La collection « L'Ouest, le vrai », éditée chez
Actes Sud et créée par le regretté
Bertrand Tavernier, nous permet de redécouvrir, dans des traductions inédites, les auteurs souvent oubliés d'un genre longtemps considéré comme mineur : le western.
C'est grâce à cette collection que j'ai découvert les romans sobres et puissants
De W.R. Burnett, « Terreur apache », « Mi amigo » et « Lune pâle » ainsi que la plume moins sèche et plus sentimentale d'
Ernest Haycox, auteur de plusieurs romans majestueux tels que «
Des clairons dans l'après-midi » et «
Le passage du canyon ». Je ne les citerai pas tous, mais grâce à ces auteurs tombés dans l'oubli, j'ai surtout compris que le western était aussi un genre littéraire, avant que le cinéma ne fasse entrer certains de ces ouvrages dans la légende d'Hollywood.
Publié en 1953, « Hondo » est le western le plus célèbre écrit par l'écrivain américain Louis l'Amour. le roman paraît en librairie le même jour que le film éponyme, où joue John Wayne, qui connut un succès fulgurant. Il s'agit en effet d'une novélisation du scénario, lui-même adapté de « L'Offrande de Cochise », une nouvelle de l'auteur qui nous est proposée dans cette nouvelle édition augmentée.
« C'était un homme vigoureux, aux larges épaules, le visage étroit et osseux d'un cavalier. Ses traits reflétaient la dureté. Une dureté profondément enracinée, qui, pour n'être pas cruelle, n'en paraissait pas moins redoutable. S'il y avait de la douceur en lui, il la cachait bien. »
En quelques mots, le portrait du héros Hondo Lane est posé. du sang apache coule dans les veines du guerrier solitaire, pour qui le désert et les Apaches n'ont pas de secret. Ces derniers ont repris le sentier de la guerre et Hondo tente de rejoindre le fort le plus proche. En chemin, il découvre un ranch isolé, où vivent Angie Lowe et son tout jeune fils. Tandis qu'Angie prétend que son mari est absent pour la journée, l'état du ranch raconte une autre histoire, celle d'un homme qui a fui ou a été tué par les Apaches.
Entre le cavalier solitaire et la belle Angie, naît une complicité immédiate et Hondo, qui vient de perdre son cheval tué au cours d'une escarmouche avec des membres de la tribu menée par le grand chef Vittorio, accepte de rester une nuit au ranch. Il reprendra néanmoins la route seul, car Angie a refusé son offre de l'accompagner au fort et préfère rester dans ce ranch construit par son défunt père, au risque de se faire scalper par une escouade d'Apaches en colère.
Louis l'Amour nous propose un voyage épique dans ce désert, qui est depuis toujours la terre des Apaches. L'auteur mêle habilement la guerre sans merci que se livrent l'armée américaine et l'une des toutes dernières tribus à résister à
la conquête de l'Ouest, avec la destinée d'un tireur légendaire et d'une femme au caractère bien trempé. le chef apache Vittorio, qui mène la rébellion désespérée de tout un peuple contre les visages pâles, détient sans doute la clé de l'avenir d'Angie Lowe, qui espère secrètement le retour d'Hondo Lane.
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Si l'écriture de Louis L'Amour est parfois aussi sèche que le désert qui freine la progression des colons, l'originalité du roman tient au regard porté par l'auteur sur les Apaches. En dépit de la cruauté effrayante dont sont capables ces Indiens du désert, le roman reconnaît une véritable noblesse à ce peuple qui lutte pour sa survie, une noblesse incarnée par Vittorio, un chef qui sait se montrer magnanime, qui juge les hommes à leur courage et non selon la couleur de leur peau.
« Ils formaient le peuple. C'était leur nom. Quand les premiers Américains étaient venus, ils les avaient accueillis avec amitié. Et on leur avait fait la guerre. Alors, farouchement, ils avaient résisté. (...)
Les Apaches savaient que leur heure était passée. Ils savaient que les Blancs leur prendraient cette dernière terre, mais ils ne plieraient pas. Après avoir combattu jusqu'à la fin, ils chanteraient leur chant de mort, et mourraient. »
Si le héros Hondo incarne ce courage que respectent les Indiens, il est aussi un homme qui doute, et peine à admettre les sentiments qu'il éprouve pour Angie Lowe. Des sentiments qui pourraient bouleverser à jamais l'existence d'un guerrier du désert, qui envisage avec circonspection la vie de mari et père, qui pourrait devenir la sienne. Ses liens très forts avec les Apaches, auprès desquels il a vécu pendant des années, lui confèrent une profondeur et une humanité rares qui permet à l'auteur de dessiner une figure de héros originale, éloignée de la figure archétypale du cow-boy des westerns de mon enfance.
C'est lorsqu'il évoque avec Angie son mariage avec Destarte, sa défunte épouse apache, que l'armure du héros se fissure.
« - Destarte ! Un joli nom ! Que veut-il dire ?
- C'est un terme de Mescalero. Ça signifie : « matin », mais pas tout à fait. Les mots indiens sont plus précis. (...) Destarte veut dire : « le point du jour ». La première lumière qui illumine les buttes du désert gris. Mais aussi le bruit du ruisseau qui roule sur les roches, celui de la truite qui saute dans le ruisseau, celui du castor qui ronge, le bruit de l'étalon qui hennit avec les juments à la première bouffée du vent de l'aurore. Destarte, c'est encore le moment où vous vous levez à l'aube, et que vous êtes là, tous deux, l'aube et vous, et que vous sentez sur le visage le premier souffle du vent qui vient des hauteurs et annonce la neige. Ce mot ne se traduit pas en anglais. C'était son nom : Destarte. »
« Hondo » célèbre une vertu parfois oubliée, le courage qui unit les farouches guerriers apaches et les vétérans de la guerre de Sécession qui se combattent sans relâche. Ce western célèbre aussi le baroud d'honneur d'un peuple qui sait que son destin est scellé, mais préfère mourir les armes à la main plutôt que de se rendre. Louis l'Amour célèbre enfin la beauté du désert, ainsi que celle de la culture de ses premiers habitants, ceux que l'on nomme les indigènes, les autochtones, les natifs, en un mot : les Apaches.