"Je me voyais déjà tout en haut de l'affiche! En dix fois plus grand, mon nom s'étalait," IRÉNÉE !
Pardon, Charles Aznavour...
Écoutez le chant des cigales qui disent: tss tss tss, à Irénée, ce provincial naïf, qu'il est peut être le dindon de la farce..
Té, ce grand couillon, comme l'appelle son oncle, a forcé sur le pastis, et croit qu'on lui a fait un contrat pour devenir acteur, chez Meyerboom, à ... Paris!
Vous connaissez le livre, le film et Fernandel dans ce beau rôle ?
"Tout condamné à mort, aura la tête tranchée!"
Irénée, le Schpountz ( à vos souhaits! C'est à cause du Mistral) a un certain...génie, sans le savoir.
Re plongez dans ces dialogues savoureux, avé cet assent qui chante, qui vous traîne, vous entraîne et qui n'en finit pas...
Et puis, et puis, il y a un Casimir. Si, si, le frère!
Mais, malheureux, le frère qui a vendu un baril d'anchois, plein de champignons verts, en faisant croire que c'était des anchois des Tropiques! Vouai, môssieu!
Du gloubi boulga....
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Le Schpountz
Scènes tirées du film de Marcel Pagnol
Une petite salle à manger, dans l'arrière-boutique d'une épicerie de village. Le mobilier est modeste, mais bourgeois. Il y a une suspension. Quatre personnes sont à table.
Il y a l'oncle Baptiste Fabre, qui a cinquante ans. Il est gros et gras, avec une moustache grisonnante, il a des yeux pleins de bonté.
En face de lui, il y a sa femme Clarisse. Elle est sans doute un peu plus jeune. A gauche et à droite, entre eux, il y a leurs deux neveux : Irénée et Casimir. Ils ont le grand tablier bleu des épiciers.
On est au repas du soir et la tante sert le fromage.
L'oncle Baptiste, par hasard, n'est pas de bonne humeur, et il ronchonne.
L'ONCLE : C'est toujours la même chose. Et ça sera toujours la même chose. On ne saura jamais, on ne saura jamais qui c'est qui a laissé la corbeille de croissants sous le robinet du bidon de pétrole. Non, ça on ne le saura pas. Et j'aurais beau faire une enquête policière, voilà une affaire dont je ne saurai jamais rien.
CASIMIR : En tout cas, il y a une chose que je sais, c'est que ce n'est pas moi.
LA TANTE : Moi, j'étais à la messe. Je sais que ce n'est pas moi non plus.
L'ONCLE : Alors, qui est-ce ?
Il regarde Irénée d'un air soupçonneux.
IRÉNÉE (innocent) : C'est peut-être un client de l'épicerie qui en voulant prendre un croissant a tiré le panier sans faire attention, et de telle façon que le panier de croissants est venu se placer sous le robinet du bidon de pétrole ?
L'ONCLE : Tu en as pris, toi, des croissants ?
IRÉNÉE : Oui, naturellement, j'en ai pris ce matin pour mon petit déjeuner. Pour me nourrir.
L'ONCLE : Ça, non.
IRÉNÉE : Pourquoi ça non ?
L'ONCLE : Parce que tu manges, mais tu ne te nourris pas. Celui qui te nourrit, c'est moi... Ton père, qui était mon frère, ne l’aurait pas fait. C’était un brave homme, oui, mais il n’aimait pas qu’on se fiche de lui.
IRÉNÉE : Tu me l'as déjà dit bien souvent.
L'ONCLE : Et ça n’a jamais servi à rien.
IRÉNÉE (souriant) : Alors à quoi ça sert de me le redire ?
L'ONCLE : Oh! Je sais bien que j'ai tort. J'ai tort d'espérer qu'un jour tu comprendras qu'il faut travailler pour vivre, et que le métier d'épicier est aussi honnête qu'un autre, et qu'un grand galavard de vingt-cinq ans pourrait fort bien aider son oncle, oncle qui l'a recueilli, qui l'a nourri, et qui continue à le nourrir, en s'esquintant le tempérament.
