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EAN : 9782715261372
120 pages
Le Mercure de France (17/08/2023)
3.28/5   32 notes
Résumé :
Jeanne Doucet, nez au service de grands parfumeurs, est sollicitée pour une étrange mission. Elle doit humer le coeur d'une sainte, Émérence, en vue d'une béatification. Face à cet organe sec dont se dégage un parfum indéfinissable, Jeanne est bouleversée, sa vie bascule. Comme si l'esprit qu'il renfermait s'emparait d'elle. À travers les âges, elle perçoit une peine indicible et d'innommables souffrances. Hantée par Émérence, assaillie de visions, elle n'aura de ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Depuis Jean-Baptiste Grenouille, héros du roman de Patrick Suskindle Parfum, je n'avais pas croisé de personnage au nez aussi performant. Au point d'en souffrir :

Au quotidien, posséder un nez puissant est, en fait, un handicap plus qu'une qualité

puisque cela signifie être agressé en permanence par les odeurs de pollution ou les émanations corporelles, d'autant plus que l'on vit à Paris et que l'on utilise les transports en commun.

Cette faculté particulière que la narratrice met au service d'un laboratoire de cosmétique, est repérée par un duo original : un diacre et un médecin légiste, qui la sollicitent pour « faire parler » le coeur momifié d'une candidate à la béatification !

C'est alors une déflagration spirituelle qui bouleverse la jeune femme. Elle n'aura de cesse de comprendre l'histoire d'Émérence Denosse.

Etonnant roman autour d'une expérience mystique originale, qui établit un lien entre les sens et le spirituel. le voyage sur les traces de la future sainte devient une quête, une analyse introspective pour se perdre ou se trouver.

L'écriture, caractérisée par un phrasé élégant , décline tout le lexique de l'olfaction et c'est ce qui évoque le roman de Suskind.

115 pages Mercure de France Août 2023
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Le nez, le coeur et l'âme

Dans ce court roman Franck Maubert met en scène une femme dont le nez fait le bonheur des parfumeurs et à qui on demande de venir sentir une relique, le coeur d'une Sainte. Cette étrange mission va la bouleverser au point de vouloir tout savoir sur la mystérieuse Émérence Denosse.

Jeanne Doucet vient de se séparer de son mari. Et si la solitude lui pèse un peu, elle entend tout de même profiter de cette nouvelle liberté. Par exemple pour répondre favorablement à une demande qui semble incongrue. Elle est en effet contactée par Alexandre Bonnencontre, professeur à la faculté de médecine, qui connait sa réputation de nez au service des parfumeurs et lui propose un rendez-vous à la demande des autorités ecclésiastiques. Il s'agit de venir sentir une relique, le coeur d'Émérence Denosse, en vue de sa canonisation. Elle devra simplement dire ce qu'elle sent afin que ses remarques complètent le dossier en préparation.
Accueillie à la faculté par le professeur et le Diacre Caposi, on lui confie la relique retirée d'un coffret en bois puis d'un cardiotaphe en argent.
«J'inscris sur la feuille quadrillée mon tout premier sentiment: Un coeur plein de nuit. Je pourrais m'y arrêter mais je poursuis: Odeur somnolente, complexe de chaleur et de mousse, suavité et douceur. Oubli, espérance antique. Et toujours, comme sous une dictée automatique, je tisse un ramage de baumes, de préparations d'apothicaires: Aloès, traces de substances diverses, alun, fruits, pomme probablement, absinthe, menthes, myrrhe, sauge, benjoin peut-être, minéral éventé, roches brûlées. Ma langue se tarit dans la confusion. Je conclus simplement : Une senteur ténue mais voluptueuse caractérise ce petit coeur.»
Cette mission très particulière va marquer durablement Jeanne. Sans vraiment comprendre pourquoi, elle brûle d'envie d'en savoir plus sur cette Émérence «de retrouver celle qui venait de m'offrir ce qu'elle avait de plus intime: le parfum de son coeur, ce coeur qui m'a imprégnée. Est-ce cela ce qu'on appelle l'odeur de sainteté, ce sentiment qui vous entraîne dans l'au-delà?» Mais les informations sont sommaires. On peut tout juste lui indiquer où a vécu la Sainte.
Jeanne s'octroie alors quelques jours de congé et prend la direction de l'Indre-et-Loire. Après Pont-de-Ruan, que Balzac décrivait ainsi dans le Lys dans la vallée: «joli village surmonté d'une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades, et comme les peintres en cherchent pour leurs tableaux», la voici à Saché, autre terre balzacienne, pour retrouver les traces d'Émérence.
Keiko, la tenancière du petit hôtel dont aucune des chambres n'est occupée, ne va pas beaucoup l'aider, même si elle semble s'intéresser à sa quête. En revanche, le vieil Hurteau, qui la croise sur la route et lui propose de la ramener, sera capable de remonter un peu le temps et de lui parler de la famille Denosse, de la mener jusqu'au moulin où étaient organisées des parties fines pour les notables du coin.
Si le libraire Grémille ne pourra confirmer ces rumeurs, il possède en revanche un document étonnant, un cahier noir dans lequel Émérence disait sa peine et sa souffrance. On l'aura compris, c'est par bribes que Jeanne se rapproche de son but. Mais chacune de ses rencontres vient aussi ajouter au mystère, car Keiko, Hurteau et Grémille semblent conserver une part de leurs secrets.
L'enquête va alors prendre une dimension mystique. «J'ai rencontré un coeur qui ne s'accommode pas d'être mort, un coeur qui a traversé toutes les douleurs, un coeur qui désormais appartient à ma vie. Et c'est comme si je me dédoublais, il s'ouvre et se ferme comme une fleur à la tombée du jour. Il me paralyse, me presse la poitrine, quand je le sens prendre de l'assurance, mes artères se rétractent. J'entends sa révolte et je puise en lui toutes mes forces. Il m'aide à lutter centre l'étouffement. Aucune supplication ne peut m'inciter à ouvrir la bouche. Puis tout revient, tout frémit et se ranime. Il est doux de rejoindre Émérence.»
Franck Maubert joue à la perfection le registre du trouble, passant de la science à la quête spirituelle, du rationnel à l'irrationnel, le tout par petites touches impressionnistes, mais qui créent une ambiance forte en sensations et en émotions. Alors, avec Jeanne, le lecteur a la sensation de «glisser dans un autre monde».
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


