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Pétrus Borel (Traducteur)Jean-Pierre Naugrette (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253161158
410 pages
Le Livre de Poche (01/12/2003)
  Existe en édition audio
3.78/5   2354 notes
Résumé :
Après quelques premières expéditions, Robinson Crusoé, marin d'York, s'embarque pour la Guinée le 1er septembre 1659. Mais le bateau essuie une si forte tempête qu'il dérive pendant plusieurs jours et finalement fait naufrage au nord du Brésil. Seul survivant, Robinson parvient à gagner une île située au large de l'Orénoque où il va peu à peu s'assurer une subsistance convenable : il y restera près de vingt-huit ans, d'abord seul, puis accompagné d'un fidèle indigèn... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (156) Voir plus Ajouter une critique
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sur 2354 notes
Non, rassurez-vous, je ne vous ferai pas l'affront de vous raconter, comme si vous l'ignoriez, l'histoire de Robinson Crusoé (parfois orthographié Crusoë, comme pour le mot canoë, mais bref, on s'en fiche, dans l'original anglais, il n'y avait pas d'accent et l'auteur cherchait juste à faire rimer le nom de son héros avec son propre patronyme). Je me souviens toutefois que Jack London avait cette formule : « Le vrai n'est parfois pas vraisemblable. » Il entendait par là que pour écrire un roman crédible, il fallait parfois amoindrir la réalité, la déformer, la remodeler, l'approcher un peu d'une forme de normalité attendue, car quiconque n'ayant pas vécu la chose la jugerait sans quoi incroyable, au sens de « pas digne d'être crue ».

Daniel Defoe s'est ainsi rendu célèbre en mettant la main sur une histoire proprement incroyable, dont il rendit un récit affadi, alourdi, abâtardi mais pourtant tellement détonnant, par rapport à ce qui s'écrivait à l'époque — le livre parut en 1719 —, qu'il eut malgré tout le succès phénoménal et la postérité que nous lui connaissons : Stevenson aurait-il écrit son Île au trésor sans Robinson Crusoé (je pense notamment très fort au personnage de Ben Gun et à la mutinerie) ? Swift son Gulliver ? Marivaux son Île des Esclaves ? Tournier son Vendredi ou les limbes du Pacifique ? Bernardin de Saint-Pierre son Paul et Virginie ? Et combien, combien d'autres encore ?

(Rousseau considère dans Émile que c'est le seul livre digne d'être présenté à un enfant encore jeune que l'on souhaite éduquer ; Maupassant l'évoque également mais pour en dire qu'eu égard à son côté consensuel, c'est à peu près le seul roman que vous pouvez lire sans qu'un oeil inquisiteur ne vous taxe jamais de dépravation.) Et je ne parle même pas des multiples adaptations cinématographiques et déclinaisons diverses dont Tom Hanks et Hollywood ont su tirer quelques substantiels bénéfices.) Colossal ensemble, donc — si l'on y adjoint les publications jeunesse — qu'on nomme d'ailleurs maintenant des « robinsonnades ».

Indubitablement, ce roman a valeur de mythe, comme Dom Juan, comme Frankenstein, comme Faust, comme Don Quichotte et quelques autres qui jonchent l'histoire littéraire et culturelle du monde occidental. Mais quelle est, au juste, la valeur de ce mythe ? La rédemption par l'ascèse, une forme de retour à la sagesse, aux vraies valeurs et au droit chemin PAR la nature et SANS la société, une forme de retour au paradis perdu, presque, pas très différente, sans doute, des aspirations à la condition d'ermite. C'est aussi l'apologie de la survie dans l'adversité. Ça vous parle, non ?

C'est en effet très à la mode aujourd'hui, et le succès populaire (et qui fait long feu !) d'un programme tel que Koh-Lanta a sûrement quelque chose à voir avec cela. Defoe avait-il perçu tout ça ? J'en doute fort et les malheureuses suites qu'il a voulu donner à son roman, fruit de l'enthousiasme suscité par sa publication, attestent du fait qu'il n'avait absolument rien compris de ce qui en faisait l'essence et le succès.

