AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782841900541
93 pages
Parangon (30/08/2004)
3.89/5   14 notes
Résumé :
Au lendemain de la mort de Baudelaire, il n'y eut pas que des éloges funèbres et, pour répliquer aux détracteurs du poète, il fallait la plume d'une autorité, celle d'un Théophile Gautier en l'occurrence.
L'article nécrologique que celui-ci publia dans Le Moniteur du 9 septembre 1867 servit de base à la notice introductive d'une première édition des œuvres complètes de Baudelaire, publiée en 1868 dans la collection " Bibliothèque contemporaine " chez Michel L... >Voir plus
Que lire après Charles BaudelaireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
******

« On peut dire de lui que c'était un dandy égaré dans la bohème, mais y gardant son rang et ses manières et ce culte de soi-même qui caractérise l'homme imbu des principes de Brummell. »

Une amitié…
À la fin des années 1849, les deux poètes Charles Baudelaire et Théophile Gautier se rencontre pour la première fois lors d'une fête à l'hôtel Pimodon. Baudelaire, admiratif, veut conserver l'attitude d'un disciple. Il lui dédicace son recueil des Fleurs du Mal paru en1857 :
« Au poète impeccable
Au parfait magicien ès lettres françaises
A mon très-cher et très-vénéré
Maître et ami
Théophile Gautier
Avec les sentiments
De la plus profonde humilité
Je dédie
Ces fleurs maladives »
Par ailleurs, il publie un long article consacré à Gautier, dans L'Artiste du 13 mars 1859 repris sous le titre « Théophile Gautier par Charles Baudelaire ».

Le 20 février 1868, après la mort de Baudelaire, Gautier écrit à son tour un article nécrologique pour le Moniteur Universel intitulé « Charles Baudelaire ».
Un texte magnifique sur son ami : « Au fond de la poésie la plus sombre souvent s'ouvre une fenêtre par où l'on voit, au lieu des cheminées noires et des toits fumeux, la mer bleue de l'Inde, ou quelque rivage d'or que parcourt légèrement une svelte figure de Malabaraise demi-nue, portant une amphore sur la tête. »
Cette Malabaraise décrite par Gautier est Jeanne Duval, mulâtresse aux charmes vénéneux, source de plaisir et de souffrance, l'image de la sensualité féminine dont le corps éveillera les sens de Baudelaire : « le serpent qui danse » ; « Sed non satiata », et le mènera au spleen dans « le démon » ou lorsqu'elle prendra les traits d'un être maléfique « le vampire ».

Avec d'autres membres de l'élite intellectuelle de Paris, Gautier et Baudelaire faisait partie du Club des Haschischins consommateurs de drogues, dont le Haschich et le cannabis. Selon Gautier : « il est difficile de croire que l'auteur des « Fleurs du mal », malgré ses penchants sataniques, ait rendu de fréquentes visites aux paradis artificiels. »

Sur Baudelaire et l'art :
« On pense bien que Baudelaire était pour l'autonomie absolue de l'art et qu'il n'admettait pas que la poésie eût d'autre but qu'elle-même et d'autre mission à remplir que d'exciter dans l'âme du lecteur la sensation du beau, dans le sens absolu du terme… Ces principes peuvent étonner quand on lit certaines pièces de Baudelaire où l'horreur semble cherchée comme à plaisir ; mais qu'on ne s'y trompe pas, cette horreur est toujours transfigurée par le caractère et l'effet, par un rayon à la Rembrandt, ou un trait de grandesse à la Velasquez qui trahit la race sous la difformité sordide. »

La plume de Gautier fait briller toutes les facettes de la poésie de Baudelaire dont les vers et le style l'enchantent : « Baudelaire y mêle des fils de soie et d'or à des fils de chanvre rudes et forts, comme en ces étoffes d'Orient à la fois splendides et grossières où les plus délicats ornements courent avec de charmants caprices sur un poil de chameau bourru ou sur une toile âpre au toucher comme la voile d'une barque ». Il est admiratif du superbe poème « Les petites vieilles » qui étonna Victor Hugo lui-même : « le poète, se promenant dans les rues de Paris, voit passer des petites vieilles à l'allure humble et triste, et il les suit comme on ferait de jolies femmes ».

