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EAN : 9782360120581
120 pages
Editions la ville brûle (19/03/2015)
4/5   4 notes
Résumé :
J'ai appris à connaître, à aimer ce mélange de beauté et de ruine, ces quartiers décentrés même en plein centre, j'ai appris à déchiffrer la signification des vides, des trouées - j'ai appris surtout à croire à la douceur des choses, à voir qu'elle était possible, justement là. Mais sous mes pas, dans les moments et les lieux les plus inattendus, s'entrouvre parfois l'abîme du temps.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Berlin – longtemps ces deux syllabes éveillaient de sinistres échos. Un ciel gris, un horizon de plomb. L'Est de l'Allemagne me faisait peur, sans que j'en sache bien la raison – l'addition, peut-être, de deux totalitarismes – et Berlin demeurait la capitale du Troisième Reich. A la chute du Mur, alors que j'avais suivi avec passion les révolutions pacifiques de l'automne, quelque chose de ma résistance disparut et Berlin devint une ville où je voulais aller sans savoir comment faire. » (Le chant des sirènes)

Paru en 2015 dans la collection rue des lignes des éditions La ville brûle, « Berliner ensemble » rassemble 22 textes courts écrits sur Berlin entre 2007 et 2014 par l'auteure et traductrice Cécile Wajsbrot qui partage (ou a longtemps partagé) sa vie entre Paris et Berlin.
Ville auparavant frappée d'un interdit, Berlin devient pour Cécile Wajsbrot une cité dangereusement attirante dès sa première visite, une ville dont il lui est désormais très difficile de repartir. Elle compose avec ses textes-fragments un portrait sensible et passionnant d'une ville en mutation, sous le signe de l'Ange de l'histoire de Walter Benjamin.

« Où est le présent ? me demandais-je dans les rues de Berlin, ne se tient-il que dans la tension entre passé et avenir ? Je me sentais happée par la vigueur d'un pays qui me semblait neuf – comme une Amérique avec une histoire. Berlin possédait à la fois les espaces immenses et vides d'un Nouveau Monde et le long parcours plus qu'accidenté du continent ancien. » (Le chant des sirènes)

Une question centrale hante ces textes, qui parcourent la période de la chute du Mur à l'époque actuelle de gentrification de Berlin, dans cette ville qui s'arpente autant dans le temps que dans l'espace de ses rues, celle de la distance à l'Histoire des habitants de la ville, allemands ou étrangers, pour peu que leur famille ait été marquée par cette Histoire, comme c'est le cas pour Cécile Wajsbrot.

Les gares et les trains ponctuent les textes de « Berliner ensemble », et d'autres lieux-traces dans l'espace et l'histoire des persécutions nazies, qui résonnent avec les traces mémorielles, comme ce parc où se tenait la prison de la Lehrter Strasse, dans laquelle Albrecht Haushofer écrivit les sonnets de Moabit.

« Ici le bonheur était chez lui. Et la détresse.
Ici mon enfant est venu au monde. Et dut partir.
Ici des amis me rendaient visite. Et la Gestapo. »
Masha Kaléko, Bleibtreu (Bleibtreustrasse 10/11)

Plusieurs chapitres évoquant la splendeur et la désolation de l'Est de la ville, les ruines et les traces effacées ou résistantes de la RDA et la transformation accélérée de Berlin font écho au «Pays disparu» de Nicolas Offenstadt (éditions Stock, 2018). Traces de la RDA, de la guerre et de l'histoire plus ancienne de l'Allemagne se superposent et s'entremêlent aux métamorphoses du tissu urbain, au fil des déambulations et observations de Cécile Wajsbrot, et l'on songera, plongeant dans cette dialectique entre présent et passé au carrefour des temps, au millefeuille passionnel et déchirant de Reinhard Jirgl dans ce même Berlin des années 2000 («Renégat, roman du temps nerveux» – 2005, éditions Quidam). Ville partout marquée par son histoire, Berlin semble aussi pour Cécile Wajsbrot être le lieu-pivot qui permet d'apaiser les fantômes du passé en regardant l'avenir.

« Voilà pourquoi marcher dans ce quartier est une expérience étrange. Il ne s'agit pas d'une simple promenade, ou plutôt, c'est une promenade dans le temps – non au sens où ce serait un voyage dans le passé, où ce serait remonter le cours du temps, mais au sens où, là plus encore qu'en d'autres endroits à Berlin, on touche au temps même, à la durée – une durée faite de discontinuités et de ruptures – et on comprend ce que signifie recommencer, la part de deuil qu'il y a dans ce mot, mais aussi la part d'espoir. » (Architecture)

Le titre du recueil, « Berliner ensemble », en écho au nom du théâtre fondé à Berlin par Bertolt Brecht pour y abriter sa compagnie après la guerre, un lieu qui se confond avec l'histoire du théâtre et de la littérature à Berlin, traduit combien ce recueil est aussi le livre d'une femme qui lit, observe et écoute les écrivains de Berlin, tel Peter Kurzeck lisant l'un de ses textes à la Maison de la Littérature (Une lecture), et sonde les empreintes mémorielles de l'histoire en littérature.

