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Denise Meunier (Traducteur)
EAN : 9782213592732
317 pages
Fayard (01/05/1994)
3.37/5   82 notes
Résumé :
En décembre 1811, aux abords de Ratcliffe Highway, dans le célèbre dock de Londres, deux séries de meurtres commis à douze jours d'intervalle vont, par leur violence et leur cruauté, déchaîner un vent de panique dans la population londonienne et une telle avalanche de critiques dans la presse que, pour ne pas tomber, le gouvernement se voit contraint d'offrir la plus forte récompense jamais proposée pour tout renseignement susceptible d'aider à la découverte des cou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Traduction : Denise Meunier

ISBN : 9782253139058

Cette "enquête historico-policière" comme la définissaient leurs auteurs est un livre tout à fait à part qui n'appartient pas plus à la catégorie des romans qu'à celle des essais. A la limite, ce serait l'équivalent livresque d'un documentaire filmé la caméra à l'épaule, entremêlé de reconstitutions avec comédiens pour les points qui demeurent dans l'ombre. Elle pourrait aussi porter pour sous-titre "L'Affaire John Williams" si, en dépit de l'immense talent que Thomas de Quincey a mis à nous démontrer que l'assassin n'avait pas de complice et qu'il s'agissait bel et bien de Williams, le lecteur qui arrive au bout du livre de James et Critchley en est nettement moins convaincu. Disons les choses sans façons : il est même carrément sceptique.

Sans vouloir revenir sur les qualités profondes que je trouve à "De l'Assassinat Considéré Comme Un Des Beaux-Arts" et dont la seconde partie parle de la deuxième et dernière série d'assassinats dont on accusa John Williams, je suis obligée de convenir que l'enquête de James et Critchley a beaucoup, beaucoup ébranlé mes convictions. Il faut bien dire que, dans son essai, résultats de ses prises récurrentes d'opium ou tout simplement du plaisir d'avoir trouvé une théorie à exposer, De Quincey omet beaucoup de faits qui, remis à leur place, changent peu à peu le climat de l'affaire. Il a une théorie à défendre et il la défend un peu comme, un siècle plus tard à peu près, l'Américaine Patricia Cornwell s'acharnera - dans un ouvrage d'ailleurs passionnant - à prouver qu'elle est la seule à avoir découvert la véritable identité de Jack the Ripper.

Avec P. D. James (oui, la créatrice, dans la fiction policière, du célèbre Adam Dalgliesh), rien de semblable. Non sans courage et avec beaucoup de détermination, elle reprend, avec son collaborateur T. A. Critchley, deux séries de crimes atroces qui se produisirent à Londres à la fin de l'année 1811, et les détaille, parfois avec quelques longueurs et une minutie qui déplairont à certains, à un lecteur d'abord intrigué, puis passionné. Tout d'abord, le point commun est, dans les deux cas, que deux familles sont visées. Dans le premier, celui de la famille Marr, celle d'un ancien marin de 24 ans qui s'était fait charpentier et avait monté commerce à Ratcliffe Highway, il n'y a aucun survivant et, fait particulièrement épouvantable, le ou les meurtriers n'hésitent pas à égorger un enfant de trois mois, littéralement au berceau. Dans le deuxième, chez la famille Williamson (aux membres plus âgés et dont parle De Quincey ), l'enfant est nettement plus grand : c'est une fillette de dix, douze ans et elle ne devra sa survie qu'à la chance, l'agression étant signalée alors que le ou les malandrins allaient probablement lui régler son compte.

Deuxième point commun : si l'on pense bien sûr au vol comme mobile, rien, sauf peut-être une somme minime chez l'un ou chez l'autre, ne se trouve dérobé. Tuer un père, une mère, un vendeur, un bébé de trois mois pour aboutir à un tel résultat, même si l'on veut bien admettre que le ou les assassins ont été dérangés par le retour de la servante et l'intervention du guet, c'est quand même une fameuse ambition (si l'on peut dire) pour un résultat bien modeste . Chez les Williamson, le père, la mère et la servante sont tués. le commis parvient à s'échapper et c'est justement lui qui, en donnant l'alarme, empêche le meurtre de la petite Catherine. Là non plus, pas de vol à grande échelle. Mais là non plus, pas de vol.

