«
Ceux du Nord-Ouest » (2014, Gallimard, 416 p.) est un roman de la britannique
Zadie Smith, d'origine jamaïcaine.
C'est la fille d'un père anglais et d'une mère jamaïcaine qui émigre en Angleterre en 1969. À l'âge de quatorze ans, elle troque son prénom de Sadie contre celui de Zadie. Puis, études au « King's College » de Cambridge, pendant lesquelles elle publie quelques nouvelles dans une anthologie. Son premier roman « White Teeth » (2000) est d'emblée un succès, traduit en «
Sourires de Loup ». Il remporte, entre autres distinctions, les prestigieux prix « Whitbread » et « Guardian » du premier roman. Les droits du livres furent même achetés avant même qu'il soit terminé, à un éditeur ayant lu les cent premières pages seulement lors de la foire du livre à Francfort. Depuis il y a eu, «
L'Homme à l'autographe », traduit par Jamila et
Serge Chauvin, (2005, Gallimard, 496 p.), «
de la beauté », traduit par
Philippe Aronson (2007, Gallimard, 560 p.), «
Ceux du Nord-Ouest » traduit de « NW » par
Emmanuelle Aronson et
Philippe Aronson (2014, Gallimard, 416 p.), puis «
Swing Time », traduit par Emmanuelle et
Philippe Aronson (2018, Gallimard, 480 p.) et à venir « The Fraud » (2023, Penguin Press, 464 p.).
Comme souvent, pour ne pas dire toujours, il y a plusieurs lectures dans les romans de
Zadie Smith. Il y a le scénario, généralement un groupe de personnes jeunes, vivant dans la banlieue de Londres, de conditions sociales qui varient dans le temps, en bien ou en moins bien. Sur ce canevas, plus ou moins social,
Zadie Smith rajoute ses thèmes, ou ses concepts littéraires. Les critiques qui en résultent, soit des lecteurs particuliers, soit de la presse littéraire ou des professionnels, reflètent également ces différences de lectures.
Le scénario, tout d'abord, qui sert de cadre. C'est souvent le quatrième de couverture qui le résume le mieux. Quatre personnages, la quarantaine, comme Zadie, vivant à Caldwell, dans la banlieue de Londres, au Nord-Ouest, on s'en serait douté. Leah, Nathalie, Félix et Nathan. Leah Hanwell, irlandaise d'origine, qui était la plus douée, végète dans une association caritative. Son problème, qu'elle cache à Michel, son mari, est de ne pas vouloir d'enfant. Elle prend la pilule en cachette de son mari. Ah l'Irlande et son atavisme. Michel, le mari est un homme noir francophone, coiffeur. Il espère encore mieux vivre de l'investissement en ligne que de la coiffure. Nathalie a choisi de changer de prénom, espérant ainsi effacer son héritage familial. Elle est noire et s'appelait Keisha Blake. Son angoisse, ce serait de ressembler à sa mère ou à sa soeur, qui triment pour payer leur loyer et nourrir la famille. Ils s'évadent et se réfugient dans l'église paroissiale Mais Nathalie a réussi. Elle s'est mariée, a eu deux enfants. « Nathalie Blake et Leah Hanwell étaient persuadées que les gens voulaient les pousser à faire des enfants ». Après de brillantes études, elle est devenue avocate. Elle demeure maintenant dans un quartier huppé de Londres, mais revient souvent à Caldwell. Nathan Bodge est accro à la drogue, petit dealer de la cité. Il hante le quartier. Félix Cooper, enfin, est parti de Caldwell, mais y revient régulièrement voir son père. Il croit s'en être sorti et s'apprête à conclure l'affaire du siècle. Tous les quarte sont restés liés. Ce n'est pas facile de rompre de ces années de jeunesse. On pourrait partir sur un roman social avec une grande variété de thèmes. Ils ne manquent pas. Les riches et les pauvres ; les minorités de couleur et leur mixité dans la société ; le conflit des générations dans les familles d'immigrés ; la toxicomanie et sa déchéance ; les dérivés dans les petites arnaques, le sexe ou la pornographie ; voire même les difficultés du couple vis-à-vis d'un enfant. Moralité globale finale « On a trimé dur. On ne voulait pas faire la manche et montrer son statut social. On voulait s'en sortir. Finalement, les gens ont ce qu'ils méritent ». C'est du roman victorien à la Dickens mis au goût du jour.
