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Gwennaël Gaffric (Traducteur)
EAN : 9782743657840
448 pages
Payot et Rivages (12/10/2022)
3.25/5   50 notes
Résumé :
Xiaomi travaille sur l’île de Silicium, située au large de la Chine, où les appareils électroniques du monde entier sont envoyés au recyclage. Comme elle, des milliers de migrants sont attirés sur cette île polluée par la promesse d’une vie meilleure. Mais ceux que l’on surnomme les « déchetiers » demeurent à la merci de puissants chefs de clan. Alors qu’un conflit se trame entre les trois clans rivaux, des investisseurs américains et des écoterroristes, Xiaomi déco... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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L'île de Silicium, en Chine, est devenue un vaste centre de traitement des déchets. Mais rien de moderne, de propre, de sain. Ici, on travaille de manière artisanale. Et économique. C'est bien connu, « les vies humaines étaient tellement moins chères que les machines. ». Donc on accepte la pollution monstrueuse de l'environnement et les accidents et les maladies mortelles des ouvriers. Mais la proposition d'une compagnie américaine va bouleverser les équilibres.

Et c'est parti pour des tractations mettant, officiellement du moins, le bien-être des ouvriers de l'ile au centre des préoccupations. Dans cette merveilleuse société, les grandes entreprises se parent de soucis environnementaux et écologiques pour justifier leurs achats, leurs grands travaux. Une bonne dose de green washing comme on dit encore de nos jours. C'est ce que propose le représentant de la Wealth Recycle Co., Ltd, Scott Brandle, aidé de son interprète Dang Kai-zong, originaire de l'ile. Il va devoir lancer des tractations avec les représentants des trois familles influentes de l'île. Mais chacun campe sur ses positions, ne voulant pas perdre une miette de ses avantages. Même si cela semble empêcher de nets progrès dans le mode de vie de leurs concitoyens.
L'irruption d'une jeune femme, Xiaomi, va bouleverser les discussions. Cette ouvrière se trouve au centre d'un jeu de pouvoir qui était équilibré, mais va voir les forces en puissance lancer leurs troupes dans une bataille qui finira de façon grandiose, façon film catastrophe, avec combats d'une rare violence et éléments déchaînés (rien de moins qu'un typhon, excusez du peu). Autrement dit, on ne s'ennuie pas dans ce roman. Enfin si, parfois, un peu, quand Chen Qiufan se montre un peu trop didactique. On sent bien que ce roman est pour lui, outre l'occasion de distraire ses lecteurs, le moyen de faire passer un message. À propos de la pollution, de l'état du monde. Et donc, parfois, il se laisse un peu trop aller à décrire des situations pénibles de manière artificielle. le récit fait une petite pause pour laisser la place aux commentaires. Rien de bien désagréable, mais une volonté, louable, de trop bien faire.

Malgré ces réserves, L'île de Silicium est une grande claque pour ceux qui parviennent à laisser de côté, dans un recoin de leur conscience, le revers de notre société moderne : le recyclage des déchets électroniques et autres, laissé à ces pays moins développés, que nous considérons comme nos poubelles. Ici, les ouvriers et leurs familles baignent dans la pollution : l'air, la terre et l'eau sont viciés à un point inimaginable. On voit des enfants jouer au milieu d'objets meurtriers, tremper leurs pieds dans de l'eau aux reflets irisés par les composants mortels. On comprend que ces personnes n'ont d'autre choix que de risquer de raccourcir leur existence pour avoir le droit d'en avoir une. Glaçant et, hélas, miroir d'une réalité sordide. Comme le fait remarquer Gwennaël Gaffric (traducteur talentueux et infatigable de récits asiatiques, comme L'Équateur d'Einstein de Liu Cixin et la suite de ses nouvelles, Les migrants du temps que je vais bientôt lire ; ou le moins connu mais remarquable Perles de Chi Ta-wei) dans une note de fin de roman, l'auteur s'est fortement inspiré de lieux réels pour décrire son île et la ville principale du roman.