IRÉNÉE : Je vois clairement où tu veux en venir. Tu vas me dire que je suis un bon à rien.
L'ONCLE : Oh que non ! Bon à rien, ce serait encore trop dire. Tu n'es pas bon à rien, tu es mauvais à tout. Je ne sais pas si tu me saisis, mais moi, je me comprends.
IRÉNÉE : Je te saisis, et je suis profondément blessé.
Il essuie une larme.
L'ONCLE : Voilà comme il est! Il fait des grimaces et tout ce qu'on peut lui dire il s'en fout. Ton frère, au moins, lui, il est reconnaissant. Lui, il travaille dans le magasin, et il met un point d'honneur, lui, à se tenir au courant de nos difficultés. (A voix basse.) Le baril d'anchois qui était moisi, c'est lui qui a réussi à le vendre à M. Carbonnières, l'épicier des Accates... Et pourtant c'était difficile : les anchois avaient gonflé, ils étaient pleins de petits champignons verts, on les aurait pris pour des maquereaux. Eh bien, il l'a vendu, ce baril !
IRÉNÉE : Il est aveugle, Monsieur Carbonnières ?
CASIMIR (modeste) : Je lui ai dit que c'étaient des anchois des Tropiques.
L'ONCLE (ravi) : Voilà! Voilà l'idée, voilà l'imagination! Il a trouvé ça, lui !
IRÉNÉE : Oh lui, lui, moi je sais bien ce que c'est qui lui a monté l'imagination, à lui.
CASIMIR : Et qu'est-ce que c'est ?
IRÉNÉE (à son frère) : Tu savais très bien que ces anchois, si tu ne les avais pas vendus, c'est nous qui les aurions mangés. Oui, ici, sur cette table, les anchois des Tropiques, nous les aurions vus tous les jours. Jusqu'à la fin du baril, ou jusqu'aux obsèques tropicales de la famille.
L'ONCLE : Qu’est-ce que ça veut dire ?
IRÉNÉE : ça veut dire que ce pâté de foie, c’est celui que tous tes clients te refusent parce qu’il a tourné. Alors, depuis huit jours, il est sur cette table, lui, aigrement, pour me nourrir. Mais pas si bête ! Je mangerais plutôt de la mort-aux-rats… Et ce rôti de porc ? Il est avarié. Il y a une personne qui en a mangé une tranche, c’est madame Graziani. (Dramatique) Je dis « c’est » parce que nous sommes aujourd’hui… Mais demain il faudra peut-être dire « c’était », parce qu’elle est couchée depuis cette tranche, et à l’heure qu’il est, elle est peut-être à l’agonie – tranchée. Adieu, Graziani !
Il fait un signe de croix.
LA TANTE : Oh Irénée ! Qu’est-ce que tu dis ? Elle a soixante-seize ans, elle a pris une indigestion…
IRÉNÉE : Il faudrait qu’elle n’ait plus de lunettes, plus de palais, plus d’odorat pour s’offrir une indigestion de ce rondin malsain de viande ambulante ! Et il en reste pour demain ! On devrait l’attacher dans l’assiette, Parce que cette nuit, il va s’en aller !
LA TANTE : Ce qu’il faut entendre !
L'ONCLE (serein) : Laisse-le dire, Clarisse. L’exagération de sa critique en démontre l’absurdité. Cette viande est excellente, et j’an ai mangé par gourmandise.
IRÉNÉE : Oh mais toi, tu as l’habitude ! En ce qui concerne les poisons alimentaires, tu es vacciné, fortifié, blindé. Il les avale, il les digère, il les distille. C’est un véritable alambic. C’est l’alambic des Borgia.
L'ONCLE : Dis-moi, tu m’appelles alambic, grossier ?
LA TANTE : Irénée, tu sais que si l'oncle se met en colère...
IRÉNÉE : Oh! Si l'oncle se met en colère, il va s'étouffer comme d'habitude. Et ça me ferait de la peine parce que l'oncle, malgré sa sauvagerie envers moi, je l'aime beaucoup.
La porte sonne.
