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Isabelle Delord-Philippe (Traducteur)
EAN : 9782264017710
348 pages
10-18 (12/09/1999)
3.39/5   9 notes
Résumé :
Au cours d'un des nombreux déplacements nécessités par sa profession d'acheteur pour une maison de discount, Bruce Stevens, 24 ans, rencontre Susan Faine, son ancienne institutrice, fraîchement divorcée. Elle lui propose bientôt de prendre la gérance de sa petite boutique de dactylographie et location de machines à écrire ; il accepte.
Une liaison amoureuse puis un mariage s'ensuit. Mais Bruce s'active pour relancer la boutique : il part sur la route, to... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Il semble que, par pure feignasserie intellectuelle, "on" sous-estime encore gravement aujourd'hui, disons "ici et là", la valeur artistique intrinsèque de la douzaine de romans "généralistes" et "réalistes", autrement dit non "s-f", de Philip K. DICK (1928-1982), tous écrits dans les années cinquante jusqu'en 1960...

Un seul aura été publié de son vivant (tardivement : en 1975) : "Confessions of a Crap artist" / "Portrait de l'artiste en jeune fou" [... connement, putassièrement et — là encore — paresseusement re-titré en "Confessions d'un barjo" [!!!] par les franchouilles, mais passons...].

Tous les autres l'auront été à titre posthume.

- (1°) "The Earthshaker" (["Le monde ébranlé"]) : écrit de 1948 à 1950, manuscrit inédit...

- (2°) "Gather Yourselves Together" (["Entraidez-vous"]) / "Ô nation sans pudeur" : écrit en 1949-1950, publié pour la 1ère fois en 1994.

- (3°) "Mary and the Giant" (["Mary et le géant"]) / "Pacific Park" : écrit de 1953 à 1955, publié pour la 1ère fois en 1987.

- (4°) "A Time for George Stavros" (["Au tour de Georges Stavros"]) : écrit vers 1955, manuscrit perdu...

- (5°) "Pilgrim on the Hill" (["Le Pélerin sur la colline"]) : écrit en 1956, manuscrit perdu...

- (6°) "Nicholas and the Higs" (["Nicholas et les Higs"]) : écrit en 1957, remanié en 1958, manuscrit perdu...

- (7°) "Voices from the Street" / ("Les Voix de la rue"]) /"Les Voix de l'asphalte" : écrit vers 1952-53, publié pour la 1ère fois en 2007.

- (8°) "The Broken Bubble" / "La Bulle cassée" : écrit en 1956, publié pour la 1ère fois en 1988.

- (9°) "Puttering about a Small Land" (["Une petite vie tranquille dans un petit coin tranquille")] / "Mon royaume pour un mouchoir" / "Bricoler dans un mouchoir de poche" : écrit en 1957, publié pour la 1ère fois en 1985.

- (10°) "In Milton Lumky Territory" / "Aux Pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky" : écrit en 1958, remanié l'année suivante, publié pour la 1ère fois en 1985.

- (11°) "Confessions of a Crap artist" / "Portrait de l'artiste en jeune fou" : écrit en 1959, publié pour la 1ère fois en 1975.

- (12°) "The man Whose Teeth Were All Exactly Alike" / "L'Homme dont les dents étaient toutes exactement semblables" : écrit en 1960, publié pour la 1ère fois en 1984.

- (13°) "Humpty Dumpty in Oakland" / "Humpty Dumpty à Oakland" : commencé vers 1953, terminé en 1960, publié pour la 1ère fois en 1987.

Tiens, prenons... "In Milton Lumky Territory" "Sur le territoire de Milton Lumky" / "Aux Pays de Milton Lumky" : écrit en 1958, peaufiné l'année suivante puis ayant rejoint la pile des manuscrits refusés chez son auteur...

Imaginons le désespoir de notre encore juvénile "Crap artist" [textuellement : "artiste de merde"], confronté à ces retours incessants d'épais manuscrits, déjà coincé entre "ses" nouvelles de s-f. "payant" si faiblement (75 dollars l'unité, du moins pour sa première, "Beyond Lies the Wub" / "L'Heure du wub" en 1952) qu'il produira bientôt frénétiquement et ses désormais familières boîtes de métamphétamine & autres joyeusetés "speed" (disponibles "sur ordonnance" dans tous les bons drugstores) pour bien tenir la cadence infernale mais nourricière... puisqu'il venait de quitter son paternaliste employeur Hollis, et qu'il fallait manger !

