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EAN : 9782757800690
224 pages
Points (01/09/2006)
3.43/5   59 notes
Résumé :
A quoi sert le Discours de la méthode devant la tristesse qu'éveille la mort annoncée d'un parent ? Que valent les pensées les plus distinguées, les spéculations les plus audacieuses, si elles demeurent éloignées de la vie ordinaire des hommes ? Telles sont les questions que le narrateur, en charge d'une mère dont le corps et l'esprit peu à peu se dégradent, pose directement à René Descartes, enjambant d'une seule foulée les quatre siècles qui le séparent du grand h... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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"Cogito ergo sum"
... a dit, dit-on, jadis René Descartes.
En ajoutant que si l'on cogite avec méthode, si l'on s'applique à raisonner d'une façon ordonnée et mathématique, les solutions à nos problèmes, en toute logique, ne vont pas tarder à apparaître. Tout le secret serait-il donc caché dans la "méthode" d'un froid raisonnement cartésien ?

"C'est que, contrairement à vous, Monsieur, je n'ai pas eu cette chance, moi, d'être orphelin de mère."
... riposte le héros de ce roman, assailli, comme à chaque fois, de "remords immédiats" tout de suite après.
Car Fausto (qui ne mentionne son prénom quasi-symbolique qu'une seule fois) aime plus que tout vivre pénard, solitaire, et entouré de livres philosophiques. Sauf que...

"L'âme de l'homme est violente"
... lui répondrait Madame Mila; et cette phrase est un leitmotiv de notre roman, qui est en fait un long discours désespéré que Fausto adresse à son bien-aimé Descartes, en se fiant à sa fameuse "méthode", la rejetant, y retournant avec espoir, essayant de l'appliquer, rageant et pleurant... au Diable, Monsieur, vous et votre méthode à la con !

A vrai dire, je me suis méfiée. Rien ne me fait plus frémir que les bouquins pseudo-profonds où un gars louche et méchant passe par un tas d'épreuves et de révélations pour trouver le bonheur à la fin, et la quatrième de couverture de "La méthode Mila" était on ne peut plus claire : c'est l'histoire d'un méchant gars qui finira par trouver le bonheur. Lire ou ne pas lire ? Qu'en penses-tu, Descartes ? J'étais fixée dès la deuxième page : à la place d'un livre prémâché sur la philosophie auquel je m'attendais, voilà une formidable comédie noire sur l'affrontement de la vieillesse, qui va finalement devenir une sorte de fable sur l'Amour. Peut-on seulement envisager un tel mélange ?

Commençons par le style de Lydie Salvaire. Ce n'est pas pour rien que son livre sert de support pour étudier la phrase complexe à la fac de lettres. La phrase de Salvaire n'est pas "complexe" seulement par sa construction syntactique; elle peut aussi contenir des moyens d'expression des plus enlevés, s'attarder longuement dans les niveaux médians et aboutir en chute libre dans les bas-fonds les plus orduriers. La phrase de Salvaire est une improbable merveille décomplexée; une image de grandes ailes blanches déployées qui se cassent la gueule sur un tas de fumier. C'est drôle et absolument réjouissant.

Le narrateur-philosophe, qui vit délibérément à l'écart du monde, et dont "le commerce se limite aux commerçants" est décidément à plaindre. Il va accueillir chez lui sa vieille mère impotente, et sa vie philosophique va se transformer en enfer. Pas seulement l'enfer physique, même s'il faut s'occuper de maman jour et nuit. C'est surtout cet "autre enfer", qui mélange amour, dévouement et sens du devoir filial avec fatigue, dégoût, détestation et des envies de meurtre. Ou de suicide. Ou les deux.
Certes, il y a la "méthode" de Descartes, mais cette ânerie ne veut donner aucun résultat, même si on se bouche les oreilles pour ne pas entendre maman qui veut (encore !) faire pipi, en essayant de se concentrer pour aboutir à la solution promise.
On sait d'avance que Mila va apparaître, et on l'attend vraiment avec impatience, car le pauvre Fausto commence à toucher le fond en entraînant le lecteur avec lui. On pourrait s'attendre à une infirmière ou une aide à domicile gaillarde et pleine de bon sens, mais notre philosophe, en proie au désespoir le plus noir, va sonner à la porte d'une voyante.
Mila a une certaine réputation à Moissy le bien nommé, et un tas de ragots courent à son sujet. Elle porte un énorme turban bariolé et des bijoux bling-bling, et elle raconte d'une voix envoûtante à Fausto perplexe et sidéré un tas de bobards sur ses ancêtres à Cordoue, et sur un merveilleux jardin paisible rempli de roses odorantes.
"Plus jamais !", se dit la malheureuse âme cartésienne après cette séance de torture orientale, et pourtant... quelque chose le pousse à y retourner encore et encore. Car Mila a un don.
Don de transformer le gris en multicolore pétillant, le fade en extraordinaire, et le quotidien lamentable en Mille et une nuits. C'est agréable à écouter. Et on réalise que le monde cache une incroyable dimension baroque accessible uniquement à ceux qui veulent la voir. Que dans sa mocheté, il peut être amusant et parfois même rempli de splendeurs. Et aussi plein de promesses...

