Une fois n'est pas coutume : je fais une incursion auprès d'un auteur que j'aime bien, mais qui n'est pas forcément qualifié de "littéraire" avec ce «
Sabotage » écrit octobre 2020.
Nous sommes en mai 1937. Falco, le héros que les amateurs de
Perez Reverte connaissent est de retour. L'agent secret à la solde des Nationalistes du Général Franco, se voit confer par l'Amiral son chef une mission de haut vol : il doit rejoindre Paris, où va se tenir l'Exposition universelle, pour deux actions en parallèle : d'une part éliminer un aviateur célèbre qui a participé à la guerre civile espagnole en soutenant les républicains, d'autre part faire en sorte que Picasso n'expose pas son futur tableau « Guernica » auquel il travaille pour le pavillon espagnol de l'exposition universelle parisienne.
Une mission ultra délicate, comme on l'imagine, avec plein de pièges et de rebondissements. Mais l'intrigue n'est pas pour moi ce qu'il y a de plus intéressant : bien sûr, à la manière d'un James Bond des années 30, on va retrouver tous les ingrédients d'une histoire d'espionnage : Falco croisera des femmes magnifiques et il n'aura de cesse de les mettre dans son lit, il fumera et boira comme un Philippe Marlowe du "Grand Sommeil", et sera plusieurs fois la cible de dangereux cagoulards ou malfrats croisés le long de la Seine ou à bord d'une péniche.
Non, le principal se situe dans la reconstitution du Paris des années 30, et dans le jeu de piste auquel nous convie
Perez-Reverte pour découvrir qui se cache derrière les personnages de fiction.
Falco s'est créé une identité de cubain producteur de cigares (évidemment) et amateur d'art. A l'aide d'un complice allemand embarqué lui aussi dans la mission à la solde des Franquistes il va faire connaissance de Picasso, et s'introduire dans son intimité sous prétexte de lui acheter un tableau et en réalité de s'approcher au plus près de « Guernica » qu'il doit détruire.
Mais il y aussi le personnage sympathique de cet aviateur qui aide les Républicains – on pense à
André Malraux bien sûr, qui a recruté des pilotes, promettant des avions et des pilotes et très bien accueilli par les républicains espagnols, puisqu'il va monter de toutes pièces l'escadrille internationale España avec une vingtaine de Potez 540 et en prendre le commandement comme colonel jusqu'en 1937.
Mais on pense aussi à
Hemingway qui prendra part comme journaliste à la guerre d'Espagne, aux côtés des Républicains et qui y écrira «
Pour qui sonne le glas ».
Quant à la jeune artiste photographe, qui est-elle ? Est-elle Gard Taro, compagne de
Robert Capa, les deux photographes qui ont couvert la guerre d'Espagne ? Ou bien Lee Miller, la photographe qui devient la muse, la maîtresse et l'assistante de
Man Ray ? A moins qu'on ne croise encore
Peggy Guggenheim, collectionneuse d'art moderne et galeriste, puisqu'il est question de tableaux modernes –
Perez Reverte s'offrant même le luxe d'imaginer que Picasso va faire un portrait express de l'espion qui lui veut du mal … et on imagine le prix qu'un tel portrait pourrait obtenir aujourd'hui dans une vente chez Christie's…
Et puis
Perez Reverte excelle dans la reconstitution du Paris des années 30. Il y a Gabin l'acteur par exemple, dans ses débuts. Il y a aussi
Max Aub, cet auteur dramatique, romancier, essayiste et critique littéraire qui a eu quatre nationalités au cours de sa vie : Français, Allemand, Espagnol et Mexicain.
Tout sonne juste, y compris le cabaret des « Mauvaises filles » ou une danseuse magnifique, connue autrefois de Falco à Berlin, ressuscite le désir de l'espion avec son camarade trompettiste de jazz et où Falco croise la star
Marlene Dietrich …
Certes «
Sabotage » n'est pas «
le tableau du Maître flamand » (magistral) ou «
le Peintre de batailles » (fabuleux), mais la seule scène de l'hypothèse du «
Sabotage » de Guernica dans l'atelier du maîtr
e vaut son pesant d'humour et de cocasserie – et cela n'est déjà pas si mal. Avec une touche de nostalgie – car oui, Falco peut avoir un point faible – et une interrogation pour savoir ce qu'est devenue la belle
Eva, celle qui avait réussi à toucher son coeur ….