Il n'est pas nécessaire de dévorer des montagnes de livres pour comprendre l'atrocité, l'inhumanité, la cruauté viscérale d'une guerre. Un seul. Nul besoin d'entasser des définitions et d'émettre des cris pour comprendre ce qu'est un génocide organisé. Un seul. Inutile de collecter des milliers de témoignages pour se faire une idée du traumatisme vécu par ceux qui ont échappé in extremis au carnage des camps de la mort. Un seul. Pas la peine de faire de multiples schémas détaillés pour expliquer le processus de déshumanisation savamment médité pour anéantir toute trace de culture et faire de vous des bêtes aux abois. Un seul, oui, un seul ! Un seul livre... si c'est un livre ; un seul cri... si c'est un cri ; un seul témoignage... si c'est témoignage ; un seul document... si c'est un documentaire. Un seul et vous serez vacciné à jamais.
Ce livre est d'une puissance évocatrice et didactique incalculable, une véritable bombe qui nous explose au visage. Un vibrant plaidoyer, à ma connaissance inégalé et probablement inégalable, qui devrait figurer, plus encore que les lieux mêmes d'Auschwitz, sur la liste du patrimoine mondial à préserver coûte que coûte. Avec ce livre on prend conscience plus qu'avec tout autre de la fonction de "mémoire" d'un écrit. Pour nos enfants, pour nos petits-enfants et pour les petits-enfants de leurs arrière-petits-enfants et bien davantage encore, pour ne jamais oublier, pour ne jamais recommencer. Jamais - JAMAIS !
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"C'est pourquoi nous avons tous le devoir de méditer sur ce qui s'est produit. Tous nous devons savoir, ou nous souvenir, que lorsqu'ils parlaient en public, Hitler et Mussolini étaient crus, applaudis, admirés, adorés comme des dieux. C'étaient des "chefs charismatiques", ils possédaient un mystérieux pouvoir de séduction qui ne devait rien à la crédibilité ou à la justesse des propos qu'ils tenaient mais qui venait de la façon suggestive dont ils les tenaient, à leur éloquence, à leur faconde d'histrions, peut-être innée, peut-être parfaitement étudiée et mise au point. Les idées qu'ils proclamaient n'étaient pas toujours les mêmes et étaient en général aberrantes, stupides et cruelles ; et pourtant ils furent acclamés et suivis jusqu'à leur mort par des milleirs de fidèles. Il faut rappeler que ces fidèles, et parmi eux les exécuteurs zélés d'ordres inhumains, n'étaient pas des bourreaux-nés, ce n'étaient pas - sauf rares exceptions - des monstres, c'étaient des hommes quelconques. (...)
Déjà mon corps n'est plus mon corps. J'ai le ventre enflé, les membres desséchés, le visage bouffi le matin et creusé le soir; chez certains, la peau est devenue jaune, chez d'autres, grise; quand nous restons trois ou quatre jours sans nous voir, nous avons du mal à nous reconnaître.
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur,
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants,
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
APPENDICE Je n'ai pardonné à aucun des coupables, écrit-il, et jamais, ni maintenant ni dans l'avenir, je ne leur pardonnerai, à moins qu'il ne s'agisse de quelqu'un qui ait prouvé qu'il est aujourd'hui conscient des fautes et des erreurs du fascisme, et qu'il est résolu à les condamner et à les extirper de sa propre conscience et de celle des autres. Dans ce cas-là, alors, oui, bien que non chrétien, je suis prêt à pardonner, à suivre le précepte juif et chrétien qui engage à pardonner à son ennemi; mais un ennemi qui se repent n'est plus un ennemi. Certes, il n'est pas facile d'échapper à tous les conditionnements, mais du moins peut-on choisir le conditionnement que l'on préfère. On a invente au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n'a jamais été aussi lourde de haine et de mépris. Chacun sait que l'œuvre d'extermination atteignit une ampleur considérable. Bien qu'ils fussent engagés dans une guerre très dure, et qui plus est devenue défensive, les nazis y déployèrent une hâte inexplicable : les convois des victimes à envoyer aux chambres à gaz ou à évacuer des Lager proches du front, avaient la priorité sur les trains militaires. Si l'extermination ne fut pas portée à terme, c'est seulement parce que l'Allemagne fut vaincue, mais le testament politique dicté par Hitler quelques heures avant son suicide, à quelques mètres de distance des russes, s'achevait sur ces mots : "avant tout, j'ordonne au gouvernement et au peuple allemand de