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Cycle Tokyo tome 2 sur 3

Jean-Paul Gratias (Traducteur)
EAN : 9782743621254
346 pages
Payot et Rivages (01/09/2010)
3.53/5   46 notes
Résumé :
Par une nuit d'hiver, un écrivain court à perdre haleine dans les rues de Tokyo. Une ville peuplée de survivants et de fantômes, dévastée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Une ville où le crime a frappé.

Le 26 janvier 1948, un homme se présente dans une succursale de la Banque Impériale. Il dit être un médecin envoyé par le ministère de la Santé pour procéder à une vaccination du personnel à cause d'un cas de dysenterie signalé dans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Cet ouvrage est le deuxième volume d'une trilogie que l'auteur a consacré à la capitale japonaise après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a été publié en 2009, 2 ans après le premier tome "Tokyo Année Zéro". le 3ème et dernier volume sortira (apparemment avec un léger retard) le 21 juillet prochain. le titre en est "Tokyo Redux" que l'on pourrait traduire à la rigueur par 'Tokyo à nouveau'.

David Peace est né en 1967 près de Leeds en Angleterre. Sur sa région natale il a publié le quatuor du Yorkshire, 4 thrillers très noirs qui portent comme titre une année : 1974, 1977, 1980 et 1983. En 2006, il a écrit un ouvrage politique sur les années Thatcher "GB 84" et encore 2 autres livres.

L'auteur a déménagé avec sa femme et enfants au Japon en 1994 et connaît la capitale du pays comme sa poche ou presque.

Si dans le premier volume de la série de Tokyo l'auteur confrontait son lecteur à un tueur en série, dans "Tokyo ville occupée", David Pearce se montre nettement plus ambitieux et original. Un peu trop d'ailleurs !

Le début de l'histoire donne l'impression que la lectrice et le lecteur ont afffaire à un roman d'anticipation, comme il y est question d'une espèce de vaccin mortel qui évoque évidemment le coronavirus assassin.

Je me permets de vous renvoyer à la présentation du livre qui, à mon avis, est beaucoup trop détaillée. Il me paraît, dès lors, totalement inutile de répéter cette quatrième de couverture.

J'ajoute que l'histoire est située à Tokyo en 1948 lors de l'occupation américaine et le "consulat" du général Douglas MacArthur (1880-1964), héros des batailles du Pacifique au cours de la guerre, mais un personnage têtu et parfois buté.
Une période certes intéressante, mais confusément présentée par l'auteur. le problème avec ce livre c'est qu'il est beaucoup trop expérimental pour être convaincant ou captivant. La recherche d'effets spéciaux a le don de relativement vite ennuyer et sur 367 pages cela devient même carrément irritant.

Pour cette raison l'ouvrage de David Peace m'a finalement déçu. C'est dommage, surtout eu égard aux considérables efforts de l'auteur au niveau de la recherche et de la documentation.

J'ai préféré sur ce thème l'ouvrage du journaliste et écrivain Arnold Charles Brackman (1923-1983) "The Other Nuremberg : The Untold Story of the Tokyo War Crimes Trials (1990) ou : l'autre Nuremberg : L'histoire jamais racontée des procès de Tokyo des criminels de guerre japonais, que j'ai chroniqué ici le premier octobre 2018.
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Et me voila de retour sur le site avec la rentrée, à évoquer Tokyo, Ville occupée de David Peace, lecture qui aura traîné sur des mois de jouissance et de frustration. Fort heureusement, la poésie d'Hugo était là pour réhausser le niveau... Le concept de ce roman est génial et je pensais découvrir ce qui allait devenir un de mes polars favoris : Un écrivain convoque 12 voix d'outre-tombe pour narrer et résoudre l'affaire du massacre de la banque impériale à Tokyo, le 26 janvier 1948, qui a condamné à mort Hirasawa Sadamichi, présumé coupable. David Peace jouant toujours plus avec les stream-of-consciousness dans ses romans, vous pouvez constater, rien qu'en le feuilletant, qu'on atteint le sommet des délires textuels, avec enchevêtrement des voix, chaos de mise en page, ratures, 12 styles obsessionnels et fous différents quoique se faisant écho. L'idée est en somme fantastique, plus que stimulante et motivante, et les premiers récits sont à la hauteur de nos attentes. Mais je dirais que passé le 7ème, on se met à douter de l'intérêt réel de certains, au final pour réaliser deux choses : Ce principe si prometteur est gâché, par des points de vue dispensables, une folie du texte et des personnages qui finit par devenir gratuite, et ce jeu sur les différents regards pouvait être bien mieux exploité. Ensuite, à un certain stade du roman, le lecteur se rend compte que l'affaire Hirasawa Sadamichi n'est qu'un prétexte pour Peace... certes pour se livrer à ses expériences d'écriture, mais aussi parce que le vrai sujet du roman est ailleurs. Sans trop spoiler, Peace nous emmène dans les tréfonds des horreurs pratiquées au Japon autour et pendant la seconde guerre mondiale. Je n'y connaissais strictement rien, et j'ai tout bonnement halluciné, candide, de retrouver tout ce qu'il racontait sur Wikipedia et Internet. Alors d'accord, on est effaré, et Peace a réussi son exposé, sauf qu'il a trompé nos attentes parties sur un polar ludique, où on imaginait une sorte de Douze Petits Nègres post-mortem, pour en fait avoir une dénonciation historique plus large, au détriment de l'enquête pure... Je pense qu'avec cette (future) trilogie sur le Japon post-1945, il tente son propre Underworld USA, mais il n'a pas encore la maîtrise d'Ellroy. Sans doute aurais-je dû lire Tokyo, Année zéro pour être prévenu.

