Lecture jeune, n°128 - Arnold Spirit Junior, un jeune indien Spokane, est né dans une réserve. Cet adolescent de 14 ans a été littéralement « gâté » par la nature ! Il a la tête « pleine d'eau » (il est hydrocéphale) et a miraculeusement survécu à une opération lorsqu'il était nourrisson. Il en a gardé un crâne et des pieds surdimensionnés, 42 dents (« dix dents au-delà de l'humain »), un oeil myope, l'autre presbyte et est sujet à une activité convulsive qui s'exprime par des bégaiements, des zozotements ou des crises… En plus d'être considéré comme le « gogol » de la réserve, il se fait tabasser régulièrement par les gamins de son âge. Sa seule assurance-vie est son meilleur - et seul - ami, Rowdy, la brute la plus épaisse de la réserve. Pour éviter de finir « minable », comme tout bon indien Spokane, il choisit de fraterniser avec l'ennemi. Sur les conseils d'un professeur, Junior décide de quitter son lycée pour celui de Reardan, à 35 km de la réserve, fréquenté uniquement par des « blancs ».
En pactisant avec le monde des « blancs », Junior sait qu'il va devenir un traître pour sa communauté. Mais il refuse tout simplement d'être le héros d'une histoire tragique répétée à l'infini par sa tribu : « On se met à croire que si on est pauvre, c'est parce qu'on est bête et moche, c'est parce qu'on est indien. Et parce qu'on est indien, on se met à croire qu'on est destiné à être pauvre ». Junior, qui se décrit avec la plus grande honnêteté comme un raté, réussit à se faire accepter par les « racistes » de Reardan, il devient un des plus grands joueurs de l'équipe de basket et tombe amoureux de la plus belle blonde du lycée. Junior manie l'autodérision avec talent et envisage le monde qui se présente à lui avec une lucidité aussi généreuse qu'irrévérencieuse. Il appréhende sa condition sans la moindre compassion et l'humour devient son unique sortie de secours. Son optimisme et sa foi en l'avenir sont si tenaces que Junior semble parfois être masochiste ou simplement naïf.
« Fils adoptif » de
Jim Harrison et James Welsh, figure majeure de la littérature amérindienne actuelle,
Sherman Alexie a choisi le roman adolescent pour écrire sa « presque autobiographie ».
Sherman Alexie, de mère Spokane, a grandi dans une réserve à Wellpinit et en est sorti pour faire de brillantes études. Il est également né hydrocéphale. Sous des allures de roman pour préados - le texte est parsemé de dessins accentuant le côté « comique » du personnage - ce récit s'adresse à des bons lecteurs. Il joue constamment sur un humour à prendre au second degré et une critique de la position de victime d'une communauté qui a intégré l'exclusion comme étant naturelle et justifiée. Mais au jeu du « premier qui pleure a perdu »
Sherman Alexie sort gagnant. Il a reçu le National Book Award avec ce roman délicieusement drôle qui est devenu un best-seller aux États-unis.
Rozenn Muzellec