AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Bernard Kreise (Traducteur)
EAN : 9782879295015
420 pages
Editions de l'Olivier (08/02/2007)
3.7/5   15 notes
Résumé :
Le " lard bleu " est une matière utilisée comme source d'énergie ou comme drogue, dont personne ne connaît le secret de fabrication, à part quelques scientifiques russes, retirés en 2068 dans un centre de recherches en Sibérie. Ces chercheurs ont mis au point un système de clonage, réservé à sept célébrités de la littérature - Tolstoï, Tchekhov, Nabokov, Pasternak, Dostoïevski, Akhmatova et Platonov -, et de production de " lard bleu " à partir de leur corps. Au cou... >Voir plus
Que lire après Le lard bleuVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Sorokine nous invite à la ré-ouverture de son parc d'attraction grand-guignolesque de la littérature russe. Après « Roman », son premier — déployant plus de 500 pages d'un classicisme académique et folklorique, avant de tout faire sauter dans un long et stupéfiant épilogue pour autiste épileptique — il repart en croisade pour tenter de secouer le navire amiral supposément rouillé de la culture nationale. Parmi ses armes, il y a bien-sûr un tonneau de provoc', façon bélier, sans faire oublier qu'il faut une bonne dose de talent pour défoncer une porte.

Quoi de mieux — et à la fois de difficile, car sans limites apparentes — que de la S-F d'anticipation / uchronique pour proposer du neuf ? Tant qu'à faire, il prend les deux, coupant rigoureusement au milieu de son récit, entre une première partie se déroulant en l'an 2068, et un voyage dans le temps low-tech plus tard, 1954, où Staline n'est toujours pas mort…

Mais Sorokine n'a aucune envie de faire de la prospective, ou de ré-écrire l'histoire — bien que son sabir russo-chinois a tout d'une novlangue convaincante, terrorisant le lecteur dès les premières pages, criblées de notes de bas de page pour les traductions chinoises (pas si bête, après tout, d'apprendre un peu de chinois…), et de nouveau russe/français, volontairement foutage de gueule dans leurs explications anomiques — il démarre sous la forme épistolaire d'un chercheur à son amant, inflation des fadaises qu'on s'envoie de nos jours, où la véritable écriture disparait au profit de couinements émotionnels auto-centrés…
Il faut un peu de courage pour passer ces lettres (un lexique en fin d'ouvrage, mais pas de découpage en chapitre, donc pas de table…), qui n'ont au final que peu d'importance, permettant surtout d'introduire ces sept « sous-textes », extraits écrits par les clones pas complètement humains de sept monstres-sacrés de la littérature russe (Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, Pasternak, Akhmatova, Platonov et…Nabokov), donnant lieu à des exercices de style de haut-vol, utilisant les bornes bien marquées, pour les faire aussitôt exploser. Jubilatoire.

Sans s'embarrasser de la logique, Sorokine clôt brutalement cette partie, abandonnant la novlangue au soulagement de tout le monde, pour une cinquantaine de pages en poupée-russe, avant de nous catapulter dans le passé… La quatrième de couverture résume tout cela de manière trop bavarde, comme souvent, mais peu importe, toute cette histoire de Lard Bleu n'étant, vous l'aurez compris, qu'un prétexte à tout le reste…

Colimasson vous en a déjà parlé, depuis longtemps, le Lard Bleu est aussi, comme son nom peut l'indiquer, un roman gastronomique. Les nourritures sont omniprésentes tout au long du livre. Des menus délirants du futur (ceux des ingénieurs, ceux des frères de cette mystérieuse confrérie…), arrosés de cocktails insensés — utiles si l'on veut détruire l'appart' de cet ami qui vous ne ré-invitera plus — aux repas orgiaques soigneusement décrits des dirigeants russes et allemands, ce texte dégouline de sucs, tout en restant étonnamment digeste, surtout si l'on possède de la culture russe en plaquette dans la poche, et qu'un peu de paraphilie cauchemardesque n'est pas rédhibitoire (non monsieur l'éditeur, nous n'avons pas la même notion de ce qu'est l'érotisme…). Les provocations de la taille d'un Antonov An-225 prennent forcément de la place, avec les procès qui en ont découlé. S'y attarder en ferait oublier tout le reste…

