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Anna Postel (Traducteur)
EAN : 9782021515367
416 pages
Seuil (13/10/2023)
3.61/5   132 notes
Résumé :
Eleanor n'aurait jamais imaginé assister au meurtre de sa cruelle mais bien-aimée grand-mère Vivianne. Sur le seuil de l'appartement, elle croise le tueur. Mais atteinte d'une maladie rare, la prosopagnosie, elle ne peut reconnaître les visages.

En état de choc, elle apprend de surcroît que Vivianne lui a légué un manoir isolé dans la forêt suédoise dont elle n'avait jamais entendu parler.

Accompagnée de sa tante Veronika, de son compag... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (81) Voir plus Ajouter une critique
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La vie cachée de ma grand-mère

Camilla Sten nous revient avec un thriller tout aussi glaçant que «Le village perdu». Cette fois un héritière est confrontée à de lourds secrets de famille et à un tueur qui rôde autour du manoir isolé qu'elle est venu découvrir alors que l'hiver et la nuit s'installent.

Ce thriller saisissant s'ouvre par un interrogatoire. Eleanor doit tenter d'expliquer les circonstances de la mort de sa grand-mère. En lui rendant visite, elle l'a découverte avec des plaies au cou, des ciseaux dans la main. Mais elle a aussi croisé son assaillant, un homme en noir, qui a pris la fuite. le problème, c'est qu'Eleanor souffre de prosopagnosie, le trouble de la reconnaissance des visages. Son cerveau n'enregistre pas les visages humains et se contente de détails comme la vivacité d'un regard. L'enquête s'annonce particulièrement délicate.
D'ailleurs cinq mois plus tard, elle piétine toujours. En revanche, les formalités de succession peuvent suivre leur cours. Eleanor découvre avec stupéfaction qu'elle hérite d'un grand domaine avec une forêt et des terres de chasse, à une heure et demie de route au nord de Stockholm.
Elle décide de se rendre sur place avec Sebastian, son compagnon, et d'un avocat, Rickard Snäll. "Quand elle débouche de la clairière, elle découvre une grande bâtisse bien entretenue de deux étages, somptueuse avec ses murs en crépi blanc et ses rangées de fenêtres noires qui vous regardent sans vous voir." Elle constate que sa tante Veronika, la soeur de ma mère, a également fait le voyage. En revanche, Bengtsson, le gestionnaire du domaine, semble s'être évaporé. Et ce n'est pas le seul mystère qui plane au-dessus de ce vaste domaine. Au cours de leur inventaire, Eleanor va découvrir un carnet rédigé en polonais dans une petite chambre occultée et va tenter d'en savoir davantage sur l'histoire de ses grands-parents.
Qui était vraiment Vivianne? Qui aurait pu vouloir la tuer? Et pourquoi voulait-elle garder l'étrange manoir secret? Mais à chaque fois qu'elle progresse dans ses recherches, elle est confrontée et de nouveaux mystères.
Camilla Sten a choisi de scinder le récit en deux périodes, la quête d'Eleanor pour trouver les réponses à tous les secrets de famille et en parallèle la chronique des années 1960, lorsque Viviane vivait dans le domaine. Une construction qui permet au lecteur de comprendre les circonstances qui ont conduit à cette atmosphère si sombre. Les événements sont de plus en plus dramatiques et la saison - le froid et la nuit s'installent - ainsi que l'isolement - le domaine est loin de tout, les communications interrompues - vont renforcer la peur qui s'installe. Quand l'avocat est grièvement blessé, Eleanor ne peut s'empêcher d'imaginer que l'assassin de sa grand-mère rôde toujours. Aussi décide-t-elle de rentrer à Stockholm au plus vite.
Mais un véhicule en travers de la route va l'obliger à rebrousser chemin et à affronter le tueur.
Bien entendu, le thriller construit autour d'une maison isolée et de l'atmosphère angoissante n'est pas nouveau. le cinéma et la littérature ont abondamment traité le sujet. Mais aussi Camilla Sten elle-même dans son précédent thriller, le village perdu. Elle s'est aussi souvenue d'un roman de sa mère Viveca, Les nuits de la Saint-Jean, pour combiner les deux temporalités. Et c'est très réussi. le suspense est au rendez-vous, la peur décuplée du fait de la prosopagnosie d'Eleanor, une maladie qui va bien compliquer l'enquête.
À l'heure où l'automne s'installe, n'attendez pas la nuit noire ou les grands froids pour vous plonger sous la couette avec ce Manoir des glaces!
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Je remercie d'abord les Editions Seuil et Babelio qui m'ont permis de recevoir ce roman dans le cadre d'un Masse critique. Je connais cette auteure pour avoir lu « le village perdu » que j'avais apprécié.
Ce roman alterne avec une intrigue qui se déroule dans les années 60 et une autre aujourd'hui. Et ce n'est qu'à la fin que le lecteur comprend ce choix de l'auteure. Comme dans le précédent roman, Camilla Sten installe une atmosphère angoissante : Eléonore a croisé l'assassin de sa grand-mère le jour du meurtre mais comme elle souffre de prosopagnosie (une incapacité à mémoriser les visages des personnes qu'elle croise) elle n'a pas pu le reconnaître. Quelques mois plus tard, elle se rend en pleine forêt où se trouve un manoir dont elle n'avait jamais entendu parler et dont elle hérite. Elle est accompagnée par son petit-ami, sa tante et un avocat de la famille. Nous sommes en automne mais la neige tombe déjà, le manoir est isolé et bientôt Eléonore voit une ombre aux alentours. Véronica puis l'avocat sont victimes d'agression, les voitures sont sabotées, une tempête de neige se déclare, l'électricité est coupée…