Forcément, nous dira-t-on : il eût fallu frapper à coup sûr et s'assurer que tous les habitants des maisons choisies étaient au lit ou trop faibles pour se défendre. Agir de cette manière, c'est l'oeuvre d'un fou ou d'un psychopathe. Ca peut marcher en pleine campagne mais dans un Londres qui, à minuit, une heure de matin, grouillait encore de noctambules, c'était voué à l'échec.

Et la fameuse question arrive : pour maîtriser une famille entière avec ou sans domestiques, il faut au moins être deux. Les empreintes que l'on trouvera derrière la maison des Williamsons prouvent clairement qu'il y avait en effet deux coupe-jarrets. Pour Marr, c'est moins clair mais cela coule de source. Or, si De Quincey a fait tout ce qu'il pouvait pour prouver qu'il n'y avait qu'un seul responsable, en tous cas dans l'affaire Williamson, les juges de l'époque n'ont pu prouver mieux.

Certes, ils ont essayé. Ils ont arrêté et mis en garde à vue à tour de bras. Ils ont interrogé jusqu'à plus soif. Et ils ont aussi relaxé, avec une lassitude qui, pour P. D. James et T. A. Critchley, prouve, à un certain moment, que de grandes pressions furent exercées sur eux afin qu'ils laissassent filer les bons poissons. Seul resté blogué dans la nasse : John Williams, un joyeux drille, marin de son état, un peu trop familier, c'est certain et pilier de bar certifié, qui demeure une véritable énigme. A-t-il eu vent par hasard des projets d'assassinats et, du coup, l'aurait-on chois comme "bouc-émissaire" ? Au début, était-il d'accord mais l'égorgement du petit Marr l'a-t-il tellement horrifié qu'il a décidé de retirer ses billes ? Dans ce cas aussi, il fallait se débarrasser de lui ...

Et, fait incroyable, tout un lot de preuves, de ce qu'on appelle des "ouï-dire" qui ne seraient pas retenus au dossier aujourd'hui, tout un lot de témoins qui ne disent pas trop de mal de lui, non, pas vraiment mais qui, tout de même, rappellent tel ou tel fait "bizarre" sur le comportement de Williams, tout cela se lève en même temps contre lui, telle la pire des tempêtes. Il est emprisonné mais il n'y a aucune preuve directe. Et puis, pour certains juges, cette histoire de la solitude supposée de l'assassin dans deux meurtres englobant à chaque fois au moins trois personnes, continue à être bien gênante.

Alors, coup de théâtre - et voyez comme les choses s'arrangent - John Williams est retrouvé pendu par un mouchoir à la tringle (il y en avait une) de sa cellule, là où les prisonniers mettaient leurs vêtements et, quand on nettoyait les locaux, leur literie. Pendu, les yeux grands ouverts, avec des ecchymoses sur les bras et les poignets, un homme qui, la veille encore, plaisantait avec ses gardiens.

Les magistrats, le lord-maire, les Honorables membres du Parlement et même le Premier ministre sont soulagés : accablé de remords, l'assassin des Marr et des Williamson s'est suicidé - l'affaire est close et force reste à la Justice. S'ensuit un incroyable cortège funèbre où, devant tout Londres, le cadavre du défunt est emmené solennellement à un carrefour pour y être enterré après qu'on lui ait enfoncé un pieu dans le corps. On ajoute de la chaux vive et on remet les pavés et hop ! Ponce Pilate peut aller se laver les mains.

Quant à deux autres prisonniers "intéressants", Hart et surtout Ablass, le seul qui correspondît physiquement à la description du criminel aperçu par un témoin (il mesurait plus d'1, 80 m), Ablass, qui avait navigué avec Williams et avait pu, lors d'une tentative de mutinerie, se sentir trahi par lui - Hart & Ablass sont relaxés et on n'entendra plus jamais parler d'eux ...