Ce livre de cuisine, co-écrit par Staline et les frères Bogdanov, est particulièrement recommandé à ceux qui se sont perdus dans la lecture des « listes de courses, notes préliminaires et mots-croisés » de Léon Tolstoï, gâchant par là le peu d'humour qui leur restait…
Commenter  J’apprécie          8015
Vladimir Sorokine a des goûts culinaires peu orthodoxes – voyez un peu ce menu idéal qu'il imagine pour les habitants de son futur proche, 2068… Au petit-déjeuner : « jus d'érable, porridge de laminaires, beurre de chèvre, pain d'avoine café N, café TW, thé vert » ; pour le déjeuner : « croûtons grillés à a cervelle de bouc, salade d'herbes des prés, bouillon de poule pressée, filet de ragondin aux pousses de bambou, fruits, blub de mûres sauvages » ; pour le dîner : « koumys, soupe wantan, gâteau au fromage de millet » ; et pour le souper : « pulpe de bouleau à la polenta, hydromel au gingembre, eau de source ». Et de préciser, pour nous signaler l'émergence d'échelons d'évaluation individuels dont on comprend peu les objectifs –et qui se retrouvent dans le domaine de l'alimentation comme dans tous les autres aspects les plus anodins de l'existence : « le coefficient de L-harmonie d'un menu pareil est de 52-58 sur l'échelle de Guerachtchenko ». Il s'agit plutôt d'une bonne note, peut-être relevée par ce « clone de dinde aux fourmis rouges », dessert qui provoque chez le narrateur « un accès de nostalgie violette ».


Et le lard bleu, dans tout ça ? Une croquette parmi tant d'autres dans la procession de ces menus d'une autre époque ? C'est qu'il ne faudrait pas tout confondre… Non seulement, le lard bleu est aux habitants du futur ce que la truffe noire est pour nous aujourd'hui, mais il fait l'objet d'une convoitise et d'une dangerosité qui le placent à l'égal de notre bombe atomique. le lard bleu est produit par des scientifiques dans une enceinte close et strictement surveillée. La chimie s'élève au rang du clonage. Que ses détracteurs se rassurent : en 2068, la technique semble encore loin d'être au point et les essais pour obtenir un clone convenable doivent fréquemment se renouveler, sans jamais que la perfection ne soit atteinte. Par le biais des lettres que le narrateur, Boris, envoie à son amant (son « lourd garçon », sa « tendre salope », son « top-direct divin et abject ») dans un néo-russe ponctué de chinois, à la fois vulgaire, technique et propice aux effusions sentimentales, nous découvrons peu à peu l'avancée des travaux d'obtention du lard bleu. Et d'apparaître dans une étrange procession, moitié figures auréolées de gloire, moitié monstres avilis, les plus grands écrivains russes des siècles derniers… Ici, on les nomme « objets » et ils portent la dénomination de Tolstoï-4, Tchekov-3, Nabokov-7, Pasternak-1, Dostoïevski-2, Akhmatova-2 et Platonov-3. Pasternak-1, obtenu du premier coup, est de loin la réalisation la plus prometteuse, et pourtant, on ne l'imaginait pas de la sorte : « la similitude avec un lémurien est saisissante : une petite tête recouverte de duvet blanc, un minuscule visage ridé aux yeux roses immenses, de longs bras qui descendent jusqu'aux genoux, de petites jambes ».