Il y a de véritables moments de gloire dans ses 12 chandelles (qui représentent les narrateurs décédés), les trois premières sont fabuleuses, et la troisième, avec la sixième, demeure ma favorite, digne d'être lue à haute voix d'une traite, en faisant ressortir son style incantatoire, comme lui-même sait si bien le faire. Ça se délite ensuite, de manière générale, et c'est dommage. La quatrième m'a freiné brutalement, car suite de rapports scientifico-militaires très factuels, dont on ne comprend pas de suite le rapport à l'intrigue... C'est très bien fait, volontairement froid, évidemment, et il y a quand même une progression flippante, mais la lecture reste rébarbative (un peu comme dans les échanges téléphoniques ou épistolaires chez Ellroy, mais chez lui ça nous ralentit sans pour autant nous lasser). La huitième est un hommage avoué au Journal d'un fou de Gogol, appréciable, intéressante et onirique, mais on commence quand même à stagner. La neuvième est originale, mais inutilement compliquée et trop longue, pour aboutir sur trop peu même si elle est très importante, la onze dévoile enfin tout ce que Peace et ses fous d'entre les morts tenaient à nous dire, mais on est déjà las depuis un moment... Je passe sur les autres, même si j'ai bien apprécié la cinq et la sept. En bref, c'est réellement cette inégalité et un résultat pas à la hauteur de l'idée et du synopsis, qui déçoivent et font même décrocher un bon moment... Le trop plein de noirceur constante, comme souvent chez lui, m'a fait lâcher le roman pendant plusieurs semaines, et c'est pourtant un fan de l'écrivain, et du roman noir, qui parle...

Malgré le talent indéniable de David Peace pour le polar lyrique destructuré, qui s'approche de la poésie dans un cri de l'âme au fin fond des tourments éternels, revenir aux classiques, aux Grands avec un grand G, est salvateur, surtout quand on est livré à de tels abysses du désespoir... Les Contemplations du Maître Hugo ont complètement aéré ces derniers mois et m'ont ramené à LA littérature, j'en parlerai avec grand plaisir une fois le recueil terminé! Avant un retour à Ellroy, pour l'université... Qui fera du bien aussi, avec ses femmes, son humour...
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Comme tous les livres de David Peace, Tokyo Ville Occupée est un ouvrage qui se mérite à un point tel que les lecteurs se divisent en deux camps polarisés à l'extrême avec ceux qui aiment et ceux qui détestent en abandonnant la lecture en cours de route. Cet ouvrage s'inscrit dans une trilogie consacrée au Japon de l'après-guerre et avait débuté avec Tokyo Année Zéro dont vous trouverez la chronique que je lui ai consacré ici.

Au risque de paraître outrancier, comme l'auteur d'ailleurs, on peut considérer ce second opus comme un monument de la littérature noire. Malheureusement, David Peace ne bénéficie pas, dans nos régions, de la visibilité de certains auteurs parfois surévalués et reste à mon sens bien trop méconnu du public. Il faut admettre que son style déroutant est vraiment bien éloigné des standards commerciaux actuels. C'est ce qui explique sans doute le fait que ce joyau soit passé inaperçu. David Peace reste donc un écrivain fort apprécié des amateurs du genre mais à la notoriété encore bien trop confidentiel ce qui finalement importe peu car le talent, voir le génie, ne s'est jamais mesuré au nombre d'exemplaires écoulés.