Dans L'ile de Silicium, les prothèses sont à la portée de tous (cela m'a fortement rappelé câblé de Walter Jon Williams.). Enfin, pas toutes les prothèses pour tous. Encore une fois, la meilleure et la plus efficace des technologies est réservée aux plus riches, dans les pays les plus « développés », quoi que cela veuille dire. Les plus défavorisés se voient contraints d'utiliser les rebuts des pays riches ou, pire, ces copies aux effets parfois délétères. Car on trouve des prothèses pour tout et se placer ça dans le corps est une sacrée prise de risque. Un bon produit, un produit sain, améliore considérablement votre organisme : un oeil est capable de voir au loin, mais aussi de calculer la hauteur supportable par votre organisme d'un saut depuis, un pont par exemple ; des bras peuvent vous donner une force surhumaine, une précision incroyable. Bref, le rêve (ou le cauchemar) du cyberpunk ou du transhumanisme : améliorer l'humain. Mais dans ce roman, on en découvre surtout le côté sombre. Entre l'utilisation criminelle qu'en font certains, voire monstrueuse (un personnage, complètement fou, agresse ses victimes en les torturant de façon encore plus atroce et douloureuse grâce à des prothèses) et les virus qui passent dans le corps de ceux qui utilisent des prothèses de piètre qualité, je ne suis pas particulièrement pressé de tester cette technologie.
D'autant qu'avec cette avancée de la science, vient un autre thème classique du cyberpunk : la puissance des grandes sociétés. Leur domination du monde, au détriment des états. Comme dans les Neuromancien ou Comte Zéro de William Gibson, ou dans le récent Chien 51 de Laurent Gaudé, les pays ne sont pas assez forts pour résister aux pressions financières des grosses structures. Chez Laurent Gaudé, la Grèce est vendue et démembrée. Chez Chen Qiufan, la « désintégration de l'Union européenne en était le parfait exemple, comme l'illustrait le drapeau rouge à cinq étoiles qui flottait sur les plages d'Ibiza, après son rachat par un consortium chinois. » Un bel avenir en vérité !

La maison d'édition Rivages revient donc officiellement à l'imaginaire avec le lancement de sa nouvelle collection Rivages/Imaginaire, dirigée par Valentin Baillehache. Vingt après la disparition de Rivages/Fantasy qui avait publié, entre autres, la série des Eymerich de Valerio Evangelisti (qu'il faudra que je relise, d'ailleurs). D'après Livres Hebdo, elle devrait proposer trois titres par an. Pour 2023, ce seront « des romans de l'américain Brian Evenson, du canadien Thomas Wharton et de la sud-coréenne Kim Bo-Young, star de la SF dans son pays. » Cela donne envie. Rappelons tout de même que cette maison d'édition continuait à proposer, hors collection, des ouvrages d'imaginaire, comme, récemment, Bangkok déluge de Pitchaya Sudbanthad dont j'avais bien apprécié la lecture. Mais aussi, dans sa collection Rivages/Noir, des titres comme La transparence selon Irina de Benjamin Fogel, un thriller futuriste marquant, ou le sanglant et angoissant Un bon Indien est un Indien mort, de Stephen Graham Jones.

Pour ouvrir sa nouvelle collection, la maison d'édition Rivages aurait pu tomber sur un pire roman. L'ile de Silicium offre un regard violent et lucide sur un côté honteux de notre monde à travers un récit prenant, malgré quelques sautes de rythme. Les personnages, perdus entre leurs désirs et les changements qui les assaillent, sont régulièrement tordus et essorés par les évènements. Ils possèdent une belle charge d'émotions et nous entraînent avec eux, haletants, dans ce tourbillon, jusqu'au dénouement.
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🦠Chronique🦠

« C'était toujours un dilemme de savoir s'il fallait laisser les enfants s'accrocher à leurs fantaisies ou les faire appréhender le plus tôt possible la cruauté du monde réel. »