Une conclusion de Gautier sur son ami : « Baudelaire a pour nous cet avantage ; il peut être mauvais, mais il n'est jamais commun. Ses fautes sont originales comme ses qualités, et, là même où il déplaît, il l'a voulu ainsi d'après une esthétique particulière et un raisonnement longtemps débattu ». La fin de Baudelaire, encore jeune à 46 ans, est décrite par Théophile Gautier comme une épitaphe :
« À quoi bon insister sur les détails de cette triste fin ? Il n'est pas de bonne manière de mourir, mais il est douloureux, pour les survivants, de voir s'en aller si tôt une intelligence remarquable qui pouvait longtemps encore porter des fruits, et de perdre sur le chemin de plus en plus désert de la vie un compagnon de sa jeunesse. »

***
Lien : http://www.httpsilartetaitco..
Commenter  J’apprécie          272
Sandor Marai, dans son Journal de 1944 (p. 84), écrit un si grand éloge de l'essai de Gautier sur Baudelaire, que j'ai été lire le texte en question. Gautier n'est pas seulement le dédicataire des Fleurs du Mal, l'ami de l'auteur et un esthète parfait. C'était aussi un pauvre écrivain attaché à la "roue du journalisme" qui écrivait, pour gagner sa vie, des critiques d'art, de théâtre et de littérature, si nombreuses qu'on n'en fait pas le tour. En 1868, il rédige cette étude de Baudelaire pour "Le Moniteur Universel", et pose les bases et les principaux éléments du discours critique (pré-linguistique et pré-stylistique) sur Baudelaire, les Fleurs du Mal, le fameux procès de 1857, les traductions d'Edgar Poe, et le grand livre sur l'opium et Thomas de Quincey ("Les Paradis Artificiels"). La grandeur des Petits Poèmes en Prose, parus peu de temps avant cette étude, lui échappe totalement. Gautier n'a rien d'un penseur ni d'un critique littéraire bien pertinent : il ne comprend pas grand chose à la poésie de Baudelaire et, dix ans après le procès pour immoralité, se croit obligé de défendre la moralité profonde de l'homme et de l'oeuvre, comme si cela avait la moindre importance. Mais il est un artiste : il sait merveilleusement parler du vers baudelairien, de la langue du poète, de sa métrique et surtout de ses images. Gautier est un écrivain peintre : incapable de penser, il voit avec génie formes et couleurs. Et sa maîtrise du style imagé, luxueux, de la description, font de ce livre une oeuvre de prose française magnifique.
Commenter  J’apprécie          162
Théophile Gautier est un des plus fidèles combattants du romantisme. Pas un des généraux théoriciens comme Lamartine ou Hugo, mais dans l'infanterie, sur le terrain. Il a combattu, presque physiquement, pour la bataille d'Hernani. Et il reste un romantique même lorsque le courant est devenu anachronique, passé de mode pourrait-on dire. Surtout, il est fidèle à ses amitiés, et reconnaît humblement le génie des autres.
Baudelaire n'est encore reconnu en 1868 que d'un petit nombre de lecteurs, la poésie n'est pas ce qui est le plus lu en France, et Gautier explique que celle de Baudelaire est exigeante, qu'il faut des références littéraires pour la comprendre. de plus, le procès des Fleurs du mal lui a fait une mauvaise publicité dirait-on en terme moderne, dans la mesure où une réputation sulfureuse est attachée à sa personne et à ses oeuvres - Gautier va jusqu'à dire que Baudelaire est comparé à un diable, et que, lui, Gautier, en lisant et en relisant Baudelaire, n'est pas mort empoisonné de lire des passages indécents.