Bref, nous avons tous les ingrédients pour trembler de peur. Eh bien non, j'ai trouvé le rythme lent, la fameuse ombre peu crédible dans ses agissements, je me suis demandé pourquoi elle s'en prenait à Eléonore alors qu'elle avait déjà obtenu ce qu'elle voulait. L'intrigue se déroulant dans les années 60 aurait gagné à être approfondie. La fin m'a donc déçue.

Challenge Multi défis 2023

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Un manoir isolé dans la forêt suédoise, inhabité depuis 40 ans, laissé aux bons soins d'un gardien qui ne donne plus signe de vie, tel est l'héritage légué à ses descendantes par Vivianne, vieille dame de 80 ans, mystérieusement assassinée quelques mois auparavant. Éleonor sa petite fille qu'elle a élevée et son compagnon Sebastian ont rendez-vous avec leur tante Veronika et un avocat aux étranges méthodes, afin d'établir un état des lieux pour mettre le domaine en vente. Mais les choses ne vont pas tout à fait se passer comme prévu…

Malgré le charme de la vieille bâtisse nichée au bord d'un lac, entourée d'un grand parc et de multiples dépendances, le malaise est très vite perceptible. Dès l'entrée, le tableau de famille, le père, la mère et leurs deux filles, dont trois déjà sont décédés, l'atmosphère lourde de cette demeure bourgeoise restée figée dans le passé, le froid dû à l'absence de chauffage créent une ambiance de lourds secrets exacerbée par la sensation qu'éprouve Éleonor d'une présence invisible.