Le lard bleu s'écoulera du corps de ces clones d'écrivains lorsque les scientifiques les soumettront à une traite impitoyables : écrivez, chiens ! et le lard bleu goutte douloureusement de leur organisme forcé à l'écriture. La production littéraire, soumise à l'exercice scientifique, devient une torture à nulle autre égale. Les écrivains, que l'on aurait pu croire enclins à l'exercice, semblent lutter corps et âmes dans la production de textes pourtant courts, que Boris livre en complément des lettres qu'il adresse à son amant. Vladimir Sorokine se livre alors à des jeux de réécriture à la fois brillants et terrifiants. Reprenant le genre de prédilection de chaque auteur et s'emparant des caractéristiques de son écriture, il lance l'illusion au point de nous faire croire que nous allons retrouver un brin de lecture digne du grand siècle de la littérature russe –et qu'est-ce que l'on espérerait cette pause salutaire après s'être tapé des pages d'un néo-russe sans âme et pas toujours compréhensible ! Mais on découvrira rapidement que même la littérature est sapée et des vers de dégénérescence se glissent dans ce qu'on avait imaginé être la résurgence d'une littérature noble et puissante. le futur de 2068 s'inscrit ici encore et fait frémir –à la manière de la novlangue du 1984 d'Orwell.


« Dostoïevski-2
Le comte Réchetovski

[…] Ce fut très précisément cette impression que produisit sur les quelques badauds présents l'apparition de Kostomarov et de Voskressenski ; deux simples passants, un étudiant et une dame d'un certain âge s'arrêtèrent comme bornes fichées en terre, des bornes, oui, des bornes bornes n'est-ce pas, des bornes de verstes, et, saisis d'une émotion qu'ils ne parvenaient pas à contenir, ils suivirent du regard ce couple étonnant jusqu'à ce qu'il eût atteint l'entrée. Cet hôtel particulier de deux étages appartenait au comte Dmitri Alexandrovitch Réchetovski et était l'une de ces maisons remarquables en son genre vers lesquelles, les mardis ou les jeudis –telles des abeilles qui rejoignent leur ruche, oui, telles de laborieuses petites abeilles dégourdies qui retournent à leur ruche solidement fabriquée, bien que les constructions des ruches soient des plus diverses, certaines en forme de cloche ou de cylindre, d'autres dans un tronc d'arbre évidé ou en terre cuite-, prend la peine de se diriger la bonne société pétersbourgeoise. »


Bon gré, mal gré, deux kilos de lard bleu réussissent à être produits et alors que les scientifiques célèbrent leur victoire, un commando s'infiltre dans leur base scientifique et vient leur racler la mise. Se réfugiant dans une mine désaffectée, ils envoient le lard bleu en 1954 par le biais d'une machine à remonter le temps…


Ah ! 1954… Fini le néo-russe fatigant et lassant ! La narration redevient plus classique sans céder toutefois à sa pornographie et à son exubérance de chaque phrase.
La mallette de lard russe et ses représentants du commando font irruption en plein milieu d'une représentation théâtrale. Les spectateurs se prennent de terreur. Qu'on les rassure : rien de grave ne se produira. Il faut seulement prévenir Staline le plus rapidement possible. Staline, en 1954 ? Première surprise… les autres ne tarderont pas à se succéder… on découvrira que celui-ci s'est partagé l'Europe avec Hitler, que Londres a été rasée par une bombe atomique (puisqu'on en parlait) et que les Etats-Unis sont responsables de la Shoah.


Vladimir Sorokine ne nous épargne rien et nous coupe de toute valeur sûre. Croyait-on pouvoir faire confiance à la grande littérature russe ? Il nous l'avilit en deux coups de plume. Croyait-on pouvoir se reposer confortablement, de retour dans le territoire connu de 1954 ? Il bouleverse tous nos points de repère et fait surgir la description d'une société dégénérée où le meurtre, le viol, la débauche sexuelle et le sadomasochisme semblent être les oripeaux de la normalité. La religion en prend pour son grade, autant que le fanatisme politique, dans des parodies de discours dont la vulgarité fait ressortir toute l'invraisemblance et tout le ridicule :