C'est peut-être la vraie et seule question. Parce que je suis pétrifiée de savoir ce que je vais laisser à ma fille, à la génération suivante, comme éventuelle, transmission…Lui expliquer ce monde, les injustices, la suprématie des riches, le désastre écologique, le chaos ambiant, j'avoue que c'est difficile, et des fois, je préfère la laisser, avec son innocence…
Or, sur L'île de Silicium, les enfants n'ont pas cette chance…Ils marchent sur une montagne de déchets, jouent au milieu des détritus, boivent, mangent, respirent une pollution toxique…Ils ne voient pas le danger, parce que c'est leur lieu de (sur)vie. Ils n'ont d'autres échappatoires que de gâcher ainsi, leur capital vital, pour engraisser les comptes en banques des trois puissants chefs de l'île…
…« Et ainsi allait la vie des pauvres. »

« Et si elle n'était pas une anomalie? »

Xiaomi. Qu'on se le dise, c'est un personnage féminin formidable. Ma préférée. Ni tout à fait, déesse, sorcière, égérie ou nouvelle femme, cette déchetiere a tout raflé: les marées, l'horreur, la violence, l'obscurité, la dispersion, l'énergie, l'injustice, la ligne d'horizon…Et mon coeur…
Mon coeur, il en a fait des noeuds. Des noeuds d'amour, des noeuds de compassion, des noeuds d'angoisse. Cette guerrière moderne nous emmène à réfléchir aux intelligences, à l'artificiel, à la technologie, au virtuel, à l'avant-garde, à l'écologie, à la valeur d'une vie, à l'importance du réel, à la nécessité de l'unité…Vaste programme quand l'économie mondiale déglingue tout sur son passage, du transhumanisme mensonger à la pire cruauté de l'avarice, en passant par les honteux trafics humains et la mise en abîme par les drogues variées, avoir une petite nana combative sur ces terres dévastées, ça laisse comme une petite graine d'espoir…Mais les fleurs, tu savais, toi, qu'on les casse, qu'on les piétine, qu'on les détruit? Surtout si elle incarne la beauté et l'intelligence dans un même corps? Demande à Hedy…

« C'était sur ce fondement que fonctionnait le monde et Xiaomi trouvait ça fantastique. Cycle de machines grondantes et éternelles, et des humains, laborieux et indéfectibles. »

C'est peut-être ça le plus effarant. Que dans cet univers réinventé, les machines aient plus de valeurs qu'une vie humaine. Que le matériel est plus de valeur que des vies humaines. Que les prothèses aient plus de considération qu'une vie humaine. Que des morceaux de machines soient plus chers que des morceaux de chairs. Sur l'île de Silicium, les riches ne sont pas prêts de laisser leurs privilèges, leurs conforts, leurs avantages, leurs souverainetés, leurs pouvoirs, et leurs rêves de dépassement de la mort elle-même…Entre eux, ils se partagent la part du gâteau, mais tout cela au détriment de ceux, qui leur sont soumis, faute de moyens…Écoeurant. Écoeurant de savoir, comment tous ces jeux politiques et socials, empêchent la liberté de ces hommes condamnés, ces migrants empêchés, ces pauvres gens espérants…

« Il n'y a rien qui soit parfaitement propre. »

Le premier roman de Chen Qiufan va explorer toutes les saletés du monde, des détritus réels ou fictifs, des pires immondices qui gouvernent cette île, de la dégénérescence théorique et morale qui pèse sur l'humanité…Même en nettoyant, le futur semble indécrassable…
J'ai aimé l'oeil avisé de l'auteur, la pertinence de son analyse, la fiction anticipatrice et réaliste de nos lendemains…Mais peut-être plus encore, j'ai adoré qu'il aille explorer plus haut, plus grand, avec plus de coeur, cette histoire de recyclage, ramenant ainsi en nos mains, un texte vibrant, sensible et alerte. J'ai été bluffée par la densité, la profondeur et le magnétisme de sa plume. J'ai été embarquée, et même le livre refermé, mon esprit n'oublie pas. La réalité c'est que la défragmentation de mon âme ne pourrait se résoudre avec un rituel d'assemblage, je préfère encore jouer avec les marées, évoquer ces souvenirs, où dans la cacophonie du typhon, lancer cette bouteille à la mer, avec mon coup de coeur en tempête furieuse, vers vos réels…

« Son coeur, chuchota Xiaomi 1. Je m'empare de son coeur. »
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Une chronique un peu particulière, aujourd'hui, si l'on peut appeler ça chronique. Car il s'agit davantage d'un retour sur une lecture abandonnée à un peu plus de la moitié du roman.