Mais Éleonor est fragile, traumatisée par la mort de sa mère quand elle avait 3 ans, l'absence d'un père, l'assassinat de sa grand-mère, l'impression de ne pas être écoutée, ses mois d'hôpital…Malgré tout elle commence à comprendre certaines choses d'autant qu'elle a retrouvé le journal d'une cousine de Vivianne, une jeune Polonaise embauchée par ses grands-parents comme servante dans les années 60…
Bref un thriller à huit clos comme on les aime, un récit haletant et glaçant plutôt réussi, un très bon polar nordique ! Merci aux éditions du Seuil et à Babelio pour cette découverte !
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Je tiens tout d'abord à remercier Babelio et les éditions du Seuil pour m'avoir proposé ce livre et permis de renouer avec les policiers scandinaves dont je m'étais écartée depuis un moment.
Le manoir des glaces se déroule en Suède, dans la campagne au nord de Stockholm, mais il pourrait se passer dans n'importe quel pays nordique. En effet, ici, point de références à l'histoire du pays, ni d'arrière plan sociologique.
Eleanor croise le meurtrier qui vient d'assassiner sa grand-mère. Atteinte de prosopagnosie, maladie neurologique rare, elle ne pourra reconnaitre son visage.
Cinq mois plus tard, encore traumatisée par la scène à laquelle elle a assisté, elle se rend dans le manoir isolé dont elle vient d'hériter, en compagnie de son ami, de sa tante et d'un avocat chargé de faire un état des lieux. L'ambiance de la demeure est pesante, son gardien introuvable et une tempête de neige va bientôt empêcher tout contact avec l'extérieur.
En parallèle du récit d'Eleanor, Anushka nous relate, à la première personne également, son arrivée au manoir en 1965, sa prise de fonction en qualité de femme de chambre auprès de la propriétaire, sa cousine, future grand-mère d'Eleanor.
Au fil des pages, les histoires des deux femmes vont se croiser, s'imbriquer l'une dans l'autre, Eleanor parvenant à faire surgir du passé des éléments de la destinée troublante de son aïeule.
Usurpations d'identité, mère en mal d'enfants, relations mère-fille difficiles, adultère... Les repères sont brouillés, les personnages avancent masqués et la maladie d'Eleanor - belle trouvaille - n'arrange rien.
Camilla Sten nous offre une intrigue savamment agencée avec des allers-retours éclairants entre passé et présent et des thématiques sous-jacentes pertinentes, comme celle de l'émigration de jeunes polonaises en Suède.
Bien sûr, l'écriture est un peu plate, les situations légèrement convenues au début du livre et nous sommes loin des univers complexes et envoutants de Mankell, mais pour autant, nous tenons là un petit polar plutôt agréable.
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Je remercie #NetGalleyFrance et les Éditions du Seuil / Cadre Noir pour m'avoir permis de découvrir #LeManoirdesglaces de Camilla Sten.

Victoria Eleanor, orpheline, souffre de prosopagnosie : elle ne reconnait pas les visages... Lorsqu'elle croise l'assassin de sa grand-mère, Viviane, quelques minutes avant la mort de la vieille, elle est incapable d'en fournir un portrait à la police. Quelques mois plus tard, son cabinet d'avocats lui envoie Rickard, pour l'aider à faire l'inventaire du manoir secret que Viviane lui a légué. Eleanor se rend au domaine de Haut Soleil en compagnie de son conjoint, Sebastian, et de sa tante, Veronika, pour découvrir le manoir qui recèle tant de mystères.
L'autrice nous projette ensuite en 1965. A travers le récit d'Anushka, cousine servante de Viviane, nous tentons de découvrir en même temps qu'Eleanor les terribles événements qui ont conduit Evert, le grand-père d'Eleanor à y mourir et ce qui a incité Viviane à quitter le domaine pour toujours et à le dissimuler à sa petite-fille. Qu'est ce qui a pu rendre Viviane aussi méchante, versatile, énigmatique, incapable d'amour pour sa descendance ?

J'ai aimé ce roman d'ambiance qui mêle thriller, saga familiale et enquête. le huis-clos contemporain et les secrets qui entourent le manoir m'ont autant intéressée que l'intrigue démarrant en 1965. Les mystères sont aussi épais que la neige qui emprisonne les quatre personnages dans le manoir pour quelques heures. Je me suis rapidement attachée aux deux héroïnes principales, Eleanor et Anushka, torturées, courageuses et mystérieuses. le charisme de la méchante Viviane me laissera un souvenir doux-amer.
Le style est fluide, imagé, presque scénaristique. Les courts chapitres s'enchaînent rapidement et l'alternance entre le récit d'Eleanor et celui d'Anushka rend le rythme haletant, parfaitement maîtrisé. Lu en quelques jours seulement, j'ai passé un agréablement moment de lecture, entre le blanc aveuglant de la neige et la noirceur de l'âme humaine.