Je vous laisse découvrir le reste, en précisant que le livre se complique avec l'arrivée prévue des Roms à Moissy, et que ça va créer des tensions au bar et ailleurs. Il se complique encore davantage avec cette chose désagréable qui arrive à Perline, la fille de Madame Mila, qui a une prédilection pour les musclors sans cervelle. Et que ça va chauffer pour tout le monde. Mais en complétant la méthode de Descartes par la "méthode Mila", on devrait s'en sortir.
La fin est un peu convenue, mais si on prend le livre comme une fable, elle convient parfaitement. Et je retournerai volontiers vers Lydie Salvaire, rien que pour le plaisir de disséquer à nouveau ses belles phrases complexes.
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Fausto, la quarantaine, est un solitaire qui ne vit que dans les livres.
Il affectionne particulièrement les philosophes.
D'ailleurs Descartes est son grand maître à penser.
Fausto se rêve lui-même philosophe.
Mais quand sa vieille mère, en fin de vie, vient s'installer chez lui, son quotidien devient vite un enfer.
Elle geint, réclame sans cesse ceci ou cela, lui impose sa déchéance.
Il finit par la haïr, n'ayant plus une seconde à lui pour penser et philosopher.
Il s'emporte et s'en prend à Descartes à qui ce livre est dédié.
Que valent ses grands principes prétentieux face à une réalité sordide ?
D'ailleurs, que connaît-il de la vraie vie cet imposteur ?
Cette confrontation est savoureuse.
Je me suis régalée à chaque page, et devant le talent d'écriture de Lydie Salvayre, et devant le cocasse des emportements de Fausto.
Heureusement il va rencontrer Mila, une voyante extra-lucide qui va transformer et ensoleiller sa vie.
Parce qu'elle la connaît elle la vie, la vraie vie, pas comme ce con de Descartes.
Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en ouvrant ce livre, mais certainement pas à ça.
C'est jubilatoire de la première à la dernière ligne.
Il fallait un grand talent d'auteur pour imaginer une telle histoire et la mener à bien avec autant d'humour et de profondeur.
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Intrigué par les critiques de quelques Babéliotes, je me suis mis à la lecture de ce roman très particulier. On est rapidement entraînés par ce style mimé sur le discours de la méthode qui vient très à-propos en contredire le propos en contrepoint .
Et ce n'est pas tout, ce style est si bien travaillé qu'il nous sauve d'un autre roman qui nous fait du bien notamment outre le ton cartésien, par quelques perles telles ces interruptions subites de phrases propres au langage verbal ou cette petite proposition qui vient tel un refrain rythmer la lecture.
Le récit en arrière-fond vient parfaitement nourrir l'argumentaire non pas anti-cartésien mais définitivement critique du "je pense donc je suis sinon je doute de tout".
À la fois critique sociétale, analyse des relations mère-fils, réflexion sur la vieillesse et au final hymne à l'amour, le livre nous promène allègrement mais sans concession dans le monde d'aujourd'hui, non pas théoriquement mais dans un vécu simple et à la portée de tous.
J'ai été par contre déçu par quelques maladresses, longueurs ou ressassements inutiles qui appauvrissent grandement la force du propos.
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LA METHODE MILALydie SALVAYRE – SEUIL (2005)

Un homme apostrophe Descartes, maitre de la Raison. Il est au bout du rouleau. Lui, qui voulait vivre en philosophe, c'est-à-dire seul et cogitant, a accueilli sa vieille mère malade et ne la supporte plus. le terrible quotidien l'envahit et les livres de philosophie ne lui sont d'aucun secours pour l'apaisement qu'il recherche.

« Existe-t-il des livres de philosophie, Monsieur, qui expliquent pourquoi nous aimons si mal ceux qui nous ont fait naître ? »

« Existe-t-il des livres de philosophie qui nous préparent à mourir ? »
Il déclare donc la guerre à Descartes qui n'a pas tenu compte d'une chose très importante : il méconnaissait l'âme humaine. « L'âme de l'homme est violente ». Il s'approprie cette maxime, soufflée par Mila justement. Dans sa lettre à Descartes il essaye de lui démontrer point par point pourquoi et comment, lui, le grand Descartes, est à côté de la plaque.