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Une occasion manquée.
Il y avait une jolie corde raide à monter, entre la pureté consacrée de cette Émérence et sa débauche présumée, à la frontière du vice et de la vertu. Et cette question qui taraude : de quoi la sainteté est-elle le nom ? Qui mérite d'être canonisé et dès lors, de se voir propulser aux confins d'une intouchable postérité ? Et enfin, l'odeur de ce coeur momifié (« une senteur ténue mais voluptueuse ») qui bouleverse l'héroïne, Jeanne Doucet, quelle est-elle ? Quel pouvoir secret exhale-t-il ? Peut-on suivre les pas d'un être disparu par sa seule empreinte olfactive ? Sans doute ce dernier thème était-il intimidant : Patrick Süskind a « tué le game » avec son best-seller « le parfum », au point que presque plus personne n'ose s'attaquer au sujet.
Un livre inégal, dans son intensité. À l'image de beaucoup de films américains indépendants, le mystère de cette histoire est magnifiquement posé et puis, dans la deuxième partie, sa résolution déçoit.
C'est un roman trop court pour un si grand sujet. L'auteur n'a pas pris le temps d'examiner la psychologie des personnages. Ils sont de passages. En pointillés. On aimerait en savoir davantage sur Jeanne, le nez des grands parfumeurs. On est frustré de ne pas mieux connaître le professeur Alexandre Bonnencontre ou le diacre Caposi. À l'inverse, certains personnages secondaires s'avèrent saugrenus, étrangers au récit comme l'hôtelière Keiko. À quel dessein relater son étrange comportement ?
Ces réserves mises à part, « Une odeur de sainteté » (habile titre) est bien écrit et sa lecture agréable.
Bilan : 🌹
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Une odeur de Sainteté de Franck Maubert
Mercure de France

« L'image d'Emérence vient à mon esprit, s'obstine et c'est elle, subreptice, je vois miroiter dans ses yeux une tendre lumière de velours. Les ombres mouvantes de son visage ne durent qu'un cours instant, quelques petites secondes, et je me demande si je ne rêve pas dans le délire d'une fièvre. »


Jeanne Doucet possède un don qui va la conduire hors des sentiers battus. Son nez a la caractéristique de déceler la moindre odeur, l'analyser, la comprendre, l'expliquer avec des mots. Elle est nez, dit-on. Parfois molestée par les odeurs triviales, parfois cueillies par des senteurs délicates.
Ce métier, cette vocation même vont mener Jeanne vers Emérence une sainte sur le chemin de la béatification. Convoquée par un diacre et un médecin, il lui est demandé de respirer le coeur d'Emérence, un coeur momifié aussi gros qu'une coquille de noix, ratiné, dur.
Une exhalaison et voilà Jeanne sous emprise, c'est le tumulte dans son corps et dans sa tête, c'est un duel entre la vie rangée de la douce Jeanne et la vie tumultueuse d'Emérence. Jeanne veut savoir, comprendre, marcher sur les traces de la future canonisée, comprendre les visions Qui était-elle ? A-t-elle vraiment vécu la vie qu'on lui prête avant de rencontrer la foi ?
Jeanne suit un parcours modianesque, en marge du temps, onirique, mystique, de rencontres en rencontres, Emérence Denosse veut raconter à Jeanne sa douloureuse histoire.

