est petit, et ce soir-là il était rempli à moitié, sans doute même un peu moins. Des voyageurs aux yeux battus, des clochards, et moi. Ou en tout cas c’était ce que je croyais jusqu’à ce que mon voisin de comptoir m’adresse la parole. Je ne l’avais pas vraiment remarqué avant, je ne pensais à rien, vous comprenez, j’attendais simplement que le temps passe et que le train arrive. L’homme m’a dit Pourquoi tu es là, toi?, et je lui ai expliqué en peu de mots. Il m’a demandé ce que je faisais de ma vie, à part ça, et j’ai répondu Rien de précis. Il a répliqué Alors je te repose la question autrement : qu’est-ce que tu voudrais faire, quand tu feras quelque chose ?
– La cuisine, j’ai dit. C’était une question facile. Mais quelle cuisine ? m’a interrogé l’homme. J’ai haussé les épaules, j’ai dit La vraie cuisine, la grande cuisine. Ça me paraissait évident. Sinon à quoi bon ? Mais l’homme a sursauté. Il a dit Tu sais qui je suis ? J’ai répondu que je n’en avais pas la moindre idée. L’homme a plissé les yeux. Il a répété Tu ne sais vraiment pas qui je suis ? Je l’ai regardé plus attentivement. Non. Il ne me rappelait rien. J’étais désolé. C’est ce que je lui ai dit. Il a balayé la pièce du regard, et puis il s’est penché vers moi, il a chuchoté Je suis l’ancien chef pâtissier du Sacher.
– Enchanté, j’ai dit. Quand il a ri, j’ai reçu au visage son haleine saturée d’alcool. Il a ri longtemps et puis il a dit Tu crois que je ne sais pas pourquoi tu es là ? Tu peux faire tout ce que tu veux. Je ne te donnerai pas la recette, même si tu me suces la bite. Alors j’ai ri avec lui. Bien sûr, j’ai répondu. Je ne sais pas de quelle recette vous parlez. Et en disant ça, j’ai fait signe au serveur et j’ai dit Two shots, please.
Comme s’il rejouait la scène, à ce moment-là Cassio avait tendu la main vers la bouteille posée sur la table et s’était servi le verre que mon père ne lui avait pas offert depuis le début, et il avait aussi rempli le verre de mon père, mon père qui ne bougeait plus d’un millimètre depuis quelques minutes déjà, puis il avait reposé la bouteille, une arme entre eux, un canon pivotant.
– Vous voulez la suite de l’histoire ? avait demandé Cassio. Est-ce que c’est nécessaire ?
– Oui, avait dit mon père. Oui. Raconte-moi la suite de l’histoire.
Il avait le souffle court. Cassio avait souri avec indulgence.
– Dix-huit shots. Mais j’aurais pensé plus. J’ai raté mon train et le suivant.
Il avait glissé son majeur et son index dans la poche de sa chemise et en avait sorti un carré de papier plié qu’il avait posé sur la table entre mon père et lui. Mon père s’était mordu les lèvres.
– À la fin de notre discussion, l’homme était ivre mort. Mais il a commencé à prendre conscience de ce qui s’était passé. Une partie de lui en avait conscience, en tout cas. Il a murmuré Je pensais pourtant et Qu’ils aillent tous se faire foutre, après tout et Nom de dieu et Du chocolat et de la confiture d’abricots, c’est quand même pas... et puis fina
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