Tokyo Ville Occupée, comme tous les roman de l'écrivain, s'articule autour d'un fait réel. C'est le 26 janvier 1948 qu'un homme se prétendant médecin se présente à une succursale de la Banque Impérial de Tokyo et administre à tout le personnel deux potions censées être un vaccin pour lutter contre une épidémie de dysenterie qui sévit dans le quartier. Après d'atroces douleurs, 12 employés de la banque trouveront la mort, les potions s'avérant être un puissant poison. La police arrêtera un homme qui clamera toujours son innocence. Mais cet homme est-il bien l'auteur du massacre ?

C'est la question que se pose l'écrivain sans nom (David Peace peut-être), personnage central du livre qui court dans cette ville trépidante de Tokyo avec son manuscrit inachevé pour se retrouver sous la porte noire au beau milieu d'un cercle occulte composé de douze chandelles. Douze chandelles ce sont autant de voix et de chapitres qui ponctueront ce récit dantesque.

Dans cette chorale spectrale, vous découvrirez la supplique des victimes, le contenu du carnet de travail d'un inspecteur de police, le témoignage d'une survivante, les articles d'un journaliste, la correspondance paranoïaque d'un officier de l'armée américaine, le journal caviardé et délirant d'un officier soviétique sombrant dans la folie, les invocations d'un chaman, la protestation résignée de l'auteur présumé du massacre et bien d'autres point de vue encore qui nous entraineront dans l'ombre de la sinistre unité 731 dirigée par l'abominable lieutenant-colonel Shiro Ishii qui a opéré principalement en Mandchourie en effectuant des recherches sur les armes bactériologiques en pratiquant leurs expériences sur des cobayes humains, surnommés maruta ce qui en japonais signifie, bûche ou bille de bois.

Pour chacun de ces chapitres, de ces voix, de ces chandelles l'auteur s'emploie à utiliser un style différent qui passe du texte le plus classique à l'imprécation la plus délirante. Autant de prismes qui reflètent une réalité déformée, transfigurée par les compromissions et les occultes secrets d'une nation défaite qui peine encore à se remettre de sa mortifiante défaite.

Car Tokyo Ville Occupée, est un ouvrage qui se décline en une fresque historique édifiante (outre l'empoisonnement des employés de la Banque Impérial de Tokyo, l'unité 731 et le lt-col. Ishii ont vraiment existé), un polar glaçant et un conte fantastique terrifiant sans que l'équilibre entre ces trois thématiques ne soit jamais rompu. C'est la grande force de ce roman qui s'inspire d'une nouvelle intitulée Dans le Fourré de Akutagawa Ryunosuke que Kurosawa adapta pour réaliser son film Rashomon. Un récit extraordinaire qui n'est pas sans rappeler les textes d'Edgar Allan Poe et les poèmes de Baudelaire.

Comme tous les livres de David Peace, Tokyo Ville Occupée est un ouvrage qui se mérite à un point tel que les lecteurs se divisent en deux camps polarisés à l'extrême avec ceux qui aiment et ceux qui détestent en abandonnant la lecture en cours de route. Cet ouvrage s'inscrit dans une trilogie consacrée au Japon de l'après-guerre et avait débuté avec Tokyo Année Zéro dont vous trouverez la chronique que je lui ai consacré ici.

Au risque de paraître outrancier, comme l'auteur d'ailleurs, on peut considérer ce second opus comme un monument de la littérature noire. Malheureusement, David Peace ne bénéficie pas, dans nos régions, de la visibilité de certains auteurs parfois surévalués et reste à mon sens bien trop méconnu du public. Il faut admettre que son style déroutant est vraiment bien éloigné des standards commerciaux actuels. C'est ce qui explique sans doute le fait que ce joyau soit passé inaperçu. David Peace reste donc un écrivain fort apprécié des amateurs du genre mais à la notoriété encore bien trop confidentiel ce qui finalement importe peu car le talent, voir le génie, ne s'est jamais mesuré au nombre d'exemplaires écoulés.