J'ai reçu ce livre dans le cadre de la Masse critique Mauvais genres de Babelio : à ce titre je remercie chaleureusement Babelio et la maison d'édition Payot-Rivages pour l'envoi du roman et leur confiance. Je suis donc d'autant plus embêtée de faire un retour de ce type. C'est bien la première fois que j'abandonne une lecture reçue en service de presse ou d'une masse critique. Et j'en suis vraiment navrée, et m'en excuse.

La lecture n'avait pourtant pas trop mal commencé. le roman se présente comme un thriller d'anticipation, et c'est ce qu'il est. Je trouvais même qu'il avait un aspect documentaire au-delà de sa nature romanesque, traitant de sujets difficiles avec un réalisme glaçant. le roman nous emmène sur une île déchetterie, là où sont recyclés tous les déchets de notre monde contemporain et aisé. La poubelle du monde riche, pourrait-on dire. C'est une peinture terrifiante qui est faite durant toute la première moitié du roman. Des conditions de travail lamentables, des humains traités comme des déchets, littéralement, donnant même lieu à un substantif : déchetier. Une écologie qui n'existe que sur le papier, des mers polluées, des sols vidés, de l'air irrespirable. Des gens qui survivent plus qu'ils ne vivent.
A ce tableau s'ajoutent deux dimensions supplémentaires : une lutte de trois clans qui ont la main mise sur l'île, et l'arrivée d'un américain soi-disant pour le compte d'une société de recyclage plus propre. Au final, ce ne seront que magouilles, argent sale et traite d'humains.
Un tableau bien sombre, très réaliste donc, avec plusieurs fils et personnages suivis dans un tout qui m'a paru quand même un peu décousu durant cette première moitié. Un peu de mal à m'y retrouver, à savoir où on allait, et quand le roman allait vraiment démarrer. Car je ne voyais venir aucun début d'intrigue, juste la sensation d'avoir une situation initiale qui s'étirait en longueur dans cette longue protase.
Malgré tout, c'était assez intéressant même si difficile, et ça se lit "facilement"; je veux dire par là, nulle difficulté dans la langue et j'ai trouvé la traduction très bien.

En revanche, arrive au milieu du roman une scène particulièrement difficile, à laquelle je ne m'attendais pas du tout. A vrai dire, je ne suis pas parvenue à m'en relever. D'abord, parce que je la trouve très longue. Ensuite, parce qu'elle m'a semblé d'une violence, d'une crasse et d'une dégueulasserie sans limites. Je n'ai pas réussi à supporter ça, et ça m'a mis mal à l'aise durablement. Et encore, c'est un euphémisme. J'ai aussi trouvé dommage (euphémisme encore) que ce type de scène concerne l'unique personnage féminin du bouquin croisé jusqu'ici. Et enfin, j'ai regretté que cette scène soit utilisée comme ressort narratif à l'intrigue.

Car enfin, le roman décolle. Enfin, la SF pointe le bout de son nez. Je déplore cependant encore une fois qu'il faille introduire une scène de ce genre sur un personnage féminin pour faire décoller un roman. N'a t-on aucune imagination ? Fallait-il vraiment en passer par là ? Je n'en suis pas convaincue et je regrette encore une fois cette représentation des femmes dans les romans, représentation que je rencontre toujours plus, comme si c'était un passage obligé. Bref, un agacement important en plus du malaise et du bouleversement qu'aura provoqués cette scène.
En attendant, enfin le roman prend de l'ampleur, avec une dimension SF au rendez-vous. J'ai eu une pensée à un moment pour un épisode de Tales from the loop, lorsqu'il y a fusion homme-machine.

