Que sait-on des autres quand on les juge ? Que sait-on des autres quand on les absout ? Rien de plus, rien de moins que ce qu'ils ont accepté de confier d'eux-mêmes. Rien de plus, rien de moins que ce qu'ils ont consenti à donner. Et c'est si peu parfois, ou si faux, ou si confus…
Que sait-on de celui dont on prononce la sentence, que ce soit dans le cadre légal d'un tribunal ou dans le quotidien où tout un chacun est si prompt à juger celui qu'il croise.
Léa attend le verdict d'un tribunal. Elle est accusée d'infanticide.
Elle attend et sombre.
D'elle, elle n'a rien dit, rien confié à ceux qui l'interrogeaient, essayant de la connaître ou de la rencontrer. Elle n'a rien murmuré parce que toute sa vie, elle s'est tue. Tue du manque de regard de sa mère, du manque d'amour, de ce reproche permanent d'être. Tue de la maladresse d'un père qui ne sait dire son affection, qui ne sait oublier le marasme de sa propre vie pour juste dire à sa fille qu'elle existe pour lui. Tue du manque, de cette absence comme une béance du frère qui n'est plus, de cette seule main à serrer fort, cette épaule sur laquelle s'adosser qui n'est désormais plus là.
Elle n'a rien dit de ce mariage raté pour fuir un milieu familial qui l'étouffe, de ce mari tout aussi maladroit que le père, qui n'entend pas sa désespérance et ne peut donc pas l'aider.
Tue de ces hommes rencontrés, comme une quête d'un amour que personne ne lui a consenti sauf ceux qui ont désormais quitté la vie.
De l'acte dont on l'accuse, elle ne se souvient que de l'ultime instant, de l'irrémédiable. Et l'irrémédiable, l'a-t-elle réellement commis ? Malgré elle ?
Cet enfant qu'elle aimait plus que tout, mal peut-être mais comment savoir quand on n'a pas appris, quand on n'a pas été aimé soi-même. Elle est pourtant parvenue à donner cet amour vrai ce qu'elle n'a jamais reçu.
De ces larmes taries ou plutôt qui n'ont jamais coulé, de ce silence comme refuge, Léa s'extrait doucement devant le regard d'un "invisible", d'un homme qui attend avec elle, du gardien qui ne la questionne pas mais l'écoute, qui ne la juge pas mais compatit à sa détresse, à son égarement dans la vie.
Et c'est devant lui qu'elle va sortir de ce cocon étouffant qui l'empêche non pas de justifier ce qui s'est passé, elle ne le peut, ni ne le veut, mais d'en écrire la réalité et les causes, les circonstances.
Laurence Tardieu, encore une fois, m'a bouleversée. Une écriture comme une spirale mêlant présent et passé, mêlant intime et quotidien pour parler de Léa et de Théo. Théo l'enfant et aussi Théo, le frère, de cette femme si infiniment seule, si infiniment désaimée, qui balbutie dans la vie, qui se noie, qui s'affole et à qui personne ne tend la main.
Un plaidoyer pour dire qu'on écoute jamais assez l'autre, qu'on ne sait jamais assez pour décider du regard qu'on pose sur lui, qu'on peut toujours entendre davantage, pas excuser ni condamner seulement comprendre pourquoi...
Léa, on a envie de la serrer dans les bras, pour remplacer ceux qui l'ont repoussée.