Le dernier livre de
Gérald Bronner tranche sur le reste de son oeuvre(*), et il lui est pourtant étroitement rattaché.
Il s'agit au premier abord d'une autobiographie partielle, portant sur ses années de formation ,son Bildungsroman personnel. Né à Nancy dans un milieu très modeste, il y a passé son enfance et son adolescence, a manqué de peu tomber dans la délinquance à laquelle il a échappé grâce à une passion soudaine pour l'ésotérisme, où il s'est jété à corps perdu ; et il n'est pas seul à y avoir trouvé sa rédemption, puisqu'il a réussi à « convertir » un certain nobre de ses camarades, pour la plupart aussi mal partis que lui, pour lesquels il est devenu une sorte de guide spirituel, et avec lesquels il est souvent resté en contact. Ils ont élaboré ensemble un mythe collectif autour de la ville de Nancy, et y cherchant les signes de prodiges...qu'ils trouvent bien entendu. Ce mythe rappelle un peu celui que les personnages du Pendule de Foucaul (peut-être le meilleur livre d'
Umberto Eco) ont élaboré autour de la ville de Provins.
Bronner n'a pas pour autant négligé ses études ; il s'est engagé dans la sociologie, où il pense d'ailleurs approfondir ses recherches ésotériques. Mais lorsqu'il quitte Nancy pour Grenoble, il subit un nouveau changement de paradigme, et abandonne ses croyances irrationnelles pour se consacrer à leur étude scientifique et aux mécanismes de la croyance.
Mais l'histoire de sa formation intellectuelle n'est pas le seul intérêt de cet ouvrage, loin de là. Car c'est aussi une biographie beaucoup plus personnelle ; l'auteur nous parle de sa famille, de ses amis, de son quartier, de sa ville, de ses petites amies, même de son premier chagrin d'amour, avec beaucoup de tendresse.
Et c'est cette tendresse que j'ai aimée, attitude beaucoup plus noble que celles d' autres « transfuges de classe » (je déteste cette expression, injuste et blessante pour celui qui en est l'objet, pour ses milieux de départ et d'arrivée, et pour le système de méritocratie républicaine qui a permis de tels parcours ; peut-être faudrait-il dire « passagers de l'ascenseur social » (de plus en plus souvent en dérangement hélas) mais l'expression est un peu baroque), qui, tels
Edouard Louis,
Annie Ernaux,
Didier Eribon, même lorsqu'ils prétendent se faire les défenseurs et hérauts de leur milieu d'origine, suent le mépris qu'il leur inspire, et qui passe de beaucoup celui qu'on peut trouver dans leur milieu d'arrivée.
(*) Notons cependant que
Bronner est aussi l'auteur de deux ouvrages de fiction, à mi-chemin entre la SF et conte philosopie,
Comme des Dieux, et comment je suis devenu super-hétos