J'avais déjà croisé
Annemarie Schwarzenbach dans "Le tournant" l'excellente autobiographie de
Klaus Mann, puis quelque temps plus tard dans un récit de voyages d'
Ella Maillard et enfin il y a à peine un mois dans "
L'ombre de la route de la soie" de
Colin Thubron, le travel writter anglais qui a parcouru une partie de la route qu'avaient empruntée Annemarie et Ella dans les années 30 à bord de la Ford payée par le papa de la suissesse. J'étais intrigué par la destinée de cette petite fille de "riches" (une des plus grosses fortunes de Suisse amassée dans le négoce du textile) , à la beauté longiligne et androgyne , morte à 34 ans d'une banale chute de vélo.
La biographie qu'en offre
Dominique Laure Miermont est en tous points exemplaire. L'auteure est d'ailleurs la principale traductrice en français des oeuvres d'
Annemarie Schwarzenbach.
Sa vie peut être comparée, même si c'est un lieu commun, à une météorite. Un cours passage flamboyant dans la nuit des Temps.
Comme l'on dit d'une personne choyée par les Dieux à sa naissance : elle avait tout pour réussir ; autre lieu commun...Etudes plutôt brillantes à Zurich et à Paris, riche, belle, son avenir était tracé conformément aux voeux de sa famille très conservatrice : beau mariage, belle maison, et pleins d'enfants ! le système KKK à l'allemande qui convient parfaitement à cette Suisse alémanique encore plus corsetée que la francophone.
Au désespoir de ses parents la jeune Annemarie va , une fois ses études terminées, se réapproprier sa vie. Sa grande ambition sinon sa grande passion c'est l'écriture...et les voyages.
Dans l'Europe de l'après première guerre mondiale une grande partie du l'intelligentsia sonnée par ce qui apparaît comme un suicide collectif va essayer de trouver de nouveaux moyens d'action pour éviter "que cela se reproduise". Et il est temps car les années trente voient l'émergence de nouvelles forces politiques en Allemagne, en Italie, mais aussi dans la Mittel Europa si proche de la Suisse. En Allemagne Hitler est déjà au pouvoir et les juifs comme les gens un tant soit peu de gauche sont indésirables. On ouvre des camps.
Annemarie Schwarzenbach sera de ce combat là. Elle fera connaissance des enfants Mann, Klaus et Erika, (qui sont à la pointe du combat contre Hitler, leur père
Thomas Mann étant déjà réfugié en Suisse ), avec qui elle conservera toujours des liens très forts , même si sa biographe ne peut s'empêcher de regretter à demi-mots que ces rencontres eurent lieu. En effet ce sont les deux enfants Mann qui lui feront découvrir les paradis artificiels, notamment la morphine dont elle ne pourra jamais plus se passer et qui est sans doute un élément de son décès.
Pour comprendre la destinée de cet "ange foudroyé" ,comme l'appelle
Dominique Laure Miermont, il faut avoir à l'esprit la profonde et constante insatisfaction qui taraude Annemarie. Insatisfaction dont les ressorts sont certainement à chercher dans son enfance mais pas uniquement.
Annemarie est doublement en porte-à-faux. Par ses choix amoureux, elle préfère les femmes et son besoin maladif de se faire aimer se solde souvent par des échecs répétés . Par ses choix de vie elle est écartelée entre le besoin d'indépendance ( d'où de nombreux articles qu'elle écrivit dans les journaux suisses) et le besoin récurrent de retrouver sa famille à Zurich. Famille dont les subsides contribuent au train de vie très aisé d 'Annemarie.
Pendant la courte douzaine d'année de sa vie "publique" , le lecteur est sidéré par l'instabilité vibrionnante qui préside à son existence. Alors que les voyages étaient moins faciles et plus longs qu'aujourd'hui, Annemarie est continuellement en déplacement : Berlin, Prague, Paris, Turquie, Perse...Perse où elle trouve le moyen de se marier avec un diplomate français ; un mariage à éclipses puisque Annemarie est perpétuellement en "quête".
Elle fait quelques voyages aux Etats-Unis où elle retrouve Klaus et
Erika Mann. Les liaisons amoureuses ne durent jamais longtemps et l'emprise des drogues est plus forte que jamais : elle enchaîne les cures de désintoxication. A fonds perdus.
Avec une auto achetée par son père , elle part avec la déjà célèbre
Ella Maillart sur la Route de la soie. Un exploit. Mais, même si sa biographe ne s'appesantit pas trop là dessus, on comprend bien que beaucoup de choses séparent l'alémanique romantique de la positive et pratique genevoise ! Elles se quittent en Afghanistan. Et toujours cette impérative nécessité de trouver le bonheur, l'équilibre. Par tous les moyens : l'écriture bien sûr, mais aussi l'amour, l'amitié, et hélas les drogues.
Peu avant sa fin tragique, alors que le monde est à nouveau en guerre, elle entreprend un voyage en Afrique pour plusieurs journaux helvétiques auxquels elle a promis des articles et des photos. Huit mois de voyage difficile au coeur des ténèbres. C'est peu de temps après son retour dans sa maison de Sils, dans les Grisons, qu'elle décèdera des suites d'une chute de vélo.
Ce livre , s'il rend justice à
Annemarie Schwarzenbach, vaut autant pour moi par l'évocation de la vie intellectuelle dans les années trente. On y croise bien sûr tous les écrivains allemands et suisses (beaucoup d'inconnus...), des musiciens....On y croise
Claude Bourdet qui fut l'ami d'Annemarie,
Carson Mc Cullers la grande écrivaine américaine qui tomba amoureuse d'Annemarie. Au fil de ses innombrables voyages c'est toute l'Europe intellectuelle qui défile. C'est ce qui m'a le plus intéressé , car je l'avoue, je n'ai pas eu d'empathie avec l'héroïne. Certes c'est une jeune femme talentueuse (musicienne, écrivaine, journaliste,photographe...), mais décidément sa personnalité a eu le don de souvent m'irriter. Cela tient peut-être au fait que, comme l'on dit, "elle est née avec une cuiller d'argent dans la bouche" ! même si à la fin de sa courte vie les ennuis d'argent apparaissent , la fortune familiale étant obérée par la guerre. Ce n'est pas tant le fait qu'elle fut riche qui m'indispose (il faudrait alors mettre à la trappe tous les
Proust,
Gide,Mauriac etc..) mais son attitude souvent d'enfant gâtée devant les aléas de la vie. Elle me fait diablement penser à notre
Françoise Sagan nationale ! même vie à cent à l'heure (Annemarie adore les voitures et c'est elle qui conduira la majeure partie du temps lors de son voyage avec
Ella Maillart ) , même origines bourgeoises, même addiction aux drogues les plus diverses, et à la clope qui leur ronge les poumons ,même "bougeotte" de voyages. La différence entre les deux tient à la considération des milieux littéraires .
Françoise Sagan est très vite reconnue , au contraire de la suissesse qui peinera toujours à se faire reconnaître comme écrivain. de là vient certainement une part non négligeable de son mal être.
Cette belle biographie est agrémentée de nombreuses photos d 'Annemarie , des photos d'elle bien sûr, et des photos de ses voyages dont elle est elle même l'auteur.