Car Defoe n'est que le fade interprète, le fortuit géniteur, d'un mythe qui lui était préalable et fort éloigné. le « véritable » Robinson Crusoé, à savoir le têtu marin écossais Alexander Selkirk, avait d'autres visées, d'autres idéaux, d'autres codes de conduite, d'autres buts dans la vie que le cupide commerçant, citadin et volontiers politicard qu'était Daniel Defoe.

Contrairement à l'auteur, Selkirk se souciait fort peu de politique, c'était une forte tête, un querelleur, une trempe sans incrustation, un gars qui disait sans détour ce qu'il pensait et qui se souciait peu de froisser durablement ses interlocuteurs, fussent-ils de la police, ou fût-il embarqué avec lesdits interlocuteurs sur un navire à l'autre bout du monde. C'est ce qui lui valut le luxueux privilège d'être débarqué tout seul sur une île rocailleuse et inhabitée de l'archipel Juan Fernandez, située à environ 600 km au large du Chili.

L'île, en soi, était suffisamment paumée pour s'y sentir bien coupé de tout, mais offrait cependant des dimensions — à la louche une quinzaine de kilomètres d'est en ouest et à peu près cinq kilomètres du nord au sud avec un littoral très tortueux et chaotique qui en décuple le périmètre — suffisantes pour s'y dégourdir les jambes, y trouver accessoirement à manger et n'en pas tout explorer en dix minutes chrono. Or Selkirk, en sa qualité d'à peu près pirate, en tout cas d'insoumis, n'était pas du style à s'en laisser compter ni à se déjuger : c'était le genre de gars qui assume ce qui lui arrive, surtout s'il l'a provoqué. Il fit preuve sur cette île d'un sens de la survie et de la débrouillardise qui enthousiasma Defoe au point qu'il voulût en narrer les exploits, mais en prenant soin d'en gommer les trop fortes aspérités, en en faisant un vieux monsieur, comme lui l'était alors, tandis que ledit Selkirk était bien plus jeune que Defoe au moment de l'écriture du roman.

Voilà pourquoi le narrateur de Robinson Crusoé est un si vieux bonhomme, un gars qui, de vaguement indiscipliné dans sa jeunesse, est devenu scrupuleux, aimable, affable, prudent, un brin peureux même, sage et pieux sur son île, passant son temps à ânonner les évangiles. Il est vrai que Selkirk n'avait pour seul bouquin qu'une bible et qu'il s'en faisait régulièrement la lecture afin de ne pas trop perdre son anglais, mais il n'était pas devenu sacristain pour autant, n'hésitant pas à se refaire pirate dès qu'il fut libéré par le passage d'un adorable flibustier dont il se fit plus ou moins l'ami et l'homme de main.

Defoe s'est également servi d'un authentique amérindien, Will, de l'ethnie des Mosquito, qui avait été débarqué sur l'archipel et abandonné par accident, qui, lui aussi, y avait survécu des années (c'était bien sur la même île, mais vingt ans avant Selkirk, que ce dernier ne rencontra donc jamais) pour forger son personnage de Vendredi. Cependant, il en fait une sorte de grasse caricature du bon sauvage : c'est très paternaliste, très dégoulinant de « mission civilisatrice », comme ça se disait et se pratiquait à l'époque (sans parler de commerce triangulaire, qui était la norme aussi à l'époque et auquel Defoe ne trouve rien à redire, nonobstant la soupe à la morale chrétienne qu'il nous sert sans arrêt dans l'ouvrage).

Pourtant, malgré tout le poussif dont l'auteur affuble cette remarquable histoire réelle, le roman demeure, plus de 300 ans après sa publication, d'une tenue et d'une fraîcheur qui méritent le respect. Certes l'auteur ne l'a pas fait exprès, mais le sujet était tellement bon, il résonnait si fort en chacun de nous, qu'il ne pouvait pas être gâté, même par les maladresses d'un Defoe en petite forme créatrice.

