Après l'enthousiasme suscité par mes lectures d'
Olympe de Gouges et de
Kiki de Montparnasse, me voici plongée dans ce roman bio-graphique de Catel consacré cette fois à la femme de lettres
Benoîte Groult.
Tout commence en 2008, lorsque Catel obtient une carte blanche pour une double page dans le journal Libération. Elle hésite d'abord entre
Claire Brétécher (dessinatrice) et
Benoîte Groult. C'est finalement chez cette dernière qu'elle se rend avec son compagnon
José-Louis Bocquet dans sa maison d'Hyères.
Une fois passée sa réticence pour le 9ème art,
Benoîte Groult accepte d'être le sujet d'une bande dessinée (réserve qu'elle garde cependant jusqu'à la fin de l'ouvrage). A nouveau, je n'ai pu être qu'enchantée par le talent de Catel à restituer les ambiances.
Le livre raconte l'enfance bourgeoise de Benoîte (prénommée Rosie) née en 1920, la relation complexe avec sa mère, créatrice d'un atelier de couture en vogue, très libérée sur le plan sexuel. Cette dernière apparaît assez dure avec sa fille (lui imposant un siège spécial pour qu'elle se tienne droite, le port de gants pour ne pas se ronger les ongles). Elle trouve sa fille trop obéissante, trop sage et lui préfère sa cadette Flora, blonde, charmeuse, qui partage son engouement pour la mode. Malgré leurs différences, Benoîte apprécie beaucoup sa soeur et écrira même un ouvrage avec elle : "Le piano à quatre mains". Avec son père, homme doux et discret, elle partage les passions de la pêche et du latin.
Les années de jeunesse sont une période durant laquelle la jeune fille se cherche, en quête de modèles féminins autres que ceux de son enfance, une volonté d'émancipation. On apprend qu'elle a même voulu rentrer au couvent "pour qu'on lui fiche la paix". Après l'obtention de son baccalauréat, elle change de prénom : elle devient Benoîte. J'ai beaucoup apprécié cette première partie, je me suis attachée à son personnage.
Ensuite, Catel interroge Benoîte sur ses relations amoureuses. Après avoir quitté son poste d'enseignante de latin, elle entre à la radiodiffusion où elle rencontre
Georges de Caunes son deuxième mari. Elle a deux filles avec lui. La relation évoquée est assez particulière, son attitude contraste avec l'engagement féministe dont elle fera preuve par la suite. Elle subit de nombreux avortements clandestins. Puis, vient son histoire d'amour avec
Paul Guimard, l'auteur des choses de la vie. Elle aura une fille avec lui.
A la quarantaine, elle s'intéresse de plus en plus à l'histoire des femmes, assiste à des réunions du MLF, s'engage contre l'excision. En 1975, la publication de son livre "
Ainsi soit-elle" la fait passer du statut de bourgeoise à celui de féministe engagée. Amie de
François Mitterrand, elle travaille avec
Yvette Roudy à la féminisation du vocabulaire. On note d'ailleurs les divergences d'opinions des féministes à ce sujet.
La différence avec les autres romans graphiques évoqués plus haut (contrairement à Olympe ou à Kiki, Catel a pu rencontrer Benoîte), est que le récit est entrecoupé de conversations entre la dessinatrice et la féministe. Leurs multiples rencontres sont rapportées. Il y a des retours en arrière dans le temps et des dessins des lieux de vie de Benoîte viennent ponctuer le rythme, on assiste à des allers-retours entre sa maison d'Hyères et celle de Doëlan en Bretagne.
J'ai trouvé son personnage parfois contradictoire (par exemple le fait qu'elle évoque la reféminisation des femmes du XXIème siècle pour plaire aux hommes mais qu'elle ait eu elle même recours à la chirurgie ou qu'elle soit interpellée par l'usage du mot vagin sur une affiche). Je l'ai trouvée parfois un peu maladroite dans ses propos sur la bande dessinée à l'égard de Catel. Mais après tout, n'est-elle pas humaine? En résumé un ouvrage de qualité, très intéressant et qui ne cherche pas à faire un panégyrique (en tout cas c'est mon ressenti personnel). On assiste à la naissance d'une amitié sincère entre deux femmes de générations différentes. J'adore.