#LeManoirdesglaces #NetGalleyFrance
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critiques presse (1)
Liberation
18 décembre 2023
Ambiance étouffante, personnages troubles, héroïne luttant contre ses peurs et les ombres sans visages qui l’entourent…, "le Manoir de glaces", à l’image des maisons maudites de Lovecraft ou de Poe, devient vite le personnage principal d’un roman flirtant avec le fantastique.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
ELEANOR
Dimanche 15 septembre
L’ampoule à économie d’énergie jette une lumière froide et blanche dans la pièce exiguë. Sans doute censée convoquer une normalité rassurante, de même que les chaises passe-partout et la table en bois lisse devant moi.
Lorsque je regarde mes mains, j’ai toujours l’impression d’y voir du sang, bien que je les aie frottées au savon antiseptique jusqu’à ce qu’elles soient rouges et irritées, dans la salle de bains aux murs immaculés.
La porte s’ouvre. Je sursaute. Entre un homme aux cheveux blonds en brosse, en uniforme de policier. Il tient à la main un petit dictaphone.
Il pose l’appareil gris sur la table entre nous avec un bruit étonnamment fort.
– Victoria, commence-t-il. Je vais enregistrer notre conversation, êtes-vous d’accord ?
Il m’appelle Victoria, comme si nous nous connaissions.
La pièce tourne autour de moi. Je suis si lasse, j’ai si froid. Je ferme les yeux pour que tout s’arrête.
– Victoria, répète-t-il de sa voix à la douceur factice.
J’ouvre les paupières, la bouche pâteuse. Je suis obligée de le corriger :
– Eleanor. Je m’appelle Victoria Eleanor mais personne ne m’appelle Victoria. Sauf Vivianne.
– Entendu. Vous êtes d’accord pour que j’enregistre la conversation, Eleanor ?
Je hoche la tête.
– Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé lorsque vous avez rendu visite à votre grand-mère ?
– S’il vous plaît, ne l’appelez pas ma « grand-mère ». Elle n’aime pas ça. Elle s’appelle – s’appelait – Vivianne.
– D’accord, acquiesce le policier, conciliant. Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé quand vous êtes allée chez Vivianne ?
Il a les yeux bleu clair, d’une couleur si homogène qu’ils semblent faux. Faciles à mémoriser. Bon signe distinctif.
Connaît-il mon diagnostic ? Je me surprends à me poser la question.
A-t-il déjà entendu le mot prosopagnosie ? Lui a-t-on déjà expliqué ce qu’il signifie ?
Je suis douée pour expliquer ça aux gens. Je le suis devenue. C’est inévitable quand on passe son temps à le faire.
La prosopagnosie est le trouble de la reconnaissance des visages. Mon cerveau n’enregistre pas les visages humains de la même manière que le commun des mortels. Je ne reconnais pas les visages. Au lieu de cela, je suis obligée de mémoriser des caractéristiques.
Non, pas très pratique en soirée. Oui, c’est une bonne excuse, sauf que ce n’est pas une excuse. C’est ma vie. Je ne reconnais personne. Pas même mon visage quand je me regarde dans le miroir.
– J’ignore ce qui s’est passé.
Il ne répond pas, m’oblige à remplir le silence.
– Je devais aller dîner chez Vivianne dimanche. Nous dînons ensemble tous les dimanches. Nous nous sommes mises d’accord sur ça. Elle ne doit pas venir chez moi, ne doit pas débarquer à mon travail ou appeler mille fois jusqu’à ce que je décroche. En échange, je lui rends visite tous les dimanches soir. Je le fais toujours. J’allais juste dîner chez elle et…
Je dévisage le policier. Les mots me manquent.
– Ça n’a pas besoin d’être parfait. Racontez-moi ce dont vous vous souvenez.
Ce que je fais.