continuer à appliquer strictement les lois raciales, et de combattre inexorablement l'empoisonneuse de toutes les nations, la juiverie internationale." […] On ne peut pas, me semble-t-il, expliquer un phénomène historique en en attribuant toute la responsabilité à un seul individu (ceux qui ont exécuté des ordres contre nature ne sont pas innocents!) […] Peut-être que ce qui s'est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c'est presque justifier. En effet, " comprendre " la décision ou la conduite de quelqu'un, cela veut dire (et c'est aussi le sens étymologique du mot) les mettre en soi, mettre en soi celui qui en est responsable, se mettre à sa place, s'identifier à lui. Eh bien, aucun homme normal ne pourra jamais s'identifier à Hitler, à Himmler, à Goebbels, à Eichmann, à tant d'autres encore. […] Dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel : c'est une haine qui n'est pas en nous, qui est étrangère à l'homme, c'est un fruit vénéneux issu de la funeste souche du fascisme, et qui est en même temps au-dehors et au-delà du fascisme même. Nous ne pouvons pas la comprendre; mais nous pouvons et nous devons comprendre d'où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire, parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et obscurcies: les nôtres aussi. C'est pourquoi nous avons tous le devoir de méditer sur ce qui s'est produit. Tous nous devons savoir, ou nous souvenir, que lorsqu'i1s parlaient en public, Hitler et Mussolini étaient crus, applaudis, admirés, adorés comme des dieux. C'étaient des " chefs charismatiques ", ils possédaient un mystérieux pouvoir de séduction qui ne devait rien à la crédibilité ou à la justesse des propos qu'ils tenaient mais qui venait de la façon suggestive dont ils les tenaient, à leur éloquence, à leur faconde d'histrions, peut-être innée, peut-être patiemment étudiée et mise au point. Les idées qu'ils proclamaient n'étaient pas toujours les mêmes et étaient en général aberrantes, stupides ou cruelles ; et pourtant ils furent acclamés et suivis jusqu'à leur mort par des milliers de fidèles. Il faut rappeler que ces fidèles, et parmi eux les exécuteurs zélés d'ordres inhumains, n'étaient pas des bourreaux-nés, ce n'étaient pas - sauf rares exceptions - des monstres, c'étaient des hommes quelconques. Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter, comme Eichmann, comme Höss, le commandant d'Auschwitz, comme Stangl, le commandant de Treblinka, comme, vingt ans après, les militaires français qui tuèrent en Algérie, et comme, trente ans après, les militaires américains qui tuèrent au Viêt-nam. Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voies que par la raison, autrement dit des chefs charismatiques : nous devons bien peser notre décision avant de déléguer à quelqu'un d'autre le pouvoir de juger et de vouloir à notre place. Puisqu'il est difficile de distinguer les vrais prophètes des faux, méfions-nous de tous les prophètes ; il vaut mieux renoncer aux vérités révélées, même si elles nous transportent par leur simplicité et par leur éclat, même si nous les trouvons commodes parce qu'on les a gratis. Il vaut mieux se contenter d'autres vérités plus modestes et moins enthousiasmantes, de celles que l'on conquiert laborieusement, progressivement et sans brûler les étapes, par l'étude, la discussion et le raisonnement, et qui peuvent être vérifiées et démontrées. Bien entendu, cette recette est trop simple pour pouvoir s'appliquer à tous les cas : il se peut qu'un nouveau fascisme, avec son cortège d'intolérance, d'abus et de servitude, naisse hors de notre pays et y soit importé, peut-être subrepticement et camouflé sous d'autres noms ; ou qu'il se déchaîne de l'intérieur avec une violence capable de renverser toutes les barrières. Alors, les conseils de sagesse ne servent plus, et il faut trouver la force de résister : en cela aussi, le souvenir de ce qui s'est passé au coeur de l'Europe, il n'y a pas si longtemps, peut être une aide et un avertissement.
« Nous avons lutter de toutes nos forces pour empêcher l’hiver de venir. Nous nous sommes agrippés à toutes les heures tièdes ; à chaque crépuscule nous avons cherché à retenir encore un peu le soleil dans le ciel, mais tout a été inutile. Hier soir, le soleil s’est irrévocablement couché dans un enchevêtrement de brouillard sale, de cheminées d’usines et de fils ; et ce matin, c’est l’hiver . »
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