A ce stade, on en arrive, comme les auteurs - et c'est bien naturel - à se demander si, d'une façon ou d'une autre, Williams (qu'il ait eu connaissance de l'intention de commettre les crimes ou pas), n'est pas finalement la huitième victime de l'histoire. Ni James, ni Critchley ne l'absolve à cent pour cent et tous deux pensent visiblement qu'il savait quelque chose. Mais quoi ? Quel rôle exact a-t-il joué s'il en a joué un ? En tous cas, impossible qu'il eût été le psychopathe - portrait d'ailleurs admirable pour l'époque - qu'en dressera plus tard De Quincey et encore moins qu'il eût agi SEUL. D'autant que, si Ablass, lui, possédait une carrure de brute, Williams, lui, n'avait rien d'un athlète ...

"Les Meurtres de la Tamise", de P. D. James et T. A. Critchley sont à recommander chaudement à tous ceux qui s'intéressent aux grandes affaires criminelles, résolues ou pas - et celle-ci, nombreux sont ceux qui le pensent aujourd'hui, ne le fut pas. En parallèle, lisez aussi l'excellent "De L'Assassinat ..." car, malgré les erreurs de son auteur, on y découvre une analyse fulgurante, plus que moderne et quasi visionnaire de la personnalité du Psychopathe-type.

Et si, par hasard, vous entendez parler d'un troisième ouvrage traduit en français sur la question ... nous sommes preneurs ! ;o)
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C'est une très bonne analyse de ces deux meurtres plus que sordides que nous offre l'une des reines du crime britannique.

P.D. James commence par nous parler du quartier de l'Est londonien où les drames ont eu lieu. Elle en détaille la géographie et explique en quoi celle-ci a permis aux meurtriers de passer inaperçus: petites rues sombres, foule se baladant jusque tard dans la nuit et dans laquelle il est facile de se fondre, proximité du port où l'incessant ballet des navires permet aux personnages les plus suspects de disparaître pour quelque temps en s'engageant comme membre d'équipage.

Cette descripiton donne tout de suite le ton de l'ouvrage: on ressent ce quartier comme un endroit peu sûr et mal fréquenté, d'autant plus qu'à l'époque, aucune police officielle n'est là pour veiller sur la tranquillité de ses habitants. Seuls de vieux veilleurs participant au guet organisé à l'époque parcourent les rues d'heure en heure.

Le sous-titre de l'ouvrage, Une enquête historico-policière, est donc bien adapté, puisque P.D. James se lance dans une véritable histoire des forces publiques et du système judiciaire du début du XIXe siècle. C'est ainsi que l'auteure nous explique qu'au manque de police organisée s'ajoute l'absence de magistrats professionnels. En 1811, les magistrats sont des poètes, des écrivains ou autres, qui siègent comme juges lorsqu'on a besoin de leurs services. Mais ces malheureux sont bien incapables de remplir une charge aussi importante et difficile...

Ce manque de professionnalisme des enquêteurs, ajouté à l'ambiance relativement glauque de l'East End de 1811 fait froid dans le dos, car on se rend compte qu'il ne faisait pas bon être victime d'une agression quelconque dans le coin, personne n'étant capable de retrouver l'agresseur.

L'amateurisme des responsables de la sécurité du quartier explique l'absence de solution satisfaisante aux meurtres de Marr et des Williamson, les deux familles massacrées dans leurs commerces en décembre 1811, à quelques jours d'intervalles. Les magistrats hésitent, réfléchissent, arrêtent des suspects qu'ils finissent par libérer, n'analysent pas suffisamment le peu d'éléments de preuve à leur disposition, évitent de creuser les témoignages de personnes qui semblent leur cacher des informations essentielles... Jusqu'au jour où ils finissent tout de même par arrêter un certain John Williams, qui finira pendu dans sa cellule avant d'être jugé...