Tokyo Ville Occupée, comme tous les roman de l'écrivain, s'articule autour d'un fait réel. C'est le 26 janvier 1948 qu'un homme se prétendant médecin se présente à une succursale de la Banque Impérial de Tokyo et administre à tout le personnel deux potions censées être un vaccin pour lutter contre une épidémie de dysenterie qui sévit dans le quartier. Après d'atroces douleurs, 12 employés de la banque trouveront la mort, les potions s'avérant être un puissant poison. La police arrêtera un homme qui clamera toujours son innocence. Mais cet homme est-il bien l'auteur du massacre ?

C'est la question que se pose l'écrivain sans nom (David Peace peut-être), personnage central du livre qui court dans cette ville trépidante de Tokyo avec son manuscrit inachevé pour se retrouver sous la porte noire au beau milieu d'un cercle occulte composé de douze chandelles. Douze chandelles ce sont autant de voix et de chapitres qui ponctueront ce récit dantesque.

Dans cette chorale spectrale, vous découvrirez la supplique des victimes, le contenu du carnet de travail d'un inspecteur de police, le témoignage d'une survivante, les articles d'un journaliste, la correspondance paranoïaque d'un officier de l'armée américaine, le journal caviardé et délirant d'un officier soviétique sombrant dans la folie, les invocations d'un chaman, la protestation résignée de l'auteur présumé du massacre et bien d'autres point de vue encore qui nous entraineront dans l'ombre de la sinistre unité 731 dirigée par l'abominable lieutenant-colonel Shiro Ishii qui a opéré principalement en Mandchourie en effectuant des recherches sur les armes bactériologiques en pratiquant leurs expériences sur des cobayes humains, surnommés maruta ce qui en japonais signifie, bûche ou bille de bois.

Pour chacun de ces chapitres, de ces voix, de ces chandelles l'auteur s'emploie à utiliser un style différent qui passe du texte le plus classique à l'imprécation la plus délirante. Autant de prismes qui reflètent une réalité déformée, transfigurée par les compromissions et les occultes secrets d'une nation défaite qui peine encore à se remettre de sa mortifiante défaite.

Car Tokyo Ville Occupée, est un ouvrage qui se décline en une fresque historique édifiante (outre l'empoisonnement des employés de la Banque Impérial de Tokyo, l'unité 731 et le lt-col. Ishii ont vraiment existé), un polar glaçant et un conte fantastique terrifiant sans que l'équilibre entre ces trois thématiques ne soit jamais rompu. C'est la grande force de ce roman qui s'inspire d'une nouvelle intitulée Dans le Fourré de Akutagawa Ryunosuke que Kurosawa adapta pour réaliser son film Rashomon. Un récit extraordinaire qui n'est pas sans rappeler les textes d'Edgar Allan Poe et les poèmes de Baudelaire.

Nous poursuivons donc notre voyage au coeur d'une ville laminée, rongée par l'amertume de la défaite. Une ville peuplée de fantômes inquiétants. Poursuivrez-vous ce voyage entamé avec Tokyo Année Zéro ?
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Ce roman est le second d'une trilogie entamée avec « Tokyo, année zéro ». le troisième opus devrait donc, en toute logique, paraître l'année prochaine.

Tokyo, 1948. Dans une ville encore sonnée par la gifle magistrale que lui a infligée l'Histoire, un homme se présente dans une banque. Il s'annonce médecin du ministère de la santé et vient pour vacciner l'ensemble des salariés contre une épidémie de dysenterie qui vient de se déclarer dans le quartier. Quelques minutes après avoir bu le vaccin, 10 morts s'étalent sur le sol, quelques rares survivants bougent encore, deux mourront un peu plus tard. C'est le début d'une histoire retentissante qui a véritablement marqué la capitale japonaise au sortir de la guerre.

En mettant en place une structure narrative complexe mais magnifiquement maîtrisée, c'est d'abord à un incroyable exercice de style parfaitement réussi auquel s'est livré David PEACE. Les mots s'entrechoquent portés par des rythmes variants qui les font rentrer en résonance pour nous délivrer un récit d'une grande musicalité .Car « TOKYO, ville occupée » c'est un roman qui se lit à voix haute. Il porte en lui, malgré la tragédie qu'il évoque, une certaine poésie qui est livrée au lecteur au fil des pages.