Gautier veut donc rendre hommage à Baudelaire et à son oeuvre, la faire connaître davantage alors que celui-ci est décédé - un peu comme le fera Verlaine avec son recueil sur les poètes maudits. Son texte est donc plusieurs choses à la fois. D'abord, une biographie du poète. Il le décrit comme un visionnaire, comme un élégant, il parle de sa vie et ses aventures intimes - de façon très discrète, de sa maladie qui est le contraint à la paralysie et l'empêche de parler. Mais toujours en le mettant dans son contexte, au milieu des autres écrivains. Gautier décrit donc une vie de bohème, des petits appartements pauvres mais décorés de bibelots extravagants reflétant le dandysme, son goût pour les parfums, son amour des chats. Il évoque le club des Hachichins, tout en précisant que Baudelaire n'avait pas besoin de drogue pour créer.
Et il place Baudelaire au-milieu des écrivains de son temps - tout en le plaçant à part : il cite Aloysius Bertrand, encore moins lu à cette époque, Bazac, Stendhal, Poe, la grande source d'inspiration et le modèle de Baudelaire, Hugo...
Il y a peu d'allusion à Hugo dans le texte de Gautier sur Baudelaire. Mais Gautier est un de ses fidèles, depuis le début - j'emploie le mot à dessein dans un sens presque religieux. Ce texte date de 1868 : le romantisme n'est plus le courant dominant, Hugo est hors de France depuis plus de quinze ans, ses oeuvres ne sont officiellement pas autorisées, mais Gautier pense toujours à lui et il lui rend hommage. Oh, l'allusion est certes discrète, mais elle est évocatrice, avec une périphrase puissante : le "saint Jean poétique qui rêve dans la Patmos de Guernesey" - l'auteur de l'Apocalypse, exilé sur une île, personnage auquel Hugo lui-même s'identifie dans les Châtiments.
Ce texte est donc aussi une critique littéraire, une étude de la versification et de l'écriture de Baudelaire. Gautier décrypte la langue de Baudelaire, ses formes poétiques, pour expliquer ce qui en fait la force et la beauté ; il va jusqu'aux détails techniques de mêtrique des vers. J'ai ainsi apprécié son analyse des "sonnets libertins" : un sonnet qui ne respecte pas les règles classiques n'est ainsi pas un véritable sonnet. Il parle de certains poèmes en particulier des Fleurs du mal pour démontrer leurs qualités. Mais il fait aussi l'éloge de la modernité de Baudelaire avec son utilisation géniale et révolutionnaire de la prose.
C'est ensuite un éloge d'Edgar Poe, qui permet de faire l'éloge de Baudelaire, lui qui l'introduit en France et le traduit. Gautier rapproche les deux écrivains et les compare. Il le compare aussi aux peintres, Delacroix notamment.
Gautier écrit donc à la fois une critique et une analyse littéraires, une description des milieux artistiques romantiques, la biographie d'un génie avec des touches biographiques puisqu'il parle de lui en même temps, un hommage à tous les artistes talentueux du XIX ème siècle... Et, surtout, c'est l'oeuvre d'un ami qui évoque ses amis, l'oeuvre d'un artiste lui-même mais qui ne se juge pas digne d'être placé au même rang que les autres, qui ne s'estime pas assez, et ceci est très émouvant.