On rit de bon coeur, comme à chaque fois qu'on la lit ! Lydie SALVAYRE utilise l'ironie avec maestria.

« Revenons à mes pauvres pensées. Je leur applique la Méthode. Je procède par étapes.

• Primo : je les parque.
• Secundo : je les mets en rang.
• Tertio : je travaille à leur progression ordonnée.

Sur ce dernier point, je bute. La progression ordonnée de mes pensées s'avère en effet impossible, car toutes mes pensées appartiennent à la même famille, c'est le cas de le dire, et répètent sous des formes variées la même question : Comment souffrir maman dans ses demandes inapaisables ? Comment la circonscrire avant qu'elle ne me brise en tout petits morceaux ?

A défaut donc d'organiser leur progression au pas de l'oie, je les synthétise en une seule pensée directrice : Que faire de ma putain de mère ? »

Ou alors,

« Elle voulait désormais donner aux êtres qu'elle aimait les preuves financières de son affection qui sont, quoi qu'on en dise, les seules vérifiables ».

Mais la méthode Mila, contrairement à la Méthode Descartes, le sauve. Ses relations avec sa mère deviennent normales et ils recommencent à converser. Comment ? C'est en lisant cette belle écriture que vous allez le savoir. La fantaisie, la fiction et l'amour peuvent tout, contrairement à la Raison Pure.

Il y a un point très fort dans ce livre : la critique que Lydie Salvayre fait de la raison qui domine aujourd'hui notre quotidien.

Note : La même critique se trouve dans l'essai de Dany-Robert DUFOUR « le Délire Occidental » paru 9 ans après, en 2014: Bacon disait « Maîtrisez la nature » et Descartes proposera la mathématique comme langage universel. « Ce programme commun Bacon/Descartes de maîtrise de la nature a manifestement constitué un ‘turning point' dans l'aventure humaine. … Mais Descartes a simplement oublié de mentionner le prix à payer…Il est exorbitant. L'arraisonnement du monde ... implique sa destruction ».

Il me paraissait important de faire ce détour dans ces lignes concernant la Méthode Mila, car Lydie SALVAYRE est un écrivain qui vit dans son temps et l'analyse d'une manière extrêmement fine. En somme, nous lisons une oeuvre littéraire d'une qualité exceptionnelle qui nous met également face à nos problèmes contemporains sans avoir l'air d'y toucher. du grand art.


NB
Noémie Vaillancourt dans sa Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures (Université de Montéral) en vue de l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.) en littératures de langue française en Novembre 2011 parle des « Ecarts de langages » chez Lydie SALVAYRE

Écarts de langage (page 46)

Les narrateurs des deux romans – La puissance des mouches et la Méthode Mila - sont tiraillés entre le monde du quotidien (trivial) et le monde des idées (sublime). Cette déchirure laisse des traces dans l'écriture : le sublime et le grossier voisinent, la langue et les sujets bas se heurtent à la langue et aux sujets élevés. Salvayre se plaît en effet à confronter les niveaux de langue.
La façon de l'auteure d'aller au vif du vivant, de faire tout voler en éclats dans une sorte de « festival baroque de la langue», est l'expression de son amour des
ruptures de registre et de ton.



Mélange du vulgaire et précieux, cher à Lydie SALVAYRE, élargit les horizons.