Comme dans ses fascinants romans de "s-f", Philip K. Dick ne triche jamais : il met tout son coeur à créer pour nous le "décor" puis y faire évoluer ses personnages, lentement, comme dans l'aquarium géant d'un bar perdu au milieu du désert : tel ce Bruce ("Skip" car ex-rouquin) Stevens qui a grandi dans le bled perdu de Montario dans l'Idaho [Signalons ici que seule la bourgade d' "Ontario" existe pour-de-vrai : "ville du comté de Malheur en Oregon [...] située en bordure de la rivière Snake, à la frontière de l'Idaho"] ; gamin, il venait zyeuter les "pulps" —"Tip Top Comics" et autres "King Comics" — avec ses copains de l'école, squattant le drugstore du vieux Hagopian sans évidemment jamais rien acheter, avant de se faire virer... Il pense d'ailleurs que "le vieux lui en veut" toujours quand il repasse dans sa bourgade natale au volant de sa Mercury qu'on imagine rutilante (sans doute semblable à la "Christine" [1983], cette Plymouth Fury du film de John CARPENTER, adapté du roman de Stephen KING) après avoir décroché un job de prospecteur pour chaines de magasins discount à Reno, toujours navigant entre Boise et Reno où il crèche enfin indépendamment de ses darons, en se baladant avec en poche une boîte de préservatifs de marque "Troyens", achetée au drugstore Hagopian (dûment enveloppée dans un exemplaire du magazine "Time")...

Luxe de détails, comme dans la prose de Marcel PROUST dans "A la recherche du temps perdu" [1906-1922] : chaque "pixel" de réalité s'avère touchant et juste.

Nommons là notre ressenti : "grand art du récit".

On y découvre encore le goût inattendu de Dick pour le bric-à-brac foisonnant et poétique des magasins de détails, pouvoir d'évocation digne des pages prolixes de "La Peau de Chagrin" [1831] d'Honoré de BALZAC, des odeurs régnant dans "Les Boutiques de Cannelle" et dans "La rue des Crocodiles" [1933] du regretté Bruno SCHULZ ou encore du fameux Bazar de Vouziers de ce merveilleux André DHÔTEL dans "Un Jour viendra" [1970].

Le sens du paysage et la musique des noms de lieux qui fascinaient dans l' "On the Road" [1957] de l'ami Jack KEROUAC... ou dans chacun des plans élargis ou des frémissements de la guitare de Ry Cooder dans le "Paris, Texas" [1984] de Wim WENDERS... Soit toute l'Amérique bouseuse du "Chuck's Cafe" du désert californien de "Duel" [1971] de Steven SPIELBERG et Richard MATHESON...

C'est qu'on s'attache immédiatement à chaque point focal du récit, interagissant immédiatement avec tous les autres. On s'intéresse donc simultanément aux lieux, aux gens, au vent, aux carrosseries de voitures, aux intérieurs, aux ambiances, à l'odeur de la peau de sa bien-aimée au petit matin, aux insectes qui constellent le pare-brise, aux animaux écrasés sur la route...

Comme cette "Peg" qui accueille ce revenant de Bruce "Skip" chez elle : décrite avec un luxe de détails vestimentaires, habillée comme les filles du génial "Walk the Line" [2005] de James MANGOLD, du temps de la splendeur sixties de Johnny Cash et Jerry Lee Lewis, ou la petite femme de Tony Lipp dans le fascinant "Green Book. Sur les routes du Sud" [2018] de Peter FARRELLY...

Puis la belle Susan Faine, son invitée d'un soir : cet oiseau de passage, mystérieuse trentenaire "qui arrive du Mexique où elle vient de divorcer", déjà deux mariages derrière elle... Elle se révèle l'ancienne institutrice de [l'équivalent de notre] CM2 de Bruce "Skip", immédiatement attiré par elle...