C'est à travers douze voix, douze témoignages, douze chandelles (celle des morts, d'un policier, d'une survivante,...etc...) qui s'éteignent au fur et à mesure qu'elles ont éclairé leur pan de vérité, que nous sont rapportés les évènements, de près ou de loin, du côté des morts ou de celui des vivants. Et ce, comme autant de pièces d'un puzzle qui ne demande qu'à être reconstruit.

Sauf que les pièces ne se rassemblent pas, que le puzzle ne se reconstruit pas. La vérité est un faux semblant dans ce Tokyo vaincu .

Tokyo est une ville occupée, possédée. Par l'occupant, mais aussi par son passé venimeux. Car Tokyo est une ville empoisonnée par son histoire récente. Les chandelles éclairent une réalité terrible qui s'esquisse dans les ombres qu'elles projettent et qui renvoient à des unités spéciales qui ont oeuvré en Chine, et à des pratiques expérimentales funestes sur l'être humain. Car Tokyo est une ville évanescente et occulte, où rôdent les fantômes d'un passé qui ne veut pas mourir et qui viennent maudire les vivants.

Tokyo a fermé les yeux, a brisé les miroirs. La ville refuse de voir, de reconnaître et de faire sienne une page d'histoire dont elle n'est pas sortie glorieuse et qui entache son passé millénaire. Alors la ville ignore, et se ment. A travers ces pages lyriques et poétiques souvent incantatoires et qui relatent ce crime odieux commis dans une banque, c'est finalement un parallèle qui est fait avec la mécanique mise en oeuvre par ce pays et ce peuple vaincu, pour se construire une autre histoire que l'on devine.

Comme l'explique parfaitement David PEACE dans l'interview qu'il a accordé à France Culture dans l'émission Mauvais Genre c'est parce que les japonais ignorent encore aujourd'hui dans leur grande majorité les exactions commises par l'armée impériale, qu'ils ont pu se construire une image de victime de la guerre (avec Hiroshima et Nagasaki) réfutant de fait celle de l'agresseur. Dès lors les japonais pouvaient entreprendre une reconstruction effrénée de la ville et du Pays pour se lancer à corps perdu dans le développement économique à tout crins.

Mais le passé est un fantôme lui aussi qui parfois peut remonter à la surface et troubler les consciences.

C'est donc , un très grand roman qu'a enfanté David PEACE. Il devient incontestablement un auteur majeur du roman noir. Il maîtrise aujourd'hui à la perfection sa technique d'écriture, chaque fois réinventée.

cette critique a été faite dans le cadre de l'opération " Masse critique" organisée par Babelio et les Éditions Rivages que je remercie.

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le premier mot qui me vient à l'esprit pour décrire ce thriller, c'est ingénieux. Je m'explique :
A partir du concept d'un jeu japonais qui consiste à se faire peur en se racontant des histoires de fantômes, l'auteur construit une narration à plusieurs voix tout à fait originale et angoissante.
le principe est le suivant : dans une pièce parfaitement sombre que seule éclaire la lueur de bougies, chaque personne présente doit raconter une histoire de fantôme puis éteindre, à tour de rôle, une chandelle. A la fin de la soirée, et après extinction de toutes les bougies, le noir complet se fait. Goules et autres fantômes peuvent alors faire leur apparition…
David Peace qui prend comme point de départ une affaire criminelle véridique (cf. résumé), a eu l'idée de découper son récit en 12 "chandelles", soit 12 points de vue différents qui apportent chacun un élément nouveau à l'enquête. Ainsi chaque chandelle éteinte nous rapproche un peu plus de la véritable identité de l'assassin de la Banque Impériale. Mais pourquoi ce chiffre 12 ? Et bien, 12 comme le nombre de victimes décédés lors de cette tragédie. 12 comme les 12 coups de minuit annonciateurs des ignominies tapies au coeur de la nuit.
Car vous l'aurez compris Tokyo ville occupée est un polar sombre, effroyable même, étant donné la multitude de détails dont nous inonde l'auteur sur cette période du Japon d'après-guerre. Et grâce à la virtuosité de David Peace, la frontière entre imagination et fait véridique s' efface complètement pour nous laisser un goût d'amertume dans la bouche. J'avoue avoir été scotchée par le dénouement de ce thriller unique qui se démarque de la production actuelle.
Alors, oui, David Peace s'est inspiré d'un concept déjà utilisé par Ryûnosuke Akutagawa dans Rashômon et autres contes (il l'avoue lui-même) et oui, le rendu n'est pas toujours des plus fluide (faire parler les morts à ses inconvénients !). Néanmoins saluons l'audace de l'auteur comme il se doit : Tokyo ville occupée a une place dans chaque bibliothèque de fans de thriller différent et complexe !