« Mes frères ! Par trois fois devant vos yeux, je viens d'émettre ma semence dans la Terre de la Sibérie orientale, dans cette Terre sur le corps de laquelle nous vivons, nous dormons, nous mangeons, nous chions et pissons. Notre Terre n'est ni tendre ni friable, elle est rude, froide et rocailleuse, et elle ne se laisse pas pénétrer par n'importe quelle bite. C'est pourquoi nous sommes peu nombreux désormais, et les faiblards de la bite se sont enfuis jusque dans les terres chaudes et accessibles à tous. Notre Terre est peut-être rocailleuse, mais l'amour la rend forte : celui qui y a introduit sa bite est à jamais repu de son amour, et jamais elle ne l'oubliera ni ne le laissera partir. »



Telle est la définition de l'élitisme dans cette Terre uchronique de 1954. Les grandes figures politiques en prennent elles aussi pour leur grade. Staline, Hitler, Himmler, Khrouchtchev deviennent de petits bonhommes obnubilés par la sauterie et les grands cocktails. Lorsqu'ils parlent du sort du monde, ils le font avec le détachement d'enfants racontant leurs dernières constructions Playmobil. Pour eux, le morceau de glace contenant le lard bleu, en provenance du futur, n'est qu'une pièce de collection rare parmi toutes leurs autres briques de construction. Mais de sauterie en séances de flagellation, l'attrait pour l'objet du futur s'accroît et la convoitise devient frénésie voire folie dans un déchaînement des pulsions égoïstes et des envies de domination. Cette dernière partie est baroque, folle furieuse, en aucun cas convenue : Vladimir Sorokine n'éprouve aucun effort à faire se succéder les pires perversités de son imagination, là où d'autres écrivains n'auraient réussi à produire que du ridicule et de l'invraisemblable.


Ce Lard bleu est si hénaurme qu'on se demande pourquoi il a provoqué un tollé de réactions désapprobatrices. le plus étonnant reste la poursuite en justice du gouvernement de Poutine pour la « pornographie » du roman : les grands pontes se seraient-ils reconnus dans les scènes de débauche extrême entre gouvernants politiques, où la plus réussie reste celle mettant en scène Staline et Khrouchtchev se livrant aux jeux du sadomasochisme ? …


« La langue du comte toucha prudemment le bout du gland et se mit à écarter le méat.
« Mais…non…Ne jouis pas ! Ne jouis pas pour moi ! » disait Staline, les yeux révulsés.
Khrouchtchev serra très fort les couilles du Guide, qui s'étaient rassemblées.
« Que ça ne jaillisse pas…oh-oh-oh… Donne-moi un ordre ! Un ordre, comme autrefois ! Mais avec tendresse ! Avec tendresse quand même !
- Offre-moi ton petit derrière, mon délicieux garçon ! » lui ordonna amoureusement Khrouchtchev qui continuait de tenir avec ténacité Staline par les couilles.
Staline se tourna sur le ventre en sanglotant :
« le petit garçon a peur… Fais-lui un bisou sur son petit dos…
- Nous allons faire un bisou sur le petit dos du petit garçon… » »


La censure est parlante…
Lien : http://colimasson.over-blog...
Commenter  J’apprécie          120
Délire scientifico-littéraire en Sibérie, fable politique et pornographique, son 1er chef d'oeuvre

Surdoué provocateur, bête culturelle, poly-artiste, Sorokine est tout ça. « le lard bleu », son second roman, publié en 1999, est son premier vrai passage à l'acte, après la déclaration d'intention réussie de "Roman" en 1994.

En 2068 en Sibérie, un groupe de scientifiques russes parvient à produire une très mystérieuse substance aux incroyables pouvoirs, le « lard bleu » à partir du corps des clones de sept grands de la littérature russe (Tolstoï, Tchekhov, Nabokov, Pasternak, Dostoïevski, Akhmatova et Platonov). Détourné par les services spéciaux, le « lard bleu » est confié à une machine à remonter le temps pour intervenir en 1954 dans les tractations de l'époque entre Staline, Krouchtchev et Hitler...

Témoignant de la stupéfiante maîtrise de l'histoire littéraire russe dont dispose l'auteur, également grand hommage à Rabelais, ce roman lui valut d'emblée d'être poursuivi pour pornographie – et d'avoir jusqu'à aujourd'hui encore de gros soucis avec le régime de Vladimir Poutine...