Enfin, l'homme énigmatique qu'est ce Milton Lumky, homme "d'âge mûr" (38 ans), voyageur de commerce, sorte de raté et frustré magnifique se révélant lui aussi amoureux de Susan... "Milt" parcourt donc SON territoire ("In Milton Lumky Territory") pour écouler ses ramettes de papier dans sa Mercedes désuète mais impeccable aux sièges cuir...

Et l'on repense à cet excellent film de NARUSE Mikio : "Une femme dans la tourmente" (乱れる, "Midareru"), film prophétique de 1964 (interprété par Takamine Hideko et Kazama Yûzô) annonçant l'arrivée tonitruante des supermarchés dans un quartier populaire de grande Cité (Tokyo ?) : invasion capitalistique massive qui finira par tuer tout un petit commerce se révélant très vite désemparé, "dépassé" avec son univers passéiste resté "à ras d'humains", s'accrochant à ses vieux jeux de rôles devenus soudain dérisoires...

Histoire d'un échec flamboyant, patiemment et âprement construit... Tout à fait l'esprit grandiose du chef d'oeuvre de John HUSTON [1948] "The Treasure of the Sierra Madre"... mais ne puis vous en dire beaucoup plus !

Comme ce couple aurait dû se méfier de batifoler "sur les terres de Milt" : ce si vaste territoire que ce jeune-vieux frustré de Milton Lumky, supposé "brave" VRP de la paperasserie, parcourt depuis toujours en sa vénérable "Oldsmobile/Mercedes" de cartoon... et voici Bruce et Susan piétinant allègrement et impunément ses plates bandes ! Ce Territoire-là n'inclurait-il pas cette femme de 34 ans vivant à Boise (Idaho) et qu'il convoite depuis toujours ?

Et je constate qu'on fait la fine bouche [comme lire ci-dessous : "Globalement, l'ambiance est un peu glauque, le rythme est assez lent et les personnages manquent cruellement de personnalité." (!!!) Tu parles, Charles...], qu'on ignore (par formatage de cervelles-toujours-pressées) ce type de productions intellectuelles et sensorielles restées sagement à la marge, toujours invisibles, "grands crus" d'entre Rocky Mountains et California ayant déjà pourtant leurs soixante années d'âge, en robe pourpre & goûtue...

Revenons, par exemple, à cette entière page que "Le Monde des Livres" consacre ces jours-ci au "Pas dormir", le nouveau "roman" d'une agrégée de Lettres nommée Marie Darrieussecq... Voilà un ouvrage centré sur le brillant sujet des troubles du sommeil d'une Auteure auxquels se mêle la découverte de la très consécutive (méchante et imprévue) perte de contrôle de sa (charmante) consommation d'alcool : passionnantes et complaisantes tribulations de son nombril, évidemment détaillées quasi-heure par heure (pour le voyeurisme du lecteur ?) jusqu'à la nausée... Et tout ce foin pour éviter d'aller ENFIN consulter un bon addictologue et nous f...tre ENFIN une paix des plus royales ! Avoir vidé de sa délicate substance l'étrange nouvelle "La Truie" (1970) de Thomas OWEN pour la recycler et la délayer en vulgaires "Truismes" n'aura donc pas suffi... :-)

Et allez, la pauvre Marie (contre le Géant Dick) en prend pour son grade et paye pour tous les autres !!! Bref, je fais un exemple, mais j'aurais pu vous en trouver 100.000 autres... L'oeil du cyclone de cette mauvaise humeur ? Nous râlons furieusement de nous apercevoir que depuis sa première traduction en 1992 (coll. 10/18) puis sa réédition en 2012 aux éditions J'ai Lu, "In Milton Lumky Territory" n'a eu droit (sous ses deux titres français successifs) qu'à TROIS critiques ici (Notre soi-disant Territoire des Super-Z-intellos) : exténuant constat et énervante anomalie à corriger d'urgence, selon nous !!!