ELEANOR
Cinq heures et cinq minutes plus tôt
L’écho de mes pas résonnait dans la cage d’escalier. L’angoisse me nouait l’estomac, comme chaque fois que je gravissais les dernières marches qui menaient à l’appartement de Vivianne. J’y avais vécu seize ans. C’était « chez moi ». Si ça ne tenait qu’à moi, je n’y aurais plus jamais mis les pieds.
Les dîners du dimanche étaient un compromis. Deux heures par semaine pendant lesquelles Vivianne avait le droit de murmurer, régenter, me faire avaler du xérès dans de petits verres délicats et m’examiner sous toutes les coutures. C’était l’idée de ma psy, Carina, et l’arrangement avait bien fonctionné depuis près de quatre ans. C’était un compromis.
Je ne voulais pas complètement couper les ponts avec Vivianne. Elle était ma grand-mère en théorie, ma mère en pratique. Impossible de vivre avec elle, impossible de vivre sans.
Les coups de téléphone de la semaine dernière, en ces journées de septembre à la chaleur accablante, avaient rompu notre pacte. Elle ne devait appeler qu’en cas d’urgence. Je n’avais pas répondu mais elle avait laissé des tas de messages sur mon répondeur. Quatre le mardi, six le jeudi. Un seul tard le vendredi soir.
Je les entends dans les murs. Ils me murmurent des choses.
Le dernier message m’avait flanqué la chair de poule.
J’étais habituée à ce qu’elle m’appelle, ivre et folle de rage, ivre et triste ou encore ivre et hallucinée, mais là, c’était différent.
Avait-elle commencé à perdre la boule ? Pour moi, Vivianne n’était pas âgée – elle était sans âge, Vivianne tout simplement – mais il est vrai qu’elle approchait des quatre-vingts ans.
Je me suis arrêtée devant sa porte. La plaque polie portait l’inscription V. Fälth. Courte. Convenable.
Je me suis préparée mentalement.
Pourquoi l’air était-il toujours irrespirable dans ce foutu immeuble ? J’étouffais. Si seulement j’étais restée dans mon appartement spacieux, un bras de Sebastian autour de mes épaules, sur notre canapé Ikea élimé, devant notre écran plat bien trop cher. Si seulement je pouvais passer mes dimanches soir à mater Netflix sans me prendre la tête, comme tous les autres.
Je frappai.
Les secondes s’écoulèrent. Une. Deux.
La porte s’ouvrit.
Je me forçai à sourire, bouche fermée ; je m’apprêtais à entrer mais une intuition m’arrêta. Quelque chose ne tournait pas rond. La personne à la porte ne correspondait pas à ma grand-mère.
Je la dévisageai, cherchant les traits distinctifs de Vivianne. Je ne voyais qu’un bonnet noir en laine à la place des cheveux brillants de ma grand-mère.
Je baissai les yeux sur ses mains.
Ce n’étaient pas les mains de Vivianne. Les ongles n’étaient pas longs et rouges ; l’index de la main droite ne portait pas une grosse bague en topaze. Les mains étaient, semblait-il, tachées de rouille.
– Qui…
Mais elle m’avait déjà bousculée et avait dévalé l’escalier. Stupéfaite, je suivis du regard la silhouette puis me retournai vers l’appartement.
Vivianne gisait sur le sol de l’entrée. Devant elle, sur le tapis gris-bleu à motifs, un objet reflétait la lumière du lustre de cristal. J’ouvris la bouche pour poser une question. C’est là que je sentis l’odeur.
Elle me frappa comme un mur.
Lourde, doucereuse – du fer, de la viande, du parfum. Elle me souleva l’estomac.
Sur le tapis, les ciseaux étaient ouverts, lames écartées. Je ne les avais jamais vus ainsi. Je ne les avais vus que polis, beaux et inutilisables à côté du miroir à main assorti aux décorations sinueuses et de la blague à tabac sur le buffet de la salle à manger.
Ils n’étaient plus lustrés. Ils laisseraient des traces sur le tapis.
Vivianne tendait le bras vers les ciseaux, la main ouverte.
Comme c’est étrange, pensa mon cerveau gelé, embrumé, pendant le court instant où je demeurai immobile. Pourquoi cherche-t-elle à attraper les ciseaux ? Et pourquoi ne s’assied-elle pas pour les saisir ?
Je sortis soudain de ma torpeur et je compris qu’elle ne tendait pas le bras vers les ciseaux mais vers moi ; que le gémissement, le râle qui sortait de sa bouche était sa tentative de crier mon nom ; que son chemisier à motifs n’était pas à motifs mais transpercé, à plusieurs reprises, par les ciseaux posés sur le tapis à cinquante centimètres de mes pieds.
Je traversai l’entrée en deux enjambées et m’agenouillai auprès d’elle. Je m’entendais parler, mais ma voix me parvenait depuis le lointain :
– Que se passe-t-il ? Que s’est-il passé ? Que dois-je faire ? Que veux-tu que je fasse ?
Parce qu’elle savait toujours quoi faire.
Alors je continuai à lui poser des questions, même si je voyais l’intérieur de son œsophage, écarlate, sanguinolent. La chair sous la peau. Elle me saisit le poignet de sa main tendue, comme un écho de toutes les fois où elle avait exécuté ce geste. Elle serra si fort que mes os semblèrent s’entrechoquer, comme si elle se noyait et que j’étais sa bouée de sauvetage. En un sens, elle se noyait vraiment. J’entendais à sa respiration difficile, rauque, que le liquide visqueux qui s’écoulait de plus en plus lentement de sa gorge avait déjà commencé à s’insinuer dans ses poumons.
Je fis la seule chose qui me vint à l’esprit.
Je pressai ma main libre contre la plaie de son cou.

