J'aime de temps à autre revenir vers le pays du Soleil-Levant, redécouvrir sa poésie qui, telle la lointaine lumière des étoiles, n'en finit pas d'arriver jusqu'à nous.
Entre Source et nuage : la poésie chinoise réinventée est une courte et belle anthologie sur la
poésie chinoise classique et contemporaine. Ce recueil préfacé et annoté par
François Cheng (il est également le traducteur des poèmes de l'ouvrage avec sa fille Anne, sinologue et universitaire) est comme un nouveau témoignage du magnifique héritage littéraire que nous laisse la Chine, un héritage qui a su traverser le temps et les frontières, tracé d'un long chemin qui va des dynasties des Tang (618-907) et des Sung (960-1279) jusqu'à notre époque contemporaine.
J'ai retrouvé avec plaisir des poèmes de ceux qui sont sont considérés en Chine comme les trois grands noms de la poésie :
Li Po,
Tu Fu et
Wang Wei. Chez eux, le langage est épure, l'intime embrasse l'universel et fait de chaque poème un nuancier subtile, entre gravité et méditation mais aussi légèreté et trivialité.
Un poème de
Li Po m'a particulièrement touché. Son titre : Pensée nocturne.
" Devant mon lit clarté lunaire
Est-ce du givre couvrant la terre ?
Tête levée, je vois la lune
Yeux baissés songe au sol natal. "
Ce très court poème est d'une rare beauté. Quelques mots seulement ont suffit à son auteur pour décrire toute l'immensité d'une nuit sans nuages, d'un paysage nimbé d'une étrange lumière. Étonné, l'homme lève le regard jusqu'à la lune puis ses yeux baissés apparaît le songe du pays natal. Quelques mots, juste quelques mots, le mouvement d'un regard à peine suggéré, et ce sont deux mondes, deux temporalités (le présent et le passé) qui nous apparaissent dans toute leur évidence, dans toute leur simplicité.
Au fil des pages, j'ai découvert d'autres poètes moins connus mais qui influencés par le taoïsme, le confucianisme ou le bouddhisme, possèdent une écriture tout aussi belle et sensible que leurs illustres prédécesseurs. Je pense notamment à Li Ch'ing-Chao (poétesse née à la fin du XIème siècle). Ses poèmes sont emplis d'une réserve et d'une délicatesse touchantes. Celui-ci particulièrement, il s'appelle " Sur l'air de Wan-ch'i-sha " :
" Faiblesse après la maladie, cheveux ornés de givre.
Un reste de lune éclaire mon lit par la croisée…
Tisane de noix muscades bouillies avec leurs tiges
non moins savoureuse que le thé.
Lecture de poésie sur l'oreiller, délice inespéré.
Dehors le paysage, se rafraîchit sous l'averse.
Tout le long du jour, seule présence amie :
secret parfum de cannelier. "
Plus loin dans le recueil,
François Cheng révèle une face peu connue de la
poésie chinoise, celle des périodes modernes et contemporaines. La plupart de ses représentants sont très peu étudiés et traduits en France. Il est donc très difficile, même au travers d'une présentation des auteurs et de quelques-uns de leurs poèmes, de rendre compte de leur influence, de l'importance de leur oeuvre. Même l'évocation d'Ai Ts'ing (auteur né en 1910), considéré par beaucoup en Chine comme le plus grand des poètes modernes, a du mal à se faire une place dans la présente anthologie.
Les écrits de beaucoup de poètes chinois modernes et contemporains mériteraient une traduction comme ceux de Mu Tan (1918-1977) ou Ping Hsin, une poétesse des années 20 très populaire au Pays du soleil levant :
" Sur l'eau verte de la rivière
se penchent des lavandières
et passent quelques canards…
Le poète à dos de mulet
entre pas à pas
dans le paysage de son poème. "
Entre Source et nuage, entre l'eau de la pluie qui s'évapore et remonte au ciel, la poésie est un cycle qui va de l'immuable vers la transcendance, avec pour belle interprète de ce passage, la
poésie chinoise.