Cela reste donc, en dépit de tout ce que je viens d'en dire, un roman admirable, car sa matière première, celle qui provenait du destin particulier de Selkirk, en était exceptionnelle, luminescente et subjuguante, et en dépit de toute cette mélasse pro-religieuse et moralisatrice, des balourdises à propos de Vendredi et du retour en Europe (l'épisode des loups et de l'ours au pied des Pyrénées françaises est à pleurer de nullité), cela reste un très grand roman, dont Defoe a su maîtriser la narration, notamment dans la phase « découverte et débrouillardise » de l'oeuvre.

Je tiens à préciser aussi que Defoe, qui était un excellent connaisseur des récits de piraterie de son temps, aborde, par exemple, un élément fort peu mentionné ni repris par ailleurs et qu'on redécouvre de nos jours, à savoir la piraterie dite « barbaresque » (entendez par là du Maghreb). En effet, Robinson Crusoé se fait alpaguer au départ par un pirate de Salé (au Maroc), puis, vers la fin, un bateau en partance de Lisbonne n'arriva jamais en Angleterre en raison d'un équipage pirate algérien (Defoe écrit « Algerines » dans la version originale du roman, ce qui signifiait manifestement Algériens au sens d'Algérois). Ce n'est que très récemment que j'ai entendu parler de l'ampleur et de l'existence de cette vaste entreprise de piraterie sur plusieurs siècles et qui aboutit à la création rien moins que de l'US navy pour y faire face, rendez-vous compte !

Oui, on devrait relire plus souvent nos classiques car, typiquement, c'est le genre de roman qu'on a tous l'impression d'avoir déjà lu avant de l'avoir lu et qui, malgré tout, est toujours intéressant et surprenant à la lecture. Pour vous en convaincre, je vais vous proposer une question, exactement du même acabit que celles qu'une amoureuse des quiz sur Babelio vous concocterait avec gourmandise.

Question 1 : Quel est le prénom de Robinson Crusoé ?
a. Crusoé
b. Robinson
c. Bartholomew
d. Bob

Je sens que ça fume… Eh bien, je ne vais pas vous faire lanterner plus longuement, mais au risque de vous surprendre — et preuve qu'il n'est pas totalement inutile de le lire pour en avoir une vision précise — son prénom est Bob (mentionné une seule fois dans l'ouvrage). Robinson est le nom de sa mère et Crusoé une déformation de Kreutznaer, le nom de son père, natif des Pays-Bas, comme le propre père de Defoe, bien entendu.

