La carrière de Patterson débute en 1977. Ce roman date de 1993, c'est le premier opus de la série consacrée à Alex Cross, policier noir officiant à Washington D.C. avec son copain Sampson. Tous les deux sont des "armoires à glace", plein d'humour façon "Starsky et Hutch", et taillés pour le job. Patterson n'est donc pas un perdreau de l'année. Il sait y faire.
On a donc un thriller nerveux avec une écriture souple et nerveuse egalement. Cela se lit sans peine. Tout est fluide, logique. Ce n'est pas spécialement pour cela que c'est bon. Patterson nous livre un thiller que je classe dans la catégorie des "T'as tout mis". C'est-à-dire qu'on empile les ingrédients habituels des thrillers, encore et encore, puis on pousse pour tout faire rentrer, comme quand vous commandez 400 grammes de haché à votre boucher... et qu'il vous dit en regardant la balance indiquer "560", "il y a un peu plus, je vous le mets quand même?"...
Les chapitres sont courts, façon page turner. En fait c'est inutile, vu que l'écriture suffit largement à faire progresser le lecteur. Ces chapitres courts sont (pour moi) contre productifs, ils hachent le rythme en changeant de sujet et en faisant perdre le fil, la tension (faible mais quand même) qui se crée. J'ai fini par me dire que casser le rythme et changer constamment d'optique, c'est peut-être recherché par Patterson pour mieux mystifier le lecteur. Car il joue sur les faux-semblants, il induit le lecteur en erreur en ne lui révélant pas tout. C'est facile dans un livre de rédiger un chapitre en laissant croire que l'on suit un personnage précis alors qu'il s'agit d'actions perpétrées par un autre personnage. Et vas-y que j'tembrouille...
L'intrigue est volontairement, sciemment, rendue complexe, donc. Elle est alors minutieusement, patiemment, répétée, rappelée, décryptée. On démarre avec un kidnapping qui tourne mal, un des deux enfants meurt, le second n'est pas retrouvé. le kidnappeur présumé finit par se faire serrer ensuite lors d'une prise d'otages dans un fast food. Fin de la première partie. le lecteur est perturbé, il y a des incohérences... Evidemment, vu que Patterson mystifie le lecteur et lui fait prendre des vessies pour des lanternes... et alors ? Il se brûle comme diraient Pierre Dac et Francis Blanche.
Mais franchement, c'est facile de leurrer le lecteur quand on ne lui présente pas l'ensemble des éléments.
La seconde moitié du roman montre Alex Cross dans une love story avec une super agente du FBI, et occupé à résoudre le kidnapping en s'entretenant avec le grand méchant. Tout le monde semble avoir conçu que la seconde gamine kidnappée était morte aussi et on a plus ou moins laissé tomber les recherches.
Peu à peu, les incohérences et les manques du récit se résolvent. Patterson abat ses cartes petit à petit, montrant au lecteur à quel point il a bien ficelé son intrigue. Sur le principe du "T'as tout mis", on a des flics ripous, des meurtres atroces assez bien décrits, un tueur très très méchant sur l'air du "mais pourquoi est-il si méchant"... à quoi la foule en transe répond "parce queuuuuuuhhh". On a aussi des sévices et une enfance malheureuse, une femme décédée, des psys, le duo de flics de choc sympas et blacks, le final téléguidé qu'on voit venir de loin avec ses gros sabots façon "un de nous deux est de trop dans cette ville, coyote bill", etc. On navigue entre le Silence des agneaux et Peur primale, pour les troubles de la personnalité qui constituent un des gros ressorts du livre. le tueur en série semblant posséder au moins deux personnalités qui se trouvent en conflit. le duo de flics est aussi un classique du genre. Pour l'anecdote, Peur primale est paru en 1993, comme ce roman.
Faille supplémentaire: la traduction. Opinion personnelle, mais je n'ai pas trouvé le niveau de langage fort élevé. Quelques notes de bas de page expliquent certaines spécificités américaines, mais plusieurs éléments et concepts sont laissés dans le flou alors qu'ils nécessiteraient des explications.
Un des seuls éléments positifs pour ce genre de roman: Patterson laisse planer l'idée que tout est possible, que n'importe qui peut mourir dans d'atroces souffrances, sauf Alex Cross évidemment.
Lecture de plage tout à fait correcte. Mais ce n'est pas la perle de l'année.
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