c'est une lecture fort plaisante : le style incisif, l'inventivité, l'humour d'
Albert Londres, font d'un reportage vieux de 80 ans un livre qui n'a pas vieilli malgré les changements historiques. Des chapitres courts, parfois une demi-page, des phrases courtes, un rythme d'enfer. Londres met en scène
les Comitadjis - combattants de l'Orim (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne) - dans leur milieu naturel : les quartiers de Sofia, la montagne et les capitales européennes, avec une précision dans les détails, cinématographique.
Lecture historique :
L'Orim est née en 1893 dans le but de délivrer la Macédoine du joug turc, crée par deux instituteurs de langue bulgare Damian Groueff de Monastir et Péré Tocheff de Prilep. L'insurrection fur déclenchée en 1903. La réaction du Sultan fut terrible, les Bachi-bouzouks se rendirent coupables des pires exactions:
Après la lecture de Kazantzaki, je ne suis pas tellement dépaysée. D'ailleurs c'est Zorba qui m'a fait connaître
les Comitadjis et c'est dans guerre entre Grecs et Bulgares que le héros découvre la triste inanité des luttes fratricides au nom de la patrie:
La suite de l'histoire des Balkans est plus confuse. En 1912, Bulgarie, Grèce, Serbie et Monténégro déclarèrent la guerre à la Turquie qui fut battue. La Macédoine fut partagée entre la Grèce, la Serbie et la Bulgarie.
Dans le camp des vaincus de la Première Guerre Mondiale, la Bulgarie perd l'occasion de réclamer la part de Macédoine qu'elle revendique; "Le traité de Neuilly a consacré le droit des Serbes", analyse
A Londres. Il s'en suit en Serbie une serbisation des macédoniens, suppression des écoles bulgares, modification des patronymes, interdiction de la langue bulgare....
Les comitadjis poursuivent la lutte, l'ennemi n'étant plus le Turc mais la Serbie. "Repoussant les raisons d'Etat; bousculant les sages, piétinant la diplomatie, ce sont eux qui, en pleine paix, franchissaient la frontière yougoslave, portant chez l'ennemi le fer et le feu, incendiant les villages...."
1924, l'Orim se scinde, un nouveau chef apparait et fait régner en Bulgarie une vraie Terreur Blanche. de montagnards haidoucs,
les comitadjis se modernisent, deviennent citadins, l'organisation est un véritable gouvernement parallèle au gouvernement bulgare officiel. Coexistent le gouvernement du roi de Bulgarie qui lève ses impôts et gouverne, et l'Orim qui lève aussi ses impôts, réquisitionne des véhicules, a sa justice, fait régner son ordre, assassine les opposants, et qui a même ses représentants à Vienne ou en Italie...et cette situation perdure des années puisque le reportage d'
Albert Londres eut lieu en 1932.
J'avais déjà compris en lisant Balkans-Transit de Maspero, que les Balkans étaient un mélange complexe de populations. J'en ai une confirmation historique. de quelle Macédoine se revendiquaient
les comitadjis? de Salonique à Sofia, Skopje ou Monastir?
Les comitadjis étaient ils bulgares ou macédoniens? On voit donc en germe les conflits de la fin du 20ème siècle.
Analyse du terrorisme
Une autre lecture d'
Albert Londres est possible. Sans s'attacher à l'histoire des Balkans, on peut aussi admirer la façon dont le journaliste démonte les rouages d'une organisation "secrète", comment elle recrute, enrôle des miséreux, joue sur la pauvreté, comment elle rançonne, comment elle garde une certaine légitimité auprès de la population malgré son caractère délictueux. Comment elle est gardienne de la moralité. Comment aussi, la faiblesse des institutions étatiques et les complicités extérieures autorisent ce double gouvernement. Je pense aux mafias, aux terroristes actuels....
Roman d'aventure, aussi, la façon dont l'enquêteur se mêle aux terroristes, les attends trois midis de suite à l'hôtel....
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