Et maintenant, posons-nous honnêtement la question, si d'un coup, là tout de suite nous étions privés de notre informatique, de notre électricité, de nos maisons, de nos magasins, de nos moyens de transport, du secours même de demander du secours, que ferions-nous ? Qu'entreprendrions-nous pour assurer notre propre survie « into the wild », si j'ose écrire ? Si la réponse vous intéresse, alors je vous conseille la lecture de cet archi-classique en vous spécifiant une fois encore que ceci n'est que mon avis, seul au monde, échoué sur l'île bossuée de ma subjectivité, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Robinson Crusoë , ce n'est pas un livre ,c'est un mythe .Comment dire sans émotion ? C'est une tranche de vie , un livre fondateur , un livre qui a fasciné et imprégné jusqu'à la moëlle , des milliers ,des millions de lecteurs.Quand on avait lu Robinson , emprunté , à tour de rôle , à la bibliothèque de l'école, on dessinait , on rêvait ,on envisageait , malgré notre jeune âge, une île , un bateau , une tempête, des dangers ....Et , à ceux qui ne savaient pas lire ( mais oui,ça existait...) ou qui lisaient mal , on racontait , et leurs yeux s'illuminaient , ce qui nous permettait de prolonger fièrement et , avouons- le , avec exagération, des aventures dangereuses qui étaient devenues les nôtres . Oui,je me souviens avoir joué à Robinson et ,comme je racontais bien , le petit gringalet que j'étais, trouvait sa légitimité dans une communauté de costauds gentils , adorables , mais qui ne savaient pas forcément découvrir par eux-mêmes des histoires qui les fascinaient ..C'était ça la camaraderie entre enfants d'un même bourg de la Creuse il y a prés de soixante ans . Robinson Crusoë . Quand j'y repense , je me dis que , vraiment , c'était extraordinaire cette découverte d'un monde si lointain , si secret , si hostile , si fascinant....Et vous savez quoi ? Les costauds gentils , dans mon village , ils attrapaient les vipères vivantes par la queue...Jamais ils ne m'ont effrayé avec et pourtant...Chacun ses compétences , chacun son apport...C'était ça , Robinson...Et tout le monde s'en souvient,un élément fédérateur de la société de l'époque dans laquelle chacun trouvait sa place.
Le relire aujourd'hui ? Pour moi , inutile ,il est gravé en moi , et ,j'ai la faiblesse de le penser , en beaucoup d'entre mes copains de l'époque et puis , soixante ans après, laissez-moi ce merveilleux souvenir . Et s'il ne séduit pas la génération actuelle , peu importe , l'essentiel étant que les enfants d'aujourd'hui trouvent dans leurs lectures , leur Robinson. C'est mon souhait le plus sincère, un bienfait pour bâtir sa propre histoire. Pour le petit creusois que j'étais, ca s'appelait " le bonheur ".
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Une oeuvre mythique, découverte à 10 ans, relue plus tard dans sa version originale, feuilletée sans cesse, qui fleure l'aventure et la débrouillardise, dans laquelle le thème de la solitude est aussi superbement traité, bref un classique incontournable à découvrir ou redécouvrir.

Robinson, c'est l'archétype du héros qui va survivre à tout prix, qui va même parvenir à aller au-delà de la survie, en perfectionnant l'agencement de ses installations, en améliorant son alimentation grâce à ses semis de légumes, à son utilisation des ressources que l'île met à sa disposition.

Bien sûr, son quotidien est aidé par la récupération de nombreux éléments du contenu du bateau naufragé, mais c'est son ingéniosité que Daniel Defoe développe dans le livre. Même s'il souffre de la solitude, il parvient à s'en accomoder, à admirer la nature autour de lui, la mer, installé confortablement dans son repaire.

Et puis arrive l'épisode des cannibales, le sauvetage de Vendredi et la vie qui s'organise à deux. Dommage que l'auteur insiste autant sur la supériorité de Robinson sur le sauvage, elle est évidente et incontestable. Mais, était-il nécessaire d'insister autant ?

La dernière partie du livre peut paraître moins passionnante, elle dégage néanmoins une pensée philosophique aboutie et démontre tout les travers de l'humain, même chez celui qui a subi exil et solitude, angoisse et désespoir. Robinson paraît avoir oublié son vécu ou alors il aurait eu un comportement différent.

L'ensemble reste un très bon roman où l'aventure côtoie la réflexion métaphysique et offre de très bons moments de lecture.
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"Robinson Crusoé" fait partie des classiques jeunesse que je n'ai encore jamais lus. Je me l'étais programmé pour le début de l'année, sans cesse je le repousse non pas par manque d'envie mais plutôt à cause de ma pile à lire qui augmente plus vite que je ne lis (ce n'est plus une pile à proprement parler d'ailleurs mais davantage une montagne...). Quoiqu'il en soit, je prends enfin le temps de le découvrir.

Robinson Crusoé fait partie de ces héros mythiques qu'on ne présente plus. Il est un jeune homme en soif d'aventures. le premier navire sur lequel il embarque est pris par une terrible tempête et coule, il échappe de peu à la mort. le second est attaqué par les pirates, il y est fait prisonnier et esclave en Afrique. Et comme on dit jamais deux sans trois, le troisième est lui aussi aux prises d'une tempête et échoue au large d'une petite île déserte de l'océan Atlantique. Seul survivant, Robinson y séjournera 28 ans avant d'être enfin secouru.