Je n'étais pas sûre que Franck Maubert réussirait là où Suskind m'a définitivement perdue.
Un roman intéressant et très agréable à lire avec de très jolis extraits sur les parfums, les vielles pierres, la mémoire et la rédemption, et j'aurais poursuivi volontiers quelques pages supplémentaires. le livre terminé, il me reste quelques interrogations.
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Ce roman sonnait comme une promesse de "Le Parfum" de Süskind, comme une plongée sensible dans l'extase de la sainteté, de l'illumination, ou du moins une enquête mêlant science, religion, odorat et passion.
Si c'est le cas, j'en suis désolée, mais je suis passée à côté. Certains passages étaient prometteurs, mais ce sont révélés n'être que de la poudre de perlimpinpin, à mes yeux du moins. Je n'ai pas réussi à être touchée par cette histoire, par Jeanne, par Emérence. Tout cela m'a paru artificiel. Après, il faut avouer qu'un sujet "religieux", mystique, n'est pas forcément le bon sujet en ce moment. Mais j'aurai tenté !
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
23 octobre 2023
Franck Maubert signe le double portrait d’une femme nez et d’une religieuse sur le point d’être canonisée.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Je considère le monde comme une vaste réserve de parfums et d’odeurs. Je ne me souviens plus exactement des tout premiers, ceux d’avant les fleurs, des roses aux arômes si changeants adossées à la treille des pierres chauffées au soleil, ceux des mousses humides des sous-bois, peut-être ceux brûlés du caoutchouc d’un pneu, mêlés à ceux du goudron chaud, ou encore ceux de la poudre des pétards lancés par des gamins de l’école. Mais bien avant, toute petite fille, la forte prégnance puante de mes propres excréments, miasmes innommables, m’avait profondément perturbée, même dégoûtée. Il m’était impossible de vivre au rythme de cette putréfaction, de ce monologue intérieur obsédant. J’avais décidé de ne plus me nourrir. Il m’a fallu réapprendre à manger. Ma mère, fine cuisinière, s’en est chargée, s’y est appliquée. La laitue fraîchement cueillie dans le jardin, les herbes, persil ou cerfeuil, plus tard l’ail qui pique les narines ou encore l’oignon cuit m’y ont aidée. Peu à peu j’ai apprécié les saveurs des aliments, celle de la rhubarbe aux tiges marbrées de rouge, que ma mère faisait fondre avec une noix de beurre et du sucre, qui embaumait d’une légère amertume nos soirées de fin de printemps. Et toujours, quand ces arômes parviennent à mes narines, ils réveillent ma gourmandise. Il me suffit de plisser les yeux et les jours anciens apparaissent. Les senteurs tendres de la maison de pierre et son grand jardin plein de pluie ressurgissent. Comme il était plaisant, au mois de juin, de m’assoupir sous l’épais édredon des fleurs de tilleul. Sa douceur sucrée annonçait les jours tranquilles de l’été. J’avais une petite camarade avec qui je cabriolais dans les chaumes, durant les vacances, insouciante et heureuse, et au temps des moissons, à l’exhalaison des champs de blé fraîchement coupé, de la chaleur des foins, j’associe le ravissement et, peut-être, le parfum de la félicité, celui d’une peau laiteuse égratignée, de sang séché. La mémoire olfactive n’efface pas les jours enfouis, elle étire le temps, ravive les souvenirs, nourrit les légendes, fait rayonner en nous toute la vie. Les demeures ont leurs senteurs fidèles qui somnolent quelque part dans un coin de la tête, comme des gardiens de l’enfance. Nous vivions au bord d’une rivière, des remugles de vase remontaient, leur âcreté me semblait venir des profondeurs de la terre, ils ne m’ont jamais quittée et je ne peux que les aimer. Les jours de chaleur, lorsque je marche sur les quais de la Seine, comme aujourd’hui, quelque chose de sourd monte en moi, m’emporte et dilate mon cœur.
Le monde des odeurs m’attirait à un point tel qu’il s’est imposé comme une vocation, ce goût pour les parfums est devenu une passion, ma passion, j’en ai fait mon métier. J’ai appris à reconnaître et à mémoriser toutes sortes de fragrances et à les traduire, les assembler. Ainsi, toutes leurs subtilités les plus diverses sont classées dans ma tête comme les livres d’une sage bibliothèque avec ses curiosités, ses surprises et ses fantaisies. Je parvenais, sans peine, à distinguer tous les composants d’un vin par exemple. J’avais même, un moment, envisagé la profession d’œnologue mais le milieu très masculin des sommeliers m’y a fait renoncer. Les fleurs et la botanique ont ma préférence. Il y a quelque chose d’émouvant à suivre l’horloge de la nature, ses effluves qui accompagnent la fuite du jour. J’ai appris avec beaucoup d’intérêt, dans les jardins de Grasse, la savante alchimie des préparateurs qui consiste à soustraire aux pétales de fleurs, aux noyaux, aux graines, aux racines, aux rhizomes, aux écorces, aux feuilles, aux gommes, bref à extraire des plantes leur part invisible : leur parfum. J’ai pris beaucoup de plaisir à comprimer, macérer, tamiser, mixer, mélanger, pétrir, broyer, filtrer, concentrer tous ces ingrédients, les transformer en poudre, en pommade puis en liquide jusqu’à l’étape ultime de la distillation. Il m’a fallu apprendre tous les secrets de ces senteurs, les maîtriser, savoir les contenir et les conserver. La science de capter l’esprit des fleurs, des résines, des sécrétions animales requiert grâce, finesse et raffinement. Je suis rompue à l’exercice et travaille pour un laboratoire au service des plus grands parfumeurs.
Je me souviens avoir lu dans une anthologie cette phrase : « Le printemps a des fleurs dont les arômes m’ennuient. » Et je me demande encore comment un poète avait pu avoir cette pensée tant les vertiges fugaces d’une pivoine, d’une violette ou d’une brassée de lilas offrent un plaisir immédiat, une offrande unique à celui qui les respire.