Commenter  J’apprécie          60
Ce court livre est une notice de Théophile Gautier qui après quelques avatars sera la préface des Oeuvres complètes de Baudelaire publiée à partir de 1868. Elle débute par le souvenir de la rencontre, en 1849 à l'hôtel Pimodan, alors que Baudelaire était encore inconnu du grand public mais que « déjà son nom commençait à se répandre parmi les poètes et les artistes avec un frémissement d'attente ». Un portrait de Baudelaire, son habit, son aspect, son regard, « tel il nous apparut à cette première rencontre, dont le souvenir nous est aussi présent que si elle avait eu lieu hier, et nous pourrions, de mémoire, en dessiner le tableau ». Et c'est ce que fait Théophile Gautier, il évoque ceux et celles qui étaient présents ce soir-là, le maître des lieux, les muses, les artistes. « Elles sont passées, ces heures charmantes de loisir », nostalgie des groupes dispersés par « les nécessités de la vie ».
Puis Baudelaire vient apporter quelques jours plus tard à Théophile Gautier un livre de vers, et c'est le début de l'amitié entre les deux poètes que dix ans séparent : Baudelaire voulut toujours garder l'attitude d'un disciple, sans jamais se départir de sa déférence, de son exquise politesse. Car Gautier souhaite contrer la réputation d' « âme satanique éprise du mal et de la dépravation », lui qui a toujours eu la corruption en horreur. Il n'a de cesse d'insister sur l'individualité de Baudelaire, sa pensée compliquée, intense, subtile, bien loin du maniérisme qu'on a pu lui prêter, un homme convaincu que la perversité originelle était toujours présente, mais qui haïssait le mal, qui avait un « dégoût hautain pour les turpitudes de l'esprit et les laideurs ». Quand il aborde la critique de l'oeuvre, et surtout les Fleurs du Mal, Gautier écrit de superbes pages sur le goût de ce qu'il appelle l'artificiel, les odeurs et parfums, l'élégance bizarre, les couleurs, l'Orient, les chats, le rythme des vers. Il rend par sa propre poésie la poésie de son ami, son esthétique, sa philosophie, son travail. Mais « Baudelaire parlait beaucoup de ses idées, très peu de ses sentiments et jamais de ses actions » et jamais Gautier ne fut assez intime pour savoir si l'amour idéal tant évoqué était le souvenir d'une femme réelle passionnément et religieusement aimée. Il en conclut donc que le plus sûr est d'y voir une « postulation de l'âme ».
Cette notice est un hommage, une critique admirative, une volonté de rendre la personnalité réelle de Baudelaire loin de sa mauvaise réputation de l'époque, alors que les Fleurs du Mal avaient été condamnées pour « outrage à la morale publique » en 1857. C'est aussi pour nous une évocation très vivante et pleine de respect par un ami proche, pour lequel Baudelaire a toujours gardé quelques uns de ses mystères
Commenter  J’apprécie          30
Th. Gautier nous propose un véritable voyage dans le siècle baudelairien, il nous présente les oeuvres du poète – bien évidemment – mais également ses influences – Edgar Allan Poe – ses amours si discrètes, l ‘époque du Club des Hashischins auquel il appartenait aussi, où je découvre un Baudelaire moins enclin que je ne l'imaginais à la consommation de drogues douces. C'est en ami que Th. Gautier nous fais revivre les dernières semaines de Baudelaire, paralysé, ramené de Bruxelles à Paris par sa famille, ne pouvant plus écrire, l'esprit et l'intelligence toujours en alerte et prêts à créer.

J'ai passé un très beau moment en lisant les lignes de Théophile Gautier. Il a ravivé encore une fois mon envie de relire Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Les petits poèmes en prose, mais aussi ses traduction d'Edgar Poe.
Lien : http://synchroniciteetserend..
Commenter  J’apprécie          90

Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Baudelaire avait en parfaite horreur les philanthropes, les progressistes, les utilitaires, les humanitaires, les utopistes et tous ceux qui prétendent changer quelque chose à l'invariable nature et à l'agencement fatal des sociétés. Il ne rêvait ni la suppression de l'enfer ni celle de la guillotine pour la plus grande commodité des pécheurs et des assassins ; il ne pensait pas que l'homme fût né bon, et il admettait la perversité originelle comme un élément qu'on retrouve toujours au fond des âmes les plus pures, perversité, mauvaise conseillère qui pousse l'homme à faire ce qui lui est funeste, précisément parce que cela lui est funeste et pour le plaisir de contrarier la loi, sans autre attrait que la désobéissance, en dehors de toute sensualité, de tout profit et de tout charme. Cette perversité, il la constatait et la flagellait chez les autres comme chez lui-même, ainsi qu'un esclave pris en faute, mais en s'abstenant de tout sermon, car il la regardait comme damnablement irrémédiable. C'est donc bien à tort que des critiques à courte vue ont accusé Baudelaire d'immoralité, thème commode de déblatérations pour la médiocrité jalouse et toujours bien accueilli par les pharisiens et les J. Prudhommes.