C'était plutôt bien parti, le début du récit étant riche en aventures et mésaventures. C'est devenu quelque peu plombant à partir du moment où Robinson se retrouve seul sur "l'île du désespoir", comme il aime à la nommer. Et ce n'est pas le manque d'action qui m'a gênée. Je connaissais déjà l'histoire dans ses grandes lignes et j'étais donc préparée à cette vie en solitaire. D'ailleurs, j'ai aimé la façon dont Robinson nous raconte son quotidien, de son "installation" à la vie de "château" qu'il mène à la fin. J'ai aimé le voir évoluer, changer, se remettre en question tout du long. J'ai aimé ses ingéniosités et inventions. La narration étant à la première personne, j'ai aimé être au plus près de ses ressentis, de ses réflexions, méditations et raisonnements. J'ai aimé la façon dont il dépeint son quotidien, la façon dont il s'organise, dont il décrit l'agencement de l'île, ou encore sa faune et sa flore.

Non ce qui m'a gênée, c'est tout d'abord la mise en forme. Pas de chapitres déjà, tout est à la suite avec seulement un saut de ligne de temps à autre. le style d'écriture, très classique évidemment, est quand même sacrément répétitif. C'est lourd et très long par moments... Et le fait que tout soit ramené à la justice et à la parole divines devient à force pas mal redondant. J'ai pris sur moi pour ne pas sauter certains passages tellement j'en avais marre.

Mais je suis quand même allée jusqu'au bout. J'y ai mis bien plus de temps que ce que j'avais cru au premier abord mais j'y suis arrivée, d'autant que la dernière partie est aussi alléchante que la première et se lit avec beaucoup plus d'entrain que celle du milieu.

Je n'en ressors pas totalement conquise. J'avoue que je m'attendais à bien plus prenant et à un récit qui bouge un peu plus quand même. Et même si j'ai souvent soufflé, je ne regrette pas l'avoir lu, enfin. Mais je pense que je prendrai davantage plaisir à en découvrir les différentes adaptations, telles que les BD et livres jeunesse, ou encore celles à l'écran (du moins celles que je n'ai pas encore vues et lues).
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Comment réussir vos vacances en naufrage ? Première fonction du livre : l'apologie du système D. La psychologie est assez inexistante. de nos jours, l'étude fait plutôt sourire, entre autres pour son puritanisme aussi. Robinson ne cesse de se repentir de ses aventures, d'avoir renié son père et Dieu. En ce qui concerne les sauvages, il y a d'abord le commerce triangulaire et ensuite l'éducation de Vendredi (le jour où Robinson l'a trouvé). À noter l'importance des dates que Robinson retient et mentionne scrupuleusement, ainsi que le fait que Defoe se soit inspiré d'une histoire vraie.
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Citations et extraits (78) Voir plus Ajouter une citation
Il advint qu’un jour, vers midi, comme j’allais à ma pirogue, je fus excessivement surpris en découvrant le vestige humain d’un pied nu parfaitement empreint sur le sable. Je m’arrêtai court, comme frappé de la foudre, ou comme si j’eusse entrevu un fantôme. J’écoutai, je regardai autour de moi, mais je n’entendis rien ni ne vis rien. Je montai sur un tertre pour jeter au loin mes regards, puis je revins sur le rivage et descendis jusqu’à la rive. Elle était solitaire, et je ne pus rencontrer aucun autre vestige que celui-là. J’y retournai encore pour m’assurer s’il n’y en avait pas quelque autre, ou si ce n’était point une illusion ; mais non, le doute n’était point possible : car c’était bien l’empreinte d’un pied, l’orteil, le talon, enfin toutes les parties d’un pied. Comment cela était-il venu là ? je ne le savais ni ne pouvais l’imaginer. Après mille pensées désordonnées, comme un homme confondu, égaré, je m’enfuis à ma forteresse, ne sentant pas, comme on dit, la terre où je marchais. Horriblement épouvanté, je regardais derrière moi touts les deux ou trois pas, me méprenant à chaque arbre, à chaque buisson, et transformant en homme chaque tronc dans l’éloignement. – Il n’est pas possible de décrire les formes diverses dont une imagination frappée revêt touts les objets. Combien d’idées extravagantes me vinrent à la tête ! Que d’étranges et d’absurdes bizarreries assaillirent mon esprit durant le chemin !