Nous sommes en février, et par cette journée ensoleillée on se croirait déjà en avril, j’ai décidé de faire le chemin à pied. Bien avant d’apercevoir la masse jaune d’un mimosa, dont le soufre éblouissant éclate entre deux immeubles, j’ai saisi sa douceur paillée qui se mêle aux vapeurs de gazole des taxis. Je m’arrête un instant pour contempler ce bouquet subreptice et en profite pour consulter les messages sur mon portable.
« Le diacre Caposi et moi-même vous accueillerons à la faculté, entrée principale, au troisième étage Porte C. Cordialement. Alexandre Bonnencontre. »
D’une fenêtre s’envole un air baroque. Est-ce cet instrument dont on dit qu’il a la voix humaine ? Sur le même trottoir, un peu plus loin, les portes ouvertes d’un centre sportif laissent échapper de fortes émanations de sueur. Et au fur et à mesure de ma marche, encore plus loin, le long d’un square, d’un talus aux herbes pelées montent des relents d’urine. En ville, la façon dont tout se mélange dans l’air a quelque chose de déconcertant. Et il est simple pour le commun des mortels de constater qu’il y a plus de mauvaises odeurs qui nous mettent mal à l’aise que de bonnes. Au quotidien, posséder un nez puissant est, en fait, un handicap plus qu’une qualité.
Quand le professeur Bonnencontre m’a appelée, j’ai tout d’abord cru à une mauvaise blague. Je suis dépêchée pour une bien étrange mission, remplir un office que « personne d’autre que vous ne peut remplir », m’a-t-il dit. On me charge d’aller renifler le cœur d’une future sainte, en vue d’une béatification, vérifier avec mon nez un cœur, un cœur censé être souverainement pur. J’ai souri et m’est revenue en tête cette définition d’un saint que j’avais lue quelque part : Quelqu’un qui a purgé sa peine.
Émérence, c’est son étrange prénom, devrait être canonisée dans quelques semaines. J’ai effectué de rapides recherches et j’ai découvert une sainte, morte en 304 après J.-C., contemporaine de sainte Agnès. Ça ne pouvait donc pas être la même. Et c’est à moi qu’il revient de décréter si cette inconnue est en odeur de sainteté, moi une agnostique. Quand on m’a fait cette proposition, j’ai été prise d’un rire nerveux et bêtement j’ai pensé : Comme si le prénom de tous ces saints inconnus inscrits sur un calendrier ne suffisait pas. Les plus célèbres, ceux proposés en exemple, ne soulagent-ils pas ? À quoi bon allonger la liste ? Puis l’expérience m’a tentée et j’ai finalement accepté ce défi mystérieux. Je me suis dit qu’il y a toujours de la vie même dans ce qui est mort. Je ne connaissais rien au processus de canonisation que j’imagine lent et semé d’embûches.