Pour accéder à la totalité de ce texte veuillez aller =>
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/6918/vaillancourt_noemie_2011_memoire.pdf
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« La méthode Mila » ; Lydie Salvayre (Seuil, 210p)
Lydie Salvayre aime les grands écarts, elle nous le montre encore ici.
Dans la trame assez improbable de son roman d'abord, entre dispute philosophique de haute volée, récit détaillé d'un quotidien trivial et morbide, péripéties d'un village pris dans un délire raciste. le narrateur, quadragénaire célibataire et misanthrope, se voit obligé d'accueillir chez lui sa vieille mère déclinante, et de plus en plus dépendante. Se piquant de philosophie, et creusant l'oeuvre de Descartes, en particulier son « Discours de la méthode », il interpelle celui-ci dans une longue lettre virtuelle où il confronte les principes de l'auteur du XVIIème siècle à la vie qu'il mène dans ce face-à-face terrible avec cette mère autant haïe qu'aimée. Car la vielle femme le vampirise par ses exigences répétées, ses besoins physiques et affectifs, elle le réduit en esclavage. le narrateur ne nous épargne rien du corps déliquescent, de la toilette intime, de l'odeur de la dépendance, du poison du chantage affectif, ni de la culpabilité face à cet accompagnement aussi nécessaire qu'insupportable. Et le solitaire d'engueuler vertement le philosophe, qui dans sa méthode a prétendu rationnaliser de manière logique voire mathématique ce qui doit fonder notre manière de nous comporter. Il pousse le raisonnement de Descartes dans ses contradictions, car celui-ci a voulu réduire l'esprit humain à une mécanique logique qu'on pourrait, avec une rigueur purement intellectuelle, diriger en toute lucidité et donc sans surprise. Notre comportement au jour le jour pourrait ainsi être parfaitement régulé par la mise en doute systématique. le narrateur lui objecte qu'il a juste oublié la complexité de la vie réelle, que sa philosophie ne peut en aucun cas régler ses dilemmes, qu'elle ne lui est d'aucun secours dans ce qu'il vit, entre rage et compassion, envie de se débarrasser par tous les moyens de cette mère envahissante et son besoin répété de la secourir. Elle ne permet en rien de comprendre l'irrationnalité des comportements de villageois qui s'insurgent dans une frénésie infâme (et tellement actuelle) contre l'installation d'un camp de Roms, ou celle de la jeune fille qui répète sans fin dans ses amours les mêmes choix délétères. Descartes, nous dit donc Lydie Salvayre par la voix du narrateur, est un être désincarné, sans l'épaisseur complexe et pour une part insoluble de la vie, sans l'intuition de l'inconscient, et surtout sans l'expérience intense de l'amour et de la passion, irréductible aux règles d'une méthode (les quatre dernières pages sont de ce point de vue sublimes comme ode à la vie.) « Vous invitez aux logiques immobiles, aux raides hiérarchies, aux arides classements. Vous invitez à la méthode. A l'ordre mort. Or la pensée ne crée rien, Monsieur, si à la discipline, si à la rigueur, si à l'ordre elle n'allie le désordre, je ne dis pas la débandade, je ne dis pas la panique, ni la tête à l'envers, je dis le désordre, Monsieur, je veux dire le mouvement, je veux dire la vadrouille, ou l'errance hasardeuse. Ou la foudre. » Cet extrait pourrait résumer le fond de la pensée de LS, et son projet, qu'elle illustre dans ce qui reste fondamentalement un roman magistral et très accessible, en nous racontant une belle histoire.
Elle aime aussi les grands écarts dans son écriture, mariant ici comme ailleurs avec talent et humour un classicisme avéré et un langage soutenu (phrases élégantes sans lourdeur, imparfait du subjonctif, sentences dignes des moralistes du XVIIème et usage de locutions latines…), avec en vis-à-vis une oralité, une crudité dans le choix des mots et des tournures.
C'est infiniment drôle, c'est frais, c'est piquant, et ça donne à réfléchir.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Je ne cherche même plus à feindre les bons sentiments comme je m'y évertuais au commencement de notre vie commune. Savoir feindre les bons sentiments est, semble-t-il, chose cruciale dans le commerce des familles et, globalement, dans le commerce avec autrui. Savoir feindre les bons sentiments vient témoigner de notre bonne adaptation aux ignominies innombrables. D'une manière générale, je suis pour. Pour ce qu'on appelle les formes. Pour les manières, les boniments, les congratulations, les je suis très honoré très enchanté je ne vous retiens plus. Pour les risettes. Comptez sur moi pour les risettes ! Un vrai professeur de maintien. Pour tout ce qui vient entraver notre penchant aux sales confidences et aux familiarités qui sentent la sueur.
Extrêmement utiles, les convenances, Monsieur. J'irais jusqu'à dire précieuses. Qui doivent scrupuleusement dissimuler qui ils sont, sous peine de semer l'effroi dans ces contrées agrestes.
Vous n'imaginez pas, Monsieur, à quel point je me vide de moi en abordant les autres, bardé de politesses. Je me fais leur miroir. Je branlotte du chef en psalmodiant oui oui. Et quand ils m'on bien gavé de leurs secrets et de leurs inepties, ils me prennent pour un con. Idéal, non ?
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Madame Mila était baroque, Monsieur. Comme la vie. Comme le monde. Multicolore, grotesque, sublime et contradictoire, rêveuse et incroyablement pragmatique, prompte à modérer le feu des enflammés, à empêcher les outrecuidants d'outrecroire, à mener à la réflexion les plus irréfléchis et à la praxis les apraxiques dans mon genre, macaronique par l'allure et savante en esprit, à la fois Simone de Beauvoir et Madame Irma, donquichottesque et sanchopancesque, sincère et théâtrale, adepte du sancerre autant que de la philosophie, passionnée par l'histoire, qu'elle comparait à une maladie, laquelle, au terme d'une incubation muette, pouvait un beau jour s'éveiller d'un sommeil de mille ans et exploser en mille symptômes à la gueule des imprévoyants, sorcière et assistante de votre oeuvre, Monsieur, auquel elle apportait, me déclara-t-elle un jour avec le plus grand sérieux, les adjuvants indispensables : la fantaisie, la chaleur et les imaginations, associées à un bon sens aussi solide que la terre.
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Il est, en revanche, une énorme connerie que je ne puis vous pardonner, Monsieur. Elle concerne l’âme, dis-je, le regard profond. Enfin ce qu’on appelle l’âme. Ou ce qui en tient lieu. Et je cherchai le fragment incriminé en feuilletant le volume de la Pléiade jusqu’à la page 712. L’âme, écrivez-vous sans une hésitation, a son siège principal dans la petite glande qui est au milieu du cerveau d’où elle rayonne dans tout le reste du corps par l’entremise des esprits et caetera.
Cette objectivation pseudo-scientifique de l’âme plantée dans la cervelle (Diderot, pour vous moquer, la planta dans le cul, dis-je, car le moment me semblait venu d’introduire dans ma conférence une anecdote piquante), je ne puis, Monsieur, y souscrire un instant.
Et bien que je vous reconnaisse du panache pour avoir envoyé bouler toute la scolastique et ses Cons Officiels ligués par la même terreur de penser, bien que je vous admire extrêmement pour avoir encouragé les hommes à réfléchir sans l’appui d’aucun coach, d’aucun chef, d’aucun prêtre, ni d’aucun chanteur de variété ayant tribune à la télé, je ne puis tolérer chez vous de semblables opinions, dis-je la voix vibrante.
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Je passe chacune de ces trois pistes au filtre de ma réflexion. Je pèse le pour et le contre. Je fais des évaluations comparatives. Laquelle de ces trois issues, me dis-je, peut me conduire à une vie sinon heureuse du moins potable ? Mais je ne sais que répondre. Car toutes sont également possibles et toutes également effroyable. Toutes également imaginables et toutes également inimaginables.
J’ai beau me mettre le cerveau à l’envers, pas une, Monsieur, ne prévaut. Et toutes se bousculent dans ma tête comme dans un débat télévisé. Je suis devant ce qu’en philosophie on nomme, je crois, une aporie. La nuit noire. Je m’y noie. C’est le mieux.
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«Considérable est votre tort dans la mathématisation de l’univers dont vous fûtes le chantre.
Car vous avez tenté, Monsieur (Descartes), de mathématiser l’univers avec ce fameux esprit de système qui en aveugla plus d’un.
Et nous voici, aujourd’hui, envahis de chiffres, de quotas, de courbes et algorithmes qui ne servent à rien qu’à nous impressionner et sont, par cela même, d’un grand empêchement pour la pensée. (…)