Quand j’arrivai à mon château, car c’est ainsi que je le nommai toujours depuis lors, je m’y jetai comme un homme poursuivi. Y rentrai-je d’emblée par l’échelle ou par l’ouverture dans le roc que j’appelais une porte, je ne puis me le remémorer, car jamais lièvre effrayé ne se cacha, car jamais renard ne se terra avec plus d’effroi que moi dans cette retraite.

Je ne pus dormir de la nuit. À mesure que je m’éloignais de la cause de ma terreur, mes craintes augmentaient, contrairement à toute loi des choses et surtout à la marche, ordinaire de la peur chez les animaux. J’étais toujours si troublé de mes propres imaginations que je n’entrevoyais rien que de sinistre. Quelquefois je me figurais qu’il fallait que ce fût le diable, et j’appuyais cette supposition sur ce raisonnement : Comment quelque autre chose ayant forme humaine aurait-elle pu parvenir en cet endroit ? Où était le vaisseau qui l’aurait amenée ? Quelle trace y avait-il de quelque autre pas ? et comment était-il possible qu’un homme fût venu là ? Mais d’un autre côté je retombais dans le même embarras quand je me demandais pourquoi Satan se serait incarné en un semblable lieu, sans autre but que celui de laisser une empreinte de son pied, ce qui même n’était pas un but, car il ne pouvait avoir l’assurance que je la rencontrerais. Je considérai d’ailleurs que le diable aurait eu pour m’épouvanter bien d’autres moyens que la simple marque de son pied ; et que, lorsque je vivais tout-à-fait de l’autre côté de l’île, il n’aurait pas été assez simple pour laisser un vestige dans un lieu où il y avait dix mille à parier contre un que je ne le verrais pas, et qui plus est, sur du sable où la première vague de la mer et la première rafale pouvaient l’effacer totalement. En un mot, tout cela me semblait contradictoire en soi, et avec toutes les idées communément admises sur la subtilité du démon.

Quantité de raisons semblables détournèrent mon esprit de toute appréhension du diable ; et je conclus que ce devaient être de plus dangereuses créatures, c’est-à-dire des Sauvages de la terre ferme située à l’opposite, qui, rôdant en mer dans leurs pirogues, avaient été entraînés par les courants ou les vents contraires, et jetés sur mon île ; d’où, après être descendus au rivage, ils étaient repartis, ne se souciant sans doute pas plus de rester sur cette île déserte que je ne me serais soucié moi-même de les y avoir.
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Je les priai de me dire, quant à eux, ce qu’ils avaient à alléguer pour que je ne les fisse pas exécuter comme des pirates pris sur le fait, ainsi qu’ils ne pouvaient douter que ma commission m’y autorisât.

Un d’eux me répondit au nom de tous qu’ils n’avaient rien à dire, sinon que lorsqu’ils s’étaient rendus, le capitaine leur avait promis la vie, et qu’ils imploraient humblement ma miséricorde. - « Je ne sais quelle grâce vous faire, leur repartis-je : moi, j’ai résolu de quitter l’île avec mes hommes, je m’embarque avec le capitaine pour retourner en Angleterre ; et lui, le capitaine, ne peut vous emmener que prisonniers, dans les fers, pour être jugés comme révoltés et comme forbans, ce qui, vous ne l’ignorez pas, vous conduirait droit à la potence. Je n’entrevois rien de meilleur pour vous, à moins que vous n’ayez envie d’achever votre destin en ce lieu. Si cela vous convient, comme il m’est loisible de le quitter, je ne m’y oppose pas ; je me sens même quelque penchant à vous accorder la vie si vous pensez pouvoir vous accommoder de cette île. » - Ils parurent très reconnaissants, et me déclarèrent qu’ils préféreraient se risquer à demeurer en ce séjour plutôt que d’être transférés en Angleterre pour être pendus : je tins cela pour dit.