pp. 48-49
Commenter  J’apprécie          80
"Les Fleurs du Mal" étaient un de ces titres heureux plus difficiles à trouver qu'on ne pense. Il résumait sous une forme brève et poétique l'idée générale du livre et en indiquant les tendances. Quoiqu'il soit bien évidemment romantique d'intention et de facture, on ne saurait rattacher par un lien bien visible Baudelaire à aucun des grands maîtres de cette école. Son vers, d'une structure raffinée et savante, d'une concision parfois trop serrée et qui étreint les objets plutôt comme une armure que comme un vêtement, présente à la première lecture une apparence de difficulté et d'obscurité. Cela tient, non pas à un défaut de l'auteur, mais à la nouveauté même des choses qu'il exprime et qui n'ont pas encore été rendues par des moyens littéraires. Il a fallu que le poète, pour y parvenir, se composât une langue, un rythme et une palette... Pour peindre ces corruptions qui lui font horreur, il a su trouver ces nuances morbidement riches de la pourriture plus ou moins avancée, ces tons de nacre et de burgau qui glacent les eaux stagnantes, ces roses de phtisie, ces blancs de chlore, ces jaunes fielleux de bile extravasée, ces gris plombés de brouillard pestilentiel, ces verts empoisonnés et métalliques puant l'arséniate de cuivre, ces noirs de fumée délayés par la pluie le long des murs plâtreux, ces bitumes recuits et roussis dans toutes les fritures de l'enfer si excellents pour servir de fond à quelque tête livide et spectrale, et toute cette gamme de couleurs exaspérées poussées au degré le plus intense, qui correspondent à l'automne, au coucher du soleil, à la maturité extrême des fruits, et à la dernière heure des civilisations.

pp. 60-61
Commenter  J’apprécie          50
Son aspect nous frappa : il avait les cheveux coupés très ras et du plus beau noir ; ces cheveux, faisant des pointes régulières sur le front d’une éclatante blancheur, le coiffaient comme une espèce de casque sarrasin ; les yeux, couleur de tabac d’Espagne, avaient un regard spirituel, profond, et d’une pénétration peut-être un peu trop insistante ; quant à la bouche, meublée de dents très blanches, elle abritait, sous une légère et soyeuse moustache ombrageant son contour, des sinuosités mobiles, voluptueuses et ironiques comme les lèvres de figures peintes par Léonard de Vinci ; le nez, fin et délicat, un peu arrondi, aux narines palpitantes, semblait subodorer de vagues parfums lointains ; une fossette vigoureuse accentuait le menton comme le coup de pouce final du statuaire ; les joues, soigneusement rasées, contrastaient, par leur fleur bleuâtre que veloutait la poudre de riz, avec les nuances vermeilles des pommettes ; le cou, d’une élégance et d’une blancheur féminine, apparaissait dégagé, partant d’un col de chemise rabattu et d’une étroite cravate en madras des Indes et à carreaux.