Considérable est votre tort d’avoir affirmé, péremptoire, que les animaux n’étaient que des mécaniques sans âme.
Or je maintiens que Basile, mon chat, n’est pas réglable à l’instar d’un réveil matin, qu’il manifeste en toute chose une élégance irréprochable, qu’il est pourvu d’une âme dans toutes les parties de son corps mais plus particulièrement dans ses pattes,(...)
 
Pour l’ensemble des raisons , privés et publiques, que je viens de citer, et pour d’autres que je développerai ultérieurement, j’ai décidé de m’engager dans la tache mégalomaniaque et sans doute impossible de réfuter point par point votre philosophie. »

(p. 12, 13 et 14)
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Vidéo de Lydie Salvayre
Rencontre avec Lydie Salvayre à l'occasion de la parution de Depuis toujours nous aimons les dimanches aux éditions du Seuil.


Lydie Salvayre, née en 1946 d'un père Andalou et d'une mère catalane, réfugiés en France en février1939, passe son enfance à Auterive, près de Toulouse. Elle devient pédopsychiatre, et est Médecin Directeur du CMPP de Bagnolet pendant 15 ans. Elle a écrit une douzaine de romans, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux) et Pas pleurer (prix Goncourt 2014).
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09/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite (https://ausha.co/politique-de-confidentialite) pour plus d'informations.
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Lydie Salvayre

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