En conclusion :
Tokyo ville occupée est donc un polar très sombre, incroyablement bien construit qui jouit d'une écriture très originale et étrangement poétique. Malgré quelques inconvénients de fluidité, c'est définitivement un thriller à posséder, ne serait-ce que pour son contexte historique véridique.

Les + :
- une narration originale;
- une écriture poétique;
- le contexte historique (Japon d'après guerre)
- une affaire criminelle véridique (ça fait froid dans le dos!)
- le suspense distillé au compte-gouttes;
- la fin effroyable !

Les - :
- un peu trop confus parfois (l'état d‘esprit des morts l‘explique en partie);
- la 9ème chandelle qui atteint des sommets de complexité ! (et en plus, elle est longue !).

Un grand merci à Babelio et aux Éditions Rivages pour m'avoir offert ce livre et m'avoir permis de connaître cet auteur qui m'a beaucoup plu !
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Ces hommes qui ne frappent jamais aux portes, qui jamais ne se présentent, ces hommes qui restent assis à vous dévisager, qui me surveillent et qui me suivent, dans tous les coins et dans chaque encadrement de porte, le visage couvert d'un masque protecteur, aux pieds des chaussures de caoutchouc. TOUJOURS AIMABLES, TRES AIMABLES. Mais je sais que je ne verrai jamais leurs visages, que je ne connaîtrai jamais leurs noms, car ils portent tous des masques - des masques de singes, des masques d'écureuils, mais surtout des masques de souris, des masques de rats - des masques blancs en argile. CE SONT LES RATS QUI MONTENT À BORD DU NAVIRE EN TRAIN DE COULER, qui me testent, qui se livrent sur moi à des expériences, dans cette ville qui est devenue leur laboratoire, avec ses fenêtres à double vitrage et ses murs couverts de papier peint, CETTE VILLE EMPOISONNÉE qui est leur laboratoire de l'Apocalypse.
Dans ce laboratoire, DANS CETTE VILLE EMPOISONNÉE, ici, alors que ma fin est proche, je vois l'Ange de l'Histoire et l'Ange de la Pestilence, et à présent je sens sur moi le souffle de leurs ailes, et je ferme les yeux.
Dans l'histoire du monde, il y a eu autant de pestes que de guerres. Elles surgissent et elles triomphent, puis elles déclinent et disparaissent. Mais elles reviennent toujours, ces pestes et ces guerres. Elles reviennent toujours, ces pestes et ces guerres, pour prendre les hommes par surprise de la même façon. Jusqu'à aujourd'hui, aujourd'hui où les hommes ont uni la peste et la guerre par les liens d'un mariage païen, d'un mariage impie.
Et j'ai des visions, des visions de peste, les yeux grands ouverts / les yeux fermés, les mêmes visions. Le rat mort sur la marche, gris et jaune, le chat pris de convulsions dans la cuisine, une fleur rouge sang s'épanouissant entre ses mâchoires. Voilà comment cela va commencer. Les rats en plein jour, sortant des murs, de dessous les planchers, ils viendront d'abord en files, et puis ils mourront en tas, six mille rats morts en un jour, brûlés sur des bûchers pendant toute la nuit, et puis quand les rats auront disparu se déclareront les fièvres, le gonflement des chairs et les vomissements, avant l'asphyxie puis la mort, la mort rouge et la mort noire, la mort rouge et la mort noire des gens, la mort de cette ville, cette ville grise et jaune d'yeux gris et jaunes, puis d'yeux rouges et noirs, d'efflorescences jaunes et de fleurs rouges çà et là dans les coins et l'encadrement des portes, cette ville grise et jaune, rouge et noire dans laquelle les hommes se coucheront dans leurs lits, qu'ils quitteront sur une civière, dans un cercueil, dans un corbillard, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de civières, plus de cercueils et plus de corbillards.
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Tôt ce matin, avant le lever du jour, je me suis rendu à pied jusqu'à la baie de Tokyo et, posté sur les quais, j'ai attendu l'aube. Tandis que je regardais le pâle soleil d'hiver s'élever à grand-peine dans le ciel plombé, j'ai songé aux milliers d'aubes que j'avais vues, aux milliers de kilomètres que j'avais parcourus, au cours de ces dix dernières années, pour me retrouver sur ces quais, dans cette ville, dans cette aurore, en ce jour.
