"Cogito ergo sum"
... a dit, dit-on, jadis
René Descartes.
En ajoutant que si l'on cogite avec méthode, si l'on s'applique à raisonner d'une façon ordonnée et mathématique, les solutions à nos problèmes, en toute logique, ne vont pas tarder à apparaître. Tout le secret serait-il donc caché dans la "méthode" d'un froid raisonnement cartésien ?
"C'est que, contrairement à vous, Monsieur, je n'ai pas eu cette chance, moi, d'être orphelin de mère."
... riposte le héros de ce roman, assailli, comme à chaque fois, de "remords immédiats" tout de suite après.
Car Fausto (qui ne mentionne son prénom quasi-symbolique qu'une seule fois) aime plus que tout vivre pénard, solitaire, et entouré de livres philosophiques. Sauf que...
"L'âme de l'homme est violente"
... lui répondrait Madame Mila; et cette phrase est un leitmotiv de notre roman, qui est en fait un long discours désespéré que Fausto adresse à son bien-aimé
Descartes, en se fiant à sa fameuse "méthode", la rejetant, y retournant avec espoir, essayant de l'appliquer, rageant et pleurant... au Diable, Monsieur, vous et votre méthode à la con !
A vrai dire, je me suis méfiée. Rien ne me fait plus frémir que les bouquins pseudo-profonds où un gars louche et méchant passe par un tas d'épreuves et de révélations pour trouver le bonheur à la fin, et la quatrième de couverture de "
La méthode Mila" était on ne peut plus claire : c'est l'histoire d'un méchant gars qui finira par trouver le bonheur. Lire ou ne pas lire ? Qu'en penses-tu,
Descartes ? J'étais fixée dès la deuxième page : à la place d'un livre prémâché sur la philosophie auquel je m'attendais, voilà une formidable comédie noire sur l'affrontement de la vieillesse, qui va finalement devenir une sorte de fable sur l'Amour. Peut-on seulement envisager un tel mélange ?
Commençons par le style de Lydie Salvaire. Ce n'est pas pour rien que son livre sert de support pour étudier la phrase complexe à la fac de lettres. La phrase de Salvaire n'est pas "complexe" seulement par sa construction syntactique; elle peut aussi contenir des moyens d'expression des plus enlevés, s'attarder longuement dans les niveaux médians et aboutir en chute libre dans les bas-fonds les plus orduriers. La phrase de Salvaire est une improbable merveille décomplexée; une image de grandes ailes blanches déployées qui se cassent la gueule sur un tas de fumier. C'est drôle et absolument réjouissant.
Le narrateur-philosophe, qui vit délibérément à l'écart du monde, et dont "le commerce se limite aux commerçants" est décidément à plaindre. Il va accueillir chez lui sa vieille mère impotente, et sa vie philosophique va se transformer en enfer. Pas seulement l'enfer physique, même s'il faut s'occuper de maman jour et nuit. C'est surtout cet "autre enfer", qui mélange amour, dévouement et sens du devoir filial avec fatigue, dégoût, détestation et des envies de meurtre. Ou de suicide. Ou les deux.
Certes, il y a la "méthode" de
Descartes, mais cette ânerie ne veut donner aucun résultat, même si on se bouche les oreilles pour ne pas entendre maman qui veut (encore !) faire pipi, en essayant de se concentrer pour aboutir à la solution promise.
On sait d'avance que Mila va apparaître, et on l'attend vraiment avec impatience, car le pauvre Fausto commence à toucher le fond en entraînant le lecteur avec lui. On pourrait s'attendre à une infirmière ou une aide à domicile gaillarde et pleine de bon sens, mais notre philosophe, en proie au désespoir le plus noir, va sonner à la porte d'une voyante.
Mila a une certaine réputation à Moissy le bien nommé, et un tas de ragots courent à son sujet. Elle porte un énorme turban bariolé et des bijoux bling-bling, et elle raconte d'une voix envoûtante à Fausto perplexe et sidéré un tas de bobards sur ses ancêtres à Cordoue, et sur un merveilleux jardin paisible rempli de roses odorantes.
"Plus jamais !", se dit la malheureuse âme cartésienne après cette séance de torture orientale, et pourtant... quelque chose le pousse à y retourner encore et encore. Car Mila a un don.
Don de transformer le gris en multicolore pétillant, le fade en extraordinaire, et le quotidien lamentable en Mille et une nuits. C'est agréable à écouter. Et on réalise que le monde cache une incroyable dimension baroque accessible uniquement à ceux qui veulent la voir. Que dans sa mocheté, il peut être amusant et parfois même rempli de splendeurs. Et aussi plein de promesses...
Je vous laisse découvrir le reste, en précisant que le livre se complique avec l'arrivée prévue des Roms à Moissy, et que ça va créer des tensions au bar et ailleurs. Il se complique encore davantage avec cette chose désagréable qui arrive à Perline, la fille de Madame Mila, qui a une prédilection pour les musclors sans cervelle. Et que ça va chauffer pour tout le monde. Mais en complétant la méthode de
Descartes par la "méthode Mila", on devrait s'en sortir.
La fin est un peu convenue, mais si on prend le livre comme une fable, elle convient parfaitement. Et je retournerai volontiers vers Lydie Salvaire, rien que pour le plaisir de disséquer à nouveau ses belles phrases complexes.