Il y a longtemps, très longtemps, à l'époque où l'émission - Les grosses têtes - étaient animée sur RTL par un certain
Philippe Bouvard, j'avais été bluffé par un bonhomme complètement iconoclaste que l'animateur surnommait " l'amiral".
Ce marin censé naviguer davantage sur les ondes hertziennes que sur les flots, être plus people que navigateur, était en réalité un des tous meilleurs compétiteurs de l'époque Colas, Monnet, un pur loup de mer formé à l'école de
Tabarly ( ils ont fait équipe ensemble pendant 10 ans... ).
Cet après-midi-là, Bouvard avait demandé à chacun de ses invités de lire une page d'un de leurs bouquins préférés.
Lorsque ce fut au tour de "l'amiral", sa lecture captiva ceux qui étaient présents dans le studio, mais également les auditeurs.
Quand Bouvard lui demanda qui était l'auteur de ce bel écrit... "l'amiral" se marra... et montra une page blanche.
En fait, il n'avait rien lu mais improvisé ce que son talent de conteur, son imagination de poète avait porté à ses lèvres.
Depuis lors, j'avais mieux appris à connaître l'inénarrable
Olivier de Kersauson, et m'était promis de lire un jour un de ses bouquins.
Car d'évidence, autant que braver l'océan, cet homme était fait pour nous embarquer à bord de ses trimarans littéraires.
Ces jours-ci, entre deux livres "sombres", j'ai eu envie de me plonger dans le verbe de Kersauson : j'ai donc choisi pour passer un moment avec lui - Promenade en bord de mer et étonnements heureux -.
On pourrait se demander ce qu'est ce titre à rallonge.
Il est plus que pertinent, je vous rassure.
Car à travers cet ouvrage, ce sont bien des promenades en bord de mer, sortes de méditations, auxquelles nous sommes conviés.
Et de ces promenades, Kersauson tire comme substantifique moelle, l'épicurien concept "d'étonnement heureux."
À 77 ans, ce marin compétiteur retraité des tours du monde à la voile, des Vendée Globe, des Route du Rhum, de la transat Jacques Vabre, des records de traversée de l'Atlantique et de bien d'autres encore, a conservé une capacité d'émerveillement tout à fait étonnante.
Cet homme qui se lève aux aurores pour contempler les levers de soleil, qui ne rate pas un de ses couchers, qui sait vous décrire les nuances de couleurs de toutes les mers du monde, vous parler comme un gosse des vagues, des marées, de la lune et de ses différentes luminosités, des centaines de variétés de vents, des pluies, des orages, des tempêtes, cet homme qui a passé pendant 40 ans 8 mois par an de toutes ces décennies à sillonner une planète dont les deux tiers sont peuplés par les océans, cet homme vit de tous ces petits étonnements heureux, dont la plupart d'entre nous ou ignorent l'existence ou passent à côté préférant ce que Kersauson appelle l'immédiateté ou le buzz.
Lui vit l'instant, le présent, s'étonne heureux du moindre "rien" dont il fait un grant Tout.
S'il respecte le passé, il se refuse à la nostalgie... il y a algie dans ce mot, et il estime que c'est gâcher le présent que de se complaire dans l'inutile souffrance du passé.
Pareil pour le futur... c'est ici et maintenant qu'est la vie ; chercher à anticiper les tempêtes à venir est inutile et contre-productif.
Ce livre est un hymne à la vie et aux vivants.
Bien que retraité Kersauson continue à s'intéresser sous diverses formes à ce qui est encore sa passion : la mer.
Les instituts de recherche, les écoles qui forment les futurs marins de la marine marchande, l'America's Cup, les compétitions de surf, de paddle, les courses de pirogues.Il manage les Fêtes maritimes de Brest qui réunissent plusieurs centaines de bateaux de toutes sortes, de toutes époques qui évoluent savamment dans la rade de la cité bretonne.
Il voyage, pêche.
Ses voyages lui permettent de s'interroger sur le monde.
Son passé maritime, avec une admiration sans bornes pour Magellan, l'évocation de la construction du canal de Panama, le présent avec ses nouveaux paquebots géants de presque 400 mètres de long et plus de 60 de large ; véritables parcs d'attractions flottants qui embarquent 8000 personnes dans des cabines dont beaucoup ne permettent pas de voir la mer, pour des croisières de quelques jours.
Les porte-conteneurs, usines flottantes qui consomment des tonnes et des tonnes de combustible...
Mais le présent, c'est aussi cette belle folie française qu'est l'Hermione.
Ce sont ces îliens de Polynésie dont il partage la vie depuis presque 20 ans et auxquels il rend hommage... à travers des hommes en lesquels il se reconnaît comme Brel et Gauguin.
Ces terres qui restent des énigmes comme l'île de Pâques ou qui sont des modèles d'obstination et de savoir faire comme Rangiroa où l'on fabrique ( ce qui semblait impossible et impensable ) du vin... 50 000 bouteilles/an sur dix hectares...
Le présent, c'est aussi ces phares qui s'éteignent remplacés par l'électronique, mais c'est aussi l'avènement des hydroliennes.
Kersauson, c'est un fidèle.
Tabarly et
Florence Arthaud ont chacun une place au chaud dans le coeur de cet homme qui passe, selon moi, à tort pour un misanthrope.
Avant d'en terminer avec la présentation qui aurait pu être celle de carnets de notes ( pas au sens scolaire... "l'amiral" déteste l'école !) prises lors de voyages, de promenades, d'instants privilégiés, avant de conclure sur ce que sont les étonnements heureux, j'aimerais souligner que ce n'est pour rien le fait du hasard si les mots que l'on retrouve le plus souvent dans cet ouvrage sont : "impressionnant", "émerveillement", "sublime", brillances"... et "je m'explique".
Et puis laissez-moi vous livrer quelques lignes de ces jolies promenades.
"Naviguer, c'est frôler sans cesse
le corps onctueux d'une femme
qui, dès lors, est interminable.
La mer lamée de mauve,
c'est sa peau lascive où la coque s'introduit.
C'est d'un onirisme subtil, onirique, étrange, secret."
.......
"Sur l'eau, un simple changement de lumière,
un nuage qui passe
me suffisent pour atteindre la plénitude.
Au fond, c'est assez difficile à décrire.
Au début, je pensais que ce décor allait s'user.
Au contraire, plus je le regarde et plus je l'aime."
Kersauson, un homme heureux... tout simplement !