La Fille du marquis m'a offert un petit voyage dans le temps et dans l'Histoire de France en compagnie d'Éva de Chazelay, une héroïne sans peur et sans reproche – ou presque… Elle m'a fait redécouvrir la sombre et sanglante période de la Révolution.
La France, république laïque, une et indivisible, fut jadis une monarchie absolue, sous
Louis XIV, pendant l'Ancien Régime, puis très brièvement une monarchie constitutionnelle sur le modèle de l'Angleterre, dans la droite ligne de l'esprit rationaliste des Lumières :
Montesquieu et
de l'esprit des lois, la séparation des trois pouvoirs,
Diderot,
D Alembert, l'Encyclopédie,
Voltaire, Rousseau… La Révolution a permis la transition entre les deux. Enfant durant le bicentenaire en 1989, je me souviens d'une période festive et de joyeuses ritournelles : « Ah, ça ira, ça ira, les aristocrates, on les pendra… », dont je ne comprenais pas totalement le sens mais qui m'enthousiasmaient tant elles semblaient libératrices. Pour moi, le 14 juillet, choisi comme date de fête nationale, c'était la commémoration de la prise de la Bastille en 1789, qui marquait le début de cette libération. Récemment, j'ai découvert que ladite date faisait aussi référence à la fête de la Fédération de 1790 qui marquait, elle, l'union autour du roi
Louis XVI. Mais le roi
Louis XVI n'a-t-il pas été exécuté en janvier 1793 ?
Dans
La Fille du marquis,
Alexandre Dumas nous ramène en 1793, au moment où la Révolution a abandonné la philosophie des Lumières pour sombrer dans la terreur, et nous aide à mieux comprendre la complexité de cette période.
Dernier livre d'
Alexandre Dumas, ce roman met en scène Éva de Chazelay,
la fille du marquis de Chazelay, à la recherche dans Paris de son amant, Jacques Mérey, médecin des pauvres, devenu député de la Convention avant d'être proscrit et obligé de s'enfuir pour éviter d'être condamné à la guillotine. Il est pourtant un républicain convaincu, victorieux à la bataille de Valmy contre les monarchies qui entouraient la France à cette époque et voyaient d'un mauvais oeil cette révolution républicaine. Elles désiraient prêter main forte aux monarchistes français, comme le marquis de Chazelay. Leur défaite a marqué le début de la première République. Mais celle-ci ne fut pas la démocratie tant attendue. Les républicains commencèrent à s'entre-tuer et les Parisiens devinrent tantôt les acteurs tantôt les spectateurs impuissants de ce sang qui coulait à flot.
J'ai aimé la partie historique de ce récit où Éva côtoie les protagonistes de la Révolution française. Témoin de la mort de Marat, poignardé dans sa baignoire par Charlotte Corday, elle apparaît comme une héroïne forte et courageuse, à l'instar de Charlotte elle-même qui se rebellait contre les bains de sang inutiles et révoltants. Cette partie prend la forme d'un manuscrit rédigé par Éva qui est devenue amie avec Danton et sa femme ;
Camille Desmoulins et son épouse Lucile. Elle est d'une violence inouïe car elle décrit les charrettes remplies de gens envoyés à la guillotine, jusqu'à trente, quarante et plus par jour, avec plus de républicains que de monarchistes, des femmes, des enfants, dont certains étaient des domestiques qui avaient commis « le crime » d'apporter de la nourriture à leur maître aristocrate.
Dumas, par l'intermédiaire de la plume d'Éva, ne nous épargne rien dans la description de cette terrible période. Éva, impuissante, assiste à la mort de Danton et
Camille Desmoulins. Désespérée, elle brave le danger, prête à monter sur la guillotine et s'oppose à
Robespierre qui a fait exécuter ses anciens camarades. L'apogée de la violence a lieu avec le 9 thermidor et l'exécution de
Robespierre perçu comme un tyran. Ceux qui sont responsables de ce coup d'État, dont Tallien et Barras, expliquent que, de toute façon, c'était lui ou eux, ils n'avaient plus le choix.
Dumas rend compte de la controverse autour de
Robespierre. « Est-ce là la demeure du méchant homme qu'on veut faire croire un tyran ? » dit sa logeuse, femme d'un menuisier, eux aussi arrêtés de façon cruelle et injuste car le pouvoir change de main. Éva observe la chambre modeste où vivait ledit tyran et s'interroge : « Est-ce que je m'étais trompée ? » avant de se raviser :
« inflexible mais incorruptible », « son inflexibilité l'a conduit trop loin, elle en a fait un homme sanglant, haï de tous. »
À la lecture de ce livre, on comprend mieux pourquoi il a fallu attendre 1848 pour que la Deuxième République voie le jour, à nouveau de manière éphémère puisqu'elle fut renversée par
Napoléon III et le Second Empire. « Rome ne s'est pas faite en un jour » dit le proverbe et l'Histoire contemporaine, qui a fondé notre régime politique républicain, ne fut pas un long fleuve tranquille.
Quant à la partie romanesque du livre, l'histoire d'amour contrariée entre Jacques Mérey et Éva, elle ne m'a pas plu car je trouve qu'elle a mal vieilli. Éva, quand elle est avec Jacques, s'étiole, est trop soumise, elle n'est plus cette héroïne forte et courageuse qui ressemble à Charlotte Corday. Jacques est son pygmalion, son créateur.
La Fille du marquis est le deuxième tome d'un diptyque intitulé Création et Rédemption. Rédemption, expiation, après quelle faute ? Éva croyait que Jacques était mort lorsqu'il la retrouve avec Barras. Cette relation n'était pas librement consentie comme elle le raconte dans son manuscrit que Jacques a pourtant lu. « N'essaye pas de me reprendre à lui, ou je t'accuse », dit Éva à Barras, « ou je dis tout haut de quelle ruse tu t'es servi pour me perdre, ou je crie à la violence. » Autre temps, autres moeurs… J'espère que, de nos jours, une femme n'a plus à s'excuser d'avoir été violentée, voire violée, parce que son amant s'estime trahi...