Selon P.D James et Critchley, Williams n'était même pas coupable du meurtre de ces deux familles; bien au contraire, puisque de nombreuses preuves et quelques témoignages, s'ils avaient été analysés avec plus de pertinence, auraient prouvé l'innocence de cet homme. Et les auteurs de l'ouvrage vont même plus loin en affirmant que Williams ne s'est pas suicidé: d'après P.D. James, le présumé coupable aurait été pendu par quelqu'un ayant peur d'être dénoncé... Cette accusation est d'ailleurs très sérieuse, puisqu'elle suppose une complicité du gardien de la cellule de Williams; et cela ne fait qu'ajouter au sentiment de malaise que l'on ressent à la lecture des détails de l'enquête. Les documents utilisés par les auteurs donnent l'impression d'une énorme machination, comme si les magistrats subissant la pression de la fureur populaire, avaient absolument voulu trouvé un coupable, quitte à accuser le premier venu. En somme, entre le massacre des deux familles et l'accusation d'un innocent, c'est presque comme si les habitants de l'East End, quartier défavorisé, pouvaient être considérés comme des éléments négligeables de la vie londonienne, dont la ville et ses responsables pouvaient très bien se passer... Effrayant!
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Les auteurs étudient dans ce documentaire des crimes atroces qui ont réellement secoué Londres en 1811.
En effet sept personnes ont été atrocement massacrées chez elles, dans des quartiers commerçants de Londres et à ce jour les coupables n'ont pas été trouvés.
Cette enquête journalistique m'a un peu déçue car au final, on ne sait pas vraiment qui a tué ces deux familles ni pourquoi.
La reconstitution historique est passionnante, on a vraiment l'impression de voir les maisons, l'ambiance du quartier, les moyens mis en oeuvre par les magistrats et autres responsables de ces enquêtes à une époque où la Police n'existait pas encore etc...mais je reste frustrée quant aux coupables.
Nous sommes malheureusement certains que le coupable désigné n'était pas le meurtrier de ces sept personnes dont un bébé mais les auteurs ne font que nommer plusieurs hommes pouvant éventuellement être suspects sans toutefois apporter de preuve et surtout on ignore totalement le mobile de ces crimes atroces.
La reconstitution historique est par contre vraiment bien faite, j'ai vraiment eu la sensation de passer le week-end à arpenter des rues étroites et sombres, à me rendre dans les tavernes glauques ou dans les petites boutiques anglaises, à boire de la bière avec des individus rustres...
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Dans Les Meurtres de la Tamise, P.D. James et T. A. Critchley reviennent sur deux horribles massacres s'étant déroulés dans les quartiers pauvres de Londres en 1811. Sept victimes, dont un bébé, ont été sauvagement assassinés en moins de deux semaines.
Après une enquête succincte et malhabile, un suspect est arrêté et se suicide peu de temps après son incarcération. Pour la justice, ce suicide équivaut à des aveux. Affaire classée.

Les auteurs n'ont pas lésiné sur la recherche : le bouquin fourmille de reproductions d'articles de presse, de compte-rendus et témoignages. De ce point de vue, rien à redire, P.D. James et T. A. Critchley n'inventent rien.

Cependant, je me suis profondément ennuyée pendant ma lecture car il n'y a aucune passion. Venant de P.D James, auteur de polar, je m'attendais à une histoire plus prenante. Mais comme les auteurs critiquent très peu, la quasi-totalité du texte étant composé des articles de presse et des compte-rendus, c'est académique. Le récit ne devient intéressant que lorsque les auteurs y vont de leurs commentaires sur les suspects, la police ou encore les mœurs de l'époque.

En outre, la quatrième de couverture stipule que les auteurs ont découvert le coupable preuves à l'appui mais cette partie « annonce du coupable » prend à peine dix pages. On ne peut pas dire qu'ils étayent beaucoup leurs hypothèses ! De toutes façons, il est toujours ridicule de proclamer « c'est lui, c'est sûr ! » plus de cent-cinquante ans après les faits sans avoir dans les mains les pièces à convictions ni pouvoir interroger les témoins. Mais c'est la mode...

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Pour une première découverte de cette auteur, c'est ratée ! Et pourtant la quatrième de couverture, extrêmement alléchante, n'est même pas fausse. On peut juste lui reprocher trop enthousiasme face au contenu de ce roman. Pour une reprise d'enquête policière c'est extrêmement lent, le contexte historique est certes très bien détaillé mais les auteurs tombent vite dans les redondances et de plus les passages sur l'histoire des méthodes de police et d'enquête s'intègrent assez mal dans leur reprise des indices retrouvés, des investigations et des interrogatoires menés sur ces deux séries de meurtres. le propos sans cesse entrecoupé d'interruption en devient bien vite décousu et difficile à suivre.