Certainement que la seconde partie devait-elle être à la hauteur de mes attentes quand j'ai voulu lire ce roman. Sûrement, vu la première partie, devait-elle être vraiment explosive, imaginative, et conclure le roman dans un point d'orgue magistral.
Peut-être. Car en fait, je n'en sais rien; ma lecture s'est arrêtée quelques dizaines de pages après cette scène du milieu, ce concentré de violence pure. Je me suis donc passée de la seconde partie du roman, complètement incapable de retourner durablement dans ma lecture, incapable de séparer réalité et fiction.

J'ai longtemps hésité. Mais après discussion autour de moi, j'en ai conclu que j'avais atteint là mes limites. Je ne supporte plus du tout les violences auxquelles sont soumis les personnages féminins dans les romans. Je trouve ce côté systématique personnellement insupportable et je ne parviens plus à lire ce type de récits.
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Quand un éditeur démarre une nouvelle collection consacrée à l'imaginaire, j'avoue être forcément curieuse. Quand la dite collection se propose de commencer par un roman de SF d'un auteur chinois, depuis ma rencontre avec Liu Cixin, cela ne peut que me rendre encore plus curieuse. Merci à Rivages d'avoir pensé à moi pour cette expérience.


Pour cette entrée en scène, l'éditeur a eu la belle idée d'y aller en douceur en choisissant non pas un titre de pure SF qui aurait pu nous emporter super loin comme avec le problème à trois corps, ma référence dès qu'on me parle de SF chinoise, mais plutôt en s'orientant sur ce courant de SF proche du thriller et proche de nous également : l'anticipation éco-technologique. Un choix judicieux. Avec la couverture d'Huleeb, le lecteur est de suite intriguée et se demande ce que peut cacher ce corps au coeur vide mais à la tête hypertrophiée. C'est une belle métaphore de la suite de l'histoire.

Texte publié pour la première fois de 2013, L'île de silicium est le premier roman de Chen Qiufan, auteur multi-primé depuis, qui s'est inspiré de sa propre jeunesse près de Guiyu, où se trouve la plus grande décharge de déchets électroniques du monde, pour l'écrire. Il y mélange, à l'aide d'une plume très fluide et addictive, des thématiques autour des questions du traitement des déchets, du rapport à ces emplois abrutissants, dégradants et dangereux pour la santé, de la place des femmes dans la société chinoise, mais aussi de la mafia chinoise et de la mondialisation, sans parler des expérimentations pharmaceutiques-militaires. C'est très riche.

Pourtant le texte ne paie pas de mine au début. Il est certes immersif et nous permet d'entrer très facilement dans le monde de Xiaomi, jeune ouvrière sur l'île de Silicium (île fictive), mais a des allures de récits à la Zola tant la misère est partout. A part découvrir les tensions entre les différents groupes voulant diriger l'île, on ne voit pas trop où cela peut nous mener, même quand elle découvre une drôle de prothèse. le mystère est bien gardé. Nous sommes alors plus dans un thriller écolo ou sociétal dénonçant ce reconditionnement des déchets confiés à des castes miséreuses qu'on dénigre, que dans de la SF.


Cependant le récit bascule au cours d'une scène d'une rare brutalité qui va être le point d'achoppement de tout et même de mon propre sentiment par rapport au récit, car elle va autant m'apporter la dimension futuriste que j'attendais, que me déranger par le choix bien trop facile de l'auteur d'occulter ce qu'a vraiment subi son héroïne. Est-ce pour nous provoquer qu'il balaie ainsi l'agression subie en se mettant dans la peau de ses personnages ou est-ce vraiment si peu important pour lui ? Cela me poursuivra jusqu'au bout tant je trouve ce pan occulté par la suite à tort.