Et peut-être était-ce l'eau et la lumière, peut-être l'heure et la saison, mais j'ai soudain été assailli par des souvenirs d'enfance du Petrograd post-révolutionnaire, pendant le sinistre hiver 1917-1918, quand la ville et ses habitants semblaient avoir brisé leurs amarres, quand la ville et ses habitants semblaient emportés par le courant vers une destination inconnue.
Les routes ne restent jamais rectilignes ; elles tournent et se contorsionnent, elles s'élèvent et replongent, elles se séparent et divergent. Avec ou sans cartes, il y a toujours des choix à faire ; toujours des choix et des conséquences, que l'on reste ou que l'on parte, des choix et des conséquences, des conséquences et des adieux.
Tous ces adieux, certains de vive voix et d'autres non-dits, mais tous ces gens disparus malgré tout, emportés par le courant vers une destination inconnue, quelque part en amont du fleuve, quelque part derrière moi.
Car derrière moi, ce matin, sur ces quais gris, il y avait les ruines de Tokyo, les ruines du Japon, de l'Asie, de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et de notre Mère Patrie la Russie et de nos Républiques Soviétiques, de l'Allemagne et de l'Europe, toutes rasées derrière moi, partout, tous ces lieux et toutes ces populations broyées, les villes et les gens, les gens souffrant encore.
Mais devant moi, de l'autre côté de cette baie, de l'autre côté de l'océan, je savais qu'il y avait l'Amérique ; une Amérique qui n'était pas en ruines, car l'Amérique n'a pas de ruines. L'Amérique ne connaît pas l'invasion. L'Amérique ne connaît pas l'état de siège. L'Amérique ne connaît pas la reddition. L'Amérique ne connaît pas la défaite. L'Amérique ne connaît pas la souffrance comme le reste du monde connaît la souffrance.
Entre leur Ouest et notre Est, il n'y a pas seulement un rideau, il y a une immensité - à travers les plaines et par-dessus les montagnes, de la mer jusqu'au ciel -, une immensité et un chagrin.
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DANS LA VILLE FICTIVE, faisons semblant de croire qu'un homme innocent est coupable, qu'il mérite d'être jugé et d'être condamné à mort, et que la police a mené une enquête véritable et systématique, faisons semblant de croire que le gouvernement et le GQG n'ont pas conspiré pour dévoyer le cours de la justice, que les journaux et leurs reporters n'étaient pas complices dans leurs articles, et que tout ce que nous avons lu est vrai -
Dans cette ville faite de papier, cette ville faite de caractères imprimés -
Dans cette Ville Fictive, faisons semblant...
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DANS LA VILLE FICTIVE, passent les jours et passent les histoires ; des jours de neige, des jours de grand vent, des jours de pluie et des jours de soleil, des histoires d'intoxication alimentaire, des histoires de grèves, des histoires de cabinets ministériels qui se forment, la fin de Katayama et les débuts d'Ashida, alors que l'hiver cède la place au printemps, le printemps à l'été, que le ciel tombe en éclats et que la température remonte, tandis que la censure cède la place à la coercition, la coercition à la complicité dans la Ville Fictive, où passent les jours et passent les histoires, des jours et des histoires en toute complicité et en colonnes jusqu'au dimanche 22 août 1948, où paraît un article, un article non pas dans mon journal, pas dans le Yomiuri -
Un article dans notre rival, dans le Mainchi.
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"Dans ces douze cercueils en mauvais bois, nous gisons. Mais nous ne gisons pas en paix. Dans ces douze cercueils en mauvais bois, nous nous débattons. Pas dans l’obscurité, ni dans la lumière ; dans la grisaille nous luttons ; car ici il n’y a que grisaille, ici nous faisons que nous débattre -

Dans ce lieu de grisaille

qui n’est pas un lieu

nous nous débattons sans cesse, toujours et déjà -

Dans ce lieu, qui n’en est pas un, entre deux autres lieux. Celui où nous étions autrefois, celui où nous serons -

Les vivants cadavériques

la mort vivante -

Entre ces deux lieux, entre ces deux villes :

Entre la Ville Occupée et la Ville Morte, c’est ici que nous résidons, entre la Ville Perplexe et la Ville Posthume."

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Vidéo de David Peace
François Guérif nous parle des héritiers du polar comme Dennis Lehane et David Peace.
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