CASIMIR : Qu'est-ce que c'est ?
La face d'un client paraît au guichet.
LE CLIENT : Vous en avez encore des anchois des Tropiques ?
L'ONCLE : Non. Pour le moment, nous en manquons.
LE CLIENT : Et quand c'est que vous en aurez ?
IRÉNÉE : Oh! Il faut du temps pour les faire! Dans deux ou trois mois, quand ils seront mûrs.
LE CLIENT : Et je pourrais en trouver ailleurs ?
IRÉNÉE : Impossible.
CASIMIR : Spécialité de la maison.
LE CLIENT : Alors, tant pis. Merci quand même !
On entend encore une fois la sonnette qui tinte, pour la sortie du client. L'oncle se lève, et serre la main de Casimir avec enthousiasme.
L'ONCLE : Bravo! (à Irénée) Voilà une fière leçon pour toi! Admire cet enfant! (il prend affectueusement Casimir par les épaules). Il nous arrive une catastrophe, un désastre. Cinquante kilos d'anchois se moisissent sans rien dire. Eh bien lui, de notre désastre, il fait une Spécialité. Il crée un poisson nouveau, un poisson auquel Dieu n'avait pas pensé, et il en fait une friandise inconnue !
IRÉNÉE : Il a peut-être eu tort de vendre tout le paquet au même épicier, celui des Accates. Parce que ce paisible village, sa friandise va peut-être le dépeupler en quinze jours, car le poisson nouveau va les empoisonner.
L'ONCLE (sarcastique) : C'est ça. Dénigre-le! Reproche-lui son initiative! Casimir, je te félicite. Voilà dix francs pour tes menus plaisirs. Et n'écoute pas les sarcasmes de l'Inutile (un temps). J'ai une envie terrible de me mettre en colère.
LA TANTE : Non, Baptiste, non. Tu vas t'étouffer.
L'ONCLE : Est-ce que ça ne vaut pas la peine que je m'étouffe une fois de plus quand j'entends des choses pareilles ? Mais nom de dieu de Trafalgar ! Est-ce que c’est imaginable, un individu qui ne veut pas travailler ?
IRÉNÉE (il le coupe) : Pardon, je ne veux pas travailler à l'épicerie, c'est tout. Quand je me vois dans cette boutique....
L'ONCLE (violent) : Ce n'est pas une boutique. C'est un magasin. Je te le dis pour la cinq centième fois.
IRÉNÉE : Si tu veux. Quand je me vois dans ce magasin, entre la morue sèche et le roquefort humide, eh bien, ça me donne mal au cœur. De discuter sur la qualité des pommes de terre avec Madame Leribouchon, qui veut toujours les payer un sou de moins, ça ne m'intéresse pas. Je ne suis pas né pour ça.
L'ONCLE : Et pour quoi es-tu né ?
IRÉNÉE (mystérieux) : Pour une autre carrière. Je suis sûr que j'ai un don.
L'ONCLE : Si tu possèdes quelque chose, c'est certainement un don. Parce qu'avec l'argent que tu as gagné tu n'as pas pu t'acheter grand-chose.
IRÉNÉE : Je parle d'un don naturel. Un don de naissance. Un don de Dieu.
LA TANTE (sarcastique et souriante) : Ça nous fait bien plaisir d'apprendre que tu as un don de Dieu.
L'ONCLE : En dehors de ton appétit, de ta grande gueule et de ta paresse, qu'est-ce que Dieu a bien pu te donner ?
IRÉNÉE : Un talent, un talent caché.
L'ONCLE : Bien caché.
CASIMIR : Moi, je sais ce que c’est.
IRÉNÉE (avec violence) : Si tu le dis, après les promesses que tu m’as faites, tu seras un homme déshonoré.
CASIMIR : Je ne le dis pas. Je dis seulement que c’est vrai, que tu as un talent caché, et que moi je le sais depuis longtemps.
L'ONCLE : Et ça peut rapporter quelque chose, ce talent?
IRÉNÉE : Des millions, simplement.
L'ONCLE : Des millions de quoi?