Néanmoins le capitaine parut faire quelques difficultés, comme s’il redoutait de les laisser. Alors je fis semblant de me fâcher contre lui, et je lui dis qu’ils étaient mes prisonniers et non les siens ; que, puisque je leur avais offert une si grande faveur, je voulais être aussi bon que ma parole ; que s’il ne jugeait point à propos d’y consentir je les remettrais en liberté, comme je les avais trouvés ; permis à lui de les reprendre, s’il pouvait les attraper.
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En 1632, je naquis à York, d’une bonne famille, mais qui n’était point de ce pays. Mon père, originaire de Brème, établi premièrement à Hull, après avoir acquis de l’aisance et s’être retiré du commerce, était venu résider à York, où il s’était allié, par ma mère, à la famille ROBINSON, une des meilleures de la province. C’est à cette alliance que je devais mon double nom de ROBINSON-KREUTZNAER ; mais, aujourd’hui, par une corruption de mots assez commune en Angleterre, on nous nomme, nous nous nommons et signons CRUSOÉ. C’est ainsi que mes compagnons m’ont toujours appelé.

J’avais deux frères : l’aîné, lieutenant-colonel en Flandre, d’un régiment d’infanterie anglaise, autrefois commandé par le fameux colonel Lockhart, fut tué à la bataille de Dunkerque contre les Espagnols ; que devint l’autre ? j’ignore quelle fut sa destinée ; mon père et ma mère ne connurent pas mieux la mienne.

Troisième fils de la famille, et n’ayant appris aucun métier, ma tête commença de bonne heure à se remplir de pensées vagabondes. Mon père, qui était un bon vieillard, m’avait donné toute la somme de savoir qu’en général on peut acquérir par l’éducation domestique et dans une école gratuite. Il voulait me faire avocat ; mais mon seul désir était d’aller sur mer, et cette inclination m’entraînait si résolument contre sa volonté et ses ordres, et malgré même toutes les prières et les sollicitations de ma mère et de mes parents, qu’il semblait qu’il y eût une fatalité dans cette propension naturelle vers un avenir de misère.
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Retourner à la maison était évidemment et sans contredit le parti le plus sensé ; mais la mauvaise honte me le faisait rejeter bien loin. Je m’imaginais que je serais montré au doigt dans tout le voisinage, et que j’aurais honte de paraître, non devant mon père et ma mère seulement, mais même devant qui que ce fût. D’où j’ai souvent pris occasion de remarquer combien est perverse est déraisonnable l’humeur ordinaire de la plupart des hommes, et surtout des jeunes gens, qui, au lieu de se guider par la raison en pareilles circonstances, ont à la fois honte de pécher et honte de se repentir ; rougissant, non pas de l’action qui doit les faire passer pour des insensés, mais de l’amendement, qui seul peut leur mériter le titre de sages.
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Je lui demandai s'il était jamais allé parler [à son dieu]. Il me répondit que non ; que les jeunes gens n'y allaient jamais, que personne n'y allait que les vieillards, qu'il nommait leurs Owookkée, c'est-à-dire, je me le fis expliquer par lui, leurs religieux ou leur clergé, et que ces vieillards allaient lui dire : O ! - c'est ainsi qu'il appelait faire des prières-, puis que lorsqu'ils revenaient ils leur rapportaient ce que Benamuckée avait dit. Je remarquai par là qu'il y a des fraudes pieuses même parmi les plus aveugles et les plus ignorants idolâtres du monde, et que la politique de faire une religion secrète, afin de conserver au clergé la vénération du peuple, ne se trouve pas seulement dans le catholicisme, mais peut-être dans toutes les religions de la terre, voir même celles des sauvages les plus brutes et les plus barbares.
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Vidéo de Daniel Defoe
Journal de l'année de la peste de Daniel Defoe et Gérald Duchemin aux éditions du Chat Rouge
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