Un soleil encore pâle éclaire les façades grisées par la pollution. J’évite de penser à ce qui m’attend, mais une appréhension m’occupe et me taraude. L’air est doux comme le sont parfois les journées d’un printemps précoce. Je décide de marcher jusqu’au-delà de la limite de la ville pour me rendre à la faculté de médecine où ce singulier rendez-vous m’a été fixé. Tranquille en apparence, troublée intérieurement. Que fait ce cœur au sein d’une université ? Tout cela me chiffonne. Je suis la Seine jusqu’au moment où je dois regagner le niveau des voitures et longer des immeubles récents aux formes géométriques appuyées dont les volumes anguleux se reflètent sur leurs façades lisses et composent une galerie des glaces sans fin. Je m’égare au milieu des buildings et, après avoir demandé ma route à un passant, je coupe à travers un jardin public bordé d’un lac. La faculté se situe un peu plus loin, quelques centaines de mètres, juste à la sortie de la ville. Un ancien panneau Michelin en lave émaillée annonce les limites de Paris, cinq lettres bleues barrées d’une diagonale rouge. La borne sur son pied de béton armé se tient comme le témoin d’un autre temps, comme ce cœur qui ne bat plus et qui m’attend.
Avant d’entrer dans l’immeuble de verre et de métal des années 1970, je m’arrête au pied des marches, active le mode « Avion » de mon portable et reprends ma respiration. Une dernière fois, je me demande pourquoi j’ai accepté cette étrange mission. Par curiosité sans doute, l’expérience m’intrigue. Des étudiants sortent du bâtiment par grappes de deux ou trois, les filles et les garçons me paraissent très jeunes, puis ils s’éparpillent sur le campus. Je me dis qu’il y a bien longtemps que je ne me suis rendue dans une fac.
Deux hommes patientent dans le hall. J’ai compris aussitôt qu’ils guettent mon arrivée. À ma vue, leurs chuchotis cessent. C’est Alexandre Bonnencontre qui le premier s’avance vers moi, ce médecin légiste et professeur de médecine enseigne à la faculté, il m’a contactée quelques semaines auparavant. Il m’avait dit : Vous avez la réputation d’être notre meilleur nez, d’avoir un odorat infaillible, mieux que nulle autre, un peu comme une focale cellulaire capable de scruter ce que l’œil nu ne peut discerner. Jeanne Doucet, nous vous attendions. Alexandre Bonnencontre me remercie d’être venue jusqu’à eux et vante mes qualités auprès du diacre. Ce qui provoque chez moi une gêne, je baisse la tête.
Les cheveux en broussaille, vêtu d’un pantalon de velours côtelé orange et d’un blouson en jean, des bagues à ses doigts : sa désinvolture tranche à côté de la tenue sobre de l’homme au costume noir lustré, presque usé par endroits. Au revers de sa veste, une petite croix d’arg
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Mais comment l'oublier, grâce à mon don, j'ai rencontré un cœur qui ne s'accommode pas d'être mort, un cœur qui a traversé toutes les douleurs, un cœur qui désormais appartient à ma vie. Et c'est comme si je me dédoublais, il s’ouvre et se ferme comme une fleur à la tombée du jour. Il me paralyse, me presse la poitrine, quand je le sens prendre de l'assurance, mes artères se rétractent. J'entends sa révolte et je puise en lui toutes mes forces. Il m'aide à lutter centre l'étouffement. Aucune supplication ne peut m'inciter à ouvrir la bouche. Puis tout revient, tout frémit et se ranime. Il est doux de rejoindre Émérence. p. 60
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La mémoire olfactive, n'efface pas les jours enfouis, elle étire le temps, ravive les souvenirs, nourrit les légendes, fait rayonner en nous toute la vie.
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L’image d’Emérence vient à mon esprit, s’obstine et c’est elle, subreptice, je vois miroiter dans ses yeux une tendre lumière de velours. Les ombres mouvantes de son visage ne durent qu’un cours instant, quelques petites secondes, et je me demande si je ne rêve pas dans le délire d’une fièvre.
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Je brûle d'envie de la connaître, retrouver celle qui venait de m'offrir ce qu'elle avait de plus intime: le parfum de son cœur, ce cœur qui m'a imprégnée. Est-ce cela ce qu'on appelle l'odeur de sainteté, ce sentiment qui vous entraîne dans l'au-delà ?
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