IRÉNÉE : De francs.
L'ONCLE (navré) : Folie des grandeurs. Il ne lui manquait plus que ça !
IRÉNÉE : Tu ne me crois pas. Je le savais.
L'oncle se lève, brusquement exaspéré.
L'ONCLE : Tu sais combien il faut vendre de morues sèches pour gagner un million de francs ?
IRÉNÉE : Non, et je ne veux pas le savoir. Mais moi, je gagnerai des millions, parce que j’ai un don.
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Dans la chambre
Irénée prépare ses bagages : il entasse des costumes - qui ne sont pas bien nombreux – dans une vielle valise. L’oncle, goguenard, le regarde faire.
L'ONCLE : Alors, c’est décidé, tu pars ?
IRÉNÉE : Qui m’en empêcherait ?
L'ONCLE : Oh pas moi ! Remarque que j’aurai pu le faire. Les farceurs qui t’ont fait la blague sont encore à l’hôtel Boulégon. J’aurais pu aller les voir, leur expliquer que leur charmante plaisanterie pouvait avoir des sui
Irénée : Allez Françoise, celui qui rit d'un autre homme, c'est qu'il se sent supérieur à lui! Celui qui fait rire tout le monde, c'est qu'il se montre inférieur à tous...
Françoise : Il se montre peut-être, mais il ne l'est pas.
Irénée : Pourquoi ?
Françoise : Parce que l'acteur n'est pas l'homme ! Vous croyez que parce que Charlot reçoit, à l'écran de grands coups de pied au derrière, Mr Charlie Chaplin accepterait dans la vie, seulement une gifle?... Il en donnerait plutôt.
Oh non, c'est un grand chef, dans la vie, Mr Chaplin...
Quand on fait rire sur la scène ou sur l'écran, on ne s'abaisse pas, bien au contraire...
Celui qui fait rire les êtres qui ont tant de raisons de pleurer, celui là leur donne la force de vivre et on l'aime comme un bienfaiteur...
On devrait dire Saint Molière, on pourrait dire Saint Charlot...!
L'ONCLE : C'est toujours la même chose. Et ça sera toujours la même chose. On ne saura jamais, on ne saura jamais qui c'est qui a laissé la corbeille de croissants sous le robinet du bidon de pétrole. Non, ça on ne le saura pas. Et j'aurais beau faire une enquête policière voilà une affaire dont je ne saurai jamais rien
CASIMIR : En tout cas, il y a une chose que je sais c'est que ce n'est pas moi.
LA TANTE : Moi, j'étais à la messe. Je sais que ce n'est pas moi non plus.
L'ONCLE : Alors qui est-ce ?
IRENEE : C'est peut-être un client de l'épicerie qui en voulant prendre un croisant a tiré le panier sans faire attention, et de telle façon que le panier de croissants est venu se placer sous le robinet du bidon de pétrole.
L'ONCLE : Tu en as pris, toi, des croissants ?
[Marcel PAGNOL, "Le Schpountz", 1937, Première partie -pages 7 & 8 des Editions de Fallois, collection "Fortunio"]
Une petite salle à manger, dans l'arrière-boutique d'une épicerie de village. Le mobilier est modeste, mais bourgeois. Il y a une suspension. Quatre personnes sont à table.
Il y a l'oncle Baptiste Fabre, qui a cinquante ans. Il est gros et gras, avec une moustache si grisonnante, il a des yeux pleins de bonté.
En face de lui, il y a sa femme Clarisse. Elle est sans doute un peu plus jeune. Sa poitrine est énorme. Et pourtant dans l'ensemble elle n'est pas très grosse.
A gauche et à droit, entre eux, il y a leurs deux neveux. Irénée et Casimir. Ils ont le grand tablier bleu des épiciers.
On est au repas du soir et la tante sert le fromage.
L'oncle Baptiste, par hasard, n'est pas de bonne humeur, et il ronchonne....
(lever de rideau de l'édition de poche parue en 1975)
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L'Oeil de Pierre Lescure - Un musée Pagnol : la Gloire de Marcel