Il aura donc fallu attendre la moitié du récit pour voir véritablement apparaître cette dimension science-fictionnesque que je désirais, mais vu que le mélange avec le thriller amorcé précédemment se fait fort bien, je n'ai aucun regret. J'ai aimé par la suite suivre les conséquences de ce qui est arrivé à Xiaomi, conséquences qui se mélangent avec les intrigues d'un certain grand groupe américain qui a envoyé un espion sur place, mais aussi avec les luttes de pouvoirs de mafias locales. J'ai beaucoup aimé, l'ambiance mi-mécha (comme dans les mangas) mi-fantastique, qui s'opère chez Xiaomi une fois qu'elle entre en contact avec un certain objet qui va la parasiter. Il y a des pages saisissantes qui décrivent ce qui se passe en elle, comment elle se transforme et ce qu'elle produit comme effet face aux gens en face d'elle. C'était glaçant et fascinant !

L'intégration des thématiques autour des produits de synthèse, des prothèses et des I.A. dans ce décor qui nous est pourtant familier et qui pourrait cohabiter avec nous, a rendu cela passionnant à lire. Et ce même si le récit se fait un peu trop à travers le regard des hommes, qui certes sont ceux qui définissent les drames qui se produisent, mais qui n'en sont pas les victimes au final. J'aurais donc aimé avoir encore plus le regard des Xiaomi car elles ont un petit quelque chose de Dark Angel quand elles viennent bouleverser cet ordre établi et lancer un coup dans la fourmilière en se transformant en arme surprenante.