ELEANOR
Aujourd’hui
– Vous souvenez-vous à quoi ressemblait la personne qui a ouvert la porte ? demande le policier. Pouvez-vous décrire son visage ? Était-ce un homme ou une femme ? Vous rappelez-vous son âge ?
Je secoue lentement la tête, croise ses yeux bleus, brillants, et souffle entre mes lèvres muettes :
– Non.

PREMIÈRE PARTIE
ELEANOR
Mercredi 19 février
Cinq mois plus tard
Il fait une chaleur à crever dans la voiture mais je ne dis rien. L’hiver a été marqué par la grisaille et les champs que nous dépassons s’étendent décolorés, couverts de givre, sous le ciel lourd ; seule une fine couche de neige les protège du vent. Avec un temps pareil, pas étonnant qu’on se sente gelé jusqu’à la moelle. Sans compter que c’est la voiture de Sebastian, et c’est lui qui conduit ; il règle la température à sa convenance.
– Merci d’avoir pris le volant, lui dis-je.
Il esquisse un vague sourire sans quitter la route des yeux.
– Pas de problème. J’aime bien conduire à la campagne. Moins stressant qu’en ville.
Je pose une main sur son genou car je sais que c’est la chose à faire, je serre délicatement. Nous sommes en couple depuis six ans mais ce genre de geste ne me paraît toujours pas naturel.
Nous nous taisons.
– Je me demande dans quel état est la maison, déclare Sebastian au bout de quelques minutes. Si ça se trouve, c’est une ruine ; c’est peut-être pour ça que ta grand-mère n’en a jamais parlé.
– Je ne sais pas.
Quand l’avocat de Vivianne avait mentionné le domaine de Haut Soleil pour la première fois, j’avais cru à une erreur. Je venais de sortir de l’hôpital, je ne savais pas encore comment j’allais supporter le monde réel.
L’avocat avait été très factuel.
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Y a-t-il une odeur de neige ? Ou de sang ?
Ce n'est pas la réalité. Ce n'est pas la réalité.
Je dois retrouver un ancrage. Me rappeler où je suis, m'enraciner dans le présent.
Mais dans le présent, je suis perdue dans une tempête de neige, ma tante a disparu dans la nuit, mon avocat est mort de froid et oui, j'entends bien quelque chose, et ce n'est pas le vent, ce ne sont pas les branches qui craquent, ce n'est pas ma respiration ou mon cœur qui s'emballe, non, on dirait…
Des pas.
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Le domaine de Haut-Soleil est un drôle d'endroit. Je sens les vestiges de l'intérieur agréable et soigné, des dîners tardifs, des alcools forts dans les verres en cristal scintillant, des pieds d'enfants sur des tapis moelleux, mais bien que tout soit propre et bien lustré, le silence qui y régnait pèse encore. Personne ne vit plus ici depuis longtemps. Nous ne sommes que des visiteurs. Les meubles élégants jurent avec les murs nus aux papiers peints jaunis, les hautes fenêtres qui donnent sur la pénombre dehors.
C'est une maison qui attend.
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La neige n’est pas très épaisse, au maximum vingt centimètres lorsqu’elle est entassée en congères, mais elle est dure, glacée. Nous marchons avec précaution. Ma plaie au menton me fait encore suffisamment souffrir pour me rappeler de regarder où je mets les pieds.
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Eleanor
L'idée que le domaine n'en a pas fini avec nous me colle à la peau.
Dans mon esprit, il semble doté d'une conscience, comme une créature assoupie. C'est bien plus qu'une maison. Il m'attend depuis plus de quarante ans. Il attend notre retour pour nous révéler ses secrets.
J'ai l'impression que la maison est vivante.
Comme si tout ce qui s'était passé ici, tout ce que nous ne savons pas encore, s'était insinué dans les murs, s'y était installé comme de la moisissure. Après des années à grandir, à s'étendre. À glisser ses doigts fins derrière les papiers peints et les lattes du parquet.
Elle ne veut pas nous lâcher. Elle veut nous écraser, nous vider de toute substance.
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Vidéo de Camilla Sten
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