Une lecture qui m' a énormément fait pensé à un livre paru il y a quelques années, L'affaire de Road Hill House, l'assassinat du petit Saville Kent de Kate Summerscale autrement plus réussi.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Le cortège se mit en branle dans un silence impressionnant. La crainte du ministre de l'Intérieur de voir la foule s'emparer du corps et se venger sur lui se révéla sans fondement. Tous les récits contemporains signalent ce calme étrange et inattendu. Le corps si frêle était gardé comme s'il risquait de reprendre vie pour bondir souvent et tomber sur ses persécuteurs. Mais ni les sabres d'abordage brandis ni la phalange des veilleurs ne furent nécessaires. Personne n'essaya de porter une main violente sur Williams. Pas de hurlements, d'exécration, de cris injurieux. Pourquoi cette réserve contre nature ? Difficile de croire qu'il s'agissait de pitié pour le mort. Bien peu, voire aucun des assistants, doutaient d'avoir sous les yeux l'assassin des Marr et des Williamson. Bien peu, voire aucun, étaient écoeurés par cette exhibition publique du corps, ou indignés par la honte qui l'attendait. Etait-ce une sorte de crainte respectueuse qui les rendait muets ? Partageaient-ils l'émotion que Coleridge confiait à De Quincey quelques mois après le crime : "Pour sa part, bien qu'habitant Londres à l'époque, il n'avait pas été gagné par la panique ambiante. Les assassinats ne l'avaient affecté que comme philosophe, le plongeant dans une profonde rêverie sur la puissance effrayante mise en un instant à la portée de n'importe quel homme qui peut accepter d'abjurer toute retenue si dans le même temps il est totalement dénué de peur." Le silence était-il celui de la stupeur devant ce corps si frêle qui avait pu commettre tant d'horreurs ? Ou la foule était-elle pétrifiée en constatant que le monstre qui avait ajouté le suicide à ses crimes abominables [= rappelons que, en Angleterre, le suicide était considéré et puni comme un crime] pouvait avoir un visage aussi humain ?

La cavalcade descendit lentement Ratcliffe Highway jusqu'à la boutique des Marr et là, s'arrêta. Au moment où la charrette s'immobilisa, la secousse fit tourner la tête de Williams comme s'il ne pouvait supporter de regarder la scène du massacre. Un homme de l'escorte grimpa sur la charrette et, d'une main ferme, disposa le corps de façon que les yeux morts parussent épier dans la maison les ombres inquiètes de ses victimes. Au bout d'une dizaine de minutes, le cocher fouetta son cheval et le cortège repartit. De tous les défilés que Londres avait connus dans sa longue histoire souvent bien sombre, rares ont dû être ceux qui égalaient dans le bizarre et le macabre cette parade du 31 décembre 1811 : un cadavre vieux de quatre jours promené dans les rues minables du Wapping bordant la Tamise. Le corps encore dans ses atours de pacotille souillés par la prison, la jambe gauche dans les fers, la grossière charrette avec sa plate-forme ajoutée à la hâte, l'unique cheval au pas traînant, tout cela faisait un contraste sinistre avec les rangs de l'autorité prétentieuse qui escortait ce corps solitaire jusqu'à son ignoble tombe. ... [...]
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[...] ... Pas de réponse. Murray, qui répugnait toujours à violer l'intimité de la chambre conjugale d'un voisin, descendit précautionneusement l'escalier en tenant le chandelier bien haut et entra dans la boutique. C'est alors qu'il trouva le premier corps. L'apprenti, James Gowen, gisait juste derrière la porte menant à la boutique, à moins de deux mètres du pied de l'escalier. Les os de son visage avaient été brisés par une grêle de coups ; la tête, dont le sang coulait encore, était réduite en bouillie, du sang et de la cervelle avaient jailli jusque sur le comptoir et pendaient même du plafond, horrible excroissance. Pendant un moment, Murray, pétrifié par le choc et l'horreur, ne put ni crier ni bouger. La bougie tremblait dans sa main, jetant ombres et lumières sur la chose à ses pieds. Puis, avec un gémissement, le prêteur sur gages tituba vers la porte et constata que son chemin était barré par le corps de Mrs Marr. Etendue à plat ventre, le visage près de la porte de la rue, le sang coulant encore de son crâne défoncé.