"Le 2 janvier 2068
Salut, mon petit. Mon lourd garçon, ma tendre salope, mon top-direct divin et abject. Me souvenir de toi a quelque chose d'infernal, rips laowai, c'est lourd au sens propre du terme.
Et dangereux – pour les rêves, pour la L-harmonie, pour le protoplasme, pour mon skand-chi, pour mon V-2.
A l'époque où je me trouvais à Sydney, chaque fois que je m'insérais dans la circulation, je m'adonnais déjà au souvenir. Tes hanches qui luisent à travers la peau, ta familière tache de «moine», ton tatoo-pro de mauvais goût, tes cheveux gris, tes jingji secrets, tes chuchotis salaces : embrasse-moi aux ETOILES !
Mais non. Ce n'est pas un souvenir. C'est mon brain-yueshi provisoire, grumeleux, plus ton minus-posit purulent. C'est un sang vieux qui coule en moi. Mon Heilong Jiang fangeux sur la berge limoneuse duquel tu chies et tu pisses.
Oui. Malgré mon Stolz-6 foncier, sans toi la vie de ton AMI est pénible. Sans coudées franches, sans gaowan, sans anneaux. Sans le cri final et le piaulement d'un lièvre : Wo ai ni !
Rips, je te croquerai. Quand ça ? OK. Top-direct.
Ecrire des lettres à notre époque est un travail épouvantable. Mais tu connais les conditions. Ici, tous les moyens de communication sont interdits, hormis les pigeons voyageurs. Des paquets nous parviennent à l'occasion, enveloppés dans du W-papier vert. On les scelle avec de la «cire à cacheter». Une belle expression, n'est-ce pas, rips ni ma de ?
Les AEROTRAINEAUX, c'est pas mal non plus. On m'y a baratté six heures durant depuis Atchinsk. le diesel vrombissait comme ton clone-fighter. On avançait sur une «neige très blanche».
«L'Orient-Sibérie est grand», dit Fan Mo. "

Que le lecteur inquiet se rassure : l'énorme majorité des bizarres termes de russo-chinois utilisés dans les lettres des ingénieurs bénéficie d'abondantes notes de bas de page et de lexiques...
Commenter  J’apprécie          30
Une chose est certaine, ce roman est barge. le sens du grotesque russe. Tout est trop ; trop hermétique, trop d'extravagantes richesses, trop de personnages absurdes, trop de couches et de surcouches. Comme le veut le post-modernisme, l'objet littéraire est poussé plus loin, il est presque au coeur du roman ; c'est ainsi qu'en 2068 dans un complexe scientifique Sibérien nous suivons les correspondances d'un certain Boris vers un destinataire inconnu dans un langage créole sino-russe, entre argot désarticulé et concepts futuristes abscons. On peine à comprendre les ressorts de l'histoire. On va-et-vient dans le lexique, toujours perdu, on pêche çà et là des éléments qui font sens pour dépeindre ce monde de 2068 aux curieuses avancées scientifiques : portes glougloutantes, cubes, sphères et triangles d'alcool, pigeons voyageurs mutants, clones d'écrivains difformes, lard bleu nous laissent stupéfaits… Jamais futur cyberpunk ne m'a semblé aussi dépaysant.

Clones d'écrivains difformes vous dites ? C'est là le point d'intérêt du complexe scientifique, développer des clones suffisamment analogues à leur modèle pour qu'ils écrivent des textes – que l'on pourra lire en pièce jointe – au travail de leur imagination naîtra la fameuse matière révolutionnant les lois de la thermodynamique, le lard bleu. le point de vue prendra alors de la hauteur, caméra filmant le passage de relai du lard bleu d'un personnage à l'autre, s'enfonçant plusieurs étages sous la surface parmi les Baiseurs de la Terre jusqu'à un voyage temporel nous amenant auprès de Staline, Kroutchev, Hitler et tout un tas de figures historiques maltraités, dépaysés, anachroniques. Guère étonnant qu'une véritable chasse aux sorcières s'est organisée par les pro-poutines face à cette oeuvre irrévérencieuse. Elle ne peut cacher une satire de ces grands hommes autocentrés en quête d'absolutisme, de la littérature corrompue par ces mêmes hommes pour participer au roman national, d'un art qui distrait les masses et impose les puissants.