APPEL à court-circuiter (un peu ou intégralement) la prose narcissique de tous ces blaireaux/blairottes (évidemment soutenue à bout de bras par des critiques & médias aux conflits d'intérêts voyants comme l'Everest par temps clair) pour aller explorer toutes les galeries du Terrier aux Merveilles de l'humble Philip K. DICK "qui y croyait", lui : même s'il n'est pas un chef d'oeuvre, ce roman-là est un monde heureusement VIVANT merveilleusement authentique, altruiste et enchanteur... Et comme on dit : "Ne boudons pas notre plaisir" (clicheton, mais bon !).

Bref, découvrons très vite ce passionnant et incroyable "Sur le territoire de Milton Lumky", encore tout frais de ses soixante-deux années de maturation et accessible à nous du haut de son prix dérisoire de... 6,20 € !

[NOTE ultime : le même roman était paru en France en 1992 sous le titre "Aux pays de Milton Lumky" : on peut aussi le chercher à ce titre... et y retrouver notamment la critique si documentée et, à vrai dire, fabuleuse de notre ami SZRAMOWO du 24 septembre 2015 sur cet ouvrage réellement indispensable à notre connaissance de l'Oeuvre "dickienne" ET cet excellent roman tout court...]
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La quatrième de couverture précise :
«Avant de s'imposer comme le roi de la science-fiction, Philip K Dick écrivit des romans réalistes, tableaux impitoyables de l'Amérique profonde.»
Il est vrai qu'en France, nous avons d'abord connu Dick comme l'écrivain de science fiction et n'avons eu accès à ses oeuvres de jeunesse que beaucoup plus tard.
1989 pour «Les défenseurs»
1992 pour «Aux pays de Milton Lumky»
1993 pour «La bulle cassée» et «Mon royaume pour un mouchoir»
1994 pour «Pacific Park»
Pourtant ces romans contiennent en filigrane l'essentiel de la démarche créatrice de Dick.
Seul le contexte change.
Dans Aux pays de Milton Lumky, Dick affirme dans l'avant propos qu'il signe :

