Auteure américaine de romans policiers, docteur en littérature anglaise et première femme titulaire d'une chaire dans cette discipline à l'université Columbia,
Amanda Cross appartient à cette lignée de romancières, et plus largement d'artistes et d'intellectuelles avant-gardistes soucieuses de dénoncer l'exploitation des femmes. Dans ce domaine, ses travaux, ouvrages et articles font toujours référence. Elle a choisi de se donner la mort en 2003, en pleine santé, lorsqu'elle a estimé avoir fait son temps.
Le complexe d'Antigone, comme les 13 autres opus consacrés à ses enquêtes, met en scène Kate Fansler, professeur d'université, détective à ses heures perdues, jeune femme à l'esprit libre qui n'hésite pas à afficher ses convictions féministes et politiques, et ne crache pas sur un whisky âgé. Circonstance aggravant son cas : elle fume. Publié pour la première fois en 1971 aux Etats-Unis,
Le complexe d'Antigone est le reflet sociétal de son époque. La guerre du Vietnam fait rage divisant les américains, parmi lesquels les plus jeunes sont moins patriotes que leurs pères et n'hésitent pas à déserter ou occuper les universités ni à utiliser “des petits arrangements entre amis”, pour éviter la conscription : les pieds plats, le port d'un appareil dentaire sont autant de handicaps mis en avant pour échapper à la boucherie. le gouvernement fédéral institue un tirage au sort des dates de naissance des futurs combattants dont “le but est de corriger les injustices du mode de recrutement précédent, style les sursis et les exemptions accordées aux étudiants et chargés de famille”, ce qui fait dire à Kate : “Selon moi, la paternité devrait être une cause d'exemption automatique, à condition que l'heureux père s'engage, en contrepartie, à rester dans ses foyers pour pouponner sa petite famille. Sans être prophète, je peux t'assurer que là, vu l'éternel masculin, il y aurait de tels embouteillages devant les bureaux de recrutement que l'Armée pourrait carrément abolir la conscription !”.
Le complexe d'Antigone est un roman policier fortement charpenté, écrit dans une langue classique très agréable à lire. Kate assure un séminaire sur l'
Antigone de
Sophocle à la Theban School, où elle a effectué ses études secondaires. Institution centenaire, la Theban a été créée par un père qui désespérait de trouver un établissement où ses quatre filles pourraient recevoir une solide éducation. “Puisque le sort l'avait doté d'une descendance exclusivement féminine, il relèverait le défi et éduquerait ses filles comme des êtres humains à part entière et de futures femmes actives”. La Theban est l'une des premières écoles à avoir accepté la mixité, à recevoir des élèves noirs, et à avoir adopté comme hymne “We shall overcome”. Parce que tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales ou leur couleur ont droit au meilleur enseignement, les élèves apprennent à un rythme soutenu le latin et le grec.
S'agissant d'un roman policier, deux victimes sont à déplorer durant le séminaire. Elles servent de fil conducteur à l'histoire mais
Antigone tient le premier rôle. Toutes ses versions, depuis
Sophocle, sont largement commentées par
Amanda Cross.
Antigone est-elle celle qui refuse d'obéir à un ordre qui va à l'encontre de ses convictions ? Son conflit se joue-t-il entre son jugement individuel et les conventions imposées par la société ? Quoi qu'il en soit,
le complexe d'Antigone est un roman dense, riche, littérairement, sociétalement et historiquement captivant dont j'ai beaucoup apprécié la lecture. Une romancière à relire ou à découvrir, pour son talent, son érudition et ses engagements.