Murray parvint pourtant à pousser le battant et haleta la nouvelle, affolé, incohérent : "A l'assassin ! A l'assassin ! Venez voir le crime qui a été commis ici !" La petite foule à l'extérieur, grossie désormais par l'arrivée de voisins, puis d'un deuxième veilleur, se rua dans la boutique, puis s'arrêta. Pétrifiée d'horreur. Margaret Jewell se mit à hurler. Gémissements et cris faisaient vibrer l'air. Il ne fallut que quelques instants pour découvrir une autre tragédie. Derrière le comptoir, à plat ventre lui aussi et la tête près de la fenêtre, le corps de Timothy Marr était étendu. Quelqu'un s'écria : "L'enfant ? Où est l'enfant ?" et l'on se précipita au sous-sol. Là, le bébé, encore dans son berceau, avait un coin de la bouche fendu par un coup, le côté gauche du visage défoncé et la gorge tranchée au point que la tête était presque séparée du tronc.

Le coeur soulevé par tant d'horreur et de brutalité, presque mort de frayeur, le petit groupe remonta jusque dans la cuisine désormais encombrée et éclairée par de nombreuses chandelles. Serrés les uns contre les autres pour se protéger, ils regardèrent autour de la pièce. Là, sur la partie du comptoir que le sang et la cervelle de James Gowen n'avaient pas éclaboussée, ils virent un ciseau qu'ils prirent avec répugnance, les mains tremblantes. Il était parfaitement propre. ... [...]
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L'interrogatoire à la lueur des chandelles et l'audition des témoins furent bien typiques.
Ils mirent en évidence certains des défauts et des injustices du système, ainsi que la latitude presque illimitée des magistrats pour mener une enquête comme bon leur semblait.

Leur rôle était essentiellement d'instruire et d'enquêter, leur seule fonction judiciaire, de renvoyer le prévenu aux assises si le dossier était assez solide et c'étaient eux qui décidaient de la solidité.

Pas de règles pour la validité des preuves.
Les magistrats posaient n'importe quelle question qui leur semblait susceptible de faire jaillir la vérité, ou qui leur plaisait, simplement.
Les prisonniers étaient autorisés voire poussés à s'accuser eux-mêmes ; les simples ouï-dire, admis comme preuves.
Les préventions évidentes des témoins, la partialité, les insinuations, et la malveillance n'étaient pas relevées.
Les renseignements aberrants et incontrôlés étaient librement donnés et souvent acceptés.
Le prisonnier, qui n'était représenté ni par un homme de loi ni par un ami, n'avait pas l'autorisation d'assister à l'audition des témoins.
De ce fait, il ne se rendait pas compte, bien souvent, de l'importance du dossier qui se constituait contre lui.
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Mais si les exécutions à Newgate étaient plus expéditives et plus humaines, la foule qui y assistait était la même que celle qui avait rendu hideux le long purgatoire entre Newgate et Tyburn.

Elle se rassemblait depuis le petit matin pour se poster aux bons endroits, riches et pauvres, voleurs et bourgeois, hommes, femmes et enfants qui passaient le temps avant le commencement du spectacle en rires, bavardages, plaisanteries grossières, menus larcins ou colportages de marchandises diverses.

Certains venaient par pitié, la plupart par curiosité morbide et d'autres encore parce que peu de spectacles les fascinaient autant que celui d'un être humain dans les affres de la mort.

Le déplacement de la scène de Tyburn à Newgate avait sans doute, comme l'écrit un chroniqueur de ce dernier quartier, raccourci le spectacle et diminué la surface du plateau, mais enfin le divertissement restait aussi populaire.
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De tous les défilés que Londres avait connus dans sa longue histoire souvent bien sombre, rares ont dû être ceux qui égalaient dans le bizarre et le macabre cette parade du 31 décembre 1811 : un cadavre vieux de quatre jours, promené dans les rues minables du Wapping bordant la tamise.
Le corps encore dans ses atours de pacotille souillés par la prison, la jambe gauche dans les fers, la grossière charrette avec sa plate-forme ajoutée à la hâte, l'unique cheval au pas traînant, tout cela faisait un contraste sinistre avec les rangs de l'autorité prétentieuse qui escortait ce corps solitaire jusqu'à son ignoble tombe.

On a estimé que plus de dix mille personnes assistèrent à ce spectacle.
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