Dans ce roman, Vladimir Sorokine joue de la plume comme d'un marteau et d'un burin ; défigurant le monde, l'histoire et ses grands hommes dans une gymnastique sordide, pornographique, poétique et politique. de manière jubilatoire, les grands noms de la Russie en prennent tous pour leur grade, qu'ils soient lettrés, scientifiques, haut-dignitaires, fonctionnaires policiers, etc. Rien n'échappe au remodelage d'un enfant distrait recouvrant son livre d'Histoire d'encres et de ratures multicolores. Une science-fantaisie uchronique grotesque et érotique où s'enchaînent les jeux littéraires en olipo : correspondance argotique, caricature littéraire, mode d'emploi, dépaysement total. le style est schizophrène ; il est cannibale, se nourrit de lui-même, de son faste, de ses chairs disloquées, de ses mots consommés, se consumer.
Commenter  J’apprécie          00
Difficile de s'intéresser à un roman où on ne comprend rien... même traduit, on se retrouve a lire du russe-chinois-anglais mêlé à des termes techniques qui n'existent pas encore et ne sont pas expliqués. C'est fastidieux et l'histoire n'en vaut pas la peine
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (41) Voir plus Ajouter une citation
La langue du comte toucha prudemment le bout du gland et se mit à écarter le méat.
« Mais…non…Ne jouis pas ! Ne jouis pas pour moi ! » disait Staline, les yeux révulsés.
Khrouchtchev serra très fort les couilles du Guide, qui s’étaient rassemblées.
« Que ça ne jaillisse pas…oh-oh-oh… Donne-moi un ordre ! Un ordre, comme autrefois ! Mais avec tendresse ! Avec tendresse quand même !
- Offre-moi ton petit derrière, mon délicieux garçon ! » lui ordonna amoureusement Khrouchtchev qui continuait de tenir avec ténacité Staline par les couilles. / Staline se tourna sur le ventre en sanglotant :
« Le petit garçon a peur… Fais-lui un bisou sur son petit dos…
- Nous allons faire un bisou sur le petit dos du petit garçon… »
Commenter  J’apprécie          72
POLOZOV. Je veux te raconter quelque chose. En fait, je n’en ai jamais parlé à personne. C’est pourquoi il m’est difficile de parler. Très difficile. Cela vient de se produire. Cela vient même tout juste de se produire. Il y a trois ou quatre minutes. Bien que j’y pense depuis très longtemps, depuis environ seize ans. Mais c’est aujourd’hui que j’en ai eu la révélation. Maintenant. Juste au moment où tu te tenais au milieu du salon et que tu énumérais les objets qui s’y trouvent. Tu ne les énumérais même pas : tu les nommais –un vase de Chine, un requin empaillé, une vitrine avec les verres en cristal, une collection de couteaux, un piano. Tu étais là avec une allure désinvolte, tu parlais sur un ton assez moqueur, à peine certes, comme cela t’arrivait fréquemment, mais… (Silence.) Tu n’imagines pas à quel point ce que tu faisais à cet instant-là était grave. Tu attribuais un nom aux objets. Et toutes ces choses correspondaient à leur nom. Et cela m’a secoué comme le tonnerre. Oui ! Tous les objets correspondent à leur nom. Le vase de Chine était, est et sera un vase de Chine. Le cristal restera à jamais du cristal et il demeurera quand la Lune tombera sur la Terre. Tu te tenais au milieu de ces choses mortes, tel un homme vivant, au sang chaud, et tu étais le seul à ne pas correspondre à son nom. Et il ne s’agit absolument pas des particularités de ton âme ni de ton honnêteté ou de ton immoralité, de ton honneur ou de ta fourberie, pas plus que du bien et du mal qui emplissent ta personne. Simplement, tu n’avais pas de nom. Comme nous tous. L’homme n’a pas de nom. Serguéï Léonidovitch Stange, monsieur le docteur, homo sapiens, un animal pensant, à l’image et à l’imitation de Dieu, tout cela ce ne sont pas des noms. Ce ne sont que des désignations. Mais il n’y a pas de nom.
Commenter  J’apprécie          20
Apprécie, ma petite sangsue, le MENU d’aujourd’hui.
Frühstück
Jus d’érable
Porridge de laminaires
Beurre de chèvre
Pain d’avoine
Café N
Café TW
thé vert