Récit proche de nous et pourtant récit plein de surprise, en alliant thriller techno et anticipation écolo, L'île de Silicium vient percuter le lecteur tout comme il percute son héroïne. Récit lent et immersif au début, il devient tranchant et incisif dans sa seconde partie avec une course à la survie qui prend aux tripes et un traitement des déchets comme un traitement des humains qui doit questionner. Un joli choix pour démarrer une future collection d'Imaginaire, qui je l'espère continuera d'interpeler.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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L'île de Silicium est un thriller entraînant et dynamique dans un univers de science-fiction cyberpunk. On y suit Scott Brandle, un américain envoyé par la firme Wealth Recycle pour négocier avec les chefs de clan de l'île-déchetterie un projet de recyclage et de réduction de la pollution. Les intentions derrière ce projet se révèlent évidemment plus troubles qu'il n'y paraît et viennent attiser les tensions déjà prégnantes sur l'île.
Comme souvent dans un roman, j'ai été convaincue par le choix de suivre différents personnages d'un chapitre à l'autre. Ouvrir le roman sur le point de vue de Scott Brandle m'a notamment paru intéressant parce qu'on découvre l'île et ses subtilités avec lui, depuis un regard étranger. Les bases du personnage sont également posées, l'auteur soulignant avec ironie les clichés racistes qui guident cet américain dans ses interactions avec ses interlocuteurs chinois et conditionnent le jugement qu'il porte sur leur culture. La différence de statuts entre les personnages suivis dans chaque chapitre permet aussi de découvrir l'île à différentes échelles, selon que le personnage soit un natif parti vivre à l'étranger et revenu après des années, des natifs riches et puissants, ou une travailleuse du « peuple des déchets ».
Les références aux traditions et aux pratiques spirituelles et la figure quasi-divine de Xiaomi, mêlées à la dimension cyberpunk, donnent un univers qui me semble aussi très riche. C'est un roman foisonnant d'idées, très visuel, et que j'imagine bien adapté en film.
Le roman met en garde contre les dérives possibles d'une société hyper-connectée et contre la production effrénée d'objets high-tech dont on maîtrise mal (ou pas du tout) le recyclage. La description du quotidien des « déchetier·es » et l'aspect sordide de certains passages sur les modifications corporelles permises par les prothèses connectées donnent une sensation de malaise qui ne m'a encore vraiment quittée. J'ai beaucoup apprécié cette critique et la dimension écologique et politique dont elle s'accompagne. Il me semble que la vision portée sur la technologie dans ce roman n'est pour autant pas totalement manichéenne. le réseau qui connecte les habitant·es de l'île entre elleux est aussi belle, en ce qu'elle leur permet de se soulever collectivement et de se défendre. J'ai aimé le côté empouvoirant des scènes où ce peuple se rebelle et je suis admirative d'un passage en italique qui prend la voix de cette population méprisée et pourtant bien plus essentielle que les natif·ves parasites de l'île qui les oppressent, qui commence par ces mots : « Ils nous appellent le ‘'peuple des déchets''. Les déchets sont sales, inférieurs, inutiles et pourtant omniprésents. Ils produisent des déchets chaque jour et ils ne peuvent pas vivre sans eux. ».
Le personnage de Kai-zong me semble bien écrit et représentatif de cette ambivalence entre condamnation des effets néfastes et écocides des technologies et mise en avant de leur possible utilisation comme outil d'organisation collective et révolutionnaire. S'il conserve pendant une bonne partie du roman les valeurs conservatrices dans lesquelles il a été élevé, on sent sa personnalité et ses valeurs évoluer au contact de Xiaomi et du peuple des déchets. C'est sans doute le personnage qui m'a le plus touchée dans ce récit.
La critique sociale portée par ce roman ne touche pas seulement la question de la lutte des classes. Elle pointe aussi du doigt le racisme décomplexé des pays occidentaux vis-à-vis des pays « en voie de développement » qu'ils prétendent non sans cynisme vouloir sauver des conséquences de désastres écologiques dont ils sont eux-mêmes les responsables.
J'ai été moins convaincue par le personnage de Xiaomi, même si le côté mecha et sa transformation en figure de leader voire de hive-mind pour un mouvement de résistance collective sont enthousiasmants. Ce sentiment va de paire avec ce que j'ai pensé du traitement des quelques personnages féminins du roman, de manière générale. Je suis un peu fatiguée de lire des récits où la torture et le viol sont des éléments déclencheurs de l'action, qui prend souvent la forme d'une vengeance par la victime ou par ses proches (très souvent un homme de son entourage voulant la sauver et/ou « rétablir son honneur »). C'est bien sûr un élément dramatique à tous les sens du terme, qui suscite une vive émotion et qui entraîne des conséquences dans la suite des actions, mais je pense qu'on peut écrire la trajectoire d'un personnage féminin autrement, et qu'on manque cruellement de ce genre de récits, notamment dans l'imaginaire de science-fiction et d'anticipation. le caractère graphique de certaines scènes de torture particulièrement imaginatives laisse aussi le sentiment d'avoir été placé·e dans une position de voyeur·e, ce que je trouve personnellement dérangeant.