«Voici un livre extrêmement drôle, et bon, par-dessus le marché ; les aventures qu'il narre arrivent à des vrais gens, qui prennent vie au fil de la lecture.»
Il l'a écrit en 1958, dans cette Amérique droite dans ses bottes qui encense la réussite, le commerce, l'individualisme et la débrouillardise. le héros, Bruce Stevens dit Skip, est à l'image de cette Amérique, il porte une armure derrière laquelle il fait taire toutes ses incertitudes.
Il éprouve les mêmes doutes que Sam Regan dans le Dieu venu du centaure, que Bonny Keller dans Docteur Bloodmoney, ou que Ray Hollis dans Ubik.
Bruce est toujours Skip pour les habitants de Montario son village natal, même si à 24 ans, il est «Acheteur», un métier nouveau et plein d'avenir.
Et si on lui pose la question :
Quel genre d'acheteur ?
Pour la C.A.C, dit-il.
La télévision ? intervint Mr Hagopian.
Pour la Centrale d'Achat des Consommateurs, précisa SKIP.
Qu'est-ce-que c'est que ça ?
Une sorte de grand magasin. C'est un nouvel établissement sur la nationale 40 entre Reno et Sparks.
Avec un drôle d'air, Fred affirma :
- Je connais. Un gars qui est venu ici m'en a parlé.
Skip croit au credo américain, il a confiance en lui, confiance dans le fait que la recherche du bien-être individuel est la voie du développement du pays : plus de voitures, plus de drugstore, plus de cigarettes, plus de cinémas, plus de routes, plus d'avions, plus de chemin de fer. Dans cette société, le comportement économique de chaque citoyen est garant du développement économique du pays.
Le rêve américain disait-on alors.
Skip est revenu dans sa ville natale même s'il préfère vivre à Reno, ville anonyme parfaite pour un anonyme comme lui.
«Par-dessus tout, il appréciait de vivre seul dans son appartement de Reno, loin de ses parents, loin d'un bourg essentiellement agricole(...)»
La raison de sa venue s'appelle Peg, une conquête ancienne, mais rien ne se passe comme prévu, Peg reçoit des collègues, parmi lesquels Susan Faine, une femme plus âgée que Skip qui revient du Mexique où elle vient de divorcer.
Une sensation de déjà-vu s'installe entre-eux :
(...) Vous savez, j'ai l'impression de vous connaître.
Evidemment, ironisa-t-il, on dit toujours ça.
le coup de foudre en quelque sorte - elle sourit. Reconnaissance instantanée de l'être aimé.
Une fois en voiture, Bruce se souvient :
« Susan Faine avait été son institutrice de septième. Au collège Garret A. Hobart de Montario. En 1944, quand il avait onze ans.»
Cela le pousse-t-il à revenir, à chercher à la revoir ?
«Une femme que j'ai crainte...une jeune enseignante qui m'a humilié devant toute la classe. Peut-être est-ce reproduire le même schéma. Obéissance. Esclavage. L'inégalité de l'enfance...»
Il ne peut lui refuser d'assurer la gérance du magasin de photocopies qu'elle tient à Montario, Polycopie Service :
«- Je pense que c'est entendu, articula-t-il, l'esprit à l'envers, mais conscient que, contre toute attente, il avait donné son accord de principe.»
le roman est consacré à cette relation qui ne dit pas son nom. Bruce sait que Susan est son ancienne institutrice, elle non. Leur relation, purement professionnelle au début, implique également :
Taffy, la fille de Susan et de Pete, un soldat mort en Corée ; Walt le second mari de Susan dont elle a divorcé ; Milton Lumky, un vieux représentant de commerce amoureux de Susan ; Zoe de Lima l'ancienne associée de Susan dans la boutique.
«Ce soir-là, sur le trajet du retour à la maison, Susan s'inquiéta :
    — Tu n'as rien dit à Milt de ton installation chez moi, n'est-ce pas ? Je sais bien que tu ne l'as pas fait.
    — Non, l'assura-t-il.
    Bruce était mieux placé que quiconque pour savoir que les représentants colportaient les ragots d'un bout de l'Etat à l'autre.
    — Nous devons être prudents, reprit-elle. Je suis fatiguée. Nous n'avons vraiment pas beaucoup dormi. Et puis cette tension avec Zoé... Je serai soulagée quand elle aura pris ses cliques et ses claques. Je t'ai vu passer les factures en revue. Es-tu tombé sur quelque chose d'important que tu souhaiterais changer ?
    Bruce souligna différents points qu'il avait repérés et qui tournaient essentiellement autour de la nécessité d'acheter en gros. Mais, à mi-chemin, au moment de s'arrêter à un feu, il lui jeta un coup d'oeil et s'aperçut qu'elle avait l'esprit ailleurs ; une expression distraite et lointaine se lisait de nouveau sur sa figure, et il co mpris qu'elle n'avait quasiment rien écouté de son exposé.
    — Excuse-moi, murmura-t-elle, quand il réussit à attirer son attention. Mais j'ai tant de sujets de préoccupation ! Je suis inquiète de la réaction qu'aura Taffy en ne voyant plus Walt. Dans son esprit, il était devenu un père. J'espère que ce sera pareil avec toi. Il faut qu'il en soit ainsi. Je n'arrive pas à m'intéresser à ces insignifiants petits détails du monde des affaires. Je crois que Milt a raison ; ça ronge l'amour-propre.
    — Je ne suis pas de ton avis, protesta-t-il. Ca m'amuse.»
C'est seulement après leur mariage, à Reno (!), que Bruce avouera avoir été son élève.
«Elle étudia la photo, puis s'écria d'une voix aiguë, triomphante :
Tu t'appelais Skip !
Oui, fit-il.
- Ah ! je vois ! dit-elle, surexcitée. Tu étais Skip Stevens ?
Elle le dévisagea en détail, le comparant à la photo.
- C'est vrai, reprit-elle. Je me souviens de toi. Tu étais le gosse que le concierge a surpris en bas, à l'infirmerie, en train d'espionner les filles pour essayer de les voir en sous-vêtements.»
Itinéraire d'une famille américaine recomposée, dans les années 1950, dont l'objectif principal est la gestion du magasin Polycopie Service, «Aux pays de Milton Lumky» traite aussi des débuts du développement des enseignes discount, de la globalisation de la production, et de la confrontation avec les tenants du commerce de proximité. C'est déjà clairement une société productrice de psychoses qui est dépeinte dans le roman.
Bruce et Susan ne parviendront jamais à faire décoller leur rêve économique et cette désillusion rejaillira sur leur relation déjà placée sous des auspices néfastes.
Roman simple voire simpliste pour certains, Aux pays de Milton Lumki n'en est pas moins révélateur d'une analyse sociale à chaud, par PK Dick , d'une société qui se regarde encore avec complaisance, et sur laquelle la société civile ne porte pas encore un regard critique.
Ce roman est certes pré-dickien, mais il révèle les fondations de l'oeuvre de l'auteur.
Du moins est-ce mon avis.
Mérite le détour....