Lunch
Croûtons grillés à a cervelle de bouc
Salade d’herbes des prés
Bouillon de poule pressée
Filet de ragondin aux pousses de bambou
Fruits
Blub de mûres sauvages

Dîner
Koumys
Soupe wantan
Gâteau au fromage de millet

Souper
Pulpe de bouleau à la polenta
Hydromel au gingembre
Eau de source

Le coefficient de L-harmonie d’un menu pareil est de 52-58 sur l’échelle de Guerachtchenko. Not bad, n’est-ce pas ? Et hier, pour le lunch, on nous a servi du clone de dinde aux fourmis rouges, ce qui a provoqué en moi un accès de nostalgie violette.
Commenter  J’apprécie          60
On m’a donc apporté un lapin au vin blanc. Entier. Et dès que j’ai vu ce lapin, mesdames messieurs, j’ai tout simplement oublié où j’étais et qui j’étais. Il était disposé sur un plat de ce genre, exactement comme une oie de Noël. Sauf que ce n’était pas une oie, mais un lapin ! En voilà une bien bonne ! Je l’ai carrément pris avec les doigts et j’ai commencé à le manger. Et j’ai carrément rongé les os. Je ne les ai pas avalés, bien entendu. Je les ai mâchés l’un après l’autre, je les ai mâchés consciencieusement, je les ai remâchés, puis je les ai avalés une fois qu’ils étaient ramollis. Si bien que j’ai mangé le lapin en entier. Bon… Et j’en ai commandé un second. Et ce qui est le plus sidérant, c’est qu’ils m’ont apporté un lapin tout-à-fait identique ! Quant au goût, c’était aussi exactement le même ! Je l’ai de nouveau attaqué avec les mains et sa graisse coulait. Comme elle coulait ! Et alors, mesdames messieurs, j’ai mangé les deux cuisses, puis je me suis attaqué à une patte avant. Et je vois soudain dans cette patte un orifice. Et par cet orifice…
Commenter  J’apprécie          30
Les époux ne trahissaient jamais leurs préférences gastronomiques, commandant de façon immuable un tokay 1889, de la salade d’herbes des marais, des racines de dents de sagesse de vénérables prolétaires, des ménisques de footballeurs de troisième division de Biélorussie sous ses fatras de vomis. Pour le dessert, Svetlana prenait du cristal de roche à la bave de taureau fouettée ou une « cachiardise ».
Commenter  J’apprécie          80

Videos de Vladimir Sorokine (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vladimir Sorokine
Dimanche 16 mai 2010 Rencontre avec le romancier russe Vladimir Sorokine, Anne Coldefy-Faucard et Luba Jurgenson : « L'espace dans l'oeuvre de Sorokine », dans le cadre du banquet de printemps 2010 intitulé "L'Espace russe".

Vladimir Sorokine est connu dans les milieux non-conformistes depuis la fin des années soixante-dix. Il est né en 1955, et devient un écrivain russe majeur après l'effondrement de l'Union soviétique. Ses romans, nouvelles, récits et pièces de théâtre sont de véritables événements, suscitant louanges, critiques acerbes, contestations, indignation. Écrit dans les années 1985-1989, Roman est un des chefs-d'oeuvre de l'auteur. Il est publié en 2010 en français chez Verdier, en même temps que La Voie de Bro (Éd. de l'Olivier).
+ Lire la suite
autres livres classés : littérature russeVoir plus
Les plus populaires : Polar et thriller Voir plus


Lecteurs (37) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..