Quelques idées convenues m'ont un peu fait sourire, notamment la figure du hacker qui porte un sweat noir et se cache sous sa capuche, ou l'idée d'un des chefs de clans de se procurer une arme artisanale que « les usines modernes ne pourraient jamais égaler », la tradition finissant toujours par reprendre le dessus. Il faut dire aussi que l'imaginaire cyberpunk a grimpé en popularité ces dernières années et le retour de certains motifs n'est pas surprenant ou critiquable en soi. J'ai appris après ma lecture que le texte original avait publié en 2013. Même si ces imaginaires étaient déjà très actifs il y a dix ans, les questions des désastres écologiques, du green-washing et de « l'éco-terrorisme » ont évolué par grands bonds ces dernières années et au moment de sa parution en français ce roman est d'actualité. Ça me semble être le signe que Chen Quifan est une écrivain prometteur. L'île de Silicium étant son premier roman, je suis curieuse de découvrir les prochains, en espérant que les faiblesses que je trouve à celui-ci soient moins évidentes.
Merci aux éditions Rivages et à Babelio dans le cadre de la Masse critique de m'avoir permis de découvrir ce texte.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
A travers des caméras en circuit fermé, les énormes ommatidies des yeux à facettes scrutaient cent mille visages fixés sur leur écran d'ordinateur, leur nervosité, leur anxiété, leur expectation, leur confusion, leur douceur, leur suspicion, leur jalousie, leur colère, qui se rafraîchissaient rapidement tandis que leurs lunettes reflétaient les données bondissant sur leurs écrans. Leurs regards étaient vides et profonds à la fois, ignorant l'équation de leur vie et de leurs valeurs, aspirant au changement tout en le craignant. Ils observaient leurs écrans comme s'ils s'observaient les uns les autres, ils les haïssaient comme s'ils se haïssaient les uns les autres. Les mêmes visages froids et apathiques.
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Il était dit que le plastique, une fois broyé, était fondu, refroidi et changé en granulé puis vendu à des usines de la côte, sui le transformaient en différents produits bon marché, dont la plupart étaient ensuite exportés et vendus à l'international. Tous les habitants du monde pouvaient donc acquérir ces marchandises abordables estampillées "Made in China". Après quoi, les produits redevenaient déchets, et étaient renvoyés en Chine, dans un cycle continu.
C'était sur ce fondement que fonctionnait le monde et Xiaomi trouvait ça fantastique. Cycle des machines grondantes et éternelles, et des humains, laborieux et indéfectibles.
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"Vous voyez maintenant où je veux en venir. La mondialisation n'a jamais été un problème en soi, c'est un processus qui a cours depuis des milliers d'années, à travers les grandes expéditions, le commerce, l'écriture et la religion, mais aussi les insectes, les oiseaux migrateurs, le vent ou même les bactéries et les virus. Le problème est que nous ne sommes jamais parvenus à un consensus, que nous n'avons jamais essayé de créer un ordre équitable qui profiterait à tous. A la place, nous nous sommes livrés à des actes incessants de pillage, d'exploitation et d'extraction forcée de l'Amazonie, de l'Afrique du Sud-Est, du Moyen-Orient, de l'Antarctique et même de l'espace. A l'ère de la mondialisation, il n'y a pas de gagnants permanents, car ce que vous gagnez, vous finissez toujours par le perdre un jour, et vous devez le rembourser avec des intérêts."
Le professeur avait lourdement tapé sur son pupitre, comme un juge donnant son verdict final.
"Fin du cours."
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Il était dit que le plastique, une fois broyé, était fondu, refroidi et changé en granulé puis vendu à des usines de la côte, sui le transformaient en différents produits bon marché, dont la plupart étaient ensuite exportés et vendus à l’international. Tous les habitants du monde pouvaient donc acquérir ces marchandises abordables estampillées « Made in China ». Après quoi, les produits redevenaient déchets, et étaient renvoyés en Chine, dans un cycle continu.
C’était sur ce fondement que fonctionnait le monde et Xiaomi trouvait ça fantastique. Cycle des machines grondantes et éternelles, et des humains, laborieux et indéfectibles.
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Un de ses hommes d’équipage fit un geste de la main à
Ho Suk-yee. Celle-ci hocha la tête, son visage rendu blême
par les assauts du vent. D’après les données apparaissant
sur ses lunettes, la vitesse de la cible avait été réduite à dix
nœuds, pour se conformer aux exigences des autorités maritimes. Celles-ci utilisaient des pavillons de signalisation afin
de réduire la pollution lors des entrées dans les eaux portuaires, et aussi pour limiter l’effet des sillages des gros
bâtiments sur les plus petits bateaux.
C’était le bon moment pour agir. Elle adressa un signe
à son équipage, l’invitant à se tenir prêt.
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Video de Qiufan Chen (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Qiufan Chen
FESTIVAL DES UTOPIALES 2023
De Projet Colossus à Wargames en passant par la franchise Terminator, l'intelligence artificielle fait peur. On l'imagine presque omnisciente, on la croit savante et ses algorithmes font assez bien illusion, tout en dépendant de ce qui les nourrit. Mais, au-delà de la crainte et du fantasme, qu'est-ce réellement que l'IA ?
Moderateur : Magali Couzigou Les intervenants : Raphaël Granier de Cassagnac, Sylvie Lainé, Qiufan Chen
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