« … les écrivains sont bien fragiles, pensais-je en voyant son costume trois-pièces gris, son dos un peu voûté, sa façon de s'asseoir et de croiser les jambes – leur force tient dans les textes. Et eux se vident peu à peu jusqu'au moment de la disparition totale, jusqu'au moment où les livres peuvent enfin commencer leur vie propre. » (Une lecture)

Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog Charybde 27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2019/01/06/note-de-lecture-berliner-ensemble-cecile-wajsbrot/
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J'aime Trieste, Leipzig, Bruxelles, mais c'est le plus souvent à Berlin que je reviens. Cette-fois avec deux livres sur la capitale allemande chez l'éditeur La Ville Brûle, déjà responsable il y a environ trois ans de L'Autre Guide de Berlin, décrite alors comme la ville où tout est possible, phrase à laquelle s'ajoute maintenant : mais pour combien de temps encore ? (à ce sujet lire l'excellent petit essai paru chez Allia de Francesco Massi : Berlin, l'ordre règne) Avec délicatesse, en passant par Kafka, Walter Benjamin, en usant de distance, en se laissant dériver aussi, Cécile Wajsbrot décrit le Berlin dans lequel elle a vécu de nombreuses années, consciente des changements actuels, toujours plus rapides d'ailleurs. le regard qu'elle porte sur cette ville est d'une originalité toute personnelle, c'est l'histoire d'amour d'une artiste envers le Genius Loci (l'esprit du lieu).
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
"Tandis que le Palais de la République - construit par la RDA à la place du Château, symbole de l'autocratisme prussien - continue de se déstructurer, devenu carcasse métallique ouvrant des perspectives inconnues, bouclant la boucle des temps - des ruines du château est né le palais devenu ruine d'où naîtra un château reconstruit à l'identique une fois l'argent trouvé -, tandis que le Palais continue de tomber, désossé au centre de la ville, symbole des grandeurs déchues - le forum romain apparut ainsi à Joachim du Bellay lorsqu'il méditait sur le caractère éphémère des empires (mais qui médite aujourd'hui, les voitures passent sans s'arrêter, les ouvriers s'activent à la destruction et parmi eux, peut-être, les fils des bâtisseurs, et les passants doivent batailler contre le bruit et le mouvement s'ils veulent avoir une chance d'accéder à la contemplation de ruines qui n'ont rien de romantique, de poétique - où plutôt si, la poésie urbaine, celle du métal et du chaos, celle du béton et de l'amiante, et des moteurs assourdissants) ? -, tandis que le Palais continue de tomber, succombant sous les coups de ceux qui ne veulent plus voir, qui ne veulent pas savoir, de ceux qui n'ont rien appris, rien oublié, pendant ce temps, les trains continuent de rouler, imperturbablement."
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"L'ange de l'histoire, écrivain Walter Benjamin dans un texte inspiré de l'Angelus Novus de Paul Klee - son ultime texte avant de se donner la mort -, "Il a le visage tourné vers le passé... Il voudrait s’attarder, réveiller les morts, rassembler ce qui fut détruit. Mais une tempête souffle du paradis (...) qui l'entraîne irrésistiblement incessamment vers ce futur auquel il tourne le dos. (...) Cette tempête, voilà ce que nous appelons le progrès".
Nous en sommes là aussi, au carrefour des temps, immobiles ou arc-boutés, incertains, à la recherche d'une direction, pris dans des vents contraires."
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Voilà pourquoi marcher dans ce quartier est une expérience étrange, il ne s'agit pas d'une simple promenade, ou plutôt, c'est une promenade dans le temps - non au sens où ce serait un voyage dans le passé, où ce serait remonter le cours du temps, mais au sens où, là plus encore qu'en d'autres endroits à Berlin, on touche au temps même, à la durée - une durée faite de discontinuités et de ruptures - et on comprend ce que signifie recommencer, la part de deuil qu'il y a dans ce mot, mais aussi la part d'espoir.
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J'ai appris à connaître, à aimer ce mélange de beauté et de ruine, ces quartiers décentrés même en plein centre, j'ai appris à déchiffrer la signification des vides, les trouées - j'ai appris surtout à croire à la douceur des choses, à voir qu'elle était possible, justement là.
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Videos de Cécile Wajsbrot (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Cécile Wajsbrot
Rencontre animée par Julien Viteau
« Les Lettres dans la forêt courent tant bien que mal la poste d'avril à octobre 2021. À la parution d'Une Autobiographie allemande – en 2016 – nous sentions ne pas en avoir tout à fait terminé avec notre échange. C'est ainsi qu'est née l'idée d'écrire un autre livre, une correspondance, aussi, autour de la littérature, domaine peu abordé dans le premier livre. Nous nous sommes écrit des lettres, envoyées d'abord par la poste puis par la voie électronique, lettres soumises au grand désordre du confinement. Il y a eu des pauses, des reprises, d'autres pauses, des répétitions. Nous avons décidé de tout garder pour conserver la spontanéité de l'échange.»
Hélène Cixous, Cécile Wajsbrot
À lire – Hélène Cixous, Cécile Wajsbrot, Lettres dans la forêt, éd. L'Extrême contemporain 2022.
Lumière par Patrice Lecadre, son par Adrien Vicherat
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