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Philip K. Dick se lance ici dans une peinture douce-amère de l'Amérique d'après guerre. Y sont évoqués les débuts de la mondialisation, le (relatif) relâchement des moeurs et on suit avec plaisir les tentatives d'un jeune représentant pour faire sa place dans le commerce des machines à écrire. Pas toujours sympathique, il commettra moult erreurs, épousera son ancienne institutrice et finira par s'imposer dans ce secteur d'activité pourtant déclinant. Et Milton Lumky? C'est un vieux commerçant, un représentant qui sillonne le pays et dont la santé chancelle. Sans faire de sentiments, le héros l'éjectera peu à peu, actant symboliquement le passage d'un ordre à un autre...
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Encore une fois un 3.5 qui vaut un 15/20.

Phillip K. Dick nous fait visiter L'Idaho d'après guerre par les yeux de Bruce, 24 ans qui épouse son ancienne professeure, Susan, qui a 10 ans de plus que lui.

S'en suit l'histoire de leurs quotidien, amour, péripétie et autre retournement de situation, ça se lit très bien, très rapidement et facilement, j'ai rigolé à quelques passages, donc plutôt une bonne lecture !
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
L'un des premiers soirs après leur mariage, il trouva sa femme toute seule dans la living, avec son gros album de photos sur les genoux.
- Montre-moi, dit-elle. Es-tu sûr ? Ou voulais-tu dire que tu fréquentais le collège Garret A. Hobart ?
Susan lui abandonna l'album et, assis à ses côtés, il tourna les pages tandis qu'elle regardait attentivement par-dessus son épaule.
- Là, fit-il.
Il se montra du doigt sur la photo de classe. Sa figure ronde de gamin aux yeux obliques, ses cheveux plats. Son ventre qui faisait un bourrelet dessus de la ceinture. Bien qu'il ne se sentit rien de commun avec la photo, ce n'en était pas moins lui.
- C'est toi ? s'enquit-elle, penchée contre lui, avec sa main qui se balançait à hauteur de sa gorge, ses doigts qui l'effleuraient en une série de petits coups nerveux.
Son souffle était bruyant et rapide aux oreilles de Bruce.
- Voyons, ne fais pas ton timide, dit-elle.
Elle trouva la légende sous le cliché.
- Oui, reconnut-elle. Il y a écrit "Bruce Stevens". Mais je ne me souviens pas d'un Bruce dans cette classe, j'en suis certaine.
Elle étudia la photo, puis s'écria d'une voix aiguë, triomphante :
- Tu t'appelais Skip !- Oui, fit-il.
- Ah ! je vois ! dit-elle, surexcitée. Tu étais Skip Stevens ?
Elle le dévisagea en détail, le comparant à la photo.
- C'est vrai, reprit-elle. Je me souviens de toi. Tu étais le gosse que le concierge a surpris en bas, à l'infirmerie, en train d'espionner les filles pour essayer de la vois en sous-vêtements.
Rougissant, il avoua :
- Oui, c'est vrai.
Les yeux de Susan s'arrondirent, puis s'étrécirent.
- Pourquoi n'as-tu rien dit ?
- Pourquoi aurais-je dû le dire ? Protesta-t-il.
- Skip Stevens, répéta-t-elle. Tu étais une peste, tu étais le chouchou de Mrs Jaffey, elle te laissait dire ce que tu voulais. J'ai tout de suite mis le holà. Pourquoi....
Elle eut un hoquet d'indignation et s'écarta de lui, de plus en plus outrée.
- Vous étiez tous des chahuteurs. C'est toi qui a mis le feu aux vestiaires, n'est-ce pas ?



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