Cherchant un livre reposant ou peut-être parce que la maison des Ratons passe en ce moment par une phase pirate, je me suis laissée tentée par cette autobiographie de
Long John Silver. J'ai lu
L'Ile au trésor de
Stevenson il y a bien longtemps, puisque je me souviens en avoir tiré une fiche de lecture alors que j'étais en 5ème, mais mes souvenirs sur ce livre ne vont pas plus loin que cela. Et ce n'est pas cette autobiographie, qui mêle allègrement personnages de fiction (Jim Hawkins n'a pas existé, n'est-ce pas ?) et personnages historiques tels que Taylor, England ou Defoe (oui, celui-là dépareille un peu dans le paysage, et ce malgré son Histoire des plus fameux pyrates), qui me dispensera d'une relecture du classique de
Stevenson (lui on ne peut plus absent du livre, et c'est normal puisqu'il ne vivra qu'un bon siècle plus tard), car cet épisode est à peine survolé dans ce livre.
Il faut même, pour éviter les déceptions, dissiper d'éventuelles attentes infondées. Ce récit n'est pas un roman d'aventure, c'est un homme maintenant vieux et un peu gâteux qui se retourne sur sa vie, et qui essaie non pas de se justifier, mais d'en exposer le fil direct, le principe qui l'a guidé, et qui est le point sur lequel le
Long John Silver vieillissant revient sans cesse. « Non, ma vie n'a été qu'une navigation à l'estime, mais peut-être vais-je avoir le temps de parvenir à déterminer ma position avec certitude avant de m'échouer. » (p. 227, Chapitre 19).
Il est ici question avant tout de liberté, de la liberté totale de vivre comme on l'entend, même si c'est au mépris, et souvent aux dépens des autres, parfois même au prix de leur vie. Anarchiste jusqu'au bout des ongles et au-delà,
Long John Silver se révèle comme un être uniquement intéressé par son existence et son indépendance, l'or et les beuveries légendaires des pirates ne sont pour lui que secondaires. Calculateur, manipulateur, sachant attendre son heure, sachant ne pas se mettre en avant afin de toujours pouvoir mieux retourner sa veste, ce n'est pas un personnage sympathique que décrit Larsson, mais je n'ai pu me résoudre à le détester, tant sa soif inextinguible de liberté le rend paradoxalement attachant (comme personnage de roman, je ne m'aventurerais pas à en dire autant pour ce qui est de la vie de tous les jours !), et ce d'autant que Larsson replace
Long John Silver dans le contexte de son époque, celui du florissant commerce maritime où la vie des marins comptait moins que la cargaison ou même que l'honneur du capitaine, celui de la belle époque du commerce triangulaire, avec son cortège d'ignominies et de maladies.
Dans ce monde, les pirates étaient ces marins qui avaient préféré vivre, même avec la potence pour seul horizon plutôt que de sauter à la suite de leur capitaine lorsque leur bateau était capturé. Et il est tout à l'honneur de Larsson comme de
Long John Silver de porter un regard sans complaisance sur cette époque que l'on romantise souvent bien au-delà de toute vraisemblance. Les pirates, ce n'est pas seulement la vie insouciante et le rhum qui coule à flot, c'est un monde dur, dont un noeud coulant est plus que souvent l'issue. « Non, le temps des pirates est révolu et c'est très bien ainsi, croyez-moi. Ils étaient peut-être lancés à la poursuite de la fortune, mais je peux vous dire qu'ils sont bien souvent tombés à bas de leur coursier et se sont brisé la nuque. Ce n'est pas vraiment quelque chose qui vaille la peine de prendre autant de risques, si vous voulez mon avis. Et je vous le donne. Ils ont peut-être été heureux, d'une certaine façon, mais à quoi cela sert-il, maintenant ? Et c'est vrai pour tous, sans exception. Parce qu'ils avaient une règle, parmi eux, qui était que nul n'était supérieur aux autres, ni dans la vie ni dans la mort. », déclare sur le tard
Long John Silver (p. 405, Chapitre 31).
Voici donc, sous couvert d'un roman léger, un livre plutôt sombre, qui veut donner une image honnête de la marine et de la piraterie du XVIIIème siècle. Il y a probablement quelques longueurs car le fil directeur de l'histoire, la volonté de liberté à tout prix, est vite exposé et trop souvent ressassé pour maintenir le souffle dans ce roman. Mais pour qui connait pas cette période et veut la visiter en compagnie d'un guide de toute première crédibilité et de grande franchise, c'est le livre qu'il faut.
Et malgré la pesanteur que peut avoir le sujet, je veux finir ces quelques lignes en me berçant de l'idée illusoire que
Long John Silver, malgré son obnubilation pour sa liberté si chèrement conquise et défendue, pouvait s'appuyer au bastingage, parfois, en longeant une côte et se prendre à rêver, à seulement contempler le paysage. Peut-être dans une autre vie, dans un autre monde aurait-il pu être poète : « C'est un fait étrange – et pourtant avéré – que chaque océan a sa couleur, ses nuances différentes et particulières de bleu, de vert et de gris qui sont le fruit des courants, des vents., des tempêtes de sable, de l'inclinaison du soleil, des nuages et de la température, mélange qui donne la composition de chacune de ces mers. C'était bien pour voir cela et le découvrir que j'avais vécu. Cela ne s'oublie pas si facilement, dans une vie comme la mienne. » (p. 299, Chapitre 25).