Il est vrai que, en guise d'acrostiche
Zadie Smith indique « NON-FICTION / Changing My Mind : Occasional Essays » (Je change d'avis : ce sont des tentatives d'essais)
Une division en quatre grandes parties (dont une fait à la fois office d'introduction et de conclusion) : apparition, convive, hôte, traversée, apparition
« Visite part une », qui fait l'introduction. Il y aura une part deux pour conclure. Tout commence par des phrases quelque peu ésotériques. « le soleil généreux s'attarde sur les antennes téléphoniques. La peinture antidhérente des portails d'école et des réverbères devient soufre. A Willesden, les gens marchent pieds nus, les rues prennent un air européen, manger dehors devient une obsession ». Puis c'est l'histoire de Leah, initialement entichée d'un escroc, qu'elle rêve de retrouver. Pour le moment, elle est en couple avec Michel, un immigré franco-algérien.
Dans « Invité », on s'intéresse à Félix, pour une fois sobre, qui rend visite à son ex-amie pour lui dire adieu et démarrer autre chose. Agressé, puis tué après une dispute avec deux hommes dans le transport en commun qui le ramène. le meurtre de Félix est diffusé aux informations, ce qui permet aux autres personnages d'apprendre sa mort.
Dans « Hôte », ensuite, on passe à Keisha. Son histoire se déroule sous forme de 185 vignettes numérotées, chacune comprenant un paragraphe ou deux plus longs suivant diverses sections de sa vie. On aura ainsi « 14. Cet obscur objet du désir », ou « 15. Evian », « 21. Jane Eyre », ou « 62.
Montaigne ».
Puis, la « Traversée » avec la révélation du secret de Nathalie, sa fuite et sa rencontre avec Nathan Bogle, un ancien camarade de classe devenu trafiquant de drogue.
Retour à la « Visite » et découverte des pilules anti-contraceptives de Leah, d'où une dépression de Michel.
Dans tout cela,on assiste et découvre le quartier. « Douce puanteur de narguilé, de couscous, de kebab, gaz d'échappement d'une impasse de bus. 98, 16, 32, places debout uniquement – plus rapide pour marcher ! Évadés de St Mary's, Paddington : un futur père qui fume, une vieille dame qui se roule dans un fauteuil roulant en fumant, un sac à urine tenace, un sac de sang, qui fume. Tout le monde aime les cigarettes. Tout le monde. Papier polonais, papier turc, arabe, irlandais, français, russe, espagnol, News of the World ». On le retraversera, façon Google Map, en faisant diverses références aux rues, panneaux, bâtiments, suivant les parcs et les ponts que traversent les personnages. Un peu à la façon dont Joyce fait découvrir Dublin, lorsque Leopold Bloom se rend à l'enterrement de Paddy Dignam. Et comme dans « ulysses », il y a plusieurs rencontres pour embrayer sur les autres personnages. « « Glisser dedans » est une pensée imprécise. Suivre l'enfant somalien jusqu'à chez lui ? S'asseoir avec la vieille dame russe à l'arrêt de bus devant Poundland ? Rejoindre le gangster ukrainien à sa table dans la pâtisserie ? Un conseil local : l'arrêt de bus à l'extérieur de Kilburn's Poundland est le lieu de nombreuses conversations plus engageantes à entendre dans la ville de Londres. Vous êtes les bienvenus ». Autre clin d'oeil, discret, à Joyce lorsque Devon, le demi-frère de Félix, doit sortir de prison. Un 16 juin, jour célébré, du moins à Dublin, comme étant le « Bloomsday ».
Le style, c'est du
Zadie Smith à la sauce de
James Joyce. J'y reviendrai. Mais il est vrai que le lecteur soufre dans les dialogues. C'est un peu le modèle actuel d'avoir repris le style de Joyce, en supprimant les tirets de changement de personnage, ou d'avoir remplacé les guillemets par des virgules inversées (« ‘ »). C'est aussi flagrant chez
Cormac McCarthy dans «
Stella Maris » traduit par
Paule Guivarch par exemple (2023,
Editions De l'Olivier, 256 p.)
Le style varie aussi avec les narrations pour chaque personnage. Passant de la narration, puis à la troisième personne, ou aux vignettes de l'histoire de Nathalie. le moins que l'on puisse dire est que le récit est non-linéaire. Effet encore amplifié par la bascule entre la narration à la troisième et à la première personne.
Les thèmes abordés sont variés, mais celui qui revient le plus souvent, c'est celui de l'appartenance à une classe sociale. « En privé, elle pense : tu veux être riche comme eux mais tu ne peux pas te soucier de leur morale, alors que je m'intéresse plus à leur morale qu'à leur argent, et cette pensée, cette opposition, lui fait du bien ».
Ce problème de classe est typiquement londonien, malgré sa mixité et son mélange très urbain. En résumé, certainement le plus joycien des romans de
Zadie Smith, mais aussi le plus cryptique.