Son vêtement consistait en un paletot d’une étoffe noire lustrée et brillante, un pantalon noisette, des bas blancs et des escarpins vernis, le tout méticuleusement propre et correct, avec un cachet voulu de simplicité anglaise et comme à l’intention de se séparer du genre artiste, à chapeaux de feutre mou, à vestes de velours, à vareuses rouges, à barbe prolixe et à crinière échevelée. Rien de trop frais ni de trop voyant dans cette tenue rigoureuse. Charles Baudelaire appartenait à ce dandysme sobre qui râpe ses habits avec du papier de verre pour leur ôter l’éclat endimanché et tout battant neuf si cher au philistin et si désagréable pour le vrai gentleman.
Commenter  J’apprécie          41
À quelle existence triste, précaire et misérable, et nous ne parlons pas ici des embarras d’argent, se voue celui qui s’engage dans cette voie douloureuse qu’on nomme la carrière des lettres ! Il peut dès ce jour se considérer comme retranché du nombre des humains : l’action chez lui s’arrête ; il ne vit plus ; il est le spectateur de la vie. Toute sensation lui devient motif d’analyse. Involontairement il se dédouble et, faute d’autre sujet, devient l’espion de lui-même. S’il manque de cadavre, il s’étend sur la dalle de marbre noir, et, par un prodige fréquent en littérature, il enfonce le scalpel dans son propre cœur. Et quelles luttes acharnées avec l’Idée, ce Protée insaisissable qui prend toutes les formes pour se dérober à votre étreinte, et qui ne rend son oracle que lorsqu’on l’a contrainte à se montrer sous son véritable aspect ! Cette Idée, quand on la tient effarée et palpitante sous son genou vainqueur, il faut la relever, la vêtir, lui mettre cette robe de style si difficile à tisser, à teindre, à disposer en plis sévères ou gracieux. À ce jeu longtemps soutenu, les nerfs s’irritent, le cerveau s’enflamme, la sensibilité s’exacerbe ; et la névrose arrive avec ses inquiétudes bizarres, ses insomnies hallucinées, ses souffrances indéfinissables, ses caprices morbides, ses dépravations fantasques, ses engouements et ses répugnances sans motif, ses énergies folles et ses prostrations énervées, sa recherche d’excitants et son dégoût pour toute nourriture saine. Nous ne chargeons pas le tableau ; plus d’une mort récente en garantit l’exactitude. Encore n’avons-nous là en vue que les poètes ayant du talent, visités par la gloire et qui, du moins, ont succombé sur le sein de leur idéal. Que serait-ce si nous descendions dans ses limbes où vagissent, avec les ombres des petits enfants, les vocations mort-nées, les tentatives avortées, les larves d’idées qui n’ont trouvé ni ailes ni formes, car le désir n’est pas la puissance, l’amour n’est pas la possession. La foi ne suffit pas : il faut le don. En littérature comme en théologie, les œuvres ne sont rien sans la Grâce.
Commenter  J’apprécie          30
******

Contrairement aux mœurs un peu débraillées des artistes, Baudelaire se piquait de garder les plus étroites convenances, et sa politesse était excessive jusqu’à paraître maniérée. Il mesurait ses phrases, n’employait que les termes les plus choisis, et disait certains mots d’une façon particulière, comme s’il eût voulu les souligner et leur donner une importance mystérieuse. Il avait dans la voix des italiques et des majuscules initiales.

***
Commenter  J’apprécie          100

Videos de Théophile Gautier (25) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Théophile Gautier
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe. La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska. Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836 Maison de Balzac, BAL 1990.1 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac Orfèvre le Cointe, 1834 Maison de Balzac, BAL 186 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976 Maison de Balzac, B2290 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature Théophile Gautier, 1830 Maison de Balzac, BAL 333 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835 Maison de Balzac, BAL 972 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 252 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 253 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky) Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin) Louis Hersent, 1824 Musée de l'Histoire de France © Palais de Versailles, RF 481
+ Lire la suite
autres livres classés : biographieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (28) Voir plus



Quiz Voir plus

Le pied de momie

Le narrateur de la nouvelle est :

un parisien
un marchand
un prince

10 questions
362 lecteurs ont répondu
Thème : Le pied de momie et autres récits fantastiques de Théophile GautierCréer un quiz sur ce livre

{* *}